Ode en dialogue, l’Espérance et Ronsard

Ode en dialogue, l’Espérance et Ronsard
Les Odes, Texte établi par Hugues VaganayGarnier3 (p. 406-409).

[ODE. EN DIALOGUE. 1555]

[Texte de 1572 : Livre IV, xli.]


Pipé des ruses d’Amour,
Je me promenois un jour
Devant l’huis de ma cruelle.
Et tant rebuté j’estois.
Qu’en jurant je prometois
De ne rentrer plus chez elle.
 
II sufist d’avoir esté
Neuf ou dix ans arresté

Es cordes d’Amour, disoy-je,
Il faut m’en déveloper
Ou bien du tout les couper
A fin que libre je soye.
 
Et pour-ce faire je pris
Une dague que je mis
Bien avant dedans la Lesse :
Et son noud j’eusse brisé
Si lors je n’eusse avisé
Devant l’huis une Déesse.

Mais incontinent que j’en
Son dos garny d’aisles veu,
Sa robbe et sa contenance,
Et son roquet retroussé,
Incontinent je pensé
Que c’estoit dame Espérance.

Je m’approche, elle me prit
Par la main dextre, et me dit.

Espérance.


Ou vas-tu pauvre Poëte ?
Tu auras avec le temps
Tout le bien que tu pretens.
Et ce que ton cœur souhaitte.

Ta maistresse avoit raison
De tenir quelque saison
Rigueur à ta longue peine :
Elle le faisoit exprès.
Pour au vray connoistre après
Ton cœur et ta foy certaine.

Mais ores qu’elle sçait bien
Par seure espreuve, combien
Ta loyalle amitié dure :
D’elle-mesme te prira.

Et bénigne guarira
Le mal que ton cœur endure.

Ronsard.

 
Alors je luy respondis :
Hé qu’esse que tu me dis ?
Veux-tu rabuser ma vie ?
Apres me voir eschapé
De celle qui m’a trompé,
Veux-tu que je m’y refie ?

Dix ans sont que je la suis,
Et que pour elle je suis
Comme une personne morte :
INIais en lieu de lui ployer
Son orgueil, pour tout loyer
Je muse encor à sa porte.

Non-non il vaut mieux mourir
Tout d’un coup, que de périr
En langueur par tant d’années :
Ores je veux de ma main
Me tuer, pour voir soudain
Toutes mes douleurs finées.

L’Espérance.

 
Ah, qu’il te feroit bon voir
De tomber en desespoir,
Quand l’Espérance te guide :
Laisse-laisse ton esmoy.
Laisse ta dague, et suy-moy
Là haut chez ton homicide.

Disant ces mots je suivy
Ses pas, tant que je me vy
Dans la chambre de Cassandre.

Tien, dit l’Espérance, tien :
Tout exprès icy je vien
Pour Ion fugitif te rendre.

Il t’a servy longuement,
C’est raison que doucement
Ses angoisses tu lui ostes :
Il te faut bien le traitter,
Craignant ce grand Jupiter,
Puis qu’il est l’un de tes hostes.

A-tant elle s’eslança
Dans le Ciel, et me laissa
Seul en ta chambre, m’amie.

Là, doncque par amitié,
Là, ^laistresse, pren pitié
De ton hoste, qui te prie.

Si j’ay quelque mal chés toy,
Jupiter le juste Roy
Foudroyra ta chère teste :
Car il garde ceux qui sont
Hostes, et ceux là qui font
En misère une requeste.