Ode (Gilbert)
ODE IX[1],
J’ai révélé mon cœur au Dieu de l’innocence ;
Il a vu mes pleurs pénitents ;
Il guérit mes remords, il m’arme de constance :
Les malheureux sont ses enfants.
Mes ennemis, riant, ont dit dans leur colère :
Qu’il meure, et sa gloire avec lui !
Mais à mon cœur calmé le Seigneur dit en père :
Leur haine sera ton appui.
À tes plus chers amis ils ont prêté leur rage :
Tout trompe ta simplicité :
Celui que tu nourris court vendre ton image,
Noire de sa méchanceté.
Mais Dieu t’entend gémir, Dieu vers qui te ramène
Un vrai remords, né des douleurs ;
Dieu qui pardonne enfin à la nature humaine
D’être foible dans les malheurs.
J’éveillerai pour toi la pitié, la justice
De l’incorruptible avenir ;
Eux-même épureront, par leur long artifice,
Ton honneur qu’ils pensent ternir.
Soyez béni, mon Dieu, vous qui daignez me rendre
L’innocence et son noble orgueil ;
Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre,
Veillerez près de mon cercueil.
Au banquet de la vie, infortuné convive,
J’apparus un jour, et je meurs :
Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j’arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.
Salut, champs que j’aimois, et vous, douce verdure,
Et vous, riant exil des bois !
Ciel, pavillon de l’homme, admirable nature,
Salut pour la dernière fois[2] !
Ah ! puissent voir long-temps votre beauté sacrée
Tant d’amis sourds à mes adieux !
Qu’ils meurent pleins de jours ! que leur mort soit pleurée !
Qu’un ami leur ferme les yeux !