Ode à la joie de Schiller
ODE À LA JOIE DE SCHILLER
Ô Joie, belle étincelle divine, fille de l’Élysée, nous entrons dans ton sanctuaire ivres d’enthousiasme, ô Déesse. Tes charmes réunissent ce que la froide opinion sépare et tous les hommes deviennent frères là où tes douces ailes reposent.
Que celui qui a l’inestimable bonheur de posséder un ami, que celui qui a conquis une douce femme unisse sa joie à la nôtre ! et aussi celui qui n’a qu’une âme à lui sur la terre ; mais que celui qui n’a jamais aimé s’éloigne en pleurant de notre cercle !
Tous les êtres puisent la joie aux mamelles de la nature ; tous, bons et méchants, suivent ses traces de rose. Elle nous donne et les baisers et la vigne et l’ami fidèle jusqu’à la mort ; le vermisseau lui-même connaît la volupté et le Chérubin est devant Dieu.
La joie est le moteur puissant de l’éternelle nature. Elle fait tourner les rouages de la grande horloge du monde ; elle fait sortir les fleurs de leurs germes et briller le soleil au firmament ; elle fait rouler dans l’espace les sphères que l’astronome ne connaît pas.
Du miroir étincelant de la vérité la joie sourit à celui qui la cherche. Elle soutient les pas du malheureux sur le sentier escarpé de la vertu. On voit flotter sa bannière sur les hauteurs rayonnantes de la foi ; à travers l’ouverture des sépulcres brisés on la voit apparaître dans le chœur des anges.
On ne peut récompenser les Dieux : Il est beau de leur ressembler. Que les pauvres et les affligés se mêlent et se réjouissent avec les joyeux. Oublions la haine et la colère. Pardonnons à notre ennemi : que nulle larme ne fatigue ses yeux, que nul remords ne le ronge.
La joie pétille dans les verres. Les Cannibales puisent la douceur dans les flots dorés de la vigne, le désespoir y puise du courage. Frères, levez-vous de vos sièges quand le verre rempli circulera : laissez l’écume de la boisson enivrante jaillir vers le ciel ; offrez ce verre au bon génie.
Courage et fermeté dans les souffrances ! Secours à l’innocent qui pleure ! Éternité de serments, vérité envers l’ami et l’ennemi, mâle fierté devant les trônes des rois ; voilà frère ce qu’il faut, dussions-nous sacrifier nos biens et notre vie. Au devoir accompli sa couronne, au mensonge le malheur.
Affranchissement des chaînes de la tyrannie, générosité envers le méchant, espoir sur le lit de mort, grâce sur l’échafaud ! que les morts vivent aussi ! Buvez, frères, et répétez à la fois : que tous les péchés soient pardonnés et que l’enfer ne soit plus !