Ode à la fièvre
Les Odes, Texte établi par Hugues VaganayGarnier3 (p. 346-347).

ODE XXVIII

Ah ! fiévreuse maladie
Comment es-tu si hardie
D’assaillir mon pauvre corps
Qu’Amour dedans et dehors
De nuit et de jour enflame
Jusqu’au plus profond de l’ame ?
Et sans pitié prend à jeu
De le mettre tout en feu ?
Ne crains-tu point vieille blesme,
Qu’il ne te brûle toymesme ?

Mais que cherches-tu chez moy ?
Sonde moy par tout, et voy

Que je ne suis plus au nombre
Des vivans, mais bien une ombre
De ceux qu’Amour et la Mort
Ont conduit delà le port
Compagnon des troupes vaines.

Je n’ay plus ny sang ny veines,
Ny flanc, ny poumon, ny cœur :
Long temps a que la rigueur
De ma trop fiere Cassandre
Me les a tournez en cendre.

Donc, si tu veux m’offenser.
Il te faut aller blesser
Le tendre corps de m’amie :
Car en elle gist ma vie.
Et non en moy qui mort suis.
Et qui sans ame ne puis
Sentir chose qu’on me fasse.
Non plus qu’une froide masse
De rocher ou de métal
Qui ne sent ne bien ne mal.