Maison d’éditions et d’impressions Anct AD. Hoste, S. A. (p. 181-182).

XLIII.

LA POMME.


Je me rappelle
Un vieux récit
Du temps rêveur de mon enfance,
Un récit du Dauphin de France.
Et je trouvais l’histoire belle
Et la voici.

L’enfant, dans sa prison cruelle,
L’enfant-martyr aux doux yeux bleus
— Je me rappelle,
J’ai des frissons dans les cheveux… —
Aima le bon docteur, seule âme
Qui le berçât comme une femme
Et se fit doux pour le veiller.
Et, n’ayant au monde autre chose,
Il lui donna la pomme rose
Qu’il lui gardait, sous l’oreiller.

Oh ! dis pourquoi je me rappelle,
Dans ma prison de désespoir,
La vieille histoire triste et belle,
Comme le soir ?
Ils m’ont ravi mon beau royaume,
Ils m’ont tué ceux que j’aimais,
Ils m’ont tout pris, jusques au dôme
Du ciel et l’odeur des forêts.
Ils m’ont pris la pluie et la brise
Et les baisers d’or du soleil.
Mais j’ai gardé mon âme éprise,
Mais j’ai gardé mon fruit vermeil.
Prends, car je n’ai pas autre chose.
Prends — le geôlier s’est endormi.
Je t’ai gardé la pomme rose
De l’amour dans mon âme close.
Prends mon amour, ô seul ami !