Octave Mirbeau (Lazare)

Figures contemporaines : ceux d’aujourd’hui et ceux de demain
Perrin et Cie, libraires-éditeurs (p. 167-170).


OCTAVE MIRBEAU


Romancier, critique d’art ou de mœurs, chroniqueur et essayiste, esthéticien et conteur, M. Octave Mirbeau est, toujours et avant tout, un révolté. J’imagine même qu’il n’a pas acquis ces sentiments de révolte ; sans doute, les développa-t-il au spectacle des ignominies avilissantes, de l’injustice et de la cruauté des hommes et des lois, mais il est né ainsi et, en venant au monde, il porta l’instinct de se rebeller contre lui.

Il n’a jamais dû accepter avec facilité les idéologies professorales, ces idéologies que des pédagogues respectables et bornés versent, à la façon du philanthrope de Dickens, dans les jeunes cervelles qui leur sont livrées. Il n’a pas reçu avec plus de complaisance les formules courantes que l’on cède à bon compte aux adolescents dociles, pour leur permettre de jouir exclusivement des avantages que savent conférer ceux qui gouvernent, et on ne peut le ranger parmi les soutiens de la société.

Je crains bien que jamais on ne donne en prix dans les écoles le Calvaire ou bien Sébastien Roch, car ce sont des œuvres fort dangereuses et susceptibles de détourner les bonnes âmes du droit chemin. Un meilleur sort leur est réservé. Si elles ne sont pas apostillées par les bienveillances officielles, si nulle académie ne les couronne, si nul grand maître universitaire ne les recommande, on n’en viendra pas moins à elles, et elles auront cette inestimable récompense d’être des éducatrices et des initiatrices.

Aussi M. Octave Mirbeau sera-t-il sévèrement jugé par les moralistes des instituts. Ils lui reprocheront son ironie douloureuse, ses sarcasmes terribles, l’impétuosité de son irrespect, la violence de ses attaques contre les idées conventionnelles, la férocité de son mépris pour certains hommes, pour certaines classes et pour certaines institutions.

Peut-être même la puissance de l’écrivain, son don des images saisissantes et justes, la fermeté robuste de son style, l’éclat de son imagination, l’âpreté de son ironie ne seront pas pour les critiques dont je parle des circonstances atténuantes. Ils tiendront M. Mirbeau pour plus redoutable, au contraire, et ils accentueront davantage leur réprobation.

Ils n’auront pas tort, certes, car ce sont toutes ces qualités du romancier, du critique et de l’artiste qui amènent à M. Mirbeau les âmes qui s’émancipent et les esprits qui regimbent, c’est là la raison de son influence d’aujourd’hui et le secret de sa force de demain. C’est pour cela qu’Octave Mirbeau est chéri de tous les indépendants, de tous les novateurs, de tous ceux qui pensent qu’il est peut-être temps de se désintéresser de la question de l’adultère, de la psychologie des femmes du monde, du culte de ses passions et du souci de soi-même.