Observations sur quelques mouvemens de la mer

Observations sur quelques mouvemens de la mer

OBSERVATIONS SUR QUELQUES MOUVEMENS DE LA MER.[1]

S’il est un lieu où la nature se soit plu à réunir toutes ses beautés grandioses et gracieuses, c’est sans contredit la vaste embouchure du fleuve qui baigne les quais de notre capitale, et qui, après un cours modeste, mais rendu utile par une longue ligne de navigation commerciale, prend tout à coup, en approchant de l’Océan, une largeur qui en fait un véritable bras de mer. C’est à Quillebœuf que la Seine, jusque-là resserrée entre des rives médiocrement distantes, prend subitement une étendue de plusieurs kilomètres, qu’elle garde ensuite jusqu’à ce qu’elle arrive à la hauteur du Havre pour se confondre avec l’Atlantique. La beauté de ses rives boisées, de ses falaises escarpées ou croulantes, de ses villes riveraines, de ses châteaux et de ses monumens, romains, féodaux ou monarchiques, anciens ou modernes ; les rivières et les marais tributaires qui joignent leurs eaux à celles de la Seine ; mille effets de perspective aérienne, de lumière, d’ombre, de soleil, de brouillards, d’arcs-en-ciel, d’aurores et de nuages colorés, de lointains aux plus riches teintes : tout cela fait du paysage de Quillebœuf un tableau aussi riche que varié, mais surtout perpétuellement changeant. Si l’on y ajoute les mouvemens de l’Océan, qui, deux fois par jour, envahit majestueusement le fleuve et vient battre les galets de la grève qui fait suite au quai, les bancs de sable continuellement déplacés et retentissant de la chute de leurs bords dans le courant qui les ronge sans cesse, les vents de la mer et les tempêtes, et tous les autres météores sonores ou silencieux, — enfin toute cette vaste scène animée par le mouvement de mille bâtimens de long cours ou de barques de pêcheurs et de pilotes qui descendent ou remontent cette grande route fluviale de Paris à l’Atlantique, — on concevra que rien ne manque à ces admirables points de vue, pas même les témoins assidus et nombreux des phénomènes des eaux, de la terre et du ciel, ces vieux pilotes de Quillebœuf, qui, assis sur les pierres et sous les arbres du cimetière voisin de la mer, contemplent maintenant avec sécurité les flots redoutables qui les ont épargnés si long-temps.

Lorsque Newton, en y pensant toujours, eut découvert la loi régulatrice des mouvemens célestes, l’attraction universelle, il l’appliqua aux mouvemens de l’Océan, il en pénétra la cause, mais il en laissa le développement à ses successeurs, qui, en possession d’une analyse mathématique perfectionnée, pouvaient aller plus loin dans l’explication des nombreuses particularités des marées. Au premier rang des héritiers et des rivaux de Newton, chacun a déjà nommé Laplace, de l’Institut de France. Ce ne serait donc point un sujet nouveau et convenable à traiter ici que cette obéissance, je dirai presque passive, de l’Océan aux formules mathématiques de Laplace et de Newton. Lucain, dans sa Pharsale, parlant des côtes maritimes de la France, signale ces plages incertaines qui tantôt appartiennent à la terre et tantôt à la mer, que le vaste Océan envahit et abandonne tour à tour. Il indique pour cause l’action des vents, du soleil et de la lune. « Cherchez, dit-il, ô vous qui prenez souci de pénétrer le mécanisme du monde, cherchez d’où naissent ces alternatives si fréquentes. Pour moi, je me soumets à l’ignorance que les dieux ont ici voulu imposer aux hommes. « Newton et Laplace ont cherché, et, au grand honneur de l’esprit humain, ils ont trouvé.

Mais les rivages et le bassin de la Seine offrent encore, dans les parages de Quillebœuf, un curieux et redoutable effet des marées : c’est ce qu’on appelle, aux pleines lunes et aux nouvelles lunes des équinoxes, la barre de flot. Ce mouvement, tout-à-fait extraordinaire des eaux de la mer, immense dans son développement, capricieux par l’influence des localités, des vents et surtout de l’état variable du fond du lit du fleuve, a fait l’objet des longues recherches que je voudrais développer aujourd’hui. Voyons d’abord ce que c’est que la barre de flot.

Tandis qu’en général, et même à l’extrême embouchure de la Seine, au Havre, à Honfleur, à Berville, la mer, à l’instant du flux, monte par degrés insensibles et s’élève graduellement, — on voit au contraire, dans la portion du lit du fleuve au-dessous et au-dessus de Quillebœuf, le premier flot se précipiter en immense cataracte formant une vague roulante, haute comme les constructions du rivage, occupant le fleuve dans toute sa largeur de dix à douze kilomètres, renversant tout sur son passage et remplissant instantanément le bassin immense de la Seine. Rien de plus majestueux que cette formidable vague, si rapidement mobile. Dès qu’elle s’est brisée contre les quais de Quillebœuf, qu’elle inonde de ses rejaillissemens, elle s’engage en remontant dans le lit plus étroit du fleuve, qui court alors vers sa source avec la rapidité d’un cheval au galop. Les navires échoués, incapables de résister à l’assaut d’une vague si furieuse, sont ce qu’on appelle en perdition. Les prairies des bords, rongées et délayées par le courant, se mettent, suivant une autre expression locale, en fonte, et disparaissent. Successivement le lit du fleuve se déplace de plusieurs kilomètres de l’une à l’autre des falaises qui le dominent; enfin les bancs de sable et de vase du fond sont agités et mobilisés comme les vagues de la surface. Rien de plus étonnant que ces redoutables barres de flot observées sous les rayons du jour le plus pur, au milieu du calme le plus complet et dans l’absence de tout indice de vent, de tempête ou d’orage de foudre. Les bruits les plus assourdissans annoncent et accompagnent ces grandes crises de la nature, préparées par une cause éminemment silencieuse, l’attraction universelle. Homère, le grand peintre de la nature, semblerait avoir été témoin de pareils phénomènes, lorsqu’il en traçait la fidèle description que voici : « Telle, aux embouchures d’un fleuve qui coule guidé par Jupiter, la vague immense mugit contre le courant, tandis que les rives escarpées retentissent au loin du fracas de la mer que le fleuve repousse hors de son lit. »

Ces mouvemens, vraiment extraordinaires, n’ont rien de fixe, ni pour les points du fleuve où ils sont le plus violens, ni pour la hauteur de la cataracte qui se précipite vers sa source. Un vent de mer modéré aide à la formation de la barre; un vent violent étale les eaux et en diminue la hauteur. Dans les eaux profondes, la barre est faible; elle l’est de même sur les bancs trop peu recouverts. Souvent, d’une marée à l’autre, il s’opère un changement complet dans le régime de ces courans si bizarres et si destructeurs.

Il y a trente ans environ que les curieux effets de la barre de la Seine me furent indiqués par M. Robin, actuellement ingénieur divisionnaire des ponts-et-chaussées. Cet excellent observateur, chargé alors des travaux de Quillebœuf, avait fait le nivellement de la partie voisine du fleuve et noté les curieux effets de la barre de flot. Il me rendit une première fois témoin de ces mouvemens de l’Océan si grandioses et alors tout-à-fait inexpliqués. Depuis cette époque et pendant un quart de siècle, aux jours des grandes marées annoncées par les calculs du bureau des longitudes et inscrites dans son Annuaire, je courais observer les singuliers et imposans déplacemens de ces immenses masses liquides. J’en suivis les effets sur tous les points de la Seine autour de Quillebœuf et jusqu’à Rouen. Je les ai contemplés des prairies et des grèves menacées par le flot, du haut des falaises d’Aizier, de La Roque et de Tancarville. J’ai observé la barre par le calme, par le vent, par la tempête, par le soleil, par la pluie, par le brouillard, par le chaud, par le froid, dans le jour, dans la nuit. J’espérais qu’une observation assidue des particularités du phénomène, combinée avec les notions de mécanique qui sont maintenant la propriété de tous, m’en fournirait tôt ou tard l’explication.

C’est ce qui a eu lieu lorsque sont venues à ma connaissance les belles recherches de M. Russell sur la vitesse des vagues dans les canaux d’une profondeur donnée. Or il résulte de ces recherches que cette vitesse est beaucoup moindre dans une eau moins profonde, et au contraire que la vague marche et se propage très rapidement dans une eau très profonde. On peut donc à peu près sonder la profondeur d’un lac ou d’un canal en y excitant des vagues et en mesurant leur vitesse. C’est ainsi que la profondeur de la Manche entre Plymouth et Boulogne a été évaluée à soixante mètres. C’est encore ainsi que la prodigieuse rapidité des ondes de la marée dans les mers profondes (par heure 600 kilomètres et au-dessus !) a permis de sonder l’Atlantique et le Pacifique, et nous a donné en moyenne 4,800 mètres de profondeur pour l’Atlantique et 6,400 mètres pour l’Océan Pacifique. Il serait injuste de ne pas rappeler que Lagrange avait déjà trouvé par le calcul les résultats que M. Russell a déduits de l’expérience, et que Thomas Young, placé par l’Académie des Sciences au rang illustre de ses associés étrangers, avait modifié en plusieurs points le théorème de Lagrange. Qu’il me soit permis cependant d’insister sur le mérite de la confirmation expérimentale donnée par M. Russell aux calculs analytiques. Les phénomènes de la nature sont si compliqués, que les théories ne sont pour ainsi dire que des présomptions, jusqu’au moment où leur vérification par les faits leur donne le rang de vérités annexées pour toujours à l’apanage de l’esprit humain. Qu’on se souvienne de ce mot du spirituel Fontenelle : Quand une chose peut être de deux façons, elle est presque toujours de la façon dont on ne la conçoit pas généralement.

Maintenant que, grâce aux travaux de Lagrange et de M. Russell, nous savons que la marche des vagues est retardée dans une eau moins profonde, nous comprendrons sans peine la cause de la cataracte du flux, quand la marée aborde certaines portions du bassin de la Seine. En effet, dans toutes les localités où l’eau deviendra de moins en moins profonde, les premières vagues, retardées par le manque de profondeur, seront devancées par les suivantes, qui marchent dans une eau plus profonde, et celles-ci seront elles-mêmes rejointes par celles qui les suivent, de manière que, les vagues antérieures étant dépassées en vitesse par toutes celles qui les suivent, ces dernières retomberont en cascade par-dessus les vagues antérieures, et produiront cette immense cataracte dont j’ai décrit plus haut la forme et les effets.

Pour peindre par un exemple familier à tout le monde cet entassement des lames de marée produit par le ralentissement de vitesse de celles qui marchent en tête, ralentissement qui provient, je le répète, de ce que ces premières lames voyagent dans une eau moins profonde, observez ce qui arrive à un troupeau dont la tête est retardée par un obstacle quelconque : à l’instant même, on voit les animaux du second rang se serrer contre les premiers, et ceux qui viennent ensuite se dresser sur leurs pieds de derrière en appuyant les pieds de devant sur ceux qui les précèdent.

Ainsi, toutes les fois que les vagues de la marée montante se propageront dans une eau de moins en moins profonde en allant du large au rivage, il se produira un effet analogue à la barre de la Seine, qu’il y ait un fleuve ou simplement le rivage de la mer avec une pente graduée. C’est une circonstance et un effet dont j’ai été témoin aux alentours du Mont-Saint-Michel : on peut l’aborder à gué dans les basses mers équinoxiales; mais, quand le reflux cesse, la mer revient en vague roulante, et fait courir les plus grands dangers à ceux qui se trouvent encore au milieu du gué.

Il résulte de cette théorie que si, d’après la position des bancs qui occupent le fond de la Seine, l’eau, après avoir diminué et produit une barre, vient à reprendre de la profondeur, les vagues antérieures ne seront plus retardées, et par suite que la barre cessera de se produire. C’est ce que j’ai fréquemment observé du haut des falaises qui dominent la Seine dans la portion de son cours qui sépare le promontoire de La Roque de la pointe de Tancarville.

Cette même théorie doit faire pressentir que le phénomène de la barre n’est point exclusivement propre à la Seine. Toutes les rivières à marées qui offriront un bassin dont la profondeur diminuera graduellement devront le produire. Il a été, en effet, observé depuis long-temps dans la Dordogne, où il est connu sous le nom de mascaret, nom que j’adopte, avec M. Arago, pour désigner ces mouvemens extraordinaires de la mer; car le nom de barre se donne ordinairement à cette sorte de barrière sous-marine que forme à l’embouchure des fleuves le dépôt des sables et des vases entraînés par le courant, et qui s’accumulent à l’endroit où celui-ci vient à s’arrêter par l’obstacle de la mer. J’ai aussi observé le mascaret de la Dordogne, qui a été décrit par l’admirable Bernard Palissy. Quant à la théorie qu’il essaie d’en donner, outre sa complication, elle serait complètement en défaut dans le cas des mascarets sans rivière du Mont-Saint-Michel.

Un mascaret formidable, dit pororoca, ravage l’embouchure de l’Amazone. Ceux qui voudront bien prendre la peine de comparer la description qu’en donne La Condamine avec l’explication qui précède y trouveront, je pense, une nouvelle confirmation de ma théorie. La Condamine ne donne aucune explication de la pororoca. Enfin le même phénomène se retrouve dans les rivières et sur les plages du nord de l’Ecosse; en Angleterre, dans la Séverne et dans l’Humber; aux Grandes-Indes, dans quelques-unes des embouchures du Gange.

Toutefois, si nous voulons un exemple fameux des effets d’un mascaret observé trois cents ans avant notre ère, il nous faut ouvrir Quinte-Curce et suivre avec lui Alexandre-le-Grand arrivant à l’embouchure de l’Indus, dans le désir passionné de voir l’Océan à ces limites du monde. La flottille du conquérant des Indes trouve déjà de l’eau salée : rien ne fait présager un danger dans la localité calme et découverte où l’on se trouve; mais le flot arrive subitement le fleuve remonte vers sa source avec la rapidité d’un torrent; tous les vaisseaux, échoués d’abord, sont culbutés ensuite; tous les rivages sont couverts de débris. Les soldats sont terrifiés de voir des naufrages en pleine terre, une mer entière dans le bassin d’un fleuve. Ce beau passage, inintelligible pour ceux qui ne connaîtraient que les marées ordinaires, se ressent de l’ignorance même de l’auteur, qui l’a écrit évidemment d’après les notions générales d’alors. Pour le bien concevoir et sans sortir de notre pays, qu’on se figure un de ces chefs normands envahisseurs de la Neustrie remontant à pleines voiles le bassin de la Seine par le vent d’ouest ordinaire dans notre climat. S’il prend pose le matin à l’échouage sur les rives du fleuve entre Quillebœuf et Villequier, un jour de grande marée de printemps ou d’automne, le mascaret du soir le fera périr à peu près infailliblement, lui et toute sa suite maritime.

N’est-il pas curieux que le mascaret de la Seine, pour ainsi dire aux portes de Paris, ait été connu plus tard que celui de l’Amazone? Il a été mentionné pour la première fois dans la prose éloquente de Bernardin de Saint-Pierre. Cet admirable observateur décrit avec une rare précision la montagne d’eau qui vient du côté de la mer en se roulant sur elle-même, occupant toute la largeur du fleuve et surmontant ses rivages à droite et à gauche avec un fracas épouvantable. Suivant l’imagination poétique de l’auteur, la Seine est une nymphe que Neptune amoureux poursuit à grand bruit en soulevant les flots qui forment la barre.

Dirai-je que l’expérience que chacun peut faire en agitant l’eau d’une mare ou celle qui est emprisonnée dans un canal en bois dont le fond va en se relevant, en sorte que l’eau aille en diminuant de profondeur, confirme toutes les prévisions de la théorie et reproduit en petit le mascaret avec toutes ses circonstances? Rien n’est à négliger dans ce qui peut entraîner une complète conviction dans la théorie des forces de la nature et faire passer de l’inquiétude de la recherche à la sécurité de la vérité connue. Serait-on bien sûr, par exemple, de la théorie de l’arc-en-ciel, si, au moyen des gouttes d’eau qu’on fait jaillir soi-même en plein soleil, on n’avait pas reproduit dans toutes ses particularités ce brillant météore? Les expériences de cabinet sont modestes, mais utiles, donc estimables. N’est-ce pas en réparant le mauvais modèle de machine à vapeur d’un cabinet de physique que Watt découvrit la machine à vapeur travailleuse, cette ouvrière universelle et infatigable dont notre compatriote M. Séguin, de l’institut, a fait plus tard la locomotive, transformant, pour ainsi dire, une lourde bête de somme en un cheval de course aussi rapide dans sa marche qu’énergique dans son travail?

Platon et son école métaphysique pensaient que c’était faire déroger la géométrie que de l’appliquer, comme en Égypte, à l’arpentage des terres. Un philosophe du dernier siècle, encore plus orgueilleux, disait à peu près ce qui suit : « Quand un penseur trouve une application utile de ses théories, il en fait part à la multitude, qui l’exploite selon ses intérêts, et de là naissent les arts que l’on jette au peuple pour lui apprendre à respecter la philosophie. » Dans notre siècle, heureusement utilitaire, on n’est pas si dédaigneux. Ceux qui nous ont donné les moteurs par l’eau et le feu, le télégraphe électrique, la photographie, l’éthérisation, les théories agricoles et tant d’autres honneurs de la civilisation moderne, ont estimé à sa valeur ce qu’ils jetaient au peuple, lequel les en a convenablement remerciés. Adoptons donc la belle maxime de Pline : « pour l’homme, c’est être Dieu que d’être utile à l’homme ! »

Mais, dira-t-on, à quoi peut servir la connaissance des lois des mouvemens du flot dans les rivières à marées ? Demandez-le aux constructeurs des grands travaux qui, sur les rivières d’Écosse et dans la Tamise même, ont obtenu que les bâtimens du commerce franchissent d’une seule marée le chemin qu’ils mettaient autrefois deux ou trois jours à parcourir. Demandez-le aux travaux qui se font aujourd’hui dans les parages ravagés jusqu’à ce jour par la barre de la Seine, coulant bas les navires et détruisant les prairies elles-mêmes avec une force irrésistible. M. Arago, consulté officieusement par un de nos ingénieurs sur ces travaux, lui disait : « Dans le Gange, à ses nombreuses embouchures, on a observé que les vaisseaux à flot dans une eau profonde ne souffrent point du mascaret, qui renverse les bâtimens échoués ou stationnés dans une eau peu profonde. Tâchez donc de donner de la profondeur au lit de la Seine. » C’est ce qu’on a fait en rétrécissant le lit du fleuve au-dessus de Quillebœuf, et le succès paraît devoir couronner ces utiles tentatives. Tous ceux qui, en descendant la Seine, ont vu, à plusieurs kilomètres dans les vastes et riches prairies du nord et du sud, les mâts encore subsistans des navires qui s’y sont perdus autrefois, quand le courant y passait, ou ceux qui ont navigué à la vapeur dans les localités mêmes que peu d’années auparavant ils avaient parcourues à cheval, au milieu des cultures les plus productives et de milliers de têtes d’élèves de bestiaux de toute espèce, sentiront la haute importance de ces applications de la science des mouvemens extraordinaires de la mer.

Pour quitter, en finissant, le domaine des intérêts matériels et revenir à la contemplation de la nature, qui n’a point observé sur le rivage de la mer cet interminable brisement des vagues qui viennent sans cesse à la côte et reculent ensuite, après s’être étalées sur le sable et les cailloux de la grève ? Dans leur variété d’aspect, elles ont toutes cependant une analogie de forme qui exclut l’idée de hasard et annonce une loi. Cette loi qui modèle une humble vague qui brise est exactement la même que celle qui produit la redoutable barre de flot. La petite vague plate qui aborde le rivage éprouve les effets de la moindre profondeur : sa tête retardée est gagnée de vitesse par sa partie postérieure ; de là le renflement de la tête, son roulement sur elle-même avec ou sans panache d’écume, et enfin son étalement sur la pente peu inclinée du rivage. C’est encore un des tableaux tracés fidèlement par Homère. Il décrit, en plusieurs endroits, les vagues arrivant à la terre, se gonflant et s’arrondissant ensuite, puis s’empanachant d’écume, et enfin rejetant cette écume sur la grève, qu’elles baignent en rejetant aussi les herbes marines et les corps étrangers. Ici, comme partout ailleurs, nous retrouvons le type habituel de la nature, qui produit un grand nombre d’effets avec un petit nombre de causes.


Babinet, de l’Institut.

  1. Ces observations, écrites pour la Revue, devaient être lues dans la dernière séance publique des cinq académies. L’heure avancée n’a pas permis d’en donner communication.