Observations sur quelques grands peintres/Van Huysum


VAN HUYSUM.


Van Huysum, peintre très-célèbre de la Hollande, est le premier de son genre sans aucune contradiction ; il a peint de beaux paysages dont on parleroit bien plus s’il n’avoit pas fait des tableaux de fleurs, beaucoup plus beaux encore, et en bien plus grand nombre ; l’on peut dire même que c’est par ce genre seul qu’il est connu. Ce qui le caractérise est la perfection, autant qu’il est accordé aux hommes de s’y élever. Cet artiste a une telle célébrité, a tellement surpassé ses rivaux[1] (je parle des peintres non vivans), qu’il semble être le seul peintre de fleurs. Il a porté l’imitation aussi loin qu’il est possible de la concevoir ; et dans ses tableaux, vus de près, vus à une certaine distance, avec les meilleurs yeux, ou avec les meilleures loupes, son talent a donné la vie aux fleurs ; il a rendu le doux et riche éclat de leurs couleurs avec toute la justesse que l’art peut atteindre : il a la même précision dans l’imitation des formes ; et le naturaliste et le peintre en sont également satisfaits. Il n’a pas peint avec moins d’exactitude les fruits, les insectes, les marbres, bien plus aisés à imiter. Quelque finis que soient ses ouvrages, ils ne sont pas secs, ils sont moelleux et fermes en même temps ; les détails y sont terminés dans les ombres, mais sans nuire à leurs masses. On reproche à ses compositions de n’être pas bien entendues pour l’effet général ; quelques personnes prétendent que ses groupes n’ont pas assez de demi-teintes et ne tournent pas assez : des tableaux foibles, sans doute productions de sa jeunesse, ont pu donner cette idée de son talent. Ces critiques sont bien loin d’être toujours justes ; et dans les ouvrages de ce peintre qui sont au Musée Napoléon, dans ceux que possédoit M. Tolozan, et dans tous ses beaux tableaux, on voit qu’il a mis beaucoup d’art à disposer ses formes et ses couleurs ; ses groupes de fruits, ses bouquets s’y arrondissent très-bien, et la dégradation de la lumière y est exactement observée. On doit convenir cependant que sa supériorité est bien plus dans le fini des détails que dans la disposition de l’ensemble, quoique pour cette partie même il puisse encore donner d’excellentes leçons. Peut-être a-t-il trop souvent peint de petites branches, qui, en donnant de la légèreté à ses masses, en interrompent un peu l’effet. Il y a apparence que l’outremer, et des jaunes tirés des végétaux, lui ont servi à faire ses verts, qui sont devenus bleus ; cela est d’autant plus remarquable, que ses autres couleurs se sont conservées très-brillantes.

Un des inconvéniens du genre des fleurs, c’est qu’il ne souffre point de médiocrité, et qu’il faut y être presque parfait pour y acquérir de la gloire : ce qui fait aussi sa grande difficulté, est l’extrême fini qu’on y exige, malgré les obstacles qui s’y opposent. Le premier est le mouvement continuel des fleurs ; beautés mobiles et fugitives, elles s’agitent sans cesse pour arriver à la perfection de leurs formes ; à peine y sont-elles parvenues, qu’elles vont avec rapidité à leur destruction : le second obstacle est l’impossibilité de les peindre ensemble, et même de les voir ensemble ; c’est pour cette raison qu’il est si difficile d’être juste dans les ombres des masses, et plus difficile de l’être dans les ombres portées. Ce sont toutes ces difficultés vaincues par Van Huysum, qui rendent son extrême fini plus étonnant ; mais ce qui accroît encore l’étonnement, c’est qu’il ait pu terminer ses tableaux avec autant de soin, et en faire une aussi grande quantité : leur nombre n’a pas empêché qu’ils n’aient été payés fort cher de son vivant, et qu’ils ne soient au plus haut prix aujourd’hui ; un seul a été vendu dernièrement en Hollande 22,000 liv. Ses dessins sont aussi très-estimés ; il en a surtout fait à l’aquarelle, d’un extrême fini, d’une beauté ravissante, et qui sont peut-être plus extraordinaires que ses tableaux ; les plus beaux dans ce genre sont chez M. Galle, à Amsterdam.

Parmi les peintres de fleurs qui sont morts, c’est une femme, Rachel Ruisch, qui occupe la première place après Van Huysum. On est justement surpris que les femmes ne s’adonnent pas de préférence à un genre dont l’étude n’est point au-dessus des forces de leur sexe : l’anatomie d’une plante n’est point affreuse et repoussante comme doit l’être celle de l’homme pour leur délicatesse ; comme dans l’étude du paysage, elles ne sont point obligées à faire de longs voyages, elles n’ont point à redouter l’intempérie des saisons, ni les dangers des bois solitaires : enfermées avec leurs modèles, elles n’inquiètent point leurs mères, n’alarment pas la tendresse jalouse de leurs époux, n’ont point à craindre les piéges que leur tend la nature, et elles ne donnent pas à l’envie et à la médisance des armes pour les attaquer ; d’ailleurs, puisqu’on se peint dans ses ouvrages, qui peut mieux que les femmes rendre les grâces, l’éclat et le charme des fleurs !

Si la peinture ne devoit pas sa naissance à l’amour, elle la devroit aux fleurs : eh ! qui peut, en effet, les voir se balancer mollement sur leurs tiges, qui peut bien sentir l’harmonie de leurs teintes brillantes et la grâce de leurs formes, sans désirer de pouvoir les peindre ? la nature ne les forme que dans sa joie : quelle âme tendre les voit jamais sans émotion ! elles rappellent mille souvenirs chers ; images de la fragilité de tout ce qui brille, elles mêlent au plaisir qu’elles nous font une sorte d’amertume qui leur donne encore un nouvel intérêt. Source des plus doux parfums, richesse touchante du printemps, ornement de toutes les fêtes, elles sont les dons de l’amitié, de l’amour ; on les porte sur les tombeaux de ceux qu’on a chéris ; on les offre aux dieux comme aux simples bergères. Aussi représentent-elles au figuré ce qui nous enchante davantage ; et l’imagination orne de fleurs tout ce qu’elle veut embellir ; avec elles, l’éloquence nous charme ; en ouvrant les portes du jour, l’aurore les répand sur l’Univers ; elles parent Vénus, elles naissent sur les pas des Grâces ; la jeunesse est la fleur de l’âge ; la beauté, c’est une rose ; ce qui plaît, ce qui touche le plus, un ami, des enfans, une épouse qu’on aime, sèment de fleurs le chemin de la vie.

Van Huysum habitoit, à Amsterdam, une maison où y il avoit un jardin, asile paisible de ses modèles ; dans la ville et aux environs, on se faisoit un plaisir de lui apporter les plus belles fleurs ; souverain de ces sujets aimables, c’est au milieu de ce peuple brillant qu’il a passé sa vie. Eh ! quel monarque jamais dut être plus heureux que lui ? Tranquille, il a vécu dans une continuelle extase, devant les plus riches couleurs et les formes les plus aimables de tout ce que fait naître la nature : il les imita si bien que, quelquefois peut-être, il a pu croire qu’il les avoit créées. On n’a point, il est vrai, élevé à sa mémoire d’immenses monumens de marbre ; que dis-je, le temps détruit bientôt ces prodigieux efforts des arts ; les fleurs meurent aujourd’hui, mais elles renaissent demain ; avec elles vivra sa mémoire, elle vivra au milieu des fêtes et dans les situations les plus douces de la vie ; en parant le sein de son amante, en couronnant sa jeune épouse, l’ami des arts se souviendra de lui.



  1. Je ne parle que des morts ; si je parlois des peintres vivans, ce seroit tout autrement.