Observations sur Le festin de pierre/Réponse aux Observations

Sieur de Rochemont / Anonymes
Observations sur Le festin de pierre (N. Pépingué à Paris - 1665)
Texte établi par P.-L. Jacob, J. Gay et fils (p. 51-65).

RESPONSE AUX OBSERVATIONS

TOUCHANT LE FESTIN DE PIERRE,

DE MONSIEUR DE MOLIERE

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A PARIS,

Chez GABRIEL QUINET,

au Palais, dans la Galerie des Prisonniers, à l'Ange Gabriel.

M DC LXV

Avec permission
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Ces anciens Philosophes qui nous ont soutenu que la Vertu avoit d’elle-mesme assés de charmes pour n’avoir pas besoin de partisans qui decouvrissent sa beauté par une eloquence estudiée, changeroient sans doute de sentiment, s’ils pouvoient voir combien les hommes d’aujourd’huy l’ont defigurée sous pretexte de l’embellir. Ils se sont imaginez qu’elle paroistroit bien plus aymable, s’ils en rendoient l’acquisition plus diflicile et plus espineuse, et ce pernicieux dessein leur a reussi si heureusement, qu’on ne sçauroit plus passer pour vertueux que l’on ne se prive de tous les plaisirs qui n’ont pas la vertu pour leur unique objet ; et comme ils se sont apperçeus que la Comedie en estoit un puissant, qu’elle mortifie moins les sens qu’elle ne les divertit, ils l’ont depeinte comme l’ennemie et la rivale de la Vertu. Ils pretendent qu’elle soit incompatible avec les plaisirs les plus innocens : et ainsi de cette familiere Deesse, qui s’accommode avec les gens de tous mestiers et de tous aages, ils en ont fait la plus austere et la plus jalouse de toutes les Divinités.

L’Autheur à qui je responds, est un de ces sages Reformateurs ; mais comme il est encore apprentif dans le mestier, il n’oze pas condamner ouvertement ce que nos Predecesseurs ont tousjours permis ; il s’est contenté de nous faire la guerre en renard, et lorsqu’il a voulu nous monstrer que la Comedie en general estoit un divertissement que les gens de bien n’approuvoient point, il en a pris une en particulier, où son addresse a supposé mille impietez pour couvrir le dessein qu’il a de detruire toutes les autres. On a beau luy dire que puisqu’il ne doit pas respondre de la candeur publique, il devroit laisser à nos Evesques et à nos Prelats le soin de sanctifier nos mœurs, il soutient que c’est le devoir d’un Chrestien de corriger tous ceux qui manquent, et sans considerer qu’il n’est pas plus blasmable de souffrir les impietez qu’on pourrait empescher, que d’ambitionner à passer pour le Reformateur de la vie humaine, il vient de composer un Livre, où il se declare le plus ferme appuy et le meilleur soustien de le Vertu ; mais ne m’avoüera-t-on point qu’il s’y prend bien mal, pour nous persuader que la veritable devotion le fait agir, lorsqu’il traite Monsieur Moliere de Démon incarné, parce qu’il a fait des Pieces gallantes, et qu’il n’employe pas ce beau talent que la nature luy a donné, à traduire la vie des Saints Peres ?

Il s’est si bien imaginé que c’est une charité des plus Chrestiennes, de diffamer un homme pour l’obliger à vivre saintement, que si cette maniere de corriger les gens pouvoit avoir un jour l’approbation des Docteurs, et qu’il fust permis de juger de la bonté d’une ame par le nombre des Autheurs que la plume auroit descriez. Je responds de l’humeur dont je le connois, qu’on n’attendoit point après sa mort pour le canonizer. Ce n’estoit pourtant pas assez qu’il aymast la Satyre pour vomir contre Monsieur de Moliere, comme il a fait ; il luy falloit encore quelque vieille animosité ou quelque haine secrette pour tous les beaux esprits ; car quelle apparence y a-t-il qu’il paroisse à ses yeux un Diable vestu de chair humaine, parce qu’il a fait une Piece intitulée : Le Festin de Pierre ? Elle est, dit-il, tout à fait scandaleuse et diabolique ; on y void un Enfant mal elevé, qui replique à son Pere ; une Religieuse qui sort de son Couvent, et à la fin ce n’est qu’une raillerie que le Foudre qui tombe sur ce debauché.

C’est le bien prendre, en effet ; vous avez tort, Monsieur de Moliere ; il falloit que le Pere fust absolu, qu’il parlast tousjours sans que le Fils osast luy dire mot ; que la Religieuse, bien loin de paroistre sur un Theatre, fist dans son Couvent une penitence perpetueile de ses pechez, et cet Athée supposé n’en devoit point eschapper ; ses abominations, toutes feintes qu’elles estoient, meritoient bien pour leur mauvais exemple une punition effective. L’intrigue de cette Comerdie auroit esté bien mieux conduite, s’il n’y avoit paru pour tous personnages qu’un Pere qui eust fait des leçons à son Fils, et qui eust invoqué la colere de Dieu pour l'exterminer lorsqu’il le trouvoit sourd aux bonnes inspirations.

Nostre Autheur trouve que la morale en auroit esté bien plus belle, et les sentimens plus Chrestiens, si ce jeune eventé se fust retiré de ses debauches, et qu'il eust esté touché de ce que Dieu luy disoit par la bouche de son Pere ; et si on luy monstre qu‘il est de l'Essence de la Piece que le Foudre ecrase quelqu‘un, et que par consequent il nous faut supposer un homme d’une vie dereglée, et qui soit tousjours insensible aux bons mouvemens, luy dont les soins ne butent qu’à la conversion universelle, nous repliquera sans doute que l’exemple n’en auroit esté que plus touchant, si malgré cet amendement de vie, il n’avoit pas laissé de recevoir le chastiment de ses anciennes impudicitez. Helas! où en serions-nous, si les convictions et les penitences ne pouvaient desarmer la main de Dieu, et que ce fust pour nous une necessité indispensable d’en venir à la punition au sortir de l'offense! Mais pourquoy Dieu nous aurait-il fait une Loy de pardonner à nos ennemis, s’il n'avoit voulu luy-mesme la suivre ? Et puisqu’il nous a dit qu’il voudroit que tout le monde fust heureux, ne se contrarieroit-il point en nous laissant une pente si naturelle pour le mal, s’il ne nous reservoit une misericorde plus grande que nostre esprit n’est faible et Ieger? Nous devons croire qu’il est juste et non vindicatif ; il punit une ame egarée qui persevere dans ses emportemens ; mais il oublie le passé, quand elle s’est remise dans le bon chemin. Tombez donc d'accord que Monsieur de Moliere ne vous a point donné de mauvais exemple, lorsqu’il a fait paroistre un jeune homme qui avoit tant d’antipathie pour les bonnes actions ; le dessein qu’il a eu est celuy que doivent avoir tous ceux de sa profession, de corriger les hommes en les divertissans ; il a fait l'un et l’autre, ou du moins il a tasché de montrer aux meschans la nécessité qu‘il y a de ne le point estre, et le Foudre qu'on entend sur le Theatre nous aaseure de la bonté de son avertissement.

Je prevois que vous m’allez dire ce que j’ay leu dans vostre Critique, que ses termes sont trop hardis, et qu’il semble se mocquer quand il parle de Dieu ; mais quoy, ignorez-vous encore qu’un Comedien n’est point un Predicateur, et que ce n'est que dans les Chaires des Eglises où l'on monstre les larmes aux yeux, l'horreur que nous devons avoir pour le peché. Je sçay qu'il n’est jamais hors de saison d’avoir de la veneration pour les choses sacrées, et qu’elles doivent estre en tous lieux, ce qu’elles sont sur les Autels ; mais changent-elles de nature ou de condition lorsque l’on change de terme ou de ton pour en parler?

Je ne pretends point icy vous prouver que les vers de Monsieur de Moliere sont pour les jeunes gens des instructions paternelles à la vertu ; mais je veux vous monstrer clairement que les esprits les plus mal tournez n’y sçauroient trouver la moindre apparence de vice ; et puisque chacun sçait que le Theatre n’a point esté destiné pour expliquer la sainteté de nos Mysteres, et l’importance de nostre salut, ces sages Reformateurs si fort zelez pour nostre Foy, n’ont-ils pas mauvaise grâce de blasmer la Comedie, parce que les meschans la peuvent voir sans changer d’inclination, et ne devroient-ils point se contenter que les vertueux n’y prennent point de mœurs pernicleuses, et qu’ils en sortent tousjours les mesmes ?

Je le pardonne pourtant à ces conscientieux qui reprennent par un veritable motif de devotion, et quoyque les vers de Monsieur de Moliere n’ayent rien d’approchant de l’impieté, je ne sçaurois m’emporter contre eux, puisqu’ils n’en veulent qu’à ses Ecrits ; mais lorsque je vois le Livre de cet Inconnu, qui sans se soucier du tort qu’il fait à son Prochain, ne songe qu’à s’usurper une reputation d’homme de bien, je vous advouë que je ne sçaurois m’empescher d’eclater, et quoyque je n’ignore pas que l’innocence se deffend assez d’elle-mesme, je ne puis que je ne blasme une insulte si condamnable et si mal fondée.

Il pretend que Monsieur de Moliere est un scélérat achevé, parce qu’il a feint des impietez. N’est-ce pas là une preuve bien convaincante, et quoyqu’il sçache bien que de quelque nature que soient les crimes que nous avous commis, nous devons toujours avoir de la confiance à la misericorde de Dieu, et par consequent ne desesperer jamais de nostre salut, il soustient qu’il n’entrera jamais dans le Paradis, parce qu’il a supposé des sacrileges et des abominations dans son Festin de Pierre. Vous pouvez voir par ce raisonnement, si la Critique, comme il dit, estoit necessaire pour le salut public, et si la moralité et le bon sens sont tout entiers dans son discours, puisqu’il nous donne lieu de conclure qu’il vaut mieux estre meschant en effet qu’en apparence, et qu’on a plustost le pardon d’une impieté reelle, que d’une feinte.

Cher Ecrivain, de peur qu’en travaillant à vous attirer cette reputation d’homme de bien, vous ne perdiez celle que vous avez d’estre fort habile homme et plein d’esprit, je vous conseille en amy de changer de sentiment ; puisque Dieu lit dans le fond de l’ame, vous devez sçavoir qu’il ne se fie jamais aux apparences, et que par consequent il faut estre coupable en effet, pour le paroistre devant luy ; ou bien, si vous avez tant d’aversion à vous dedire de ce que vous avez soustenu, ne faites point de scrupule de nous avouer que vostre Livre n’est point vostre ouvrage, et que c’est l’envie et la haine qui l’ont composé.

Nous sçavons bien que Monsieur de Moliere a trop d’esprit pour ne pas avoir des envieux ; nos interests nous sont tousjours plus chers que ceux d’autruy, et je suis si fort persuadé qu’il est fort peu de gens dans le siecle où nous sommes, qui n’aidassent au debry de leurs plus proches voisins, s’il leur devenait utile ou profitable, que les coups les plus injustes et les plus inhumains ne me surprennent plus. Puisque vous apprehendez que les productions de votre genie, tout sublime qu’il est, ne perdissent beaucoup de leur prix, par l’eclat de celles de Monsieur de Moliere, si vous les abandonnez à la rigueur d’un jugement public, n’est-il pas juste que vous ayez quelque ressentiment du tort qu’elles vous font ; et quoy que ses vers ne soient remplis que de pensées aussi honnestes qu’elles sont fines et nouvelles, doit-on s’estonner si vous avez tasché de monstrer à nostre illustre Monarque, que ces Ouvrages causoient un scandale public dans tout son Royaume, puisque vous sçavez qu’il est si sensible du costé de la Pieté et de la Religion. Il est vray que vostre passion vous aveugloit beaucoup ; car depuis, ce grand Prince si Chrestien et si Religieux, ne s’eclaire que par luy-mesme ; vous deviez considerer que les matieres les plus embroüillées estoient fort intelligibles pour luy, et que par consequent vos accusations ne serviroient que pour convaincre d’une malice d’autant plus noire, que le voile que vous luy donniez estoit trompeur et criminel.

Mais aussi, s’il m’est permis de reprendre mes Maistres, je vous feray remarquer que vous laissastes glisser dans vostre Critique quelques mots qui tenaient plustost de l’animosité que de la veritable devotion ; car me soustiendrez-vous que c’est par charité que vous l’accusez de piller ses meilleures pensées, de n’avoir point l’esprit inventif et de faire des postures et des contorsions qui sentent plutost le possedé que l’agréable bouffon ? Il me semble que vous pourriez souffrir de semblables defauts, sans apprehender que vostre conscience en fust chargée, ou bien Dieu vous a fait des commandemens qui ne sont pas comme les nostres. Il falloit, pour vous couvrir plus adroitement, exagerer, s’il se pouvoit, par un beau discours, la delicatesse et la grandeur de son esprit, le faire passer pour l’Acteur le plus achevé qui eust jamais paru ; et comme cet Eloge nous auroit persuadés que vous preniez plaisir de decouvrir à tout le monde ses perfections et ses qualitez, nous aurions eu plus de disposition à vous croire, lorsque vous auriez dit qu’il estoit impie et libertin, et que ce n’estoit que par contrainte et pour decharger vostre conscience que vous le repreniez de ses defauts.

Je vous aurois mesme conseillé de le blasmer fort d’avoir fait crier mes gages, mes gages, à ce Valet ; on auroit inferé de là que vous aviez l’ame si tendre que vous n’aviez pu souffrir sans compassion que son Maistre, qu’on traisnoit je ne sçay où, fust chargé, outre tant d’abominations, d’une debte qui pouvoit elle seule le priver de la presence beatifique, jusques à ce que ses heritiers l’en eussent délivré. Ce sentiment estoit d’un homme de bien ; vous en auriez esté tout à fait loué, et pour edifier encore mieux vos lecteurs, vous pouviez faire une invective contre ce Valet en luy montrant quelle estoit son inhumanité de regretter plustost son argent que son Maistre.

Vous auriez bien eu meilleure grace de blasmer un sentiment criminel, et des lasches transports que vos oreilles avoient entendus, que l’lmpieté de ce Fils que vous connoissiez pour imaginaire et chimerique.

Voilà l’endroit de la Piece où vous pouviez vous estendre le plus ; car vous m’avouërez, quelque scrupuleux que vous soyez, que vous ne trouvez rien à reprendre dans la reception qu’on fait à Monsieur Dimanche. Il n’est pas plus tost entré dans la maison, qu'on luy donne le plus beau fauteuil de la salle, et quand il est près de s’en aller, jamais homme ne fut prié de meilleure grace à soupper dans le logis. Je me souviens pourtant encore d’un nouveau sujet que ce Valet vous donne de vous plaindre de luy. N'est-il pas vray que vous souffrez furieusement de le voir à table teste-à-teste avec son Maistre, manger si brutalement à la veuë de tant de beau monde ? En cela je suis pour vous ; je ne me mets jamais si fort dans les interests de mes amis, que je ne me laisse plustost guider par la justice que par la passion de les servir. Comme je vois qu‘on ne sçauroit tascher de mettre à couvert Monsieur de Moliere d'un reproche si bien fondé, qu'on ne se declare l’Ennemy de la raison et le Protecteur d'un coupable, j‘abandonne sans regret son party, puisqu’il n’est plus bon, et confesse avec vous que ce Valet est mal propre et qu’il ne mange point comme il faut.

Mais puisque vous me voyez si sincere, à mon exemple ne voulez-vous point le devenir? Soustiendrez-vous tousjours que Monsieur de Moliere est impie, parce que ses Ouvrages sont galants et qu’il a sçeu trouver le moyeu de plaire ?

On se seroit bien passé, dites-vous, des postures qu’il fait dans la representation de son Ecolle des Femmes ; mais puisque vous sçavez qu’il a tousjours mieux reussi dons le comique que dans le sérieux, devez-vous le blasmer de s’estre fait un personnage qu’il a cru le plus propre pour luy ? Ne nous dites point qu’il tasche d’expliquer par ses grimaces ce que son Agnès n’oseroit avoir dit par sa bouche. Nous sommes dans un siecle où les hommes se portent assez d’eux-mesmes au mal, sans avoir besoin qu’on leur explique nettement ce qui peut en avoir quelque apparence.

Monsieur de Moliere, qui connoist le faible des gens, a préveu fort favorablement qu’on tourneroit toutes ces equivoques du mauvais sens, et pour prevenir une censure aussi injuste que nuisible, il fit voir l’innocence et la pureté de ses sentimens, par un discours le mieux poly et le plus coulant du monde ; mais il ne s’est jamais defié qu’on deust faire le mesme tort à son Festin de Pierre : et il s’est si bien imaginé qu’il estoit assez fort de luy-mesme, pour ne point apprehender ses Envieux, qu’il n’a jamais voulu luy donner des nouvelles armes en travaillant pour sa deffense, et comme j’ay connu par là qu’il n’avait pas besoin d’un grand secours, j’ay creu que ma plume, toute ignorante et toute sterile qu’elle est, pouvoit suffire pour monstrer l’injustice de ses ennemis.

Lorsqu’on veut monstrer la bonté d’une cause qui fournit elle seule toutes les raisons qu’il faut pour la soustenir, il me semble qu’il est plus à propos d’en laisser le soin au plus jeune Advocat du Barreau, qu’au plus celebre et au plus eloquent, et par la mesme raison qu’on croit plustost un Paysan qu’un homme de Cour, les ignorans persuadent beaucoup mieux que les plus habiles orateurs. Il est si fort ordinaire à ces Messieurs les beaux Esprits, de prendre le meschant party pour exercer la facilité qu'ils ont de prouver ce qui paroist le plus faux, qu'ils ont creu que cette reputation feroit un tort considerable à l'Ouvrage de Monsieur de Moliere, s’ils escrivoient pour en monstrer l'innocence et l‘honnesteté ; et d’ailleurs, comme ils ont veu qu‘il n'y avoit point de gloire à remporter, quelque fort que fust le raisonnement qu'ils produiroient, ils en ont laissé le soin aux plumes moins interessées que les leurs.

J’ay donc creu que cela me regardoit, et comme je n’avois encore rien mis au jour, je me suis imaginé que c‘estoit commencer bien glorieusement, que de soustenir une cause où le bon droit estoit tout entier. Dans toute autre matiere que celle que j’ai traitée, j‘aurois eu lieu d'apprehender que comme le sentiment des ignorants est tousjours different de celuy des gens d'esprit, on eust creu que Monsieur de Moliere n‘avoit point eu l’approbation de ceux-cy, puisque je lui donnois la mienne ; mais le Festin de Pierre a si peu de conformité avec toutes les autres Comedies, que les raisons que l’on peut apporter pour monstrer que la Piece n'est point honneste, sont aussi bien imaginaires et chimeriques, que l'impieté de son Athée foudroyé. Jugez par là, Monsieur de Moliere, s’il ne m'a pas esté bien aisé de prouver que vous n'estes rien moins que ce que cet Inconnu a voulu que vous fussiez ; mais comme il ne demordra jamais de la mauvaise opinion qu’il veut donner de vous, à ceux qui ne vous connoissent point, il y a lieu d'apprehender encore quelque chose de bien fascheux, il ne se sera pas plustost apperçeu que les gens de bien sensez ne sont point de son sentiment, lorsqu'il pretend que vous soyez impie, qu’il va vous prendre par un endroit où je vous trouve bien foible ; il vous fera passer pour le plus grand Goinfre et le plus mal-propre de tous les hommes. Il vous reconnut fort bien à table sous cet habit de valet, et par consequent il aura autant de tesmoins de vostre avidité pour les ragouts, que vous eustes d'admirateurs de ce Chef-d’œuvre. Il faut pourtant s’en consoler, on a tousjours mauvaise grace de s'opposer aux devoirs d'un Chrestien.

Il vous laisseroit sans doute en repos, si ce n'est qu’il a leu qu'il falloit publier les defauts des gens pour les en corriger. Je trouve cette maxime bien conçeuë et fort spirituelle, et de plus, le succez m’en paroist infaillible ; quand on compose un Livre qui diffame quelqu’un, tant de differentes personnes sont curieuses de le voir, qu’il est bien mal-aisé que parmy ce grand nombre de Lecteurs, il ne se rencontre quelque homme de bien qui ait du pouvoir sur l’esprit du decrié, et c'est par là que l'on le tire peu à peu de son aveuglement. Il a creu vous devoir la mesme charité ; mais si par hazard il arrive que ceux qui liront ce qu‘il a fait contre vous, connoissent qu’il s’est mespris, et qu’ils ne viennent point vous faire de leçons, ne laissez pas de luy sçavoir bon gré de son zele ; et puisqu'il vous en couste si peu, servez-luy sans murmurer de moyen pour gagner le Paradis. Ce sera là où nous ferons tous nostre paix.

FIN