Nymphée
Société française d’imprimerie et de librairie (p. 140-143).

VII

La marche aux grottes


Dans la grotte, le roulement du tonnerre, plus assourdi et plus confus, se prolongeait en infinis échos. C’est en soi une chose terrifiante que de marcher par de vastes couloirs obscurs, mais les éclats de la foudre y ajoutaient la crainte perpétuelle d’un cataclysme. Le danger n’était pas qu’imaginaire. Une fois, la montagne atteinte, je suppose, extérieurement, trembla toute et, après que la marée du bruit se fut perdue aux profondeurs, nous entendîmes avec un indicible effroi la chute d’un bloc rocheux qui se brisa et dont un fragment me frappa à l’épaule.

Nous poursuivîmes. Je sentais frémir la petite main de Sabine. Nous avancions sans parler, dans un silence où l’angoisse et l’espoir se mêlaient aussi intimement que le gui au chêne. Une heure passa. L’enfant allait toujours, et je m’expliquais son assurance en me figurant le couloir unique, sans branches latérales ; mais je fus bien détrompé lorsque nous arrivâmes à une sorte de carrefour dont une des routes (que nous ne suivîmes pas) avait au fond un trou de vif-argent.

« Comment, — dis-je à Sabine, — l’enfant découvre-t-il sa voie parmi tant d’autres ?

— J’y ai songé, répondit-elle, alors qu’on me transportait à travers ces interminables grottes, et je n’y vois pas d’explication, sinon que les Hommes-des-Eaux ont le sens de l’espace mieux développé que nous, ainsi qu’il arrive pour les pigeons voyageurs.

— Oui, chère Sabine, leur science du mouvement, les longs trajets qu’ils parcourent sous l’eau, ont pu leur donner à la longue le sens dont vous parlez.

— Je crois aussi qu’ils voient mieux que nous dans l’ombre… »

Après deux heures de marche, la grotte s’élargit. Au loin, un reflet immobile de bronze clair annonça l’eau. Ce reflet grandit verdissant, vacillant ; puis ce fut une aube craintive, un de ces faibles jours verticaux qui s’alanguissent à l’entrée des cavernes. Une vaste salle dont nos yeux, apercevaient à peine le haut, enfermait une cave souterraine. Cette eau se perdait au loin dans une galerie, vers la droite, et la lumière venait de là, portée du flot à la muraille et de la muraille au flot. Plusieurs grands oiseaux s’enfuirent à notre approche, et nous les vîmes longtemps voleter dans l’immense tunnel.

Le saisissement de la clarté nous immobilisait, Sabine et moi ; nous éprouvions la joie sans paroles des gens qui sortent d’un cauchemar. La figure de l’enfant s’éclairait de notre bonheur. Il nous fit signe de prendre du repos et nous lui obéîmes, tandis qu’il plongeait à l’eau souterraine et que nous le perdions de vue. J’avais Sabine contre moi. Nos deux cœurs, à travers toute lassitude, chantaient la forte chanson du printemps de vie.

« Sabine, — dis-je, — nous nous aimerons davantage pour tant de périls et d’aventures prodigieuses. Notre amour gardera la trace de nos terribles émotions. Jamais nous n’oublierons le souterrain grandiose, ces magnifiques et lourdes eaux dans la pénombre. »

Elle réfugia sa tête contre mon épaule et des minutes adorables coulèrent où mes bras l’enveloppaient toute dans un geste à la fois d’orgueil et de tendresse. Les sombres galeries parlèrent d’intarissable passion, du renouveau où se bâtissent les nids des épinoches et les foyers des hommes, de la beauté souveraine des frêles bien-aimées qui résument la grâce du monde.