Nuits (Musset)/05



Le mal dont j’ai souffert s’est enfui comme un rêve,
Je n’en puis comparer le lointain souvenir
Qu’à ces brouillards légers que l’aurore soulève,
Et qu’avec la rosée on voit s’évanouir.
Qu’aviez-vous donc, ô mon poète !
Et quelle est la peine secrète
Qui de moi vous a séparé ?
Hélas ! je m’en ressens encore.
Quel est donc ce mal que j’ignore
Et dont j’ai si longtemps pleuré ?
C’était un mal vulgaire et bien connu des hommes ;
Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le cœur,
Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes,
Que personne avant nous n’a senti la douleur.
Il n’est de vulgaire chagrin
Que celui d’une âme vulgaire.
Ami, que ce triste mystère
S’échappe aujourd’hui de ton sein.
Crois-moi, parle avec confiance :
Le sévère dieu du silence
Est un des frères de la Mort ;
En se plaignant, on se console,
Et quelquefois une parole
Nous a délivré d’un remord.
S’il fallait maintenant parler de ma souffrance ?
Je ne sais trop quel nom elle devrait porter,
Si c’est amour, folie, orgueil, expérience,
Ni si personne au monde en pourrait profiter.
Je veux bien toutefois t’en raconter l’histoire,
Puisque nous voilà seuls, assis près du foyer.
Prends cette lyre, approche, et laisse ma mémoire
Au son de tes accords doucement s’éveiller.
Avant de me dire ta peine,
Ô poète ! en es-tu guéri ?
Songe qu’il t’en faut aujourd’hui
Parler sans amour et sans haine.
S’il te souvient que j’ai reçu
Le doux nom de consolatrice,
Ne fais pas de moi la complice
Des passions qui t’ont perdu.
Je suis si bien guéri de cette maladie,
Que j’en doute parfois lorsque j’y veux songer ;
Et quand je pense aux lieux où j’ai risqué ma vie,
J’y crois voir à ma place un visage étranger.
Muse, sois donc sans crainte ; au souffle qui t’inspire
Nous pouvons sans péril tous deux nous confier.
Il est doux de pleurer, il est doux de sourire
Au souvenir des maux qu’on pourrait oublier.
Comme une mère vigilante Suit déjà l’accent de ta voix, |
Jours de travail ! seuls jours ou j’ai vécu ! Quand devant nous le blanc spectre du tremble |
L’image d’un doux souvenir
Vient de s’offrir à ta pensée.
Sur la trace qu’il a laissée
Pourquoi crains-tu de revenir ?
Est-ce faire un récit fidèle
Que de renier ses beaux jours ?
Si ta fortune fut cruelle,
Jeune homme, fais du moins comme elle,
Souris à tes premiers amours.
Non, — c’est à mes malheurs que je prétends sourire C’était, il m’en souvient, par une nuit d’automne Sur le bord du balcon je m’étais assoupi ; |
Apaise-toi, je t’en conjure ; Oublie, enfant, et de ton âme |
Honte à toi qui la première Était encor plus aisé. |
Poète, c’est assez. Auprès d’une infidèle, Ne veux-tu voir qu’un rêve et qu’un, amour trompé ? Si quelque part là-bas la fièvre et l’insomnie Quand tout l’aurait été, plains-la ! tu sais aimer |
Tu dis vrai : la haine est impie, Portas la forme et le doux nom, |
Octobre 1837.