Nouvelles poésies (Van Hasselt)/Résurrection du passé

Odes
Nouvelles PoésiesBruylant et Cie (p. 50-53).


Résurrection du passé.





Nobis, quum semel occidit brevis lux,
xxxxxNox est perpetua una dormienda.
Catull, Carm. V, 5.





Quand Ossian parfois, au bord des noirs torrents,
Ô chênes, sous vos dômes,
De sa harpe écoutait les accords expirants,
Et des preux de Morven, dans son esprit errants,
Évoquait les fantômes ;

À ses yeux sans regard chaque spectre à son tour
Dans le brouillard humide

Passait : Gaul que Zarno vit régner dans sa tour,
Et Comhal qui portait des plumes de vautour
Sur son casque numide ;
 
Leth dont le bras s’armait d’un grand bouclier rond,
Tout ridé de blessures ;
Uval dont les combats virent blanchir le front,
Et Luno qui fauchait d’un glaive ardent et prompt
Les phalanges peu sûres ;

Rathmor avec son crâne entr’ouvert, d’où le sang
Coulait comme d’une urne,
Et Colma près de lui, pâle et muet, laissant
Tomber ses pleurs amers qu’essuyait en passant
L’aile du vent nocturne ;

Fingal dont les cheveux ruisselaient gris et longs
Sur son morne visage ;
Oscar dont l’œil brillait comme l’œil des aiglons ;
Et Malvina pareille au lis pur des vallons
Qu’un pied foule au passage.

Et le barde, appuyé tout pensif et rêvant
Sur sa harpe plaintive,

De leurs corps de vapeur dans la nuit se mouvant,
Voyait sous ses yeux morts se balancer au vent
La foule fugitive.

Et son cœur palpitait plus vite dans son sein,
Son cœur rempli d’alarmes ;
Et. tant que remuait le fantastique essaim,
Sa voix les appelait l’un après l’autre en vain,
Sa voix pleine de larmes.

Ainsi, — de l’avenir tournant vers le passé
Nos longs regards moroses,
Quand nous reconstruisons chaque jour effacé
Dont la tristesse fit, à son souffle glacé,
Pâlir les fraîches roses, —

Fantôme au front penché qui tend vers nous la main,
Sinistre et noir convive,
Spectre obscur qui toujours marche en notre chemin,
Ombre d’hier qui met son voile sur demain,
Chaque regret arrive,

Chaque espoir avorté, vain songe évanoui,
Fugitive chimère,

Et chaque amour au fond de l’âme épanoui,
Et de mille douleurs le cortège inouï,
Foule à la voix amère.

Toujours sur le passé pourquoi donc revenir ?
Au lieu d’un jour de fête,
Pourquoi d’un jour de deuil chercher le souvenir ?
Marchons, amis, les yeux fixés sur l’avenir,
Sans détourner la tête.



Avril 1830.