Nouvelles poésies (Van Hasselt)/Le Petit Frère

Ballades
Nouvelles PoésiesBruylant et Cie (p. 192-196).


Le petit frère.





Der Herr der Ernte geht
xxxxUnd sammelt Garben,
xxxxUns ein, uns ein, die starben.
Klopstock.





— « Où donc, ma mère, où donc est-il mon petit frère ?
« Sous les branches du vieux tilleul
« Autrefois nous jouions si gaîment, ô ma mère,
« Et maintenant je suis tout seul.

« Oh ! quel plaisir c’était d’être ensemble, ô ma mère,
« De rire et de jouer toujours !

« Où donc, ma mère, où donc est-il mon petit frère ?
« Je l’appelle en vain tous les jours. » —

— « Regarde, enfant, là-haut ces nuages étranges.
« Le ciel est bien loin au-dessus.
« Ton petit frère est là qui joue avec les anges
« Et le petit enfant Jésus.

« Tu sais comme il était pieux, docile et sage.
« Chacun des anges le savait,
« Qui, lisant, tout le jour, son cœur sur son visage,
« Veillaient, la nuit, à son chevet.

« Or, à l’enfant Jésus ils s’en furent le dire,
« Et le bon Jésus leur parla :
— « Qu’on aille le chercher bien vite ; je désire
« Qu’on m’amène cet enfant-là. » —

« Aussitôt, déployant leurs ailes rayonnantes,
« Les beaux anges s’en vinrent tous,
« Et firent, au milieu des herbes frissonnantes,
« Un petit lit moelleux et doux,

« Là-bas, dans le jardin du calme cimetière,

« Là-bas parmi ces tertres verts,
« Où, comme pour prier, toutes ces croix de pierre
« Tiennent leurs bras toujours ouverts.

« Puis à ton petit frère, attiré sous les branches
« Aux cris de leur essaim joyeux,
« Ils apparurent tous avec leurs robes blanches
« Les beaux anges venus des cieux ;

« Et, se rangeant en cercle autour de lui dans l’ombre,
« Se mirent à chanter tout bas,
« À lui parler du ciel et des bonheurs sans nombre
« Que la terre ne connaît pas ;

« Du paradis où Dieu fait croître tant de roses
« Pour fleurir éternellement,
« Et des étoiles d’or, ces autres fleurs écloses
« Dans le jardin du firmament.

« Si douce était leur voix ! Leur musique, si douce !
« Ton petit frère, en l’écoutant,
« Ferme ses beaux yeux bleus et s’endort sur la mousse
« Au milieu du cercle chantant.


« Et, comme il dort ainsi, le chœur joyeux l’enlève
« Et le porte au petit lit vert.
« Là, dans le cimetière où ce vieux saule rêve,
« Des pleurs de ses feuilles couvert.

« Pendant qu’il dort toujours leur main bien vite apprête
« Une couronne de cyprès,
« Et doucement ils la lui posent sur la tête,
« Et le ciel éclaire ses traits.

« Ils l’habillent ensuite, à l’ombre du vieux saule,
« D’une robe d’un blanc si pur ;
« Et, pour compléter l’ange, ils font à chaque épaule
« Croître une aile aux reflets d’azur.

« Puis leur groupe charmant qu’un même soin rassemble :
— « Beau séraphin, voici l’instant !
« Lève-toi ! lève-toi ! car nous allons ensemble
« Où l’enfant Jésus nous attend.

« Te voilà comme nous un ange. Ouvre ton aile
« Et mets ta main dans notre main.
« Nous allons regagner la patrie éternelle
« De ceux qui vont le droit chemin. —


« Ton petit frère alors se réveille et s’étonne,
« Ouvrant ses ailes vers les cieux.
« Et tous s’en vont, ainsi que s’envole en automne
« Une troupe d’oiseaux joyeux.

« Enfant, il est là-haut, où pour nous deux il prie.
« Et nous l’y reverrons un jour.
« Mais il faut, pour entrer dans la sainte patrie,
« Aimer Dieu de tout notre amour. » —



Janvier 1854.