Nouvelles poésies (Van Hasselt)/Au Dante sur ses détracteurs

Odes
Nouvelles PoésiesBruylant et Cie (p. 61-64).


Au Dante sur ses détracteurs.





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xxxxxxxxPensa la succession.
Dante, Purgatorio, X, 108.





Ce n’était, pas assez, rhapsode aux vers d’airain.
D’avoir vu s’attacher à ton nom souverain
Et l’envie et l’outrage,
D’avoir traîné dans l’ombre et dans l’exil amer
Tes jours aussi troublés que les flots de la mer
Tourmentés par l’orage ;


Ce n’était pas assez d’avoir eu cet ennui
De monter l’escalier toujours si dur d’autrui,
Rampe sombre où le pied à chaque pas trébuche,
Ni d’avoir, toi que l’art nourrissait de son miel,
Vu ton vin le plus pur se transformer en fiel,
Ton sentier le plus vert recéler quelque embûche ;
 
Ni d’avoir, ô poëte armé de ta vertu,
Combattu sans relâche et toujours combattu,
Ni d’avoir, — lutte ardente ! —
Étouffé, comme Hercule, en tes bras les serpents,
Les hydres, les lions, mille monstres rampants,
Ô mon poëte, ô Dante !

Après les sangliers, les tigres et les loups,
Voici, voici venir les insectes jaloux,
Le puceron hideux, le cloporte difforme,
Et le taret sournois, ce nocturne ouvrier,
Vermine qui s’installe au flanc de ton laurier,
Lèpre qui sur le beau met sa laideur sans forme.

Sans doute, ce n’est point pour ceux-là que tes mains
De ton enfer profond creusèrent les chemins
Et les routes funèbres,

Ni pour eux que tu fis, chantre aux rhythmes grondants,
Tournoyer à travers tes sept cercles ardents
L’échelle des ténèbres.

Car tu ne songeais pas à ces nains, ô géant.
Le chêne, des buissons dédaigne le néant.
Le soleil ne sait pas un mot de la nuit sombre.
Le diamant se rit du caillou ténébreux,
L’Océan, des lacs noirs et des marais fiévreux,
Et l’aigle, des hiboux, amis obscurs de l’ombre.

Cependant n’as-tu pas, ô mon poëte, dis,
N’as-tu pas, dans ces lieux où hurlent les maudits,
Prisonniers de tes geôles,
N’as-tu pas, dans un coin perdu de ton enfer,
Quelque réchaud usé, quelque vieux gril de fer
Pour y rôtir ces drôles ?

Au fond des régions qu’habitent les damnés,
Dans la cité lugubre où sont les condamnés
Que tu tiens enchaînés dans tes strophes sinistres,
N’as-tu pas, ô poëte aux glorieux destins,
Quelque vieux chevalet où percher ces crétins,
Quelque reste de fouet pour flageller ces cuistres ?


À moins qu’au plus profond du Malebolghe noir,
Creusé sous ton enfer, ce sinistre entonnoir,
Plein d’ombre et plein de flammes,
Tu n’aimes mieux, donner un bain à ces pédants
Dans les glaces du lac, Cocyte aux flots stridents,
Où grelottent les âmes ;

Ou que, de haine moins que de pitié rempli,
Tu n’aimes mieux encor les jeter dans l’oubli
(Comme un arbre secoue au vent les vils insectes),
Ces eunuques de l’art, magisters décrépits,
Vieux crânes sans cervelle et chaumes sans épis,
Gérontes dont l’esprit est plein d’ombres suspectes.



Mai 1853.