Nouvelles observations sur l’éther nitrique

NOUVELLES OBSERVATIONS

SUR L’ÉTHER NITRIQUE.

Par M. Thenard.

Ire. Expérience.

J’ai fait passer du gaz éthéré nitrique, c’est-à-dire, le gaz qui se forme en si grande quantité dans la préparation de l’éther nitrique, à travers trois flacons contenant chacun environ 5 kilogr. d’eau, pour le bien laver ; j’en ai recueilli onze litres que j’ai mis en contact avec une dissolution de potasse caustique. De tems en tems j’ai agité les flacons pour mêler la potasse avec les gaz. Au bout de trente-six heures, la décomposition fût complètement opérée ; j’ai analysé la liqueur et j’en ai retiré de l’alcool, de l’acide nitrique en partie nitreux et de l’acide acétique. Après l’expérience, les gaz contenoient beaucoup plus de gaz nitreux qu’avant.

IIe. Expérience.

Lorsqu’on traite de l’éther nitrique par une dissolution de potasse très-étendue d’eau, on obtient les résultats précédens ; mais en même tems il se dégage une assez grande quantité de gaz qui sont très-éthérés, et qui contiennent plus ou moins de gaz nitreux. Si la potasse est concentrée, la décomposition ne se fait pas bien. L’eau seule, comme je l’ai déja fait voir, produit très-bien la décomposition de l’éther nitrique, et donne lieu aux mêmes phénomènes que la dissolution de potasse étendue d’eau.

IIIe. Expérience.

J’ai dissous 15 gram. d’éther nitrique dans l’alcool de potasse, et j’ai abandonné la dissolution à elle-même dans un flacon bien bouché et qui en étoit presqu’entièrement rempli ; d’abord il s’est formé de l’acétate de potasse, et ensuite et peu-à-peu du nitrite de potasse qui, à mesure, qu’il se formoit, se déposoit ; au bout d’un jour, on voyoit quelques cristaux de nitrite ; au bout de huit jours, il y en avoit un grand nombre.

Ainsi en supposant que, de l’éther nitrique on ne puisse point retirer d’autres matières que de l’acide nitreux, de l’acide acétique et de l’alcool ; en supposant que, comme cela est possible, il n’y ait point formation d’eau dans la formation de l’éther muriatique ; et puisque d’ailleurs on transforme facilement l’éther acétique en alcool et acide acétique, il s’ensuit que les éthers muriatique, nitrique et acétique sont formés de ces acides et d’alcool, ou des principes de ces acides et des principes de l’alcool. Peut-être que l’acide acétique qu’on retire de l’éther nitrique, y forme avec de l’alcool de l’éther acétique.

Ayant éprouvé une perte assez considérable dans l’analyse de l’éther nitrique, que j’ai rapportée plus haut dans mon Mémoire sur l’éther nitrique ; j’ai voulu répéter cette analyse en y apportant, s’il m’étoit possible, plus de soin que je n’en avois mis à la faire en premier lieu. Au moyen de trois rectifications ou distillations successives, je suis parvenu à me procurer de l’éther qui bouilloit à 21° thermomètre centigrade, et 0m,758 ; ainsi il étoit encore plus pur que celui dont la tension a été déterminée à Arcueil (pag. 91). C’est de cet éther ainsi rectifié que je me suis servi dans ma seconde analyse. J’employai absolument le même appareil que dans la première opération (pag. 92). Seulement je recouvris le tube de porcelaine d’un lut fait avec de l’argile et du verre pilé pour qu’il fut impénétrable aux gaz ; et au lieu de deux flacons pour condenser l’eau, l’acide carbonique, etc., j’en employai trois. Les deux premiers étoient vidés et plongeoient dans un bain de glace sans sel ; le deuxième contenoit de l’ammoniaque et était aussi refroidi par de la glace.

On décomposa 41 gr. 5 d’éther. Tous les résultats furent calculés pour 18° de température thermomètre centigr., et 0m,762 de pression.

L’expérience dura quatre heures ; on obtint, 1°. 33 lit. 01 de gaz ; 2°. 0 gr. 3 de charbon qui se trouvoit dans le tube de porcelaine non loin du col de la cornue ; 3°. 0 gr. 5 d’huile épaisse et déja charbonnée qui se trouvoit aussi dans le tube de porcelaine, mais tout auprès du col de la cornue ; 4°. 0,22 d’un liquide existant dans les tubes de verre ; 5°. 0,16 d’un liquide existant dans le second flacon ; 6°. 6,1 d’un liquide existant dans le premier flacon ; 7°. acide carbonique contenu dans le troisième flacon, représenté par 1,6 gram. de carbonate de chaux. Pour estimer la quantité de liquide contenu dans les tubes et dans les deux premiers flacons, on a bien séché extérieurement ces tubes et ces flacons, et on les a pesés avec une balance sensible au milligramme ; on les a ensuite bien séchés intérieurement, et on les a pesés de nouveau (bien entendu qu’avant l’expérience ils étoient parfaitement secs.)

Examen de tous ces produits.
1°. Examen du gaz.

Ce gaz rougissoit par le contact de l’air et de l’oxigène ; il avait une odeur très-prononcée de vapeur nitreuse ; il ne précipitoit point par l’eau de chaux ; il s’enflammait subitement par l’approche d’un corps en combustion. Dans la crainte que le gaz recueilli au commencement, au milieu et à la fin de l’expérience, ne fut point identique, je mêlai ensemble tout ce que j’en recueillis, excepté les cinq premiers litres qui contenoient l’air des vaisseaux. Je pris la pesanteur spécifique du mélange, et je trouvai que, les 33 lit. 01 = 29 gr. 8996. La pesanteur spécifique du mélange étant connue, j’analysai le gaz et je le trouvai formé de gaz nitreux, de carbone, d’hydrogène, d’azote et d’oxigène.

J’en séparai très-facilement tout le gaz nitreux par le sulfate de fer peu oxidé. Trois expériences m’ont donné absolument le même résultat, et m’ont prouvé que 100 parties en contenoient 6.9. (Dans ma première analyse, mes gaz ne contenoient qu’une quantité inappréciable de gaz nitreux ; cela vient probablement de ce que le feu avoit été beaucoup plus fort que dans la seconde).

Mon gaz étant privé de gaz nitreux, j’en brûlai en employant des doses différentes dans l’eudiomètre à mercure ; et dans quatre expériences, j’obtins des résultats qui n’offroient pas une différence d’un centième. Voici la moyenne de mes quatre expériences.

Partie[1]. Litre. Gramme.
Gaz privé de gaz nitreux 142.1 = 0.02632 = 0.0238
Gaz oxigène employé 151.6 = 0.028075 = 0.03774403
Gaz acide carbon. obtenu 103.6 = 0.01918 = 0.0355
Gaz azote obtenu 18.7 = 0.003465 = 0.00409
Gaz oxigène excédant 26.9 = 0.00499 = 0.0067

d’où l’on tire que 0 gr. 0238 de notre gaz privé de gaz nitreux contient

0.00923 carbone.
0.00409 azote.
0.00865 oxigène.
0.00183 hydrogène.
—————
0.02380
—————

et que les 29 gr. 8996 de gaz tels que nous les avons retirés de l’éther nitrique, sont composés de

10.7914 carbone.
4.7836 azote.
10.1171 oxigène.
2.1402 hydrogène.
2.0631 gaz nitreux.

Ces résultats sont calculés en ne tenant pas compte de la vapeur d’eau des gaz, et en supposant que 100 d’eau = 88 oxigène et 12 hydrogène ; que 100 d’acide carbonique = 74 oxigène et 26 charbon.

Examen du liquide contenu, soit dans les tubes, soit dans les flacons.

Ce liquide étoit brun, sentoit fortement l’acide, prussique, avoit une saveur un peu piquante, contenoit du carbonate d’ammoniaque et de l’huile en petite quantité. Son poids étoit de 6.48. Je le suppose formé d’huile ammoniaque, 0 gr. 3 ; acide carbonique, 015 ; eau, 5 gr. 63. Quoiqu’il eut une très-forte odeur d’amandes amères, je n’ai pas pu en retirer d’acide prussique.

Il résulte donc de tout ce qui précède, que de 41 gr. 5 d’éther, j’ai obtenu,

29.8996 gaz formés de carbone 10.7954
azote 04.7836
oxigène 10.1171
hydrogène 02.1402
gaz nitreux 02.0631
05.63 eau.
00.40 ammoniaque.
00.80 huile.
00.75 acide carbonique provenant tant des deux premiers flacons que du troisième.
00.30 charbon.

Si nous admetons maintenant, 1e. dans l’eau et l’acide carbonique les mêmes proportions que précédemment ; 2e. que 100 de gaz nitreux = 66 oxigène et 44 azote ; 3e. que 100 d’ammoniaque = 80 azote et 20 hydrogène ; 4e. que notre huile épaisse = 3 de charbon et un d’hydrogène ; les quantités précédentes équivaudront à

Carbone 11.8904
Azote 06.011364
Hydrogène 03.0958
Oxigène 16.781836
——————
Total 37.779400
La perte est donc de 03.7206

J’attribue cette perte à de l’eau que je n’ai pas pu condenser ; et en effet, dans presque tout le cours de l’opération, les gaz ont passé nuageux, quoique la distillation fut conduite avec lenteur. D’après cela 41.5 d’éther nitrique contiendroient

Carbone 11.8904
Azote 06.011364
Hydrogène 03.542272
Oxigène 20.055964
——————
41.500000
——————

et 100 parties contiendroient

Carbone 28.65
Azote 14.49
Hydrogène 08.54
Oxigène 48.52

Cette évaluation diffère sensiblement de celle que nous avons rapportée (pag. 98) ; mais dans cette dernière, on avoit supposé, 1°. l’acide carbonique formé sur 100 de 72 oxigène et 28 carbone ; 2°. l’eau formée de 85 oxigène et 25 hydrogène ; 3°. la perte n’avoit point été attribuée à de l’eau qui s’étoit vaporisée, mais elle avoit été partagée entre tous le produits de l’opération, en raison de leur quantité.

Si on calcule tous les produits de la première analyse comme ceux de la seconde, on trouvera peu de différence entre les résultats. Cependant je ne regarde point ces analyses comme parfaites ; 1°. à cause de la perte éprouvée ; 2°. à cause du grand nombre de produits qu’on obtient, et dont il est difficile d’estimer, soit la quantité, soit la proportion des principes qui les constituent ; 3°. enfin parce que je me suis servi de tubes de porcelaine, qui quoique recouverts d’une légère couche d’argile et de verre, ont pu encore être perméables au gaz. Je me propose de refaire cette analyse d’une manière rigoureuse. En effet, comme l’éther nitrique se dissout en très-grande quantité dans l’oxigène, et va jusqu’à quintupler son volume à une température et pression ordinaires, je prendrai la pesanteur spécifique de ce gaz composé dans lequel la quantité d’oxigène me sera donnée, et je le décomposerai par l’étincelle électrique, en y ajoutant de nouveau gaz oxigène, si cela est nécessaire ; en sorte que dans cette expérience, n’obtenant pour produit que de l’eau, de l’azote du gaz acide carbonique, il me sera facile d’avoir a une très-grande approximation, les quantités de carbone, oxigène, azote et hydrogène, constituant l’éther nitrique.


Note sur la théorie de l’éther nitrique.

En admettant que l’éther nitrique soit composé d’acide nitreux, d’acide acétique et d’alcool, ou bien de leurs élémens, ce qui se passe dans la formation de cet éther, est, dans les deux cas, facile à concevoir. Une portion d’alcool est complettement décomposée par l’acide nitrique, cède presque tout son hydrogène à l’oxigène de cet acide, et de là résulte beaucoup d’eau, beaucoup de gaz oxide d’azote, de l’acide nitreux, du gaz nitreux, de l’azote, de l’acide carbonique, de l’acide acétique, et une matière contenant beaucoup de carbone ; tandis que d’une autre part, de l’alcool, de l’acide nitreux et de l’acide acétique, ou leurs élémens, s’unissent pour constituer l’éther. Voy. le premier Mémoire sur l’éther nitrique, pag. 73.


  1. 108 parties de ma mesur, = 0 lit. 02.