MADEMOISELLE RENAN
chez monsieur le comte André Zamoyski, Nouveau-Monde, Varsovie, Pologne.


Paris, 19 mars 1848.

Encore pour le supplier de revenir, excellente amie. Plus un jour, plus une heure de retard. Indique-moi la ville où je te rencontrerai ; car il me semble indispensable que tu sois accompagnée. Si tu le préfères, nous ferons partir Alain. Son âge et sa pratique le rendent plus apte que moi à ce voyage. Mais sa famille et ses affaires seraient pour le moment un sérieux embarras. Insiste pour que le comte te fasse accompagner jusqu’à la frontière du pays que tu habites ; car j’ai appris qu’il est difficile aux étrangers d’y entrer, et qu’ils doivent attendre la frontière que leurs passeports aient été à Varsovie et en soient revenus. Tu préférerais, je pense, la voie du nord par Berlin. Je t’annonce, très chère Henriette, que si dans vingt jours à partir d’aujourd’hui je n’ai reçu de réponse ni à cette lettre ni à celles que je l’ai précédemment expédiées, je pars, sans plus rien attendre, par la route susdite. J’écris à Alain aujourd’hui même, pour lui parler de tout ceci, et le prie de préparer doucement notre mère sans l’inquiéter.

Adieu, excellente amie, à bientôt peut-être. Tu connais la tendresse, et le dévouement sans bornes de ton frère, de ton meilleur ami,

E. RENAN.