Nouvelles diverses/28 juin 1896

NOUVELLES DIVERSES


ÉTRANGER

De notre correspondant de Belgique (25 juin). — Mlle Kutscherra ayant cessé de plaire dès sa première soirée de début à l’Opéra, c’est la Monnaie qui hérite de l’exubérante « cantatrice wagnérienne ». MM. Stoumon et Calabrési lui ont ouvert les bras en lui signant un engagement qui la consolera probablement de l’ingratitude des Parisiens.. Elle débutera à Bruxelles dans le rôle d’Elsa de Lohengrin.

Le Conservatoire vient de faire, par la mort de Ferdinand Kufferath, une perte particulièrement sensible et cruelle. Ferdinand Kufferath y dirigeait depuis vingt-cinq ans le cours de contrepoint et de fugue avec un talent qui n’avait d’égale que l’extrême modestie de son caractère et de sa personne. C’était un homme d’une valeur supérieure, un vrai « puits de science », ne faisant jamais parler de lui, se dissimulant, vivant avec lui-même et répandant en silence les trésors de son esprit. Combien rares sont aujourd’hui les hommes de cette sorte ! Il y a, dans le Thomas Graindorge de Taine, une figure d’artiste, Wilhelm Kittel, qui semble le portrait même de Ferdinand Kufferath : « Il n’a pas songé à la gloire. L’intrigue lui a fait peur. Il a préféré ne pas étaler ; il est resté chez lui, lisant ses partitions, allant étudier les oratorios aux bibliothèques. Il a même fini par ne plus venir aux concerts ni aux théâtres : une exécution de parade, des gargouillements de chanteuse, la niaiserie des applaudissements lui dérangeant ses rêves ; il prétend qu’on n’entend bien un opéra qu’au piano. Cinq ou six compositeurs célèbres le connaissent, de temps en temps vont le relancer chez lui, le respectent et sont contents quand il dit « C’est bien ! » Il accepte rarement un dîner en ville de peur qu’on ne lui demande une sonate au dessert comme accompagnement du café et de la chartreuse. Selon lui la musique est une conversation intime ; on ne s’épanche pas pour une tasse de thé ou pour une poularde, et surtout on ne fait pas ses confidences à des inconnus. »

Avec Kufferath, disparaît certainement une des figures de musiciens les plus honnêtes, les plus fières, les plus estimables. Il avait 78 ans et était né à Mulheim. Après avoir fait à Leipzig de brillantes études avec Mendelssohn dont il fut le dernier élève, il s’était établi à Bruxelles depuis plus de cinquante ans. Il a laissé des compositions symphoniques distinguées, et eut de vifs succès comme pianiste et comme organiste. Pendant deux ou trois ans, il fut (détail peu connu) attaché à la personne du roi des Belges Léopold Ier, à qui il venait jouer, tous les soirs, au piano, les partitions d’opéra les plus nouvelles ; notre premier roi avait des goûts musicaux, qu’il n’a point légués à son fils.

M. Gevaert faisait le plus grand cas de Ferdinand Kufferath, et le vide que cette mort creuse au Conservatoire sera très difficilement comblé. Il est probable que c’est M. Joseph Dupont, actuellement premier professeur d’harmonie, qui prendra la classe de contrepoint ; M. Paul Gilson, le jeune compositeur qui s’est si brillamment révélé en ces derniers temps, entrerait au Conservatoire, où il occuperait la place de M. Joseph Dupont. Un autre candidat paraît cependant avoir des chances non moins sérieuses : c’est M. Léon Du Bois, deuxième chef d’orchestre de la Monnaie et premier chef des concerts du Waux-Hall.

L. S.

Dernière heure : D’après de nouveaux renseignements, ce ne serait ni à Gilson, ni à Du Bois que reviendrait la succession de M. Kufferath, au Conservatoire de Bruxelles. Ce serait M. Edgar Tinel, directeur de l’école de musique religieuse de Malines, qui serait nommé professeur.

— L’archiviste de la surintendance générale des théâtres impériaux de Vienne, M. A.-J. Weltner, vient de publier un rapport sur l’Opéra impérial pendant la dernière saison. Le théâtre a donné 319 représentations, dont 7 matinées, et a joué 61 opéras différents et 21 ballets ! De ces ouvrages, 4 opéras et un ballet ont été joués pour la première fois au cours de cette saison, et parmi eux la Navarraise, de Massenet. Mme Kaulich a chanté 101 fois, et la basse Reichenberg 100 fois ; ces deux artistes détiennent un « record ». Les premiers ténors, MM. Van Dyck et Winckelmann, n’ont chanté que 50 fois. Il est intéressant de constater que les œuvres françaises ont été jouées à Vienne beaucoup plus souvent que celles de Richard Wagner, qui est néanmoins le compositeur allemand le plus favorisé. On a joué 9 opéras de Richard Wagner qui ont fourni en tout 37 représentations ; à lui seul, Lohengrin a été joué 8 fois. Rienzi et l’Or du Rhin sont les œuvres de Wagner qu’on ne joue à Vienne que très rarement, et les Fées y sont encore inconnues.

— La Chambre des députés de Bavière, dans sa discussion relative à la subvention accordée à l’Opéra de Munich, a critiqué l’augmentation du prix des places au théâtre Wagner, de Bayreuth. Or, on écrit de Bayreuth aux journaux allemands que cette critique n’est pas fondée. Le prix des places n’a pas été modifié depuis 1879, ni en plus ni en moins, parce que les dépenses d’exercice pour une période si courte d’activité sont considérables et n’ont pas permis jusqu’ici de penser à une réduction. Les représentations de 1876 avaient laissé un déficit de 250.000 marks (312.500 francs). Wagner espérait qu’il lui serait accordé une subvention du Reichstag ou d’un prince allemand quelconque, mais n’ayant pas obtenu le plus léger subside, il vendit au directeur Angelo Neumann tous les décors et accessoires des Nibelungen et conclut un emprunt à la Caisse royale de Munich, emprunt garanti et amorti par la cession de tous les droits d’auteur qui lui reviendraient pour la représentation de ses ouvrages sur la scène de Munich. Depuis 1882 jusqu’aujourd’hui, les représentations à Bayreuth de Parsifal, de Tristan, des Maîtres Chanteurs, de Tannhäuser et de Lohengrin ont donné régulièrement, en moyenne, un bénéfice de 50, 000 marks par année ; mais cette somme a toujours été versée au fonds de réserve, qui s’élève actuellement à 300.00 marks et qui sert pour la mise en scène des opéras qui jusqu’à ce jour n’ont pas encore figuré au répertoire du théâtre de Bayreuth. Cette année, par exemple, où l’on a dû refaire complètement les décors et les costumes de l’Anneau du Nibelung, il ne restera pas grand’chose de ce fonds de réserve : la dépense est considérable, et le produit net des représentations suffira à peine à couvrir les frais ordinaires de l’exercice. Mme Cosima Wagner, ajoute-t-on, a toujours considéré Bayreuth comme une entreprise purement artistique et désintéressée, uniquement destinée à glorifier l’œuvre du maître.

— À Bayreuth ont commencé les répétitions pour la reprise du cycle l’Anneau du Nibelung. Aucun artiste de la création, de 1876, ne prend part à cette reprise, à l’exception de M. Vogl, le célèbre ténor de l’Opéra de Munich, qui chantera encore, dans l’Or du Rhin, le rôle de Loge, qu’il a créé d’une façon si remarquable il y a vingt ans. Mme Materna vit toujours — elle donne même actuellement des concerts quelque part dans l’ouest de l’Amérique — mais elle ne conduira plus Grane, le cheval noir de la Valkyrie, sur les planches de Bayreuth. L’une des sœurs Lehmann est encore sur la brèche, mais elle ne chantera pas non plus à Bayreuth ; l’autre s’œur s’est retirée de la scène. Plusieurs artistes de 1876 ne sont plus de ce monde, entre autres la célèbre basse Scaria, qui a créé le rôle de Wotan. Mais ce qui manquera surtout à la reprise de cette année, c’est le génie du vieux maître qui, en 1876, avait animé tout le monde sur la scène ; la tradition subsiste encore, mais nous doutons fort qu’elle soit à même de suffire, en dehors de l’orchestre, confié à M. Hans Richter.

— À Wechmar, près de Gotha, le conseil municipal a fait apposer une inscription sur la maison qu’habitait, vers 1600, Veit Bach, l’ancêtre de la famille du grand cantor de Leipzig. Veit Bach, dont J.-S. Bach a souvent parlé, était boulanger, et lui et son fils Hans ont exercé leur métier dans la vieille maison familiale de Wechmar, qui est encore debout. Le fils, Hans Bach, avait appris la musique à Gotha et jouissait d’une certaine réputation d’artiste. On compte, en sept générations, plus de cent descendants de Veit Bach, dont la plupart sont connus dans l’histoire de la musique allemande.

— Le prince de Montenegro a fait construire un théâtre à Cettigne, sa capitale. Ce théâtre est petit, comme son pays ; il ne peut abriter que six cents personnes, mais il contient tout de même une vingtaine de loges. Il sera inauguré par une troupe russe qui y chantera l’opéra.

— Nous sommes en mesure, dit le Trovatore de Milan, de donner les premières nouvelles de la saison d’automne au Théâtre-Lyrique-international. L’éditeur Sonzogno nous fera entendre cinq ou six étoiles de première grandeur : Mmes Van Zandt, Sanderson, Arnoldson, Nuovina, Nevada et Simonnet. Quant aux œuvres, nous aurons comme nouveautés la Phryné de Saint-Saëns, la Vivandière de Godard, et le Grillon du foyer de Goldmark.

— Une impresaria qui a beaucoup fait parler d’elle en Italie au cours de ces dernières années, Mme Stolzmann, dont les hauts faits à Naples, à Milan et à Gênes ont grandement défrayé la chronique artistique, vient de terminer ses exploits en police correctionnelle. Sur une plainte dont elle avait été l’objet, la sixième chambre du tribunal civil et correctionnel de Gênes l’a condamnée ces jours derniers à deux années de réclusion et à une amende considérable. Mme Stolzmann était contumace.

— Nous avons donné, il y a quelques semaines, les détails du record tenu par deux pianistes italiens, qui s’étaient engagés à rester attelés utilement à leur instrument pendant cinquante heures consécutives. Voici qu’un concours du même genre, et d’un intérêt aussi palpitant, vient d’avoir lieu à Turin, cette fois entre mandolinistes, ce qui devait être encore un peu plus agaçant, car le grattage ininterrompu d’un bec de plume sur les cordes d’une mandoline a de quoi rendre à la longue enragé l’être physiquement le plus insensible. Quoi qu’il en soit, quatorze mandolinistes, dont sept du sexe barbu et sept du sexe aimable, s’étaient réunis à Turin pour battre ce record mémorable. Les héros de la fête avaient la faculté de boire et de manger pendant l’épreuve, mais sans cesser de jouer, ce qui ne devait pas laisser que de leur offrir quelque difficulté. Un premier prix, consistant en une médaille d’or, était destinée au vainqueur ; il a été attribué à M. Luigi Novara, de Turin, qui n’a cessé un instant de martyriser sa mandoline — et ses auditeurs — pendant 23 heures 55 minutes ! Les femmes n’ont pas brillé, paraît-il, dans cette lutte qu’on aurait peine à qualifier d’homérique. Trois d’entre elles ont cependant résisté pendant 18 heures, ce qui est déjà un assez joli tour de force ; mais les quatre autres ont été mises promptement hors de combat. Ce qui est prodigieux, c’est qu’on puisse recruter des amateurs (?) pour faire fonctions de juges dans un pareil tournoi. Et dire qu’ils n’y sont pas forcés, et que seul l’amour de l’art les anime ! C’est beau, le dilettantisme appliqué à la mandoline !

— À Rovigo, au théâtre Social, dans une soirée donnée au bénéfice de l’Asile infantile, on a représenté une opérette enfantine, i Fanciulli vendutti, expressément écrite pour la circonstance par M. Belluzzi pour les paroles, et pour la musique par M. Parisini, qui s’est fait une spécialité en ce genre. Ce qui était curieux, c’est que l’exécution de ce petit ouvrage était uniquement confiée à des enfants des écoles, au nombre de cent cinquante, tant acteurs et chanteurs que danseurs, choristes, comparses, etc., et que cette exécution, préparée avec un soin et une patience dont on peut se rendre compte, a été excellente de tous points, les interprètes y prenant, on le comprend, autant de plaisir que leurs auditeurs.

— Au Tivoli de Barcelone, on signale l’apparition d’une zarzuela catalane en deux actes, Matrimonis à Montserrat, paroles de M. Roure, musique de M. Comella, à laquelle le public a fait un accueil des plus chaleureux. Le compositeur a fait figurer dans sa partition nombre de thèmes populaires catalans fort bien traités par lui, qui donnent à son œuvre une saveur toute particulière, et dont la présence a fait la joie des auditeurs. — Au Jardin Espagnol de la même ville, première représentation de deux zarzuelas catalanes en un acte. Verdalet pare y fill del comers de Barcelona et un Début, toutes deux mises en musique par M. Urbano Fando.

— De Londres : La baronne d’Anzon-Caccamisi, née Blanche Marchesi, a eu un immense succès à son premier concert à Londres. Elle avait remporté un triomphe pareil chez M. Blumenthal et chez Mme Ronalds. Mme Melba lui avait offert vendredi dernier un grand dîner au Savoy Hotel.

— La nouvelle de la mort du compositeur brésilien Carlos Gomes, que nous avons donnée dans notre dernier numéro et qui était parvenue en Europe par les journaux de Bahia et de Pernambuco en date des 20 et 21 mai, était inexacte, et elle est formellement démentie. Par malheur, elle n’était sans doute que prématurée, car l’excellent artiste est atteint d’un mal qui ne pardonne pas, un cancer à la langue, croyons-nous, qu’il est impossible d’opérer. Carlos Gomes, en ce moment à Para, est en proie à des souffrances terribles, et les médecins qui le soignent (il n’y en a pas eu, dit-on, moins de vingt et un !) affirment qu’il est impossible de le sauver, et ne lui donnent pas plus de trois ou quatre mois d’existence.

PARIS ET DÉPARTEMENTS

C’est avant-hier vendredi qu’a eu lieu au Conservatoire, devant le jury spécial, l’audition des cantates des six élèves concurrents au grand prix de Rome, et c’est hier samedi que cette exécution a été renouvelée à l’Institut, en présence des membres de toutes les sections de l’Académie des beaux-arts. Voici, avec les noms de leurs interprètes, l’ordre dans lequel les cantates ont été exécutées :

1. — M. d’Ivry, élève de M. Théodore Dubois. Interprètes : Mme Marcy, MM. Leprestre et Mondaud.

2. — M. Schmidt, élève de M. Massenet. Interprètes : Mme Ducy, MM. Cornubert et Darraud.

3. — M. Mouquet, élève de M. Théodore Dubois (mention honorable de 1894). Interprètes Mlle Loventz, MM. Vialas et X.

4. — M. Levadé, élève de M. Massenet (premier second prix de 1893). Interprètes : Mlle Lafargue, MM. Delmas (ténor) et Jacquin.

5. — M. Halphen, élève de M. Massenet. Interprètes : Mlle Blanc, MM. Clément et Auguez.

6. — M. Max d’Olonne, élève de M. Massenet (premier second prix de 1895). Interprètes : Mlle Ganne, MM. Engel et Delpouget.

Voici les résultats du concours :

Grand prix : M. Mouquet, élève de M. Théodore Dubois.

1er second prix : M. d’Ivry, élève de M. Théodore Dubois.

2e second prix : M. Halphen, élève de M. J. Massenet.

— C’est mercredi prochain que M. Van Dyck fera ses adieux au public de l’Opéra dans Lohengrin.

— À l’occasion des fêtes qui viennent d’être célébrées à Arras à la mémoire et en l’honneur du vieux trouvère Adam de la Halle, la Revue du Nord a publié sous ce titre : Commémoration d’Adam de la Halle, un numéro spécial et intéressant qui lui est entièrement consacré. Ce numéro contient l’arrangement du Jeu de Robin et Marion fait par M. Émile Blémont pour la représentation, ainsi que les deux scènes du Jeu de la Feuillée, trois rondels d’Adam, une courte notice de M. Larivière, deux notes de MM. Émile Blémont et Julien Tiersot, diverses poésies en l’honneur d’Adam de MM. Jean Richepin, Henri Malo, Fernand Lefranc, Henri Potez, M. J. Le Coq, et enfin une conférence rimée de M. V. Barbier sur « Arras au xiiie siècle ». De la jolie pièce de vers adressée par M. Jean Richepin à Adam de la Halle, nous citerons avec plaisir ce fragment relatif à l’opéra-comique, dont il fut le précurseur :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


C’est bien le moins qu’un brin de jolis lauriers verts
À ton nom de chanteur et de faiseur de vers
Mette après six cents ans sa joyeuse cocarde.
Qu’à jamais de la mort cet hommage te garde.
Tu ne méritais pas, certe, un pareil oubli,
Toi par qui le premier chez nous s’est accompli
L’hymen joué de la musique avec le verbe.
— Mince trouvaille, bah ! dira quelque superbe.
Qu’est cela ? L’opéra-comique ! Des flonflons !
C’est d’un art plus hautain que nous nous régalons.
Aujourd’hui notre muse est d’allure plus fière.
Robin et Marion, fi donc ! Petite bière !
— Mais la petite bière a du bon, hein ! les fieux !
Ça rafraîchirait comme un grand vin, quelquefois mieux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Ton œuvre, maître Adam de la Halle, est ainsi.
Qu’ils la méprisent, ceux qui ne sont point d’ici !
Mais pour les gens du Nord, c’est le Nord qu’elle fleure,
C’est sa petite bière et le sel de son beurre ;
Et tant qu’on en aura chez nous le nez friand,
Ton nom ressuscité dans ce jour souriant
Reverdira toujours comme une primevère,
Maître Adam-le-bossu-d’Arras, maître trouvère !

— Une petite curiosité découverte par notre confrère de Bruxelle l’Écho musical, qui la fait connaître en ces termes. On sait, dit-il, que la célèbre ouverture de Litolff, Maximilien Robespierre, relève du genre dit « musique à programme » ; une simple audition de cette œuvre véhémente et tourmentée suffit pour s’en convaincre. Aussi nous a-t-on fréquemment demandé le « programme », ou, si vous voulez, l’argument de Maximilien Robespierre, — que nous n’avons jamais pu fournir, l’éditeur lui-même ne le possédant pas. Aujourd’hui qu’un hasard nous le met sous la main, nous ne manquerons pas de l’enregistrer ici, pour l’édification et l’utilité éventuelle de nos lecteurs. Voici ce curieux document :

Andante. Désolation et terreurs extrêmes. — Allegro. Agitation. Lutte de Robespierre et des triumvirs contre les membres des comités. — Poco ritenuto. La Marseillaise éclate, fougueuse d’abord, lugubre ensuite. — A tempo. Mise hors la loi de Robespierre et de ses complices. — Sempre. On dresse l’échafaud. Un peuple immense encombre la place. — Accelerando. La tête de Robespierre tombe sous le couteau de la guillotine. — Andante. Stupeur mêlée d’effroi. Rassemblement des troupes sur une sonnerie de trompettes. — Allegro. La fin de l’affreux régime de la Terreur est arrivée et des cris de joie retentissent.

— La riche bibliothèque de l’enseignement des beaux-arts publiée par la maison Quantin vient de s’enrichir d’un nouveau volume, Histoire de la musique allemande, dont l’auteur est notre collaborateur et ami Albert Soubies, ce qui ne saurait nous empêcher d’en dire le bien qu’il mérite. Jusqu’ici nous ne possédions en France aucun ouvrage consacré spécialement à telle ou telle des nations musicales de l’Europe. Voici tout au moins une lacune comblée en ce qui concerne l’Allemagne, dont l’importance n’a pas besoin d’être démontrée sous ce rapport. La besogne ici n’était point commode, et M. Soubies s’en est acquitté en conscience et avec le soin le plus scrupuleux. Partant des origines mêmes de l’art dans le pays qui a surtout donné un développement si admirable à la symphonie et à l’oratorio, rappelant les services rendus dans l’enfance de cet art par les minnesinger et les meistersinger, l’auteur nous met au courant des travaux aujourd’hui oubliés des artistes qui ont été les précurseurs de cette grande lignée de créateurs auxquels pendant deux siècles l’Allemagne a dû une gloire impérissable et dont les noms sont dans toutes les mémoires : les Bach, Haendel, Haydn, Gluck, Mozart, Beethoven, Weber, Schubert, Mendelssohn, Schumann, Wagner et tant d’autres. Mais il ne faut pas croire que M. Soubies s’est borné à rendre à tous ces artistes incomparables l’hommage qu’ils méritent. À côté des créateurs, il a fait à leurs interprètes, aux chanteurs, aux virtuoses, la place qui leur est légitimement due et qu’ils ont droit d’occuper dans une histoire sérieuse et impartiale. Il n’a pas oublié non plus les compositeurs qui ont brillé dans des genres secondaires, tels que le lied, la chanson, la musique de danse, etc. Enfin, s’il nous met au courant de ce qui s’est fait à l’église, au concert, au théâtre, il ne néglige pas les côtés en quelque sorte secondaires de son sujet, nous indique les progrès accomplis dans la facture instrumentale, nous rappelle les noms des grands éditeurs auxquels on doit les publications admirables consacrées aux œuvres des grands maîtres, nous entretient des travaux des théoriciens, des critiques, des historiens, et n’oublie rien, en définitive, de ce qui se rattache au sujet si complexe et si abondant qu’il avait mission de nous faire connaître en ses multiples détails. Si j’ajoute que le livre de M. Soubies est orné d’une centaine de gravures qui lui servent de véritable complément historique, je crois que j’aurai donné une idée suffisante de sa valeur et de l’intérêt qu’il doit inspirer.

A. P.

— Hier samedi a dû avoir lieu, avec le concours de M. Ch.-M. Widor, le quatrième festival de l’Exposition de Rouen. Le programme comprenait : 1o 3e symphonie pour orgue et orchestre, de M. Widor, l’orgue étant tenu par l’auteur ; 2o Danses anciennes, par Mlles Peppa et Invernizzi, en costumes Louis xv ; 3o divers morceaux de Couperin, J.-S. Bach, Haendel, Martini, Daquin, etc., exécutés par la Société des instruments anciens de MM. Diémer, Delsart, van Waefelghem et Grillet.

— La première chambre du tribunal de la Seine a indiqué pour le 22 juillet un procès que la famille de M. Wilder intente à Mme Cosima Wagner. Elle lui reproche d’avoir autorisé la représentation des Maîtres chanteurs et de plusieurs autres œuvres de Wagner avec une traduction de M. Ernst et revendique pour elle seule le monopole de la traduction, tout au moins en France.

— Un nouvel engagement à l’Opéra-Comique, celui de M. Fernand Lucenay, ténor, qui débutera au commencement de la saison prochaine. Ce sera, si nous comptons bien, le huitième ténor de la saison, avec MM. Gérome, Leprestre, Clément, Mouliérat, Maréchal, Carbonne et Vialas. Et encore en oublions-nous un neuvième, dont le nom ne nous revient pas.

— Nous apprenons que M. Eugène Lacroix, compositeur de musique et organiste des concerts Lamoureux, vient d’être nommé titulaire du grand orgue de Saint-Merry. Il y eut d’illustres prédécesseurs, Couperin, Chauvet, Saint-Saëns entre autres.

Mlle Fanny Lépine, la distinguée cantatrice dont on se rappelle les succès à la Société des concerts du Conservatoire, a donné cet hiver chez elle de très remarquables auditions, consacrées à l’exécution du deuxième acte entier du Roi l’a dit, de Delibes, de l’Eloa de Ch. Lefebvre et d’œuvres inédites de notre confrère Henry Eymieu. Les interprètes, élèves du cours de chant de Mlle Lépine, Mlles Hautier, Créhange, Nivert, Ladame, Crane et MM. Vuillaume et Hermann, violonistes, Dumoutier, Edwy, Debay, Berton, pour la plupart prix du Conservatoire y compris Mme Luce Rousseau, pianiste, ont donné de ces ouvrages des exécutions non loin d’être parfaites et sous l’habile direction de Mlle Lépine ou des auteurs eux-mêmes.

— Mardi 23, soirée donnée par M. Paul Braud à la Bodinière pour faire entendre quelques élèves se destinant à la carrière artistique. — Grand succès pour Mlle Éléonore Blanc et M. Engel dans l’air de Xavière, (Ah ! quelle fraîcheur) et dans le duo qui suit, qui a été bissé d’acclamations. Après plusieurs rappels, Mlle Blanc et M. Engel ont dû chanter de nouveau la Chanson de la grive du même ouvrage, dans laquelle ils ont obtenu un énorme succès et encore des rappels. — Mlle Blanc a délicieusement chanté aussi Brunette et Par le sentier, de l’auteur de Xavière. Tous nos compliments aux jeunes élèves, qui font honneur à leur maître. À signaler particulièrement M. Marcel-Samuel Rousseau, le fil du compositeur bien connu, dans Chaconne (Th. Dubois) et Caprice-Valse (Samuel Rousseau), M. René Vanzande (Source enchantée de Théodore Dubois), Mlle B. Augier (Esquisse et Scherzetto des 12 petites pièces, Th. Dubois), Mlle M. Boulet (l’Allée solitaire), Mlle Renée Peltier (les Myrtilles). — On a chaleureusement applaudi Humoresque et Sérénade en trio (Ch.-M. Widor), admirablement bien interprétées par Mme Letalle, MM. Carembat et Casella, et pour finir, Mlles Augier, Peltier, Boulet et M. Vanzande ont enlevé leur auditoire avec l’intincelante danse des Saturnales, des Erinnyes, transcription à 8 mains par J. Taravant.

— Très vif succès pour Mlle Bressolles à la matinée donnée par Mme Paulet-Marie. Elle y a chanté, en outre de l’air de Faust, la Pensée d’automne de Massenet, l’Heure exquise de Reynaldo Hahn et deux des délicieuses Chansons d’enfants d’Édouard Grieg.

Mlle Cadot, qui continue à Versailles les traditions de l’école Marmontel, a réuni jeudi dernier, 62, rue de l’Orangerie, un groupe nombreux de ses élèves, qui toutes, suivant leur degré de force, ont fait apprécier la correction de style et les qualités d’exécution qui caractérisent son enseignement. Marmontel père, présent à cette audition, était heureux d’adresser les encouragements et les éloges à ces jeunes pianistes qui, par leur bon travail et leurs louables efforts, répondent aux soins affectueux et dévoués de leur excellent professeur.

— La causerie-conceert de Mme Leo de Broc, donnée lundi dernier à la salle Rudy, a été le sujet d’un ovation pour l’artiste, qui a développé son nouveau système pour faciliter et abréger les études du piano et a joué avec beaucoup de verve une polonaise de sa composition. — Au programme, Mlles Leandry et Kerrion, dont le succès a été très grand, ainsi que M. Maignien, qui a interprété sur la harpe deux charmantes compositions de Bourgault-Ducoudray.

NÉCROLOGIE

Sir Augustus Harris, le célèbre manager anglais, a succombé à Folkestone aux suites du diabète qui le minait depuis quelque temps déjà. Né à Paris en 1852, Harris avait fait ses études au collège Chaptal et obtint une place de correspondant pour les langues étrangères dans une grande maison de banque. Mais il avait hérité de son père un vif penchant pour l’art, théâtral et en 1873 il débuta à Manchester dans un rôle secondaire de Macbeth. M. Mapleson lui découvrit un grand talent de régisseur et l’engagea pour ses entreprises d’opéra. Quelque temps après, Harris quitta Mapleson pour reprendre, au théâtre de Saint-James, les Danicheff avec les artistes de l’Odéon. Le succès de cette entreprise fut grand, mais Harris n’en retourna pas moins au théâtre comme acteur et joua en 1877, avec succès, un rôle dans la pièce le Domino rouge. Il remarqua cependant bien vite que sa vocation l’appelait ailleurs. Après avoir donné une pantomime au Palais de Cristal, Harris prit, en 1879, le théâtre Drury Lane, où tant de fortunes s’étaient déjà englouties. Son futur beau-père, M. Rendal, lui avança les fonds nécessaires, et l’entreprise fut couronnée d’un succès complet. Tout réussit à l’heureux directeur, qui possédait au plus haut degré ce qu’on appelle « le flair » pour trouver les pièces qui devaient plaire à son public, sans jamais s’inféoder à aucune école et à aucun genre. Cet éclectisme fut aussi une des raisons de son succès comme entrepreneur d’opéra. C’est en 1887 qu’il entreprit de relever l’Opéra italien à Londres, à un moment où il était en décadence complète et semblait perdu à tout jamais. Harris devait en effet subir des pertes considérables pendant sa première saison, mais l’année suivante il prit sa revanche, grâce au concours de Mme Albani et des frères de Reszké. Il réalisa des bénéfices importants, quitta alors le système dit des « étoiles » et offrit au public de Londres des représentations d’opéra avec des interprètes hors ligne dans tous les rôles et une mise en scène somptueuse. Mmes Albani, Nordisca, Sigrid Arnoldson, Minnie Hauck, Van Zandt, Calvé, Marie Roze et Sybil Sanderson, MM. Jean et Édouard de Reszké, Maurel, Lassalle, Plançon et beaucoup d’autres artistes renommés furent ses pensionnaires. Harris rompit le premier avec la tradition séculaire, à Londres, de jouer l’opéra exclusivement en langue italienne, et introduisit l’usage de la langue française. Non seulement les œuvres françaises furent jouées en français, mais aussi quelques œuvres allemandes, comme Lohengrin et la Valkyrie par exemple. Harris avait conservé une grande prédilection pour Paris — il disait un jour qu’il avait aussi souvent traversé la Manche que le pont de Waterloo — et pour l’art français. Dans les derniers temps, il se glorifiait volontiers d’avoir joué pour la première fois la Navarraise, de Massenet. Mais son opéra de Covent garden ne suffisait pas à son activité dévorante et Harris menait de front, en même temps, le théâtre de Drury Lane, Her Majesty’s, Olympia, deux ou trois autres endroits où l’on s’amuse et plusieurs entreprises théâtrales en province. Plusieurs pantomimes et plusieurs pièces qu’il a écrites en collaboration avec divers auteurs réclamaient également son temps et son travail. En 1890, Harris, qui était très populaire à Londres, surtout dans le grand monde, fut élu shériff pour le district du Strand, et c’est en cette qualité qu’il fut nommé Chevalier par la reine Victoria, à l’occasion de la visite de son petit-fils Guillaume ii d’Allemagne, en 1891. Malheureusement, sir Augustus Harris avait trop chauffé la machine et sa mort prématurée, que les amis de l’art théâtral déplorent même en dehors de l’Angleterre, prouve de nouveau que tout se paie en ce bas monde, même et surtout l’extraordinaire succès.

O. Bn.

Henri Heugel, directeur-gérant.

On achèterait piano Érard dem. queue pas vieux, 6, r. Villersexel. Duber.


Deux fonds d’éditeurs de musique à vendre. — S’adresser à M. Ikelmer, 7, rue de Clichy, Paris.