Nouvelles diverses/28 janvier 1906

NOUVELLES DIVERSES

ÉTRANGER

La ville de Salzbourg a célébré hier le cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Mozart. Cette journée du 27 janvier avait été déclarée jour férié pour toutes les écoles. La municipalité, d’accord avec le comité de la Fondation-Mozarteum, avait convié la population et spécialement la jeunesse à prendre part au cortège qui a parcouru la ville. Si le programme des fêtes a pu être réalisé sans changements de la dernière heure, on a exécuté dans la cathédrale, avec l’autorisation du cardinal-évêque, la « Messe du couronnement » de Mozart ; elle a été chantée par la Société chorale de la ville et par la baronne Eugénie Ehmig. Après la cérémonie, un cortège d’honneur s’est formé pour se rendre à la maison natale de Mozart et aux autres monuments du maître. Sur la place Mozart, le bourgmestre, M. Berger, a fait une courte allocution. Un hommage a été rendu au génie de Mozart au nom de la jeunesse des écoles ; le chœur d’Isis de la Flûte enchantée a été chanté, puis le cortège a continué sa route. Le soir à huit heures, une représentation de gala a été donnée au théâtre municipal. Un orchestre de 58 musiciens, venus de Munich, a exécuté des œuvres symphoniques, après quoi un discours de circonstance a été prononcé par M. E. Muller. La soirée s’est terminée par la représentation de l’opéra en deux actes, Il Re Pastore, que Mozart écrivit à dix-neuf ans, et dans lequel Mmes Burger-Mathys, Keldorfer, Soärdström et MM. Briesemeister et Mercer ont tenu les rôles principaux.

— Les fêtes ont leurs lendemains et aussi les anniversaires. À l’occasion de celui d’hier, on nous permettra de rapporter quelques détails anecdotiques de la vie de Mozart, bien connus mais toujours amusant à rappeler. À six ans le petit Wolfgang, que l’on appelait familièrement Woferl, part avec son père et sa sœur Nannerl de Salzbourg pour Munich (1762). Il est admis à la cour et est présenté à Marie-Thérèse. Insoucieux de l’étiquette, il saute sur les genoux de l’impératrice et l’embrasse. Un instant après il tombe sur le parquet glissant ; la future reine de France, Marie-Antoinette, l’aide à se relever ; « Vous êtes bonne, lui dit Mozart en la remerciant, je veux vous épouser ». Woferl et Nannerl furent revêtus de vêtements des enfants de la famille royale et on fit leurs portraits, qui sont actuellement au Mozarteum. L’année suivante, Mozart joua de l’orgue à Heidelberg et fut appelé « la merveille de Dieu ». Gœthe, âgé de treize ans, le vit à Francfort et comprit, dit-on, son génie. À Paris, le petit Mozart est introduit à la cour. Il est ébloui par la beauté de Mme de Pompadour artistiquement habillée et peinte, se jette sur elle et veut l’embrasser. Il est repoussé à cause du danger que ses baisers pourraient faire courir aux teintes savantes du visage de la favorite royale : « Quoi, dit-il, l’impératrice m’a embrassé et cette dame me repousse ! » À Mannheim, en 1777, Mozart eut pour élève Mlle Rosa Cannabich. Il semble avoir éprouvé pour elle un sentiment sérieux et tendre. Une de ses sonates lui est dédiée. À quelqu’un qui lui demandait comment serait l’andante, il répondit : « Je l’écrirai d’après le caractère de Mlle Rosa ». Il écrivait plus tard : « Il en fut en effet ainsi, cet andante la personnifie ». Mozart aima plus tard la cantatrice Aloysia Weber ; dédaigné par elle, il épousa sa sœur Constanza, en 1782. Un livre vient d’être publié sur les affections féminines de Mozart pour sa mère, pour sa sœur, pour sa femme, ses parentes, ses amies et ses interprètes. Les cent dix pages de ce livre n’ajoutent rien aux faits déjà connus ; elles sont parsemées toutefois de quelques portraits intéressants. Sous celui de Teresa Saporiti, la première donna Anna, on lit : Hic effigies, ubique fama (Ici le portrait, partout la renommée). Celui de la cantatrice Aloysia Lange, née Weber, la représente en costume de Zémire dans Zémire et Azor de Grétry.

— Le 7 janvier dernier, à l’occasion des fêtes d’anniversaire en l’honneur de Mozart, la section musicale d’une société qui a pris pour titre « Alliance-Dürer » a tenu réunion à Prague. Le président de la section a fait une conférence sur la « signification sociale et artistique de l’apparition de Mozart dans le monde musical ». Si nous en croyons un journal tchèque, il a représenté l’auteur de Don Juan comme le premier musicien qui se soit efforcé de lutter par ses propres forces, sans se mettre à la merci des puissant du jour, et il a ajouté que le jeune maître avait été victime de ses aspirations vers l’indépendance. « Ce que Mozart a essayé, Beethoven l’a réalisé », aurait conclu le conférencier. Une pareille thèse prête assurément à des développements que peut rehausser un talent original et brillant. Il est juste de remarquer toutefois, et M. Batka n’a pu manquer de le laisser entrevoir, que des hommes tels que Gluck et Sébastien Bach ont revendiqué avec bien plus de force, d’énergie et de tenace obstination que Mozart le droit de l’artiste aux égards des puissants et à l’indépendance. Lorsque les circonstances ont pu leur en faire un devoir, ils ont pris une attitude parfaitement digne et parfois même irréductible, vis-à-vis des personnes ou des corps constitués.

— Les chefs d’orchestre qui dirigeront cette année les représentations du festival de Bayreuth sont définitivement désignés. Le premier cycle de l’Anneau sera dirigé par M. Hans Richter, tandis que le deuxième sera conduit par M. Siegfried Wagner. Dans les représentations de Tristan et Yseult, M. Félix Mottl, qu’une brouille avec la maison Wahnfried avait tenu éloigné des représentations de gala pendant ces dernières années, reparaîtra avec sa maîtrise bien connue, et M. Muck tiendra le bâton à celles de Parsifal. Les fervents de Bayreuth reverront également cette année une excellente artiste qu’ils ont souvent chaleureusement applaudie et qui, elle aussi, s’était tenue un peu à l’écart : Mme Schumann-Heinck, qui chantera les rôles d’Erda et de Waltraute.

— On annonce que M. Hans Gregor, le directeur de l’Opéra-Comique de Berlin, se prépare à monter prochainement le Démon de Rubinstein, un des opéras du maître qui, avec Néron, n’ont jamais cessé d’obtenir un grand succès partout où on les a représentés. M. Hans Gregor se dispose aussi à mettre au répertoire de son théâtre la charmante Lakmé de Léo Delibes.

— L’ « Union centrale des musiciens allemands et Association des compositeurs » organise pour le mois de mai prochain, dans les locaux de la Philharmonie, à Berlin, une exposition musicale à laquelle prendront part les fabricants d’instruments de musique, les graveurs, imprimeurs spéciaux et les inventeurs qui voudront soumettre au jury le résultat de leurs recherches. On ne nous dit pas si les étrangers sont admis à exposer leurs produits.

— Extrait du dernier feuilleton de la Gazette de Lausanne, consacré par M. E. Jacques-Dalcroze au « Piano et à l’Éducation musicale » et dédié, par le très érudit et parfait musicien, « aux mères de famille » :

« … Reste l’étude du nuancé et du phrasé. Et celle-ci, qui n’est au programme d’aucun enseignement d’école et dont les principes généraux sont dus à un musicien suisse, M. Mathis Lussy, l’auteur de ce monument de clarté et de logique qui s’appelle Traité du rythme et de l’expression, est la meilleure préparation à l’affinement du goût musical et au développement du sens de la beauté artistique. »


Et M. E. Jacques-Delacroze indique quels énormes bénéfices de musicalité doit apporter, à ceux qui le travaillent, le remarquable ouvrage de M. Mathis Lussy, à qui le monde musical est redevable de cet autre monument de clarté, de logique, et ajoutons aussi, de science déductive, l’Anacrouse musicale.

— De Tournai. La Société de musique, si artistiquement présidée par M. Stiénom du Pré, vient de donner un festival Paul Vidal qui a remporté un grand et légitime succès. Le concert, très soigneusement préparé par M. de Loose, a été dirigé par l’auteur, qu’on a chaleureusement ovationné ainsi que ses interprètes, Mlle Demougeot et M. Gluck. Au programme, des fragments de Jeanne d’Arc, de la Burgonde, d’Éros et l’exécution intégrale de l’oratorio Saint-Georges et de Noël ou le Mystère de la Nativité, qui ont valu un vrai triomphe aux splendides masses chorales dont dispose la Société.

— Au concours de livrets d’opéras ouvert par M. Sonzogno et dont nous avons annoncé la clôture, le nombre total des envois a été de 562, ce qui prouve que l’Italie n’est pas près de chômer de librettistes. La revue Varietas a publié la liste de ces 562 livrets, parmi lesquels certains titres sont à retenir. Nous ne parlons pas des noms de femmes, comme Clara, Elisa, Gisella, Fanny, Sofia, Silvia, ou des noms historiques comme Lucrezia Romana, Guillaume le Taciturne, Bianca Cappello, Isabella Fieschi, César Borgia, etc. Si l’on en voit qui ont été inspirés par le sentiment de la patrie, tels que Italia, Libertâ, Giuseppe Mazzini (!), i Fratelli Bandiera, d’autres paraissent plus singuliers : Jesus, Maria di Magdala, Lucifer, Satan, Satan ou Dieu ?, l’Antéchrist… Puis, la politique s’en mêle, et l’on trouve le Socialisme, la Réforme du socialisme, le Premier Mai, la Grève (le Sciopero), Amour libre, et autres du même genre. Les philosophes pourront applaudir Homo, Humanitas, Umanità, l’Uomo. Certains se sont inspirés de divers pays et ont pris pour titres Calabria, Russia, Polonia, Francia, Lombardia, Roma, Venezia incantatrice, Una Notte a Nizza. Les rêveurs et les poètes ont envoyé Heroica Fides, Civiltâ, Verso la luce, Verso la vita, Santa Poesia, Per l’ideale. D’autres, d’un esprit plus sombre, se sont manifestés avec Casa di pena (Maison de correction), Catalepsie, Manicomio (Maison de fous), etc. On voit que la variété est grande et qu’il y en a pour tous les goûts.

— Certains se rappellent sans doutez une excellente cantatrice, Teresina Stolz, l’amie de Verdi, qui vint créer ici avec éclat l’Aida du maître et chanter aussi son Requiem, et qui mourut il y a quelques années. Une sœur aînée de cette artiste remarquable, Mme Lidia Stolz, âgée de 80 ans et puissamment riche, vient de mourir à Milan dans des circonstances qui paraissent étranges. On croit qu’elle a été empoisonnée par sa domestique, une nommée Angela Forlini, native de Valle Lomellina et âgée de 45 ans. Cette servante (un type de « demi-crétine », dit un journal), a été arrêtée au moment où elle se disposait à monter en chemin de fer, munie d’une valise qui renfermait une somme de 70.000 francs en argent et en titres au porteur soustraits à sa maîtresse. Soumise à un interrogatoire, elle a avoué le vol, mais a nié énergiquement toute responsabilité quant au crime. Les choses en sont là, et la justice procède à une enquête sérieuse.

— Tandis qu’à Milan on joue avec succès Fra Diavolo à la Scala et Mignon au Dal Verme, voici qu’un autre théâtre se consacre au genre lyrique. C’est l’ancienne Commenda, petit théâtre qui était autrefois à ciel ouvert, et qui aujourd’hui restauré, embelli et fermé de tous côtés, prépare une saison musicale pendant laquelle il jouera, entre autres ouvrages, Norma, la Favorite, Lucie de Lammermoor et le Barbier de Séville.

— Le Trovatore nous apprend que Mme Hariclée Darclée, « toujours noble et généreuse », a donné récemment à Venise une représentation extraordinaire de la Tosca, de Puccini, au bénéfice des enfants abandonnés des pêcheurs de l’Adriatique. Cette représentation avait attiré une foule énorme et la recette a été superbe. Il va sans dire qu’on a fait à la charmante artiste des ovations sans fin et que son succès a été partagé par deux excellents partenaires, MM. Garbin et Camera.

M. Renzo Bossi, fils du compositeur Enrico Bossi, directeur du Lycée musical de Bologne, vient de faire exécuter pour la première fois, à Augsbourg, un concerto de sa composition pour violon et orchestre. L’œuvre, qu’on dit fort intéressante, a reçu un très bon accueil.

— Grand succès, au théâtre de la Zarzuela de Madrid, pour une zarzuela nouvelle intitulée la Infanta de los bucles de oro, paroles de M. Sinesio Delgado, musique du maestro Serrano. Toute la presse est d’accord pour trouver cette musique charmante et la déclarer un modèle du genre.

— Un grave accident s’est produit il y a quelques jours au théâtre Royal de Madrid. Pendant une représentation de Faust, la partie postérieure de la scène s’est écroulée tout à coup et quarante personnes qui s’y trouvaient, précipitées dans les dessous, ont été plus ou moins grièvement blessées. Quatre d’entre elles ont dû être transportées à l’hôpital dans un état alarmant et l’on craint pour leur vie.

— Le 18 janvier dernier, au Queen’s Hall Concert de Londres, M. Charles-V. Stanford, qui a dirigé tout dernièrement à Paris, dans la salle du Châtelet, l’Orchestre symphonique de Londres et les Chœurs de Leeds, a fait entendre une symphonie nouvelle « sur la vie et les œuvres du peintre Georges-Frédéric Watts ». Watts, qui mourut le 1er juillet 1904, écrivait : « Je peins des pensées, non des choses ». On comprend que son œuvre, en grande partie allégorique, ait pu inspirer un musicien.

— Les journaux anglais annoncent que la célèbre cantatrice Mme Emma Albani-Gye doit entreprendre incessamment, c’est-à-dire dans le mois prochain, sa tournée d’adieu dans l’Amérique du Nord. Elle ne manquera certainement pas d’aller revoir son pays et de s’y faire entendre une dernière fois. On sait que Mme Albani, née Emma Lajeunesse, est native du Canada.

M. Verlé, l’excellent professeur de Buenos-Aires, continue à propager ferme la musique française dans la République Argentine. À la dernière matinée d’élèves qu’il a donnée, l’Amazone, de Théodore Lack, a eu un succès extraordinaire, au point qu’on a voulu l’entendre plusieurs fois. C’est bien d’ailleurs une des plus charmantes compositions qu’ait écrites le maître compositeur. Vif succès aussi pour la célèbre Valse-arabesque du même auteur et pour l’Arietta de Binet.

PARIS ET DÉPARTEMENTS

Le roi d’Angleterre, Édouard VII, a adressé à sir Charles Stanford une lettre dans laquelle il lui exprime vivement sa satisfaction au sujet du succès remporté à Paris, sous sa direction, par the London Symphony Orchestra et les chœurs de Leeds. La lettre ajoute que la façon dont les chœurs ont chanté en français la Marseillaise leur fait le plus grand honneur.

— On connaît l’admirable Traité d’instrumentation de Berlioz, qu’on pourrait appeler le bréviaire de tout compositeur désireux d’écrire pour l’orchestre, Berlioz, qui mieux que personne connaissait les ressources et les qualités de cet instrument aux cent voix, s’étant efforcé, avec succès, de le rendre familier à tous ceux dont l’ambition était de se mesurer avec ce géant sonore. Mais ce Traité date déjà de plus de soixante ans (1843). Or, depuis ce temps, la facture de tous les instruments à vent, bois ou cuivre, a fait d’incalculables progrès ; d’autres part, nos exécutants sont devenus eux-mêmes d’incomparables virtuoses dédaigneux de tous les obstacles, de sorte que le champ de l’instrumentation est devenu beaucoup plus vaste, et que ce qui est impossible il y a un demi-siècle est aujourd’hui devenu sinon toujours facile, du moins parfaitement faisable. Il était donc utile, dans l’intérêt de tous, de remettre les choses au point, de compléter en tenant compte des progrès accomplis, les préceptes établis par Berlioz, et, sans toucher au fond même de son œuvre, de la mettre à jour, d’en combler les lacunes et de relever ce qu’en elle le temps avait rendu inexact. C’est ce que M. Widor a entrepris courageusement dans le volume qu’il vient de publier sous ce titre : « Technique de l’orchestre moderne, faisant suite au Traité d’instrumentation et d’orchestration de Berlioz ». Il dit dans sa préface : « Il ne faut pas qu’un tel ouvrage vieillisse. On devra toujours lire et relire ces descriptions si pittoresques, cette psychologie suggestive des différents types de la symphonie. Rien n’est plus instructif. Aussi, beaucoup le lisaient-ils un crayon à la main, notant au passage les divergences du texte et de la réalité, noircissant les marges, soulignant et annotant. Et ce sont ces notes, ces remarques, rectificatives ou complémentaires que les éditeurs du maître illustre ont bien voulu me demander. Le présent travail n’est donc qu’un appendice venant à la suite d’une œuvre qu’il fallait, avant tout, religieusement respecter et à laquelle nous n’avons pas touché. C’est un simple post-scriptum constatant l’état actuel des instruments d’orchestre, leur étendue, leurs moyens. » Nul mieux que M. Widor n’était à même d’accomplir un tel travail, et je n’ai pas besoin de dire non seulement avec quelle habileté, mais avec quel soin il s’en est acquitté. Il a été, en dehors des exemples cités par lui, jusqu’à indiquer les trilles, les batteries, les traits divers que chaque instrument peut exécuter dans chaque tonalité, prenant pour cela conseil de nos meilleurs virtuoses, de M. Barrère pour la flûte, de M. Gillet pour le haubois, etc. Mais ici, précisément, je regrette que M. Widor ne se soit pas adressé aussi à un violoniste en le priant de revoir la série des accords de trois et quatre notes qu’il donne en exemples. C’est que ce n’est pas le tout que de placer théoriquement les quatre doigts d’un violoniste sur les quatre cordes de l’instrument ; il est tel de ces accords indiqués qui sont tellement gauches que dans la pratique ils sont absolument infaisables ; parmi eux, je citerai ceux où M. Widor fait faire des quintes au quatrième doigt ; ici, il y a impossibilité matérielle, le petit doigt, trop court, devant se poser horizontalement sur les deux cordes au lieu de tomber verticalement, d’où il résulte d’abord qu’il perd toute sa force, ensuite qu’il prend ces deux cordes inégalement et que la quinte est forcément fausse. Cette observation faite, — et elle était nécessaire — il n’y a que des éloges à adresser à M. Widor pour le très grand service qu’il vient de rendre et pour le talent qu’il a apporté dans un travail dont l’agrément, pour l’auteur, n’était peut-être pas la qualité dominante.

A. P.

— Spectacles d’aujourd’hui dimanche et des premiers jours de la semaine à l’Opéra-Comique :

Dimanche, matinée, à 1 heure, Miarka (Mme Marguerite Carré, Mlle Brohly, MM. Jean Périer, Devriès), le Chalet ; soirée, à 8 heures, la Navarraise (Mme de Nuovina, M. Maréchal), les Pêcheurs de Saint-Jean (Mlle Claire Friché, Mme Cocyte, MM. Salignac, Vieuille) ;

Lundi, représentation populaire à prix réduits, avec location, à 8 h. 1/2, Grisélidis (Mmes Vallandri, Tiphaine, Lucy Vauthrin, MM. Dufranne, Allard, Lucazeau) ;

Mardi, à 8 h. 1/2, Werther (Mme de Nuovina, M. Léon Beyle) ;

Mercredi, à 8 heures, Cavalleria rusticana (Mlle Friché, M. Salignac) ; la Vie de Bohème (Mme Marie Thiéry, M. Ed. Clément, Mlle Tiphaine, MM. Jean Périer, Delvoye, Allard).

Jeudi dernier on avait réentendu avec le plus vif plaisir Mlle Demllier et sa jolie voix si pleine et si veloutée dans Louise. — On remarquera, d’après la liste des spectacles annoncés ci-dessus, que Mme de Nuovina abordera mardi, pour la première fois, le rôle de Charlotte dans Werther, — Soirée bien intéressante. — Très pris par d’incessantes répétitions, M. Albert Carré renonce, pour le moment, à poursuivre le cours des représentations qu’il allait donner dans les théâtres de quartier.

— Rappelons aux compositeurs qui veulent prendre part au « Salon musical de la Société nationale » (audition d’œuvres inédites), que les envois doivent être effectués le 17 février, au Grand-Palais, porte B, avant 6 heures du soir.

— Aux Mathurins, les nouvelles représentations de la Mort de Tintagiles avec Mme Georgette Leblanc, sont définitivement fixées aux jeudi 1er, vendredi 2, samedi 3, lundi 5, mardi 5 février, à 10 heures du soir. Le spectacle commencera à 8 h. 1/2 par une pantomime inédite tirée d’un poème de M. Francis de Croisset.

— On annonce pour le courant du mois de février une audition curieuse et intéressante dans les salons de Mme de Launay, celle du célèbre Ballet de la Reine, qui fut représenté en 1581 à la cour de Henri iii, lors des fêtes somptueuses données à l’occasion des noces du duc de Joyeuse, favori de ce prince, avec mademoiselle de Vaudemont. La musique de ce lointain essai de ballet-opéra fut écrite par le compositeur italien Baltazarini, qu’on appelait en France Balthazar de Beaujoyeulx et qui eut pour collaborateurs dans ce travail Beaulieu et maître Salmon. En 1865, la Société Sainte-Cécile, dirigée par Seghers et transportée alors à la salle Pleyel-Wolff, fit entendre à ses abonnés quelques fragments de ce premier essai d’opéra — car on y chante et on y danse ; il y eut des chœurs et l’excellent baryton Bussine y chanta un air de Mercure. Depuis lors, il n’en fut plus question. Dans les mêmes salons de Mme de Launay, si le temps le permet (les choses de ce genre exigent tant de soins et sont si longues à préparer !), on parle de faire entendre aussi le délicieux Jeu de Robin et de Marion, d’Adam de la Halle, ce premier embryon d’opéra-comique français qui remonte à 1285 environ, pour lequel, en 1872, M. Weckerlin écrivit un accompagnement de piano pour le faire exécuter à la Société des compositeurs. Dans cette séance, qui eut lieu aussi à la salle Pleyel, le poème était lu par Édouard Fournier, tandis que la musique était chantée par Mme Barthe Banderali et MM. Valdéjo et Archaimbaud. M. Weckerlin, qui, depuis, a publié la partition du joli Jeu de Robin et de Marion, en prépare une nouvelle édition.

— Très grand succès à la dernière matinée de l’Ambigu (anciennes matinée Danbé) pour la Valse mélancolique de Mme de Grandval, pour flûte et harpe, délicieusement jouée par Mlle Henriette Renié et M. Balleron.

— De Rennes. Notre charmante compatriote, Mlle Yvonne Dubel, dont on sait les jolis succès à l’Opéra de Paris, où elle a chanté tout dernièrement et délicieusement l’infante du Cid, vient de nous donner une représentation de Thaïs qui marquera certainement dans les annales de notre théâtre. Ovations, rappels, fleurs, rien n’a manqué au triomphe de Mlle Dubel, qu’on n’a pas voulu laisser partir de Rennes sans qu’elle promette de revenir le plus tôt possible.

— De Rouen. M. Reynaldo Hahn est venu, au commencement de cette semaine, faire travailler les principaux interprètes de sa Carmélite, qui sera la prochaine nouveauté de notre Théâtre des Arts et à laquelle M. Camoin donne tous ses soins les plus attentifs et les plus éclairés. En vue de cette représentation, qui sera la première donnée en province, les auteurs ont tout spécialement et très sensiblement remanié leur œuvre si bien accueillie déjà par le public de l’Opéra-Comique ; ils l’ont très heureusement allégée de plusieurs rôles épisodiques assez difficiles d’interprétation, resserrant par ainsi l’action dramatique et en augmentant l’intérêt et la belle et séduisante tenue artistique.

École nationale de musique de Cambrai. — L’emploi de directeur de cette école est actuellement vacant ; les demandes des candidats à ce poste seront reçues à la mairie de Cambrai jusqu’au 15 février prochain. — Traitement annuel : 4.000 francs, plus le logement et le chauffage. — Pour tous renseignements, s’adresser à la mairie de Cambrai.

Soirées et Concerts. — Salle du Journal, fort agréable matinée au cours de laquelle on applaudit Mlle Noé dans la Islema de Paladilhe-Saint-Saëns, Mme Raucet-Banès dans Vous ne m’avez jamais souri de Verdalle, et Mlles Alice et Louise Daumas dans le duo du Roi d’Ys de Lalo. — Salle Pleyel, très joli concert donné par Mlle Jeanne Carcassonne qui fait applaudir ses qualités de mécanismes et de musicalité, notamment dans Essor et Caprice d’Antonin Marmontel, et dans Causerie sous bois de Pugno. — Brillante audition musicale donnée par Mme Girardin-Marchal. Parmi les interprètes les plus applaudis signalons surtout Mlle Jeanne C. (sérénade de Chérubin, Massenet). — Superbe concert avec orchestre et chœurs, donné, à la Salle Érard, par la Société instrumentale d’amateurs « la Tarentelle » (fondée il y a dix-huit ans), avec le concours comme solistes de Mlle Lucy Arbell, de l’Opéra ; de Mlle Clicquot de Mentcque et de M. Mazalbert pour la partie vocale ; de Mlle Renée du Ménil, de la Comédie-Française et de Mme H. Griset pour la partie littéraire, et le violoniste M. Maurice Hewitt pour la partie instrumentale. N’oublions pas le directeur du concert, M. Édouard Tonrey. Tous ces vaillants artistes se sont surpassés et ont recueilli des bravos bien mérités. — À Épernay, très gros succès pour le quatuor Luquin et l’excellente harpiste Marguerite Achard, ainsi que pour Mme Hedwige Chrétien, dont les œuvres ont été supérieurement interprétées par M. Sigwalt, des Concerts Colonne. Le 9e quatuor de Beethoven, l’Andante avec variation du quatuor en mineur de Schubert, le quintette pour harpe et quatuor à cordes de E. Dertenay ont valu à leurs remarquables interprètes de vifs applaudissements.

NÉCROLOGIE

Nous avons le regret d’annoncer la mort, survenue presque subitement, d’un excellent artiste qui était sans doute le doyen de l’enseignement musical en France, M. Henri-Louis-Charles Duvernoy, car il était né à Paris le 16 novembre 1820. Il avait fait au Conservatoire une carrière scolaire exceptionnellement brillante, obtenant successivement les premiers prix de solfège, de piano, d’harmonie, d’orgue et de fugue, et enfin le second prix de Rome. Il se consacra ensuite sans réserve à l’enseignement et se distingua non seulement comme professeur, mais comme didacticien, par la publication d’un grand nombre d’excellents ouvrages devenus classiques et dont le succès fut constant. Pianiste très habile, il a publié aussi une centaine de compositions aimables pour le piano, qui se distinguent par leur grâce et une réelle élégance de forme. Pendant plus de quarante ans, Duvernoy avait été professeur au Conservatoire, où il forma un nombre incalculable d’élèves. Cet artiste vraiment remarquable resta jusqu’à ses derniers jours plein d’activité. De petite taille, toujours le sourire aux lèves, l’accueil cordial et souriant, il ne manquait pas une année les concours de piano du Conservatoire, et l’on put l’y voir encore l’an dernier, en dépit de ses 84 ans bien sonnés.

— On annonce la mort d’une cantatrice qui a eu des succès autrefois, Miss Elisabeth Poole, devenue Mme Bacon. Elle était née le 5 avril 1820. À sept ans elle débutait au Théâtre Olympique de Londres, puis, jusqu’en 1834, elle joua des rôles d’enfants à Drury-Lane. Pendant les 36 années qui suivirent, elle obtint de nombreux succès. Elle a chanté parfois sous un nom d’emprunt, notamment dans la troupe de l’ « Englis Opera » au Stand Theatre. Elle s’est retirée en 1870. Sa voix était celle de mezzo soprano.


Henri Heugel, directeur-gérant.