Nouvelles diverses/26 juillet 1896

Heugel (p. 239-240).

NOUVELLES DIVERSES


ÉTRANGER

De notre correspondant de Londres (17 juillet). — Il n’y a pas à mettre en doute le pouvoir fascinateur de la Manon de M. Massenet. Témoin la représentation donnée devant une des chambrées les plus brillantes qui se soient jamais trouvées réunies à Covent Garden. La loge royale, où les applaudissements n’ont pas cessé, était occupée par le prince et la princesse de Galles, le duc et la duchesse de Fife, la princesse Maud et son fiancée, le prince Charles de Danemark, la princesse Victoria et le prince Christian. Un intérêt tout spécial s’attachait à cette reprise en raison de la première apparition à Londres, dans les rôles de Manon et de Des Grieux, de Mme Melba et de M. Alvarez.

Plus on entend M. Alvarez, plus on est frappé par cette prodigieuse intelligence et ce merveilleux instinct artistique grâce auxquels il sait assimiler à sa nature les rôles les plus opposés comme style et comme caractère. Nous l’avons vu, cette saison, dans Roméo, dans Faust, dans Aida, dans la Valkyrie, dans Tannhäuser, dans Carmen, on nous le présente maintenant dans le rôle de Des Grieux, un rôle de tendresse et de demi-teintes. Il y a dans l’interprétation de M. Alvarez, surtout au point de vue musical, au point de vue des difficultés surmontées, — des choses remarquablement intéressantes et curieuses. Je signalerai particulièrement l’adresse avec laquelle il s’est tiré de la phrase du rêve au deuxième acte. Mme Melba a surtout triomphé dans les passages d’agilité ; le tableau du Cours-la-Reine lui a valu des bis et des rappels sans nombre. Enregistrons un effort et un progrès considérables à l’actif de la comédienne dans la scène de Saint-Sulpice. On ne pouvait souhaiter un meilleur Lescaut que M. Albers Quel joli chanteur et quel excellent acteur ! On se figure le parti que M. Plançon a su tirer des deux airs du comte Des Grieux et la tenue admirable qu’il prête au rôle. C’est tout à fait du grand art. Compliments sincères à MM., ils ont été, tous deux, très justement remarqués et applaudis.

Il serait injuste d’oublier M. Castelmary, régisseur de Covent-Garden. Je ne puis louer assez vivement le soin, le tact exquis avec lesquels il a réglé les moindres détails de la mise en scène. Et ce n’était pas une tâche facile de monter sur un pied si supérieurement artistique un ouvrage sabré de coupures maladroites et dont l’exécution était confiée à des éléments si disparates et qu’il fallait instruire en quelques répétitions ! Bravo donc à M. Castelmary, car il lui revient un peu de part du triomphal succès de cette reprise de Manon.

Le Palace-Théâtre vient de représenter, pour la première fois, une saynète mimée, l’Idéal, qui a pour auteur M. Newnham-Davis et pour compositeur M. André Wormser. Il n’y a pas à insister longuement sur cette œuvrette, dont l’unique raison d’être est de faire briller les talents plastiques de miss Ross-Selwick. Miss Ross-Selwick a eu un grand succès de jolie femme. Quant à M. Clerjet (de l’Odéon), il a très intelligemment composé le rôle du peintre. Les qualités d’expression et d’élégance qu’il y a déployées font de lui un mime de tout premier ordre. La partitionnette de M. Wormser abonde en motif gracieux et spirituels ; elle est de plus fort intéressante au point de vue des intentions scéniques, et l’orchestration en est recherchée. L’orchestre de M. Plumpton l’a exécutée avec beaucoup de soins.

Léon Schlésinger.

— Au concert annuel que l’Académie royale de musique de Londres offre à l’occasion de la fin des examens, on s’est servi pour la première fois du diapason normal français. Jusqu’à présent l’Académie avait résisté à cette innovation, qui est adoptée dans presque tous les pays, et avait conservé son ancien la, qui est sensiblement plus élevé que le la français.

— Un nouvel instrument musical vient d’être introduit à l’orchestre de l’Opéra royal de Dresde à la dernière représentation de Rienzi, de Richard Wagner, pour remplacer dans l’ouverture et dans la scène de l’appel au combat le cor en métal. Cet instrument, que son inventeur, le facteur C. W. Moritz de Berlin, appelle « cor de guerre, » a une longueur de 125 centimètres et n’est autre chose que la corne d’une antilope africain perforée avec beaucoup d’adresse. Son embouchure est en métal et ressemble exactement à celle d’une trompette. Sa gamme naturelle donne cinq notes en ut majeur : ut, sol, ut, mi, sol et il paraît que le son est beaucoup plus beau et pénétrant que le son du cor en métal. Guillaume ii, en sa qualité de compositeur de musique, s’intéresse beaucoup à cette invention et a donné ordre de l’essayer dans l’armée. On dit à Berlin que le nouveau « cor de guerre » remplacera bientôt le clairon réglementaire de l’armée prussienne. La longueur démesurée du nouvel instrument étonnera d’abord les soldats ; ceux qui sont de religion juive se croiront en pleine synagogue. Car il paraît que le son produit par la corne d’antilope rappelle celui de la corne de bélier dont les Israélites se servent encore de nos jours dans leurs synagogues pour sonner, à leur fête du nouvel an, les fanfares liturgiques qui sont vieilles de quatre mille ans environ. Le son du cor religieux des Israélites (chôphar) qui n’est pas franc et rappelle le basson, nous a paru peu harmonieux ; espérons que la corne de la noble antilope donnera des résultats meilleurs que celle du bélier ordinaire.

Bn.

— On annonce de Bayreuth que les représentations cycliques de l’Anneau de Niebelung seront répétées en 1897 ? Une reprise de Parsifal aura lieu également l’année prochaine.

— La représentation complète de la tétralogie de l’Anneau de Niebelung, qui devait commencer dimanche dernier à l’Opéra royal de Budapesth, n’a pas pu avoir lieu parce que le ténor M. Broulik, qui devait chanter dans l’Or du Rhin, a fait savoir au dernier moment qu’il n’était pas en mesure d’entrer en scène. Le surintendant général des théâtres royaux a publié une déclaration officielle dans laquelle il accuse M. Broulik d’avoir empêché la représentation par malveillance. Mais l’artiste déclare de son côté qu’il avait produit, il y a quelques jours, un certificat de trois médecins constatant qu’il était hors d’état de chanter, par suite d’un surmenage antérieur imposé par la direction de l’Opéra. Les médecins déclarent même qu’un travail prolongé aurait été un danger pour la vie de M. Broulik. Il paraît que la justice aura à s’occuper de cet incident, qui a provoqué une sensation énorme dans la capitale hongroise, car les arbitres ont condamné M. Broulik à la restitution de trois mille francs (ses honoraires pour un mois) et l’artiste, qui ne veut pas reconnaître le jugement, va s’adresser aux tribunaux.

— Dépêche de Venise : « Hier jeudi, théâtre Malibran, fanatisme pour la Manon de Massenet. Quatre bis. Ténor Garulli et Mme Garulli-Bendazi acclamés soirée entière. »

— Le second des exercices de fin d’année du Conservatoire de Milan paraît avoir été particulièrement brillant et beaucoup plus intéressant que le précédent. En ce qui concerne les élèves de composition, on a entendu une fantaisie symphonique de M. Iginio Corsi, élève de M. Coronaro, qui ne donne encore que des promesses assez vagues du talent de l’auteur. Mais on dit beaucoup de bien d’une scène biblique pour soprano, baryton et orchestre, la Figlia di Jefte, due à M. Pozzoli, élève de M. Ferroni, qui se distingue par de rares qualités de forme et de facture, et l’on n’adresse pas de moindres éloges à une composition religieuse d’un autre élève de M. Ferroni, M. Donini, un Kyrie et Christe pour chœur à quatre voix a capella, qui a fait sur ses auditeurs une excellente impression. Cette dernière paraît tout particulièrement remarquable.

— Le 12 juillet, à Padoue, les chanteurs ordinaires de la chapelle Antoniana ont exécuté une nouvelle messe intitulée Patrem imnipotentem, due au jeune organiste de la basilique de Saint-Marc à Venise, M. Oreste Ravanello. « Cette œuvre distinguée, dit un journal italien, a confirmé pleinement, à l’audition, les jugements déjà exprimés par la critique lors de sa publication. Composée et développée sur la mélodie du Credo grégorien dit cardinal, à trois voix différentes, elle atteint en plusieurs points un haut degré d’efficacité par la noblesse du style, par l’intensité sonore et par l’expression liturgique. L’accompagnement de l’orgue, bien que facile et simple, conserve le caractère et la propriété du style qu’exige la musique sacrée, même dans les modulations tout à fait diatoniques. »

PARIS ET DÉPARTEMENTS

Une erreur typographique s’est glissée dans notre liste des récompenses pour le concours des classes préparatoires de violon. Ce n’est point Mlle Schneider, c’est M. Schneider qui a obtenu dans ce concours une 1re médaille.

M. Gailhard a quitté Paris vendredi, partageant ses vacances entre l’Ariège et les Pyrénées. M. Bertrand était rentré le même jour d’Uriage, pour reprendre à son tour la direction de l’Opéra.

— De son côté M. Carvalho, qui était à Étretat, est venu passer quelques jours à Paris, appelé par le concours d’opéra-comique au Conservatoire avant de se rendre à Contrexéville.

— Mardi prochain, à 2 heures, aura lieu le concours pour l’obtention de la place d’organiste du grand orgue de la basilique de Saint-Denis, sous la présidence de M. Widor. Les épreuves imposées sont 1o accompagnement d’un plain-choit soit à la basse, soit à la partie aiguë ; 2o improvisation d’une fugue ; 3o improvisation d’une pièce symphonique ; 4o exécution par cœur d’une pièce de Bach.

— Le ministre de l’instruction publique fera procéder, le 11 août prochain, à l’adjudication des travaux de couverture, de plomberie et de parquetage de l’Opéra-Comique, sur un devis s’élevant à 224.300 francs.

-L’exposition des plans du palais de 1900, qui occupe en ce moment une partie des locaux du palais de l’Industrie, se trouvant prolongée jusqu’au 27 juillet, l’exposition du théâtre et de la musique se voit obligé de retarder de quelques jours son ouverture. L’inauguration en est reportée au mercredi 29 juillet, à 2 heures, sous la présidence de M. André Lebon, ministre des colonies.

— Voici les résultats des derniers concours de l’École classique de la rue de Berlin :

Accompagnement : 1er prix : Mlle Miel ; 2e prix ; Mlle Pélicier ; 1er accessit : M. Quénolle, élèves de Mlle A. Magnien.

Piano supérieur : classe hommes, pas de premier prix ; second prix : M. Quénolle ; 1er accessit : M. Bourgeois, élèves de M. Rosen — Classe femmes (morceau d’exécution : Caprice romantique de Charles René) : 1er prix à l’unanimité Mlle Toussaint ; 1er prix : Mlle Hayem ; 2e prix à l’unanimité : Mlle Soulé ; 2e prix ; Mlles Coindriau et Petit ; 1er accessit : Mlles Mathieu et Pélicier ; 2e accessit : Mme Lereoux, Mlles Laflolay et Miel, toutes élèves de M. Chavagnat.

Opéra (femmes) 2e prix à l’unanimité : Mlle Brack ; 1er accessit à l’unanimité : Mlle Braquehais.

Opéra (hommes) 1er prix à l’unanimité : M. Debray ; 2e accessit à l’unanimité M. Germain.

Opéra-Comique (femmes), 2e prix à l’unanimité Mlle Braquehais ; 1er accessit : Mlle de Witte ; 2e accessit à l’unanimité : Mlle Saint-Martin.

Opéra-Comique (hommes), 1er prix : M. Debray, tous élèves de M. G. Herbert.

La distribution des prix aura lieu au théâtre des Batignolles, le jeudi 30 juillet, sous la présidence de M. Beurdeley, maire du 8e arrondissement.

— On a donné mardi dernier, au casino de Vichy, la première représentation d’un opéra-comique inédit en un acte, Dernier Amour, paroles de M. Paul Berlier, musique de Mme Gabrielle Ferrari, compositeur aimable bien connue par nombre d’œuvres intéressantes. Ce joli ouvrage, qui a obtenu un succès complet, était joué à ravir par Mlle Charlotte Wyns (Colombine), M. Clément (Pierrot) et M. Melchissédec (Scaramouche).

NÉCROLOGIE

C’est avec un vif regret que nous annonçons la mort d’un excellent artiste qui était un parfait galant homme, Théodore-César Salomé, organiste du petit orgue de la Trinité. Salomé, qui était né à Paris le 20 janvier 1834, avait fait au Conservatoire d’excellentes études sous la direction de Bazin pour l’harmonie et d’Ambroise Thomas pour la fugue et la composition, et il avait couronné une brillante carrière scolaire en obtenant à l’Institut, en 1861, le premier second grand prix de Rome. Malgré ce succès, il ne se produisit pourtant guère comme compositeur, il fit seulement exécuter à la Société nationale de musique divers fragments de symphonie et publia, avec quelques morceaux de peu d’importance, un recueil de dix pièces d’orgue. Salomé était un excellent camarade, très cordial, qui sera vivement regretté de tous ceux qui ont été à même de le connaître. Il est mort à Saint-Germain, où ses funérailles ont eu lieu mercredi dernier.

A. P.

Henri Heugel, directeur-gérant.