Nouvelles de Batacchi (édition Liseux)/Madame Lorenza


MADAME LORENZA
NOUVELLE EN DEUX CHANTS


À MON CHER Li Msi


Je suis étonné moi-même de n’avoir pas encore dédié une Nouvelle à un ami si cher. Pardonne-moi ce tort involontaire, fais bon accueil à Madame Lorenza. Sois heureux de tes avantages, qui valent bien ceux du père Alfonso ; ne doute pas de ma constante amitié, et porte-toi bien.



MADAME LORENZA


˜˜˜˜˜˜˜˜


CHANT PREMIER


La guerre est chose affreuse ! Alors qu’en sa colère
Le Dieu des combats tord ses moustaches,
Brandit comme un fou son sabre ensanglanté,
Taille les armées en morceaux comme des raves,
Abat les murailles, et de tous côtés répand
La faim, la misère, le deuil et les larmes,

Vénus, sa compagne inséparable,
Le suit, et quand la querelle s’échauffe,
Pour se faire belle dans un ruisseau elle se baigne,
Elle ajuste ses vêtements, arrange sa blonde chevelure,
Puis, parcourant avec lui tout le pays,
Elle l’infeste de viols et de mal Français.

Lorsque, cantonnées dans quelque ville,
Qu’elles soient de passage ou en quartiers d’hiver,
Les armées vaincues ou victorieuses y séjournent,
Il se fait à cause d’elle un charivari perpétuel :
Les femmes, de l’Orient à l’Occident,
Ont toujours été le passe-temps des héros.

10


Le grand Alcide courait après les jupes ;
Le vaillant Achille se délassait avec Briséis ;
César subjuguait autant de beautés Romaines
Et étrangères qu’il en pouvait trouver ;
Et Marc-Antoine, pendant son séjour en Égypte,
S’en donna tant, qu’il y trouva la mort.

Ce n’était pas un coureur de femmes, que ce pieux Troyen
Que Virgile dépeint comme un lourdaud,
Qui était toujours, le rosaire en main,
À pleurnicher devant Jupiter à la grande barbe ;
Mais, à la fin, il s’enflamma pour la belle Lavinie ;
Il se fit rappeler à l’ordre par l’Église, et l’épousa.

Le fils de Philippe, en conquérant
La Perse, avait toujours quelque nouvelle maîtresse.
Roland fit pour les femmes mille folies,
Et Renaud en fit presque autant.
Henri quatre combattait à pied et à cheval,
Puis il couchait avec la belle Gabrielle.

Ce ne sont pas seulement les généraux, les guerriers de haut rang

Qui s’empressent de rechercher cette distraction ;
Mais encore les petits héros, les subalternes,
Se permettent de tels divertissements.
Toujours les petits ont singé les grands,
Comme vous le verrez par le fait que je vais vous conter.

Marco Basetta, dit Refenero,
Était empereur de Cischeri ;
Dur, arrogant et cruel par nature,
Il malmenait les uns, menaçait les autres,
Et souvent, comme c’est la coutume des batailleurs,
Il se faisait donner rudement sur le museau.


Toujours il imaginait de nouveaux projets
Pour agrandir sa juridiction ;
Sur la mappemonde à chaque instant il s’emparait
D’un royaume, d’une province, d’une nation ;
Puis il perdait, en cherchant querelle à ses voisins,
Son argent, ses provinces et sa réputation.

De surprendre le royaume de Roviglio
Il prit un jour la résolution, et de ses États
Il sortit en traînant à sa suite une troupe nombreuse
De héros demi-nus et affamés ;
Et, après de longues marches, sur le soir,
Il arriva dans le duché de la Forêt Noire.

Là, il résolut de faire une halte
Pour sécher sa martiale sueur,
Et parce qu’un léger rhume fatiguait
Les suaves délices de son cœur,
Dont il ne pouvait rester séparé une demi-heure,
Madame Lorenza, duchesse de Cul-rond.

Cette dame, que Refenero aimait tant,
Possédait à un tel degré l’adresse féminine,
Savait si à propos employer le rire
Et les larmes, et rougir et pâlir ;
Il y avait dans ses discours tant de ruse,
Qu’elle lui faisait faire tout ce qu’elle voulait.

Elle aurait donné des leçons à messer Pluton,

Elle était maîtresse en l’art de tromper, amie des détours,

Gracieuse, séduisante, friponne ;
Affectant la chasteté, elle était si impudique
Que, dit Bellarmin en parlant d’elle,
Elle était déjà putain au cou de sa nourrice.


Fille d’un aubergiste, elle fut mariée
Pendant un an à Titta Vetturino ;
Son mari mort, elle fut prise pour servante
Par un curé qui lui enseigna le Latin ;
Après cela, un capitaine de navire la prit
Et par deux bouches à la fois lui apprit le Français.

Ensuite, elle servit un maître de chapelle,
Qui la produisit comme prima donna ;
Mais, bien qu’elle fût extrêmement belle
Et qu’elle levât volontiers sa jupe,
Elle détonnait tellement, avait des gestes si faux,
Qu’elle fut sifflée partout où elle parut.

Elle abandonna le chant, et comme elle était
Très portée pour le théâtre et pour le jeu d’amour,
Afin de tirer parti de son joli minois,
Elle se fit revoir sur la scène
En qualité de première figurante ;
Et alors, le comte Rapa devint son amant.

Il l’épousa et en fit une comtesse,
Il la mit sur un grand pied et l’introduisit à la Cour ;
On dit d’elle que le soir même
Des noces, elle lui fit les cornes,
Et, depuis ce moment, elle conquit
Le cœur dur et revêche de Refenero.

Le comte alors eut des sequins à plein sac,
Il fut fait duc et grand commandeur
Des chevaliers de Santa Bucignacca ;
Il jouit de la faveur du monarque,
Que Refenero accordait sans difficulté
À qui savait porter les cornes et le bât.


Le duc de la Forêt Noire était un bonhomme
Qui avait peur de Marco Basetta ;
Et comme, ainsi que tout homme de bien,
Il cherchait à éviter les ennuis,
Il supporta péniblement l’obligation
De loger ce fou dans son palais.

Marco Basetta crut lui faire honneur
Et s’installa chez lui avec sa Cour ;
Un édit imprimé fut aussitôt publié
Qui fit blasphémer tout le pays ;
Aux officiers, tant d’infanterie que de cavalerie,
Les habitants devaient donner le logement.

Un certain Masuccio, avec sa femme,
Sa fille et une servante, habitait là ;
Et le sort leur donna pour hôtes
Un homme de robe et un guerrier,
C’est-à-dire le chapelain du régiment,
De l’ordre des Franciscains, et un capitaine.

Quatre petites chambres dans une tour, une au rez-de-chaussée,
Une au premier, au second et au troisième étage sous le toit,
Une cuisine auprès d’un gentil petit jardin,
Composaient leur très étroite demeure,
Et, pour monter, il y avait trois escaliers se faisant suite,
Raides, construits sur un des côtés.

Le bon Masuccio avec sa femme résolut
De rester au rez-de-chaussée ; il donna au capitaine
Habitué à de plus riches appartements
Le premier, et au Franciscain le second étage.
Du troisième, avec son charmant minois,
L’angélique Rosina faisait un paradis.


Rosina était fille de Masuccio,
Vierge, chaste, pudique et innocente.
Avec elle partageait son lit
Une servante fraîche et avenante,
Mais, de ces beautés communes
Descendues depuis peu de la Falterona.

Le moine et le guerrier ne tardèrent pas
À jeter leur dévolu
Sur la belle Rosina ; le dieu d’Amour
De ses flèches leur perçait le cœur à chaque instant,
Et leur tenait des heures entières l’esprit occupé
De projets analogues à leur métier.

Toutes les fois que la belle fille
En allant à sa chambre remontait l’escalier,
Ils venaient sur leurs paliers, et les yeux
Pleins d’admiration, la tête en l’air,
Ils s’efforçaient de découvrir le beau pays
Où le harnais masculin cherche à se loger.

« Oh ! qu’il soit mille fois béni, »
S’écriait à tout moment le Franciscain,
« Le brave et habile architecte
» Qui a fait des escaliers si droits !
» C’est grâce à lui que la toile envieuse
» Ne cache pas à mes yeux de si beaux trésors.

» Mais… le Capitaine, plus heureux que moi,
» Demeure plus bas et prolonge sa jouissance.
» Ah ! comme je le vois rester là planté !…
» La tête en l’air !… Et comme il allonge le cou !…
» Pendant qu’elle gravit quinze marches, il peut m’enlever
» Le plaisir de contempler de si belles formes.


» De là, en bas, où il est, certainement il lui voit les cuisses,
» Que moi, en me tenant ici, je ne puis bien voir ;
» Dans cette obscure retraite, d’un prix bien supérieur
» À la lumière du soleil, il fait peut-être pénétrer ses regards !
» Ah ! puissé-je par une conjuration magique
» Changer en mur mon manteau !

» Ah ! qui sait quelle flamme ardente
» Lui allume au cœur ce spectacle charmant !
» Peut-être aspire-t-il déjà à voir encouragé
» Et favorisé son dessein de tout entreprendre !
» Je saurai le prévenir… ce qu’il regarde,
» Ma main ne tardera pas à le toucher. »

Pendant qu’il exhale ainsi sa jalousie,
Le Capitaine de la même façon
Laisse éclater la peine cruelle qui le ronge :
« Ah ! ce moine loge plus haut que moi !
» Un court escalier le sépare…, il couche juste dessous ;
» Qui sait combien le tente ce friand morceau ?

» Aussitôt qu’elle passe, il vient dehors ;
» Il lève la tête, l’accompagne des yeux,
» Et, de voir cette beauté qui m’inspire tant d’amour
» Montant son escalier comme une montagne escarpée
» Il m’empêche avec son maudit manteau ! Ah ! c’est ainsi
» Que les nuages obscurcissent les rayons du soleil ! »

L’âme remplie de semblables pensées,
Ils se montraient le jour tristes et affligés ;
Ils ne goûtaient la nuit ni calme ni repos :

Ce n’étaient pas leurs cheveux qui se dressaient, mais autre chose.

Pendant ce temps, la modeste et jeune vierge
Dormait tranquille dans son humble chambrette.


Ainsi parfois, une naïve brebis
Erre sans crainte dans la forêt,
Cherchant le ruisseau et l’herbette fleurie,
Et ne sait pas quel sort horrible et funeste
Lui prépare dans le précipice voisin,
En grinçant des dents, le loup féroce.

Innocente, elle ne se méfiait pas d’autrui,
Et jamais ni de jour, ni pendant la nuit sombre,
Dans sa chambre elle ne s’enfermait à clef ;
Pendant qu’elle vivait, si confiante,
Dans l’ombre et le silence, ses trésors
Des ravisseurs excitaient la convoitise.

Le jour était loin de paraître
Et les ténèbres couvraient encore la terre,
Quand Brigida se lève ; auprès du lit
Elle s’habille ; à se démancher la mâchoire
Elle bâille, elle fait le signe de la croix
Et dit à voix basse un Pater noster.

Puis, tout endormie, elle prend les escaliers
En tirant à elle la porte de Rosina ;
Pour faire le pain et le reste de sa besogne
Par l’escalier elle descend à la cuisine,
Et, pour sa maîtresse, qui lui est si douce et si chère,
Elle ne sait pas quel terrible malheur se prépare.

Rosina avait l’habitude de goûter un doux repos
Sur le duvet moelleux, jusqu’au moment
Où le soleil apparaissait hors du vaste empire des eaux ;
Et alors, plus belle que la blonde Aurore
Quand elle se montre dans la voûte étoilée,
La jeune fille exposait au jour sa charmante beauté.


Les parents à cheveux blancs et les maris
Tenaient les yeux bien ouverts dans ce pays,
Craignant d’être pourvus de cornes
Par les courtisans, les hommes de guerre :
Seul, Masuccio dormait, parce qu’il ignorait
Combien cette race est hardie pour telles entreprises.

Mais, qui aurait pu craindre qu’un insolent
Mortel s’occupât alors de machiner,
Audacieusement et sans égards,
Ce que les Dieux eux-mêmes ont fait en tremblant ?
Quand il voulut plaire à son doux trésor,
Jupiter se changea en pluie, en cygne, en taureau.

Tout autre galant homme, excepté un moine,
Selon l’exemple de Jupiter en pareil cas,
Aurait mis en œuvre de douces manières
Pour masquer son désir brutal ;
Mais l’âme d’un moine est si endurcie,
Qu’elle outrepasse les bornes de la nature.

Pendant que la servante descendait, le Chapelain
L’entendit passer ; à sa démarche lourde et lente
Il la reconnut, ainsi qu’à son pas grossier,
Et il ne fut pas long à quitter son lit.
Le militaire la reconnut également
Et pensa à profiter de l’occurrence.

À la hâte il enfile sa jaquette
Et ses culottes, et vers la porte se dirige ;
Mais déjà dans la chambre au-dessus
Il entendait le Chapelain marcher ;
Il frémit de rage, il tend bien l’oreille
Et l’entend monter vite l’escalier.


Tel, lorsqu’il est venu pour soigner un riche malade
Qui a la fièvre chaude ou quelque autre maladie grave,
Reste le docteur, s’il le trouve levé
Et se faisant faire la barbe pour aller se promener,
Et si avec des manières polies et beaucoup de bonne grâce
On le met dehors en le remerciant ;

Tel reste le Capitaine : en attendant, le moine
S’enferme dans la chambre tant désirée ;
Son rival l’entend, et : « Fils de vache ! »
S’écrie-t-il furieux, « tu m’as mis dedans !
» Un escalier de moins !… Oh ! que faire ?
» Si je monte, nous nous querellerons.

» Il y aura du tapage… Les vieux entendront
» Et feront changer leur fille de chambre.
» Ainsi, pour lui faire du tort, je m’en ferai à moi-même…
» Patience !… au moins pour cette seule fois ! »
Il dit, et couvrant sa tête de son bonnet de nuit,
Il revient sur ses pas, soupire, et se met au lit.

Mais il n’a pas de repos ; la jalousie
De sa main glacée lui comprime le cœur :
L’amour à son imagination en délire
Peint son heureux rival, comme s’il était présent.
Il lui semble le voir, étendu sur les plumes,
En train d’embrasser celle qui est son idole,

Et de palper les pommes d’une poitrine de neige
Et des fesses dodues, et les plus secrets appas.
L’esprit obsédé de ces lubriques images,
Il est fou et ne peut reposer sur aucun côté ;
Fatigué à la fin de subir un jeûne si cruel,
Il en appelle cinq au secours d’un seul.


Pendant ce temps, comme si sur des épines ou des coques d’œufs
Il marchait, le Chapelain avance lentement ;
Il va tâtonnant le long du mur, et enfin trouve
Le lit où l’aimable Rosina
Était plongée dans un doux repos,
Proie facile pour un luxurieux agresseur.

Il étend la main, il rencontre un bras charmant
Tel que les sculpteurs Grecs n’ont rien fait d’égal ;
À ce contact, la flamme se répand en lui
De la pointe des pieds aux cheveux ;
Ainsi l’étincelle, au souffle du vent,
Embrase la steppe aride en un clin d’œil.

Cinq fois et six, sa lèvre hérissée
S’approche de ce bras et y imprime de faibles baisers ;
Il soulève le drap ; dans le lit auprès d’elle
Il voudrait se fourrer, mais il sent quelque chose contenir
Sa honteuse et sensuelle ardeur :
Il ne sait si c’est le respect ou la crainte.

Tantôt il ose, tantôt il a peur ; déjà il est
Incliné, déjà il a un pied dans les draps,
Sur le lit déjà il a appuyé son bras droit,
L’autre pied touche encore terre,
Et la main gauche, d’un mouvement lent
Et doux, semble nager dans l’air insaisissable.

Il reste ainsi en équilibre et, inquiet,
Écoute attentivement si elle se réveille ;
Il voudrait retenir jusqu’à son souffle.

Elle ne l’entend pas, plongée qu’elle est dans un profond sommeil ;

Cette facilité et l’expérience
Remplissent l’âme du Moine d’une criminelle audace.


Son cœur agité par des palpitations
Redoublées, lui martelle fortement la poitrine ;
Il a la bouche sèche ; ses yeux largement ouverts
Dans les ténèbres font le même effet
Que ceux d’un chat, alors qu’en une chambre obscure
Il s’introduit et fait peur à tout le monde.

À la fin, il s’étend dans le lit. Le Capitaine,
Après avoir travaillé à lui tout seul
Très peu de la tête, mais beaucoup de la main,
Son ardeur calmée, s’était assoupi :
Ah ! le pharmacien ni le docteur n’ont pas
Si bon remède contre le mal d’amour :

Remède utile et qui ne coûte pas d’argent,
Nécessaire aux abbés, aux écoliers,
Ressource d’un vaste couvent tout entier,
Douce consolation des séminaires,
Distraction agréable pour les navigateurs,
Et calmant pour les amoureux supplantés.

Checca !… Ah ! cruelle Checca ! il y a bien des jours déjà
Que je souffre de tes caprices et de ta rigueur ;
En vain je prie, en vain j’espère que Cupidon
Finira par te réchauffer le cœur !
Grand sot que je suis ! Je pourrais guérir,
Et je n’emploie pas le remède qui conviendrait à mes maux.

Mais revenons au Moine ; déjà il a glissé,
Quoique en tremblant, sa main avide
Sur des tetons dont la blancheur surpasse
Celle de la neige et du lys dans la campagne ensoleillée,
Et, à leur bout, il en agite
Doucement, doucement, la petite fraise couleur de rose.


Déjà il a baisé une lèvre vermeille,
Chose à enivrer les cœurs les plus froids ;
Déjà il a mêlé sa puante haleine à ce souffle
Dont le parfum l’emporte sur celui des fleurs,
Et… ô plaisir digne des Dieux suprêmes !
Il embrasse Rosina, il est serré dans ses bras.

La pauvre fille, qui dormait sur le dos,
Croit que c’est sa bonne servante qui l’embrasse ;
Alors le Moine abaisse sa main impure
Jusqu’aux lieux où l’Amour réside comme dans son palais ;
Pulchra femora divaricare aggreditur,
Conscendit in eam
et se prépare au grand œuvre.

Voici qu’il approche du but charmant
Sa lance, dès longtemps habituée à pareils coups ;
Il se laisse aller, énorme fardeau,
Sur l’aimable fillette endormie,
Et, d’un violent effort, il rompt les barrières
Qui fermaient l’accès du plaisir.

Elle s’éveille, jette un cri, et telle
Qu’un ressort d’acier qu’un fil de fer a comprimé,
Elle saute en l’air avec élasticité ;
Pour se soustraire au poids effrayant qui l’accable,
Elle abaisse son ventre, puis le soulève, et remuant
Les reins, elle secoue et désarçonne l’ignoble amant.

Ô tourment ! Ô douleur ! il était sur le point
Veneris aram inundare
Prolifico liquore
 : la violente secousse
Qui lui fit quitter la selle lui fut bien pénible ;
Il se tut, et in linteis il acheva
Le sacrifice furtif et imparfait.


Rosina, étonnée, tout autour d’elle
Tâte les matelas de sa main d’ivoire ;
Une idée confuse de douleur, d’infamie, de honte
L’agite, elle cherche en vain à la chasser ;
Mais, revenue à elle plus complètement, elle sent le Moine
À ses côtés et crie vaillamment :

« À l’aide ! au secours !… Va-t’en, esprit malfaisant !
» Qui es-tu ? Que veux-tu ? Pourquoi es-tu venu ici ? »
Il ne répond pas, et elle, à pleine gorge :
« Ah ! traître ! » s’écrie-t-elle, « à l’aide ! au secours ! »
Le moine en silence pose le pied à terre,
Descend l’escalier et s’enferme dans sa chambre.

À ces cris, le Capitaine éveillé
Court à la porte et reste sur le seuil.
Masuccio, le plus stupide des pères assurément,
Qui dormait au rez-de-chaussée, lève la tête,
Écoute, et, pouffant de rire,
Il appelle sa femme et lui parle en ces termes :

« Crezia !… Eh ! Crezia !… n’entends-tu pas comme glapit
» Brigida ? Ah ! diable ! Ces militaires !
» Sûrement le Capitaine la lutine…
» Mais… c’est affaire entre galérien et marinier…
» Cette fille n’est pas sotte du tout…
» Laissons-les un peu faire, arrive qui plante ! »

Crezia, ouvrant la bouche à un bâillement
Semblable à un hurlement de loup garou :
— « Masuccio, » lui répond-elle, « je vous conseille
» De vous lever vite, et d’aller mettre le holà…
» — Oh ! » réplique le mari, « je n’ai pas coutume
» Par de tels froids de mettre le nez à l’air. »


Père stupide ! Il était bien loin
De deviner quelle était l’actrice de pareille scène ;
Brigida, qui entendit au troisième étage
Crier à tue-tête sa jeune maîtresse, dit :
« Que peut-il y avoir ? » Elle laisse là ses affaires
Et d’un pied agile monte les escaliers.

Au premier étage à peine elle était arrivée,
Que le Capitaine, qui se tenait sur la porte
Depuis qu’il avait entendu la voix de Rosina,
L’empoigne, l’emporte à son cou
Sur le lit, lui lève la cotte et exhibe
Le père commun des petits et des grands.

Telle fut la surprise dont fut saisie
Notre Brigida à cette attaque imprévue,
Que, désormais privée de tout sentiment,
Elle ne parut s’apercevoir ni du contact, ni du mouvement ;
Mais une note de Turpin dit ici
Qu’elle faisait la chattemitte.

Revenue à elle, comme une anguille dans l’eau
Elle se met à se démener sur le lit.
À la fin, par convenance, elle poussa les hauts cris, elle aussi,
« De grâce !… arrêtez !… lais… laissez-moi tranquille ! »
Le Capitaine va son train,
Brigida se tait, elle rougit, elle frétille.

La pauvre Rosina s’était aperçue
De l’outrage que lui avait fait ce vilain Moine ;
Pour courir auprès de son père elle ouvrait la porte,
Quand les cris poussés par sa servante
Parvenant à son oreille, craintive, elle s’arrêta
Et pour le moment ne vint pas en bas.


Le travail achevé, le Capitaine observe
Si par hasard quelqu’un se montre sur l’escalier,
Puis il met un écu dans la main de la servante
Et la flanque vite à la porte.
Elle demeure plus confuse que reconnaissante,
Et retourne à la cuisine faire le pain.

Masuccio, qui n’avait pas bougé du tout
Et qui, tranquillement, avait repris son somme,
Fut par sa femme deux ou trois [fois] secoué :
« Éveille-toi, » lui dit-elle, « j’ai entendu un autre cri,
» Allons, lève-toi… — Il n’y a pas de danger, »
Lui répondit-il, « tant que j’ai le trou du cul sauf.

» Laisse-moi tranquille, j’ai envie de dormir. »
Il se retourne et cède au sommeil tentateur :
Au bout de peu de temps, dans sa chambre,
Gémissante, tremblante, épouvantée,
Entre sa fille, qui l’appelle par son nom,
Et qui sanglote, et qui s’arrache les cheveux.

Puis, à la clarté d’une terne et faible lumière
Suspendue devant une image sacrée,
Elle s’approche du lit, et, tout en fondant
En larmes, elle raconte son affreuse aventure.
Masuccio, furieux : « Tu ne plaisantes pas ? »
S’écrie-t-il, « et quel est celui de ces deux brigands ? »

— « J’étais couchée, » répond-elle, « je dormais,
» Dans l’obscurité, je n’ai pu le reconnaître. »
Masuccio paraît entendre et voir,
Mais son visage est devenu couleur de plâtre ;
Il est stupéfié de la tête aux pieds,
Il n’entend pas, il ne parle pas, il n’y voit pas.


À la fin, il poussa un si affreux juron,
Que le diable en fut scandalisé !
Il réfléchit, puis il dit : — « Ah ! je n’y comprends rien !
» Cette histoire me paraît assez embrouillée !
» Dormir et ne pas entendre !… c’est chose étrange !
» Il faut avoir l’oreille bien dure ! »

Cependant, il avait sauté à bas du lit tout nu ;
Il s’habilla en toute hâte, et, le visage renfrogné,
Il prit une longue épée, un poignard,
Deux pistolets, une lance, une arquebuse,
Et, devenu ainsi un véritable arsenal,
Il se mit à faire la ronde à travers les escaliers.

Et il cria : — « Où est ce vilain âne
» Qui va de nuit embêter les femmes ?
» Montre-moi ton affreuse face,
» Espèce de Mars manqué !… Mâchonneur d’Eleison !
» Qui que tu sois, ne te cache pas, sors,
» Je te veux mettre tes boyaux dans la main ! »

Mais le Chapelain avait fermé sa porte
Et laissait l’imbécile crier en vain.
Après avoir passé sur le ventre de la servante,
Le Capitaine s’était remis au lit ;
Il se leva, et, poussant le verrou,
« Chante ! » se dit-il à part, « chante, nigaud ! »

Voyant que personne ne fait attention à lui,
Masuccio descend retrouver sa servante :
À tout ce que lui demanda son maître, celle-ci
Répondit, le visage tranquille :
» Le vin fait-il sur vous son effet accoutumé ?
» Ou bien avez-vous sali votre lit ? »


— « Je ne suis ni saoul, ni fou, » répliqua-t-il ;
« Qui a été dans la chambre de Rosina ?
» — Moi, » reprit-elle, « voyez, j’ai fait le pain,
» Et je ne suis pas sortie de la cuisine…
» — Mais n’as-tu pas entendu certains cris étranges ?
» — Ce sont les chats, qui crient parfois comme des Chrétiens. »

Notre Rodomont, mal satisfait,
Retourne faire la ronde sur les escaliers ;
Mais Apollon, sortant tranquillement des ondes,
Répandait à l’horizon des flots de lumière :
Masuccio, désespérant de réussir dans son entreprise,
L’abandonna ; ses armes le fatiguaient.

Il rentre dans sa chambre, et médite
Mille et mille projets de vengeance.
Après de longues réflexions, il se décide enfin
À se transporter en toute hâte au palais ducal,
Et à rapporter un fait si atroce et si noir
Au grand Marco Basetta Refenero.

Cette résolution prise, il s’habille de pied en cap,
D’un vêtement qui avait été bleu jadis ;
Il met sa perruque des jours de fête,
Et une belle chemise blanche ;
Il court au palais, et, à un chambellan qu’il voit,
Il demande une audience de l’Empereur.

Le courtisan le regarda un peu au visage,
Se frotta les mains un petit moment,
Branla la tête, fit la moue,
Puis s’écria : — « Vous êtes fou !
» Vous voulez une audience ? Et à cette heure ?
» L’Empereur vient de se mettre au lit à l’instant.


» Croyez-vous que le jour des souverains
» Puisse commencer en même temps que celui des paysans ? »
Masuccio, se trouvant en présence
D’un seigneur en galons et en manchettes,
La poitrine couverte de médailles et de pendeloques,
Se disait à part lui : « Je ne l’aurais jamais cru ! »

Et il s’en serait volontiers allé,
Pensant que dans un trouble plus grand
La vue de son souverain le mettrait
Au point de faire, peut-être, dans ses culottes ;
Cependant, il prit courage et dit : — « Seigneur,
» Dites-moi donc comment faire ? »

— « Oh !… » répliqua le courtisan, « prenez une feuille de papier
» Et rédigez votre supplique ;
» Mais expliquez la chose sans imbroglio,
» Et ne faites pas un tas de bavardages.
» L’Empereur, quand il voit une longue tartine,
» S’en essuie… vous m’entendez ?… et vous êtes frit !

» Adieu, revenez ici vers deux heures.
» — Veuillez me pardonner, illustrissime seigneur, si j’ose…
» — Je vous salue. — Mais si l’Empereur…
» — Oh ! votre serviteur ! brave homme, mes hommages.
» — Ah ! seigneur, si vous saviez mes malheurs !
» — Vous m’avez joliment scié le dos. »

Quand vous appelez en riant un bel enfant
Et que vous lui montrez des fruits ou des dragées,
Si, au moment où il tend sa gentille petite main,
Vous froncez le sourcil et remettez les bonbons en poche,
Il est moins confus et moins étonné
Que le bon Masuccio à cet accueil étrange.


La tête basse, il retourne à la maison
Et il agite une tempête de pensées ;
D’une crainte excessive il a l’âme opprimée
Et il en resterait là volontiers ;
Mais sa jolie fille qui se lamente, se désespère
Et s’arrache les cheveux, lui donne du courage.

Il rédige en peu de mots sa supplique,
Espérant s’expliquer mieux de vive voix ;
Vers le palais il se dirige avec empressement.
Aussitôt que sonne l’heure fixée,
Il arrive, et à chacun il demande en hâte
Qu’on le présente au grand Marco Basetta.

On va, on vient, on entend une sourde rumeur
Et un grand bruit de pieds sur les escaliers ;
Il parle à tout le monde, personne ne lui répond,
Pensez s’il le trouvait mauvais !
En vain il répète à tous les courtisans :
— « Me voici, c’est moi qui suis venu ce matin. »

À la fin passa par hasard le chambellan
À qui de bon matin il avait parlé.
— « Ah ! vous voici !… Peut-être aurez-vous fait
» Le voyage inutilement… il est fort occupé…
» Et puis il ne voudra pas se mettre à bavarder
» Au moment d’aller dîner. »

Masuccio lui fait tant d’instances
Que, pour se débarrasser de ces importunités,
Le courtisan pour lui bien vite demande
Une audience : — « Passez tout de suite, »
Fut la réponse qui, en un même instant,
Remplit Masuccio d’espérance et d’effroi.


Avant d’arriver là où trônait
Refenero dans un cabinet doré,
Le suppliant devait traverser la salle
Où le festin était préparé ;
Déjà sur une table immense répandent leur fumet
Des viandes exquises en abondance.

Mille objets divers en un instant
Fascinent les yeux du pauvre Chrétien ;
Des choses qu’il n’a jamais vues ni imaginées auparavant
Se présentent à lui à chaque pas ;
Partout où il tourne son regard curieux,
Il voit de merveilleux objets.

Les statues, les peintures, la perfection
Des tapisseries, la richesse du linge,
Les préludes des instruments babillards
Dont il entend le bruit dans la tribune,
Le beau parquet, la haute coupole,
Lui font croire qu’il est dans un autre monde.

Ainsi que sur les monts on voit
Les pierres prodiguées par la main de la Nature,
Ainsi, partout où il porte lentement ses pas,
Ce ne sont que vases d’or et d’argent, de forme
Étrangère, admirable, et enrichis de pierres précieuses
À faire honte à nos antipodes de l’Inde.

D’une cuve d’argent sortent le fumet
D’une soupe exquise et l’odeur d’un potage nourrissant ;
Immenses dans la superbe salle se dressent
Deux bœufs entiers, avec leur tête et leur queue ;
Auprès d’eux on voit deux baleines :
Tel a toujours été le bouilli de Refenero.


Cent vingt chevaux en fricassée
Étaient là ; c’était l’énorme entrée ;
Une couple de chameaux rôtis
Faisaient très belle figure ;
Les moutons, les agneaux, les cochons
Étaient amoncelés comme sont les biscuits.

Deux grands paniers s’élevaient, pleins de bouteilles
Des vins les plus exquis, blancs et rouges,
Rapportés à très haut prix, à prix fous,
D’au delà des mers par des marins étrangers,
Et portant des noms si étranges, qu’à qui les entendait
Ils paraissaient tirés de l’Apocalypse.

Pages, et majordomes, et chambellans,
Sénateurs, sénéchaux, conseillers,
Inspecteurs et cent autres fainéants,
Comtes, ducs, marquis, chevaliers,
Poudrés, vêtus de riches habits,
Se tenaient respectueux autour du potage.

Tel un petit enfant reste interdit, quand il voit
Pour la première fois la lanterne magique :
Il la regarde attentif et n’en croit pas ses yeux,
Et ne peut comprendre par quelle magie se peint
Tantôt un arbre, tantôt un géant ou un monstre affreux,
Tantôt Arlequin, sur le mur opposé.

Ainsi Masuccio demeure immobile dans cette salle
Et ne peut pour ainsi dire faire un pas ;
Ce qu’il voulait dire lui est sorti de la tête :
En vain il veut, l’échine basse, méditer
Les sept révérences, le compliment
Et la façon d’exposer sa plainte douloureuse.


Ou il ne pense plus à l’injure reçue,
Ou elle lui paraît un rien, une misère ;
Il sent son cerveau vide, sa langue muette,
Il désire tantôt rester, tantôt partir.
Ainsi, confus et incertain, il s’avance
Auprès de Refenero qui est assis, l’air farouche.

Il lui prend alors un tremblement si fort,
Qu’on le dirait saisi par la fièvre quarte ;
Et, plutôt que de se retrouver à pareille aventure,
Il préférerait voir sa fille putain,
Excommuniée par la Sainte Église,
Tant est lourd le poids qui pèse sur son cœur.

Cependant il dit : « Majesté… ma fille…
» Et on n’y voyait pas… Le Capitaine…
» La servante… et elle pleure, et rien ne la console…
» L’honneur ! ou bien ç’aura été le chapelain…
» Pardonnez, de grâce, si je m’embrouille !…
» Vous lirez le fait sur ce papier. »

Ce disant, il fouilla dans toutes ses poches,
Et, le visage couvert d’une pâleur nouvelle,
Il s’imagina avoir perdu le papier,
Mais il vit ensuite qu’il l’avait mis dans son sein ;
Il l’en retire et le présente, craintif,
Sur son chapeau pelé et poudreux.

Le Monarque tend gravement la main,
Le prend et y jette les yeux,
Puis le replie, fait la moue,
Lève une épaule, se tourne d’un autre côté,
Et s’écrie : — « Oh ! mon fils !… c’est une affaire d’un genre !…
» Et vous venez à moi ?… Qu’y puis-je faire ?…


» Je croyais qu’il s’agissait de chose d’extrême urgence…
» Il suffit !… Revenez ici le soir,
» Portez votre papier à Madame Lorenza,
» Les femmes, en ces sortes de choses, ont plus d’expérience…
» Elles ont l’esprit qu’il faut pour de telles affaires…
» Voyez-la… Ce qu’elle fait est bien fait. »

Cela dit, Masuccio fut congédié,
Et, plus confus que jamais, revint sur ses pas.
Il rentra chez lui, presque décidé
À venger lui-même ses propres offenses.
Mais nos amoureux, en cette occasion,
Avaient suivi le conseil de Caton.

Enfermé dans une chambre avec sa femme,
Il lui raconte le supplice qu’il a subi,
Et s’écrie enfin : « Que me reste t-il à faire maintenant ?
» Faudra-t-il donc que j’aie recours à cette truie ?
» Ah ! puissé-je mourir bientôt dans un four,
» Si je retourne à cet odieux palais !

» Que Madame aille avec l’Empereur
» Se faire !… — Bah ! ne faites pas tant de tapage, »
Lui dit sa femme, « il y va de l’honneur ;
» Il faut aller parler à cette dame. »
Elle l’importuna tant et tant,
Qu’il y alla, comme vous le verrez dans l’autre Chant.




CHANT II




Voici Madame qui reparaît ; le temps me durait
De lui voir faire en scène son entrée pompeuse ;
Je l’avais toujours présente à la pensée :
Mais, en passant d’un sujet à un autre,
Le Lecteur, qui l’a peu connue,
L’aura sans doute presque oubliée.

Le soleil, au-dessus de la mer, colorait en rouge
Les nuages d’azur de ses rayons d’or,

Et, s’accompagnant d’un tambour de basque, la belle petite Duchesse

Détonnait en chantant : « Se ti perdo, o mi tesoro ! »
Marco Basetta était assis près d’elle
Et sentait à ces accents son cœur s’épanouir.

À ce moment entrait dans la demeure ducale,
L’âme enflée d’un courroux mal déguisé,
Amené là par la volonté de sa femme,
Son mémoire à la main, maître Masuccio,
Demandant à parler à la Duchesse ;
Et sa demande fut vite exaucée.

Avant qu’il arrivât, le grand Empereur
Mit la favorite au courant de l’histoire ;
Puis il lui dit : — « Il faut ici se faire honneur
» Au point que la nation en soit stupéfaite ;
» Examinez… réfléchissez… et puis après…
» Absolvez… pendez… faites ce que vous voudrez. »


Il part, et le bon Masuccio se présente ;
Il traîne les pieds et accumule les révérences,
Il présente son papier et n’ose parler ;
Madame rit et ne se lasse pas, à force d’affabilité,
De lui donner du cœur ; il fut beau de le voir alors
Lever la crête et jacasser comme un merle.

Elle s’informa de tout minutieusement,
Comme c’est la coutume d’un bon chancelier,
Mais à Madame Lorenza Masuccio
Répondait péniblement ; il parut hésiter
Quand il lui fallut dire qui, du Moine ou du Capitaine,
S’était rendu coupable de l’affreux attentat.

— « Quel qu’il soit, » dit la petite Duchesse,
« Il ne tardera guères à le payer cher ;
» En vain il a pris le parti de fuir
» Devant la rigueur des lois, devant ma sévérité.
» Je le découvrirai, il sera puni par moi…
» Oh ! cela ! je m’en souviendrai !

» Ah ! le porc ! s’attaquer à une femme pendant qu’elle est
» Plongée dans le sommeil, et qu’elle ne s’y prête pas !
» C’est le goût du cardinal Giovan Maria !
» C’est un acte des plus sales, des plus immondes ;
» Quiconque se procure un tel plaisir
» Ne peut avoir qu’une âme vile, grossière, brutale.

» Il ne peut se commettre au monde péché
» Qui soit, par les demi-Dieux de la terre,
» Poursuivi avec une plus cruelle rigueur
» Que celui dont ils se sont rendus coupables ;
» Ils cherchent ainsi à éviter l’infamie pour eux-mêmes
» Et à leur postérité ils veulent l’imposer. »


Ainsi cet acte indigne, de la Duchesse
Avait si bien excité la colère,
Que de sa justice elle avait le projet
De donner au monde un exemple archi-terrible ;
Mais… ô pensées mondaines !… il lui arriva
Une chose qui la fit bien vite changer de résolution.

Immédiatement devant elle elle fit appeler
Le père Alfonso, qui était le Chapelain ;
Par les soldats elle fit accompagner
Jusqu’à son appartement le Capitaine ;
La servante, la fille avec la mère
Y vinrent aussi, et elle retint le père.

Madame la Duchesse, qui entendait
Venger l’injure faite au beau sexe,
Ne voulut pas inutilement perdre son temps :
Elle commença donc le procès à la Turque,
Elle s’assit au tribunal, le visage sévère,
Entourée de dames de moins haut rang.

Aux fonctions d’assesseur, par l’unanimité des suffrages,
Sa femme de chambre fut ensuite élue ;
Elle était née sur les rivages reculés
De la Normandie ; elle s’appelait Con-gros ;
Plus flatteuse, plus complaisante,
Plus discrète confidente jamais n’exista.

Alors commencèrent les informations ;
Mais bien qu’elles fussent quelque peu probantes,
Les réponses, fort embrouillées,
Ne firent conclure ni peu, ni beaucoup.
Le Moine dit : « J’ai entendu avec grand vacarme
» Une femme crier dans la chambre d’en bas :


» Donc c’est le Capitaine. — J’ai entendu, moi aussi,
» Une femme crier, prise à l’improviste, »
Répliqua celui-ci, « vous êtes le coupable et non pas moi,
» Car ces cris venaient d’en haut. »
Masuccio, interrogé, répondit
Qu’il n’était sûr de rien et ne pouvait rien affirmer.

Brigida, vivement : — « Tous ces bruits-là, » dit-elle,
« Excellence, je ne les ai point entendus,
» Et cependant j’étais levée à la pointe du jour !…
» Hier soir on a vidé plus d’une bouteille,
» Et vous savez que boire plus qu’il ne faut
» Donne souvent quelque mauvais rêve. »

— « Ce n’est pas un songe que j’ai fait, » dit Rosina,
« Il n’est que trop vrai qu’un homme est monté sur mon lit ;
» Toi aussi, tu as crié fort ce matin :
» Au milieu de l’escalier j’ai entendu ta voix…
» — Ma voix ? » dit Brigida, « ne voyez-vous pas
» Que vous avez fait un rêve et le croyez réel ? »

— « Je le répète, mon malheur n’est que trop vrai, »
Reprit Rosina, « à ma grande honte
» Ma fleur virginale m’a été volée,
» Si bien que je n’ose plus lever les yeux…
» — Qui donc a fait le coup ? » demanda Con-gros, « est-ce
« Le révérend Père ou Monsieur le soldat ? »

— « Que puis-je dire ?… Accablée d’un profond sommeil,
Répondit Rosina,… « vous voyez bien…
» — Oh, parbleu ! » s’écria la Duchesse,
« Il paraît que vous dormiez bien fort ;
» Mais ne pourriez-vous pas, pour trouver ce misérable
» Qui vous a ravi l’honneur, donner un léger indice ? »


Rosina fixe les yeux sur les deux hommes,
Qu’elle mesure de la tête aux pieds ;
Puis, lentement, elle les baisse avec timidité
Et dit qu’elle ne voit en eux aucune marque, aucun indice ;
— « Quand… » ajoute-t-elle, « quand je m’éveillai,
» Je me rappelle que je poussai un grand cri ;

» Et, en étendant une main pour me délivrer
» Du poids énorme qui accablait ma poitrine,
» J’ai senti une tête… mais de me tromper
» J’ai peur… elle m’a paru sans cheveux…
» — Cela, » dit Con-gros, « ne prouve rien
» Et nous laisse dans l’incertitude où nous sommes.

» C’est par humilité que Monsieur le Chapelain
» A la tête rasée, comme vous le voyez.
» L’autre, quoique soldat, a une perruque ;
» Vous ne pouvez par là reconnaître le coupable…
» — Mais celui qui vous a ravi l’honneur, »
Dit Madame, « était-il nu, ou habillé ? »

— « Habillé… il me semble…, » dit Rosina,
« Oui, il avait sa chemise certainement.
» — Oh bien ! dites-moi maintenant, signorina,
» Et ne pensez pas à mentir,
» Car vous ne serez point punie si vous avouez quelque faute ;
» Mais je vous fais fouetter si vous ne dites vrai.

» Est-ce la première fois ? ou vous est-il arrivé déjà
» Qu’on vous fît une semblable farce ?
» Cette virginité vous a-t-elle vraiment
» Été enlevée tout à l’heure, ou l’avez-vous laissé prendre
» Par quelque amant tendre et pressant ?
» Faites-bien attention, ne me cachez pas la vérité ! »


À ces mots, la maman devint toute rouge
Et répondit : — « Excellence ! c’est ma fille !
» Mon exemple… Je ne sais comment on peut…
» Masuccio, dites-moi si une seule fois
» Je me suis écartée du chemin de la vertu… »
Et Masuccio haussa les épaules.

— « Hé ! y a-t-il quelqu’un là ?… partez tout de suite, »
Dit Madame, « et que les vêtements de nuit
» De ces hommes me soient sur l’heure apportés !
» Nous verrons ainsi qui doit payer les pots cassés,
» Et l’on verra en même temps, ma fille,
» Si vous avez dit vrai ou si vous avez menti. »

Le valet de chambre, de retour, rapporta un paquet
De deux chemises et deux paires de caleçons.
La Duchesse les fit étaler tout de suite,
Et, à l’extrême surprise de chacun,
Le linge des deux accusés fournit matière
À les convaincre de défloration.

Cette découverte stupéfia les assistants :
Toutes les dames se mirent à rire : la Duchesse
Se mordit un doigt, la servante devint pâle,
Rosina pâlit, elle aussi ;
Le moine et le guerrier, se regardant en face,
À grand’peine se retinrent de rire.

Con-gros pinça les lèvres, Masuccio secoua
La tête et blasphéma ; sa femme prit
Ses lunettes et s’écria : — « Qu’est-ce que cela veut dire ?
» — Ma fille, il y a des indices tels, »
Dit Madame, « le cas est si bizarre,
» Que, j’en jurerais, vous avez tâté de l’un et de l’autre.


» Eh bien ! pour sortir d’un tel embarras,
» Je leur en ferai porter la peine à tous deux…
» — Oh ! c’est précisément ce que je ne veux pas, »
Dit Rosina, « cela ne fait mon affaire :
» J’ai été violée, mais une seule fois ;
» Une seconde serait gourmandise. »

Con-gros observa : — « Nous avons oublié
» Un point important ; notre sagesse
» Ne mérite guères d’éloges ; nous avons mangé,
» Comme on dit, le porreau par la queue ;
» Un examen soigneux de cette virginité violée
» N’a pas encore été fait, comme il l’aurait fallu. »

— « Par Bacchus ! vous avez raison ! cela reste
» À examiner, » répondit la Dame ;
« Qu’on appelle bien vite les matrones
» Et qu’elles visitent cette… mais je veux aussi
» Que les instruments de ces accusés
» Soient pareillement visités, et sur-le-champ. »

Puis, jetant un coup d’œil sur l’horloge :
« C’est l’heure du théâtre, allons, allons ;
» L’empereur s’ennuie d’y rester seul ;
» Pour le moment, suspendons ce procès ;
» Vous, Con-gros, assistez à la visite ;
» À mon retour, vous me rendrez compte de tout. »

La nuit était plus d’à moitié passée
Lorsque la Duchesse fut de retour,
Et, lorsque sur le duvet elle fut à son aise,
Elle dit : — « Allons, racontez-nous, mamselle Con-gros,
» La visite a-t-elle eu lieu ? — Certainement, »
Répondit-elle, « et j’y ai assisté.


» La fissure de la belle Rosina,
» Madame, est si grande et si large
» Qu’on la prendrait pour la bouche d’un four,
» L’ouverture d’un puits, une fosse béante ;
» Elle prouve bien que l’indiscret amoureux
» A mis en œuvre un engin d’éléphant.

» Je dirai de plus qu’en votre absence
» J’ai étendu la mission que vous m’avez confiée,
» Et j’ai fait visiter devant moi
» La servante, non comprise dans votre ordre.
» De cette façon, j’ai trouvé le moyen
» D’expliquer l’énigme et de dénouer le nœud.

» Sa pâleur, sa rougeur, l’extrême
» Impatience qu’on remarque en elle,
» Sa manière de marcher, comme elle faisait, en boitant,
» Son regard en dessous, les rires de ces coquins,
» M’ont fait croire qu’elle avait sa part
» Dans l’aventure, et que prudemment elle la taisait.

» À la visite, on s’aperçut qu’elle n’avait pas,
» Elle non plus, sa fleur virginale ;
» Mais elle lui a été enlevée, on peut le dire,
» De façon à faire honte à l’opérateur :
» C’en est un qui pour le combat d’amour
» N’a qu’un cure-dents, un fétu de paille.

» Et, de fait, quand on visita le Capitaine,
» On lui trouva un ustensile petit, mesquin…
» Je ne crois pas que membre humain à l’amour destiné
» Ait jamais fait si piètre figure !…
» Et cependant, il a dépucelé cette servante !
» Il faut vraiment qu’elle l’ait eu de beurre !


» Mais telle qu’au-dessus des arbrisseaux et des plantes
» Qui de tous côtés l’environnent,
» S’élève le pin ; ou telle qu’au-dessus de tout jeunes
» Séminaristes, on voit se dresser comme une tour
» Un préfet maussade ; telle qu’au-dessus des granges
» Les clochers s’élancent dans la plaine :

» Ainsi… (cela ne peut me sortir de l’idée),
» Droite, menaçante, les veines gonflées,
» Au-dessus de tous les outils humains, bien haut se dressait
» La catapulte de ce cochon de Moine !…
» Mais je perds bien mon temps : impossible de vous dire
» À quel point cette affaire était bestiale et grosse.

» Ce que j’ai vu, je vous l’ai fidèlement exposé,
» Il n’y a donc plus aucun doute ;
» Vous pouvez sans hésitation prononcer votre jugement
» Contre qui fut l’auteur de ce viol affreux,
» Et vous pouvez infliger au Moine et au Militaire
» Tel châtiment exemplaire que vous voudrez. »

La Duchesse, se soutenant la tête
Avec un bras appuyé sur l’oreiller,
Reste absorbée dans de profondes pensées ;
Elle roule ses noires pupilles,
Mord ses lèvres roses, secoue la tête,
Soupire, et ses joues se couvrent de rougeur.

À la fin, elle fit cette courte réponse :
— « Bonsoir, Con-gros, emportez la lumière, »
Et quand elle s’est bien enfoncée
Entre les draps blancs, dans le duvet moelleux,
Elle s’arrange en se tournant du côté
Où elle goûte d’ordinaire le sommeil le plus paisible.


Elle invoque alors, pour le rendre propice à ses désirs,
Le Dieu qui règne dans les grottes Cimmériennes ;
Mais il fuit loin de sa chambre,
Et des veilles répétées, interrompues
Par un songe irritant et inquiet,
Accroissent en elle le désir et le besoin.

Ainsi qu’un malade brûlé par une fièvre ardente
Ouvre les yeux et recherche les rayons du jour,
Puis les ferme, et revoit la chimère
Ou le spectre qui rôde autour de lui,
Ainsi dans la pensée de la dame restait fixé
L’énorme morceau par Con-gros décrit.

Elle en a l’esprit tellement frappé,
Qu’elle se figure lui voir faire ses prouesses ;
Elle se met vite sur son séant,
Ouvre les yeux et ne voit que ténèbres.
Alors elle étend sur le lit sa main avide
Désireuse de l’empoigner, mais elle ne prend rien.

Cependant il lui semble que de sa fente embrasée
S’approche cet immense et gigantesque Priape ;
Et son imagination travaille, à ce point
Que déjà elle croit sentir entrer l’énorme tête ;
Et son cœur palpite, elle est haletante, elle sent
L’eau lui venir tout à coup à la bouche.

Une courte illusion ne peut calmer
Sa folle fureur utérine ;
Elle s’agite, elle se tord, elle trépigne,
Elle mendie le secours de la main :
Mais que peut, maigre aliment pour une si grande faim,
Le doigt du milieu pour assouvir ses désirs ?


Ainsi se passa la nuit ; lorsque dans le ciel,
Couronnée de roses parut l’Aurore,
Qui, devançant le dieu lumineux de Délos,
Chasse de la terre ténèbres et fantômes,
La Duchesse prit du repos, et un paisible sommeil
Vint appesantir ses membres.

L’amour, alors, lui peignit une délicieuse prairie
Sur laquelle coulait doucement un ruisseau
Qui menait à la mer ses eaux pures comme le cristal,
Avec un léger et charmant murmure ;
Il lui semble être couchée à l’ombre d’un beau myrte,
Dont les branches protègent la rivière et le pré.

Autour d’elle souffle un zéphyr
Doux et moelleux, qui l’engage à la volupté ;
En même temps gazouillent sur le pin et l’ormeau,
Ou tournent autour du platane à l’ombre épaisse,
Ou voltigent de leurs ailes légères,
Des bandes d’oiseaux qui aiment et sont aimés.

Mais un objet plus charmant paraît à ses yeux,
Au fond des bois épais et ténébreux ;
Elle en voit sortir, vers elle à pas pressés
Elle voit s’avancer le père Franciscain Alfonso,
Possesseur de ce diable d’instrument
Qui seul peut lui donner le plaisir qu’elle espère.

Il lui semble que le Père lui demande de l’amour
Et s’offre de remplir près d’elle le rôle de mari ;
Elle sourit, et il exhibe, lui,
Ce Dieu dans les jardins révéré,
Qui, gigantesque de contenance et de forme,
Inspirait en même temps désir et terreur.


Elle le toucha, elle le serra et, de plaisir,
Elle se remua tant que le lit en trembla ;
Mais dans quelle douce extase elle fut plongée
Lorsque des préliminaires il en vint à l’action !
Son bonheur fut si grand, que jamais réalité
Ne put égaler cette délicieuse apparence.

À ce moment, la prévoyante Nature
Arrosa les voies amoureuses de la pluie vitale,
Mais une si ardente flamme n’en fut guères calmée :
Ainsi le feu que la cendre a couvert,
Si le vent dissipe sa légère prison,
Allume en un instant un vaste incendie.

Elle se réveilla plus tranquille ; déjà Phœbus
À l’Orient paraissait au-dessus de la colline,
Et, traversant les rideaux de soie,
Faisait par la fenêtre pénétrer ses rayons
Qui dans la chambre dorée semaient
Une lumière douce et purpurine.

Elle se rappelle son doux sommeil, et
Bien que la violence de ses feux soit alors calmée,
Elle a présente aux yeux l’arbalète de ce moine,
Et ne peut faire moins que d’y penser ;
Elle étend son beau bras blanc
Et tire résolument la sonnette.

Au bruit accourt sa fidèle servante
Qui lui souhaite le bonjour
Et lui demande comment elle a passé
La nuit ; elle répond : — « J’ai mille soucis.
» Ce procès ne me laisse pas dormir ;
» Faites-moi venir le père Alfonso.


» Eh ! écoutez… tant qu’ici restera
» Le religieux, tant qu’avec moi il causera,
» Que personne n’entre… Vous direz que j’ai mal
» À la tête…, que j’ai besoin de repos… ;
» Faites, si par hasard c’était l’Empereur,
» Le signal ordinaire… mais il ne vient jamais à cette heure. »

Con-gros obéit et comprend bien
Ce que du moine la Duchesse veut ;
Celle-ci, en attendant, examine sérieusement
Comment il lui faut se poser, comment elle l’accueillera,
Et l’Amour lui suggère aussitôt
Manières, regards, gestes et position.

Arrive le père Alfonso ; sur son visage
Brillent les couleurs d’une santé parfaite :
Il n’est pas gentil et soigné comme Myrtil,
Ce n’est pas un Adonis, mais on dirait Alcide ;
Il est beau dans sa rudesse ; à son air, à son maintien,
On voit qu’il est fait pour les luttes amoureuses.

La Duchesse était couchée dans son lit ;
Elle avait, sous couleur de négligence,
La poitrine nue, plus blanche que ses draps blancs ;
Ferme, bien saillant, arrondi,
Son derrière se détachait de profil :
Chose qu’à un moine on ne fait voir en vain.

Le jeu de ses prunelles languissantes,
Sa langue qui souvent sortait de ses lèvres
Et les arrosait de fines gouttelettes,
Son silence, sa respiration fréquente
Qui mettait sa gorge en mouvement comme l’onde
Quand, au souffle d’un vent frais, elle va baiser le rivage ;


Tout cela fit comprendre au Moine pour quelle œuvre
La belle Duchesse l’avait fait appeler :
Tous deux se turent, se regardèrent, et après
Qu’ils eurent l’un sur l’autre fixé les yeux,
Ils entamèrent, sans parler, un discours tel,
Que jamais Démosthènes n’en fit de pareil.

La belle Duchesse poussa un soupir,
Et, se montrant timide et confuse :
« Asseyez-vous, » dit-elle, « cette petite sotte

» Est bonne fille, c’est vrai, mais elle a toujours manqué d’usage ;

» Elle aurait bien dû vous donner, par politesse,
» Une chaise… Mettez-vous sur le lit. »

Le Moine ne se le fit pas dire deux fois
Et s’assit tout de suite au beau milieu du lit ;
Alors vinrent une foule de tendres œillades,
Le Moine fit les yeux doux, elle sourit ;
Lui, qui voit l’occasion favorable,
Sur un sein de neige porte la main.

— « Que faites-vous ? » s’écria-t-elle, mais à voix basse,
« Ah ! quelle ardeur étrange, imprévue !…
» Cessez, ou vous m’allez entendre élever la voix…
» Finissez… ou pour châtiment d’un tel crime… ! »
Mais, tout en simulant un violent courroux,
De son sein gonflé elle lui remplit la main.

« Eh ! qui pourrait finir ? » répondit le Moine,
« Ornement et gloire du sexe féminin !
» Je serais bien, par une telle lâcheté,
» Indigne du cordon de Saint François !
» Que je finisse ?… Ah ! pour vous faire cet affront,
» Il faudrait être de pierre, ou bien mort !


» Mais être mort ne suffirait pas : au fond de l’enfer,
» Et dans les tourments, ou dans la gloire du Paradis,
» De ne pas finir j’aurais l’éternel désir,
» À présent que j’ai vu ce céleste visage,
» Que j’ai touché ces charmants tetons,
» Qui tout entier m’emplissent d’un suave enchantement.

» Non, d’une si douce et si heureuse faute
» Je ne saurais me repentir ; que, sévère et cruelle,
» Cette lèvre de corail me condamne,
» Me dénonce au superbe Refenero,
» Que le ciel à l’instant me réduise en cendres,
» Je ne finis pas, je ne m’excuse ni ne me repens.

» Si ma faute est grave, si déjà
» Est écrite mon irrévocable sentence,
» Si l’espoir de trouver un cœur amoureux
» Ne mérite le pardon d’une erreur involontaire,
» S’il est écrit au ciel que je dois mourir,
» Laissez-moi du moins consommer mon crime ! »

Ce disant, il se précipite sur elle
Et, résolu à l’amoureux combat,
Il lui décoche un gros et savoureux baiser ;
Puis, jetant à terre couverture et draps,
Aux rayons du jour il expose sans aucun voile
Des trésors à faire envie au ciel.

À ce moment, elle pousse un soupir ;
Et lui, tirant son viril engin,
Superbe, palpitant, tête haute,
Selon l’usage de nos pères Franciscains,
Il prend entre ses dents le bord
De sa robe crasseuse, et tombe, haletant, sur la dame.


À la vue du monstrueux instrument,
Elle se repentit presque de son désir,
Et, laissant aller un soupir, doucement, doucement,
Elle dit : — « Qu’allons-nous faire, mon père ?
» — N’ayez crainte, » répondit le Moine,
» Laissez-moi faire, et pas d’inquiétude ! »

D’accord désormais, ils commencèrent
L’amoureux assaut. Maintenant, il me faut avouer.
Bien que j’exalte le bagage du Moine,
Qu’elle aussi était fort bien pourvue,
Et que pratique et nature lui avaient façonné
Une fissure archipatentissime.

Les baisers, alors, tombèrent dru comme la grêle
Qui, du haut des nuages glacés, vient fouetter le sol ;
De tous leurs membres coule une sueur abondante ;
Si rudes et si fréquentes sont les secousses,
Que, sous l’effort de leurs tendres ébats,
Tremble le lit, la chambre et le palais.

L’action est vive ; déjà vient l’heureux moment
Qui de part et d’autre amène le délicieux spasme ;
Déjà ils sont plongés dans une douce extase,
Elle lui serre les épaules, lui les reins ;
Un long soupir enfin se fait entendre,
Qui du charmant combat annonce la fin.

Comme le Moine voulait recommencer,
Sans retirer son poignard de cette jolie gaine,
La Duchesse : — « Excusez-moi, » dit-elle,
« Si pour le moment je modère votre ardeur,
» Mais qui sait ?… peut-être… — Eh ! cordieu ! »
Répondait le Moine, « mettons le diable en cage. »


— « Oui, » dit-elle, « vous avez bien raison,
» Mettons en cage ce méchant ennemi du Seigneur. »
Et ainsi la douce opération
Ils reprirent avec plus de goût et de plaisir ;
Car elle fut plus longue, et c’est un bien
Pour ceux qui la savent faire comme il faut.

Le Moine alors descend du lit, et elle
Répare son désordre ; puis, gravement,
Fixant sur lui les yeux, elle lui parle
En ces termes : — « Il est désormais connu et bien connu,
» Le héros qui hier matin
» A si bien arrangé la pauvre Rosina.

» Le crime est atroce, et vous mériteriez bien
» De le payer de votre vie ;
» Il s’est encore aggravé
» Par la scène scandaleuse qui vient de se passer,
» Car, sans témoigner aucune frayeur,
» Vous avez fait cocu votre empereur.

» Votre vie est dans mes mains ; pensez
» À être Adèle et à garder le secret,
» Je suis votre complice ; mais rappelez-vous
» Le cas étrange d’Hippolyte et de Joseph,
» Et ne m’obligez pas à imiter ici
» La femme de Putiphar ou celle de Thésée.

« Si vous êtes fidèle, discret et insensible
» Aux charmes de toute autre, qui passe pour belle et croit l’être,
» Non seulement je vous protégerai, je vous défendrai,
» Mais je trouverai moyen d’être souvent près de vous ;
» Il faudra bien que Marco Basetta suive
» Mes conseils, et paie ses cornes.


» Adieu, nous nous reverrons sous peu. — Je pars, »
Répondit le Moine, « et soyez bien tranquille :
» Vous trouverez un tailleur honnête,
» Un médecin qui ne soit pas charlatan,
» Un sbire compatissant, un douanier poli,
» Avant de me voir trahir la foi et le secret. »

Le Moine parti, la femme de chambre entra ;
Elle avait entendu le double combat,
Mais comme elle était fine et savait faire sa cour,
Elle ne laissa pas voir qu’elle le sût ou s’en doutât ;
Cependant la Duchesse rit et devint rouge :
Con-gros rit, et devint rouge, elle aussi.

— « Con-gros, » dit la dame, « je suis pressée de remplir
» La mission que l’Empereur m’a imposée :
» Le père Alfonso est venu près de moi…
» Il ne nie pas qu’il soit l’auteur du viol…
» Mais…, s’il faut vous dire la vérité…
» Je le déclarerai innocent… il me plaît, cet homme !

» Quand il se présentera, avec adresse et dextérité,
» Si cet imbécile n’est pas ici à m’assommer,
» Faites-le entrer… Oh ! ouvrez la fenêtre,
» Faites-moi venir ici le Capitaine,
» Ce grand héros qui, si mal monté,
» Se risque à tenter si belles entreprises. »

La servante partit ; la Duchesse alors
S’arrangea décemment sur le lit
Et fit en sorte de ne rien montrer
Qui pût éveiller une tendre inclination.
La femme est une plante qui ne laisse voir son fruit
À qui n’en saurait tirer bon parti.


» Adieu, nous nous reverrons sous peu. — Je pars, »
Répondit le Moine, « et soyez bien tranquille :
» Vous trouverez un tailleur honnête,
» Un médecin qui ne soit pas charlatan,
» Un sbire compatissant, un douanier poli,
» Avant de me voir trahir la foi et le secret. »

Le Moine parti, la femme de chambre entra ;
Elle avait entendu le double combat,
Mais comme elle était fine et savait faire sa cour,
Elle ne laissa pas voir qu’elle le sût ou s’en doutât ;
Cependant la Duchesse rit et devint rouge :
Con-gros rit, et devint rouge, elle aussi.

— « Con-gros, » dit la dame, « je suis pressée de remplir
» La mission que l’Empereur m’a imposée :
» Le père Alfonso est venu près de moi…
» Il ne nie pas qu’il soit l’auteur du viol…
» Mais…, s’il faut vous dire la vérité…
» Je le déclarerai innocent… il me plaît, cet homme !

» Quand il se présentera, avec adresse et dextérité,
» Si cet imbécile n’est pas ici à m’assommer,
» Faites-le entrer… Oh ! ouvrez la fenêtre,
» Faites-moi venir ici le Capitaine,
» Ce grand héros qui, si mal monté,
» Se risque à tenter si belles entreprises. »

La servante partit ; la Duchesse alors
S’arrangea décemment sur le lit
Et fit en sorte de ne rien montrer
Qui pût éveiller une tendre inclination.
La femme est une plante qui ne laisse voir son fruit
À qui n’en saurait tirer bon parti.


» Adieu, nous nous reverrons sous peu. — Je pars, »
Répondit le Moine, « et soyez bien tranquille :
» Vous trouverez un tailleur honnête,
» Un médecin qui ne soit pas charlatan,
» Un sbire compatissant, un douanier poli,
» Avant de me voir trahir la foi et le secret. »

Le Moine parti, la femme de chambre entra ;
Elle avait entendu le double combat,
Mais comme elle était fine et savait faire sa cour,
Elle ne laissa pas voir qu’elle le sût ou s’en doutât ;
Cependant la Duchesse rit et devint rouge :
Con-gros rit, et devint rouge, elle aussi.

— « Con-gros, » dit la dame, « je suis pressée de remplir
» La mission que l’Empereur m’a imposée :
» Le père Alfonso est venu près de moi…
» Il ne nie pas qu’il soit l’auteur du viol…
» Mais…, s’il faut vous dire la vérité…
» Je le déclarerai innocent… il me plaît, cet homme !

» Quand il se présentera, avec adresse et dextérité,
» Si cet imbécile n’est pas ici à m’assommer,
» Faites-le entrer… Oh ! ouvrez la fenêtre,
» Faites-moi venir ici le Capitaine,
» Ce grand héros qui, si mal monté,
» Se risque à tenter si belles entreprises. »

La servante partit ; la Duchesse alors
S’arrangea décemment sur le lit
Et fit en sorte de ne rien montrer
Qui pût éveiller une tendre inclination.
La femme est une plante qui ne laisse voir son fruit
À qui n’en saurait tirer bon parti.


» Adieu, nous nous reverrons sous peu. — Je pars, »
Répondit le Moine, « et soyez bien tranquille :
» Vous trouverez un tailleur honnête,
» Un médecin qui ne soit pas charlatan,
» Un sbire compatissant, un douanier poli,
» Avant de me voir trahir la foi et le secret. »

Le Moine parti, la femme de chambre entra ;
Elle avait entendu le double combat,
Mais comme elle était fine et savait faire sa cour,
Elle ne laissa pas voir qu’elle le sût ou s’en doutât ;
Cependant la Duchesse rit et devint rouge :
Con-gros rit, et devint rouge, elle aussi.

— « Con-gros, » dit la dame, « je suis pressée de remplir
» La mission que l’Empereur m’a imposée :
» Le père Alfonso est venu près de moi…
» Il ne nie pas qu’il soit l’auteur du viol…
» Mais…, s’il faut vous dire la vérité…
» Je le déclarerai innocent… il me plaît, cet homme !

» Quand il se présentera, avec adresse et dextérité,
» Si cet imbécile n’est pas ici à m’assommer,
» Faites-le entrer… Oh ! ouvrez la fenêtre,
» Faites-moi venir ici le Capitaine,
» Ce grand héros qui, si mal monté,
» Se risque à tenter si belles entreprises. »

La servante partit ; la Duchesse alors
S’arrangea décemment sur le lit
Et fit en sorte de ne rien montrer
Qui pût éveiller une tendre inclination.
La femme est une plante qui ne laisse voir son fruit
À qui n’en saurait tirer bon parti.


» Adieu, nous nous reverrons sous peu. — Je pars, »
Répondit le Moine, « et soyez bien tranquille :
» Vous trouverez un tailleur honnête,
» Un médecin qui ne soit pas charlatan,
» Un sbire compatissant, un douanier poli,
» Avant de me voir trahir la foi et le secret. »

Le Moine parti, la femme de chambre entra ;
Elle avait entendu le double combat,
Mais comme elle était fine et savait faire sa cour,
Elle ne laissa pas voir qu’elle le sût ou s’en doutât ;
Cependant la Duchesse rit et devint rouge :
Con-gros rit, et devint rouge, elle aussi.

— « Con-gros, » dit la dame, « je suis pressée de remplir
» La mission que l’Empereur m’a imposée :
» Le père Alfonso est venu près de moi…
» Il ne nie pas qu’il soit l’auteur du viol…
» Mais…, s’il faut vous dire la vérité…
» Je le déclarerai innocent… il me plaît, cet homme !

» Quand il se présentera, avec adresse et dextérité,
» Si cet imbécile n’est pas ici à m’assommer,
» Faites-le entrer… Oh ! ouvrez la fenêtre,
» Faites-moi venir ici le Capitaine,
» Ce grand héros qui, si mal monté,
» Se risque à tenter si belles entreprises. »

La servante partit ; la Duchesse alors
S’arrangea décemment sur le lit
Et fit en sorte de ne rien montrer
Qui pût éveiller une tendre inclination.
La femme est une plante qui ne laisse voir son fruit
À qui n’en saurait tirer bon parti.


» Adieu, nous nous reverrons sous peu. — Je pars, »
Répondit le Moine, « et soyez bien tranquille :
» Vous trouverez un tailleur honnête,
» Un médecin qui ne soit pas charlatan,
» Un sbire compatissant, un douanier poli,
» Avant de me voir trahir la foi et le secret. »

Le Moine parti, la femme de chambre entra ;
Elle avait entendu le double combat,
Mais comme elle était fine et savait faire sa cour,
Elle ne laissa pas voir qu’elle le sût ou s’en doutât ;
Cependant la Duchesse rit et devint rouge :
Con-gros rit, et devint rouge, elle aussi.

— « Con-gros, » dit la dame, « je suis pressée de remplir
» La mission que l’Empereur m’a imposée :
» Le père Alfonso est venu près de moi…
» Il ne nie pas qu’il soit l’auteur du viol…
» Mais…, s’il faut vous dire la vérité…
» Je le déclarerai innocent… il me plaît, cet homme !

» Quand il se présentera, avec adresse et dextérité,
» Si cet imbécile n’est pas ici à m’assommer,
» Faites-le entrer… Oh ! ouvrez la fenêtre,
» Faites-moi venir ici le Capitaine,
» Ce grand héros qui, si mal monté,
» Se risque à tenter si belles entreprises. »

La servante partit ; la Duchesse alors
S’arrangea décemment sur le lit
Et fit en sorte de ne rien montrer
Qui pût éveiller une tendre inclination.
La femme est une plante qui ne laisse voir son fruit
À qui n’en saurait tirer bon parti.


Femmes, qui vous flattez de prédire
Les aventures aux bambins réservées,
Rappelez-vous bien cette histoire,
Et, si vous faites un fils pourvu d’un gros outil,
Pourvu qu’adulte il ait une once de bon sens,
Dites : Pour sûr celui-là fera fortune.