Nouvelles Lettres sur l’histoire de France/07



NOUVELLES LETTRES
SUR
L’HISTOIRE DE FRANCE.

Scènes du Sixième Siècle.

SEPTIÈME LETTRE.
RÉVOLTE DES CITOYENS DE LIMOGES. — GRANDE ÉPIDÉMIE. —
DOULEUR MATERNELLE DE FRÉDÉGONDE. — HISTOIRE DE
CHLODOWIG, TROISIÈME FILS DU ROI HILPERIK[1]

Frédégonde avait eu sa part de profit dans les conquêtes du roi de Neustrie ; il paraît que plusieurs villes d’Aquitaine lui furent assignées en usufruit, c’est-à-dire avec le droit d’y percevoir tous les impôts dus au fisc en argent et en nature[2]. Pressée d’accroître le plus possible ce revenu, qu’elle devait aux chances de la guerre et que les mêmes chances pouvaient lui enlever, elle suggéra au roi Hilperik l’idée de faire, pour son royaume agrandi, un nouveau règlement sur l’assiette et le taux de la contribution foncière. L’impôt foncier, organisé en Gaule par l’administration romaine, se levait encore, au vie siècle, d’après des rôles de cadastre modelés sur les anciens rôles impériaux. Les propriétaires gallo-romains le payaient seuls, et les hommes libres de race germanique s’en trouvaient exempts par leur coutume originelle et par une résistance obstinée contre laquelle venaient échouer toutes les tentatives, soit violentes, soit astucieuses, des officiers du fisc[3].

Cet exemple n’était pas sans influence sur les possesseurs indigènes, qui, secondés en cela par les évêques et le haut clergé des villes, employaient toute sorte de subterfuges pour éluder les sommations et les enquêtes des collecteurs fiscaux[4]. En outre, la dégradation toujours croissante des ressorts administratifs rendait la perception des taxes très irrégulière et les recouvremens très incertains. Les recensemens des biens et des personnes ne se faisaient que d’une manière partielle et devenaient de plus en plus rares ; en matière d’impôts, la coutume tendait à remplacer la loi. Vers l’année 580, lorsque Frédégonde, non par une inspiration politique, mais par l’instinct de cupidité qui lui était naturel, s’avisa de conseiller la mesure d’un recensement général, les taxes payées pour les immeubles dans le royaume de Neustrie se réglaient encore sur le même pied que du temps du roi Chlother, c’est-à-dire que, depuis vingt ou trente ans au moins, ni l’assiette ni le taux de la contribution n’avaient changé[5].

Le conseil donné par la reine était de ceux que le roi Hilperik ne pouvait manquer d’accueillir avec joie. Il fut décidé qu’un renouvellement d’impôts aurait lieu dans toute la Neustrie, et, quant à l’exécution de ce grand projet, le roi en remit le soin à ses officiers gallo-romains, conservateurs des traditions de l’habileté et aussi de l’avidité administrative. Procédant selon la méthode suivie au temps des empereurs, ils firent un plan qui distinguait par classes les terres cultivées et qui les soumettait à différens taux et à différens genres de contribution ; ensuite un décret royal prescrivit l’application de ce plan à tous les pays anciennement ou nouvellement soumis au roi de Neustrie. La condition faite dans ces pays, depuis plus d’un demi-siècle, aux propriétaires indigènes, se trouvait tout d’un coup démesurément aggravée ; de nouvelles taxes, variées et graduées avec un certain art, étaient mises sur toutes les cultures et frappaient les instrumens de l’exploitation agricole. Il y en avait pour les champs, les bois, les maisons, le bétail, les esclaves, mais la principale surcharge porta sur les terres à vignes. Pour la première fois, elles étaient imposées à une amphore, c’est-à-dire à la moitié d’un muid de vin par demi-arpent, ce qui semble montrer qu’alors, dans son esprit de convoitise matérielle, Hilperik eut surtout en vue le produit des riches vignobles de l’Aquitaine[6].

La tâche d’aller, de ville en ville, faire le recensement des terres et des personnes soumises à l’impôt, tâche difficile dans ce temps et qui pouvait être périlleuse, fut confiée au référendaire Marcus, homme d’origine gauloise, très zélé pour les intérêts du fisc et très adroit à prélever pour lui-même une part des sommes qu’il percevait[7]. Cette commission était double, et il y avait deux manières de l’exécuter, l’une applicable aux pays anciennement neustriens, l’autre aux territoires nouvellement conquis. Dans les villes que le royaume de Neustrie possédait depuis le dernier partage, et dont le trésor royal conservait les rôles de cadastre, Marcus, transportant avec lui des copies de ces rôles, devait les rectifier et les compléter par enquête ; quant aux villes détachées, soit de l’Austrasie, soit du royaume de Gonthramn, il devait y saisir les registres du cadastre municipal, et, après vérification de leur exactitude, les expédier au trésor du roi. Telle fut la charge donnée au commissaire gallo-romain, avec ordre de hâter, de tout son pouvoir, le recouvrement des nouvelles taxes.

Il partit du palais de Soissons ou de quelque résidence voisine dans l’hiver de 580, et, soit que sa tournée eût commencé par les villes du nord, soit qu’il eût gagné directement la contrée méridionale, vers la fin du mois de février il se trouvait à Limoges. Cette ville, tant de fois prise et reprise, avait appartenu légitimement au roi Hilperik avant d’être à lui par conquête, et ses rôles de cadastre étaient depuis long-temps déposés dans les archives royales de Neustrie. Elle comptait parmi les cités où le nouveau système d’impôts pouvait s’organiser par un simple travail de vérification des rôles, travail qui toutefois n’était possible qu’au moyen d’une enquête publique, et de déclarations faites par les possesseurs de terres devant la curie ou le sénat municipal. Les Calendes, c’est-à-dire le premier jour de mars, étaient, à ce qu’il paraît, jour d’assemblée solennelle et d’audience judiciaire pour la curie de Limoges[8]. Ce jour-là, les magistrats municipaux et le corps des décurions siégeaient au tribunal ou délibéraient en conseil, et les habitans de la campagne, propriétaires ou colons, venaient en grand nombre à la ville pour leurs procès ou leurs affaires. Ce fut le jour que Marcus choisit pour ses premières opérations ; elles consistaient à donner publiquement lecture des ordres du roi, à obtenir, de gré ou de force, le concours de l’autorité municipale ; enfin, à commencer l’enquête sur l’état des biens situés dans la circonscription alors très vaste du territoire de la cité, sur la contenance exacte de ces biens, leurs cultures diverses et les mutations de propriété opérées depuis le dernier recensement[9].

Dès le matin du 1er mars, la ville de Limoges fut en rumeur ; une foule de citoyens de toutes les classes encombraient les abords du lieu où la curie devait s’assembler. Les magistrats, les décurions, le défenseur, l’évêque et le haut clergé de la ville, prirent place sur les siéges et les bancs du sénat. Le référendaire Marcus entra dans l’assemblée avec une escorte d’honneur et suivi de gens qui portaient ses livres de cadastre et ses rôles d’imposition. Il présenta sa commission scellée d’une empreinte de l’anneau royal, et déclara le taux et la nature des taxes décrétées par le roi. Dans les temps romains, l’homme qui aurait élevé la voix pour faire des objections et des remontrances, eût été le défenseur, la loi de son institution lui en donnait le privilége ; mais, depuis le règne des barbares, ce chef laïque du pouvoir municipal s’effaçait devant l’évêque, seul capable de prendre en main la tutelle des intérêts de la cité. L’évêque de Limoges, Ferreolus, ne manqua point à ce devoir. Établissant une sorte de prescription contre les droits du fisc, il dit que la ville avait été recensée au temps du roi Chlother, et que ce recensement faisait loi ; qu’après la mort de Chlother, les citoyens ayant prêté serment au roi Hilperik, ce roi avait promis et juré lui-même de ne leur imposer ni loi ni coutume nouvelles, de ne faire aucune ordonnance qui tendît à les dépouiller, mais de les maintenir dans l’état où ils avaient vécu sous la domination de son père[10]. Ces paroles, expression calme du mécontentement public et des velléités de résistance qui alors couvaient dans la ville, furent suivies de murmures approbatifs partis des bancs de la curie, et peut-être, suivant la mode romaine, y eut-il, de différens côtés, des acclamations proférées en chœur, telles que celles-ci : « Cela est vrai ! Cela est juste ! C’est l’avis de tous ! oui, de tous ;[11] ! »

Plein de l’orgueil du pouvoir et impatient des retards que cette opposition pouvait lui causer, Marcus répliqua d’un ton vif et hautain ; il dit qu’il était venu pour agir, non pour disputer, somma la ville d’obéir au décret du roi, et joignit aux sommations les menaces[12]. Sa voix fut aussitôt couverte par une clameur générale, et le tumulte de l’assemblée se communiquant au dehors, la foule pressée aux portes ne se contint plus, et pénétra dans la curie. Alors la résistance modérée fit place aux fureurs populaires, et la salle retentit des cris : Point de recensement ! À la mort l’exacteur ! À la mort le spoliateur ! Marcus à la mort[13] ! Accompagnant ces vociférations de gestes significatifs, le peuple se portait vers la place où le commissaire royal était assis auprès de l’évêque. Dans cet instant critique, l’évêque Ferreolus remplit pour la seconde fois le noble rôle de protection attaché à son titre ; il dit à Marcus de se lever, et, le prenant par la main, contenant de la voix et du geste le flot des révoltés qui s’arrêtèrent surpris et respectueux, il gagna l’une des issues de la salle, et conduisit le référendaire à la plus prochaine basilique[14]. Parvenu à cet asile où sa vie était en sûreté, Marcus avisa aux moyens de sortir promptement de Limoges ; il y réussit, aidé encore par l’évêque, et peut-être à la faveur d’un déguisement.

Cependant le tumulte continuait dans la salle de la curie ; les magistrats et les sénateurs, laïques et clercs, restaient confondus pêle-mêle avec le peuple, les uns mornes, ne sachant que résoudre, les autres se livrant à toute l’effervescence des passions politiques. Parmi ces derniers figurèrent, à ce qu’il semble, des prêtres et des chefs d’abbaye. Indécis un moment et comme étonné d’avoir laissé sortir sain et sauf l’homme dont il voulait se venger, le peuple tourna sa colère contre les livres de cadastre que Marcus avait abandonnés dans sa fuite. Les plus furieux s’en saisirent pour les lacérer, mais un autre avis prévalut, celui de transporter ces registres sur la place publique, et de les y brûler avec un appareil qui signalerait la victoire des citoyens de Limoges et leur résolution de ne point souffrir la levée des nouveaux tributs. On courut fouiller la maison qu’avait occupée le référendaire, et l’on prit tout ce qui s’y trouva de rôles et de volumes destinés à différentes villes. Un bûcher fut dressé aux cris de joie de la multitude enivrée de sa rébellion. Parmi elle, des citoyens de haut rang s’agitaient comme elle, et applaudissaient, en voyant la flamme détruire les livres apportés par l’officier du roi[15]. Bientôt il n’en resta plus que des cendres ; mais ces livres étaient des copies dont les originaux reposaient en sûreté dans les coffres du trésor royal ; l’espèce de délivrance que la cité de Limoges se flattait d’avoir conquise ne pouvait pas être de longue durée. Elle dura peu en effet, et ses suites furent déplorables.

De la première ville où il crut pouvoir s’arrêter, Marcus expédia un message au roi Hilperik pour l’informer des graves évènemens qui venaient d’avoir lieu à Limoges. La sédition, avec menaces de mort contre un officier du prince et destruction de registres publics, était l’un des crimes pour lesquels, sous l’empire romain, l’empereur, quel que fût son caractère, n’avait ni pardon ni clémence. Aux traditions impériales se joignirent, dans ce cas, pour déterminer la conduite du roi de Neustrie, l’esprit de colère et de vengeance personnelle de la souveraineté barbare et l’instinct d’avarice excité par une telle occasion de gagner largement des confiscations et des amendes. Ces divers mobiles concoururent, selon toute apparence, à la décision énergique prise aussitôt par le roi. Il fit partir de son palais, en mission extraordinaire, des officiers chargés de se rendre à Limoges, d’entrer dans la ville, soit de gré, soit de force, et de sévir contre les habitans par des exécutions à mort, par un appareil de supplices capable d’inspirer la terreur, et par un surcroît d’impositions[16]. L’ordre fut exécuté de point en point ; les commissaires royaux arrivèrent à Limoges, et le peuple qui s’était soulevé témérairement n’osa ou ne put rien pour se défendre. Après enquête sommaire sur les circonstances de la révolte, une sorte de proscription enveloppa les sénateurs de Limoges, et, avec eux, tout ce qu’il y avait de citoyens considérables. Des abbés et des prêtres, accusés d’avoir animé le peuple à l’incendie des livres de recensement, furent soumis, en place publique, à différens genres de tortures[17]. Tous les biens des suppliciés et des proscrits échurent au fisc, et la ville fut frappée d’un tribut exceptionnel beaucoup plus dur que les impôts qu’elle avait refusé de payer[18].

Pendant que les citoyens de Limoges étaient si cruellement châtiés de leur rébellion d’un jour, le référendaire Marcus poursuivait sa tournée administrative ; il la termina sans rencontrer d’obstacles. Six ou huit mois après son départ, il revint au palais de Braine, apportant avec lui l’argent perçu comme premier terme du nouvel impôt, et les rôles de recensement et de répartition arrêtés pour toutes les villes du royaume. Ceux des villes dont le revenu appartenait à la reine Frédégonde lui furent remis pour être gardés par elle dans les coffres où elle renfermait son or, ses bijoux, ses étoffes précieuses et les titres de ses domaines[19] ; le reste fut réintégré, ou prit place pour la première fois, dans le trésor royal de Neustrie. De cette vaste opération financière, Marcus tira d’immenses profits plus ou moins illicites ; ses richesses furent un objet de haine et de malédiction pour ses frères d’origine, les Gallo-Romains, désolés et ruinés par les nouveaux tributs[20]. Soit que ces charges fussent, par elles-mêmes, d’une lourdeur insupportable, soit que le poids en fût aggravé, pour la masse des contribuables, par un mauvais classement des terres et par l’inégalité de la répartition, beaucoup de familles aimèrent mieux abandonner leurs héritages et s’expatrier que de les subir. Durant le cours de l’année 580, une foule d’émigrés quittèrent le territoire de Neustrie pour aller s’établir dans les villes qui obéissaient à Hildebert II ou à Gonthramn[21].

Cette année, où les mesures administratives du roi Hilperik tombèrent comme un fléau sur la Neustrie, fut marquée, dans toute la Gaule, par des fléaux naturels. Au printemps, le Rhône et la Saône, la Loire et ses affluens, grossis par des pluies continuelles, débordèrent et firent de grands ravages. Toute la plaine d’Auvergne fut inondée ; à Lyon, beaucoup de maisons furent détruites par les eaux, et une partie des murs de la ville s’écroula[22]. Dans l’été, un orage de grêle dévasta le territoire de Bourges ; la ville d’Orléans fut à demi consumée par un incendie. Un tremblement de terre assez violent pour ébranler les remparts des villes se fit sentir à Bordeaux et dans le pays voisin ; la secousse, prolongée vers l’Espagne, détacha des Pyrénées d’énormes quartiers de roche qui écrasèrent les troupeaux et les hommes[23]. Enfin, au mois d’août, une épidémie de petite vérole de la nature la plus meurtrière se déclara sur quelques points de la Gaule centrale, et, gagnant de proche en proche, parcourut presque tout le pays.

L’idée de poison occulte, qui, dans de semblables désastres, ne manque jamais de s’offrir aux imaginations populaires, fut admise presque généralement, et les potions d’herbes anti-vénéneuses jouèrent le principal rôle parmi les remèdes qu’on essaya[24]. La mortalité, qui était effrayante, frappait surtout les enfans et les personnes jeunes. La douleur des pères et des mères dominait dans ces scènes lugubres, comme le trait le plus déchirant ; elle arrache au narrateur contemporain un cri de sympathie dont l’expression a quelque chose de tendre et de gracieux : « Nous perdions, dit-il, nos doux et chers petits enfans que nous avions réchauffés dans notre sein, portés dans nos bras, nourris, avec un soin attentif, d’alimens donnés de notre propre main ; mais nous essuyâmes nos larmes et nous dîmes avec le saint homme Job : « Le Seigneur me les a donnés, le Seigneur me les a ôtés, que le nom du Seigneur soit béni[25]. »

Lorsque l’épidémie, après avoir désolé Paris et son territoire, se porta vers Soissons, enveloppant avec cette ville la résidence royale de Braine, l’un des premiers qu’elle atteignit fut le roi Hilperik. Il ressentit les graves symptômes du mal à son début, mais il eut, dans cette épreuve, le bénéfice de l’âge, et il se releva promptement[26]. À peine il entrait en convalescence, que le plus jeune de ses fils, Dagobert, qui n’était pas encore baptisé, tomba malade. Par un sentiment de prévoyance religieuse, et dans l’espoir d’attirer sur lui la protection divine, ses parens se hâtèrent de le présenter au baptême[27] ; l’enfant parut se trouver un peu mieux, mais bientôt son frère, Chlodobert, âgé de quinze ans, fut pris comme lui de la maladie régnante[28]. À la vue de ses deux fils en péril de mort, Frédégonde fut saisie des cruelles angoisses de cœur que la nature fait souffrir aux mères, et, sous le poids de l’anxiété maternelle, quelque chose d’étrange se passa dans cette ame si brutalement égoïste. Elle eut des éclairs de conscience et des sentimens d’humanité ; il lui vint des pensées de remords, de pitié pour les souffrances d’autrui, de crainte des jugemens de Dieu. Le mal qu’elle avait fait ou conseillé jusque-là, surtout les sombres évènemens de cette année, le sang versé à Limoges, les misères de tout genre qu’avait produites par tout le royaume l’établissement des nouveaux tributs, se représentaient à elle, troublaient son imagination, et lui causaient un repentir mêlé d’effroi[29].

Agitée par ses craintes maternelles et par ce soudain retour sur elle-même, Frédégonde se trouvait un jour avec le roi dans la pièce du palais où leurs deux fils étaient couchés, en proie à l’accablement de la fièvre. Il y avait du feu dans l’âtre à cause des premiers froids de septembre et pour la préparation des breuvages qu’on administrait aux jeunes malades. Hilperik, silencieux, donnait peu de signes d’émotion ; la reine, au contraire, soupirant, promenant ses regards autour d’elle, et les fixant tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre de ses enfans, montrait, par son attitude et ses gestes, la vivacité et le trouble des pensées qui l’obsédaient. Dans un pareil état de l’ame, il arrivait souvent aux femmes germaines de prendre la parole en vers improvisés ou dans un langage plus poétique et plus modulé que le simple discours. Soit qu’une passion véhémente les dominât, soit qu’elles voulussent, par un épanchement de cœur, diminuer le poids de quelque souffrance morale, elles recouraient d’instinct à cette manière plus solennelle d’exprimer leurs émotions et leurs sentimens de tout genre, la douleur, la joie, l’amour, la haine, l’indignation, le mépris[30]. Ce moment d’inspiration vint pour Frédégonde ; elle se tourna vers le roi, et attachant sur lui un regard qui commandait l’attention, elle prononça les paroles suivantes[31] :

« Il y a long temps que nous faisons le mal et que la bonté de Dieu nous supporte ; souvent elle nous a châtiés par des fièvres et d’autres maux, et nous ne nous sommes pas amendés.

« Voilà que nous perdons nos fils ; voilà que les larmes des pauvres, les plaintes des veuves, les soupirs des orphelins les tuent, et nous n’avons plus l’espérance d’amasser pour quelqu’un[32].

« Nous thésaurisons sans savoir pour qui nous accumulons tant de choses ; voilà que nos trésors restent vides de possesseur, pleins de rapines et de malédictions[33].

« Est-ce que nos celliers ne regorgeaient pas de vin ? Est-ce que nos greniers n’étaient pas combles de froment ? Est-ce que nos coffres n’étaient pas remplis d’or, d’argent, de pierres précieuses, de colliers et d’autres ornemens impériaux ? Ce que nous avions de plus beau, voilà que nous le perdons[34]. »

Ici les larmes qui, dès le début de cette lamentation, avaient commencé à couler des yeux de la reine, et qui, à chaque pause, étaient devenues plus abondantes, étouffèrent sa voix. Elle se tut et resta la tête penchée, sanglotant et se frappant la poitrine[35] ; puis elle se redressa, comme inspirée par une résolution soudaine, et dit au roi : « Eh bien ! si tu m’en crois, viens et jetons au feu tous ces rôles d’impôts iniques ; contentons-nous, pour notre fisc, de ce qui a suffi à ton père, le roi Chlother[36]. » Aussitôt elle donna l’ordre d’aller chercher dans ses coffres les registres de recensement que Marcus avait apportés des villes qui lui appartenaient. Lorsqu’elle les eut sous sa main, elle les prit l’un après l’autre et les jeta dans le large foyer, au milieu des tisons brûlans. Ses yeux s’animaient en voyant la flamme envelopper et consumer ces rôles obtenus à grand’ peine ; mais le roi Hilperik, étonné bien plus que joyeux de cette action inattendue, regardait sans proférer un seul mot d’acquiescement. « Est-ce que tu hésites ? lui dit la reine d’un ton impérieux, fais ce que tu me vois faire, afin que, si nous perdons nos fils, nous échappions du moins aux peines éternelles[37]. »

Obéissant à l’impulsion qui lui était donnée, Hilperik se rendit à la salle du palais où les actes publics étaient réunis et conservés ; il en fit extraire tous les rôles dressés pour la perception des nouvelles taxes, et commanda qu’ils fussent jetés au feu. Ensuite il envoya dans les diverses provinces de son royaume des hommes chargés d’annoncer que le décret de l’année précédente sur l’impôt territorial était annulé par le roi, et de défendre aux comtes et à tous les officiers fiscaux de l’exécuter à l’avenir[38].

Cependant la maladie mortelle suivait son cours ; le plus jeune des deux enfans succomba le premier. Ses parens voulurent qu’il fût enseveli dans la basilique de Saint-Denis, et ils firent transporter son corps du palais de Braire à Paris, sans l’accompagner eux-mêmes[39]. Tous leurs soins se portaient dès-lors sur Chlodobert, dont l’état ne donnait plus qu’une faible espérance. Renonçant pour lui à tout secours humain, ils le placèrent sur un brancard, et le conduisirent à pied jusque dans Soissons, à la basilique de Saint-Médard. Là, suivant une des pratiques superstitieuses du siècle, ils l’exposèrent, couché dans son lit près de la tombe du saint, et firent un vœu solennel pour le rétablissement de sa santé. Mais le malade, épuisé par la fatigue d’un trajet de plusieurs lieues, entra en agonie le jour même, et il expira vers minuit[40]. Cette mort émut vivement toute la population de la ville ; à l’impression de sympathie que cause d’ordinaire la fin prématurée des personnes royales, se joignait, pour les habitans de Soissons, un retour personnel sur eux-mêmes. Presque tous avaient à pleurer quelque perte récente. Ils se portèrent en foule aux funérailles du jeune prince, et le suivirent processionnellement jusqu’au lieu de sa sépulture, la basilique des martyrs saint Crépin et saint Crépinien. Les hommes versaient des larmes, et les femmes, vêtues de noir, donnaient les mêmes signes de douleur qu’aux obsèques d’un père ou d’un époux ; il leur semblait, en accompagnant ce convoi, mener le deuil de toutes les familles[41].

En témoignage de ses regrets paternels, Hilperik fit de grands dons aux églises et aux pauvres. Il ne retourna pas à Braine, dont le séjour lui était devenu odieux, et où l’épidémie continuait ses ravages ; parti de Soissons avec Frédégonde, il alla s’établir avec elle dans l’une des maisons royales qui bordaient la vaste forêt de Cuise, à peu de distance de Compiègne. On était alors au mois d’octobre, à l’époque de la chasse d’automne, espèce de solennité nationale au plaisir de laquelle tout homme de race franke se livrait avec une passion capable de lui faire oublier les plus grands chagrins[42]. Le mouvement, le bruit, l’attrait d’un exercice violent et quelquefois périlleux, calmaient la tristesse du roi et le rendaient par intervalles à son humeur habituelle mais, pour la douleur de Frédégonde, il n’y avait ni distraction ni trêve. Ses souffrances comme mère s’aggravaient du changement que la mort de ses deux fils allait amener dans sa situation comme reine, et des craintes qu’elle en concevait pour l’avenir. Il ne restait plus qu’un seul héritier du royaume de Neustrie, et c’était Chlodowig, le fils d’une autre femme, de l’épouse qu’elle avait supplantée autrefois, l’homme qu’un complot récent venait de lui signaler comme l’objet des espérances et des intrigues de ses ennemis[43]. La perspective du veuvage, malheur qu’elle devait craindre chaque jour, la frappait d’épouvante ; elle se voyait, dans ses appréhensions, dégradée de son rang, privée d’honneurs, de pouvoir, de richesses, soumise, par représailles, ou à des traitemens cruels ou à des humiliations pires que la mort.

Ce nouveau tourment d’ame ne la conduisit pas au même genre de pensées que le premier. Un moment élevée au-dessus d’elle-même par ce que l’instinct maternel porte en soi d’inspirations nobles et tendres, elle était retombée dans sa propre nature, l’égoïsme sans frein, l’astuce et la cruauté. Elle se mit à chercher les moyens de tendre à Chlodowig un piége où il perdit la vie, et ce fut sur le fléau qui venait de lui enlever son fils qu’elle compta, dans cette machination, pour faire périr son ennemi. Le jeune prince, absent de Braine, avait échappé à l’épidémie ; elle résolut de suggérer à son père, à l’aide d’un faux prétexte, l’idée de l’envoyer dans ce lieu où la contagion se montrait de plus en plus meurtrière. La raison qu’elle imagina pour persuader son mari fut sans doute l’intérêt de savoir par le témoignage d’une personne sûre, d’un membre de la famille, ce qui se passait dans cette maison royale subitement abandonnée de ses maîtres et exposée ainsi aux larcins et aux dilapidations de tout genre. Ne soupçonnant rien des motifs secrets de cet avis, Hilperik le trouva bon à suivre ; il donna, par un message, à Chlodowig, l’ordre de se rendre à Braine, et le jeune homme obéit avec cette soumission filiale qui était dans les mœurs germaniques[44].

Soit pour inspecter par lui-même ses récoltes de l’année, soit pour varier ses distractions, le roi passa bientôt de la forêt de Cuise au domaine de Chelles, sur la Marne. Là, il se prit à songer à son fils qui était à Braine, exposé, pour lui complaire, à un danger presque certain, et il le rappela près de lui[45]. Chlodowig revint sain et sauf de sa périlleuse mission ; plein de lui-même et de la bonne fortune qu’il avait de survivre à ses jeunes frères, il irrita comme à plaisir les regrets et la haine de Frédégonde. Il étalait devant elle des airs de fierté méprisante, et il tenait à tout venant des propos tels que ceux-ci[46] : « Voilà mes frères morts, le royaume reste à moi seul ; toute la Gaule me sera soumise, le sort m’a réservé l’empire universel. — Voilà que mes ennemis sont sous ma main, je les traiterai comme il me plaira[47]. » Souvent il lui arrivait de joindre des invectives contre la reine à ces forfanteries puériles où sa vanité se gonflait de l’orgueil inspiré aux Neustriens par leurs conquêtes récentes, et par l’espoir qu’ils fondaient sur elles de rétablir à leur profit l’unité de la domination franke[48].

Frédégonde était informée des moindres discours de son beau-fils, et, dans l’état de préoccupation extrême où elle se trouvait, ces vaines paroles lui causaient des mouvemens de frayeur. D’abord on lui fit des rapports exacts, ensuite le faux se mêla au vrai ; enfin, il y eut de pures fables inventées par émulation de zèle[49]. Un jour, quelqu’un vint lui dire : « Si tu restes privée de fils, c’est par l’effet des trames de Chlodowig. Il a commerce avec la fille d’une de tes servantes, et il s’est servi de la mère pour faire mourir tes enfans par des maléfices. Je t’en avertis, n’attends pas mieux pour toi maintenant que tu as perdu ce qui te donnait l’espérance de régner[50]. » Cette dénonciation mensongère, frappant la reine comme d’un coup électrique, réveilla en elle toute son énergie et la fit passer de l’abattement à la fureur. Elle fit saisir dans sa maison, garrotter et amener devant elle les deux femmes qui lui étaient désignées. Par son ordre, la concubine de Chlodowig fut battue de verges et on lui coupa les cheveux, signe d’infamie que les coutumes germaniques infligeaient, avant toute punition, à la femme adultère et à la fille débauchée ; puis, on exposa cette malheureuse dans la cour du palais, le corps serré entre les deux moitiés d’un pieu fendu qu’on avait dressé devant le logement du jeune prince pour lui faire honte et peine à la fois[51]. Pendant que la fille subissait ce genre de supplice, la mère fut mise à la question, et, à force de tortures, on tira d’elle un faux aveu des sortiléges qu’on lui imputait[52].

Munie de cette preuve qui semblait péremptoire, Frédégonde alla trouver le roi, lui dit ce qu’elle venait d’apprendre, et demanda vengeance contre Chlodowig. Son récit, adroitement mêlé d’insinuations capables de donner à Hilperik des craintes pour sa propre vie, fit sur lui une telle impression, que, sans rien examiner, sans interroger de nouveau personne, sans même entendre son fils, il résolut de le livrer à la justice de sa marâtre[53]. Devenu pusillanime à force de crédulité, supposant à Chlodowig, outre le crime dont on le chargeait, des pensées d’usurpation et de parricide, il n’osa le faire arrêter dans le palais, au milieu de ses jeunes compagnons, et ce fut par une sorte de guet-apens qu’il voulut s’assurer de sa personne. Ce jour-là, une partie de chasse eut lieu dans la forêt voisine de Chelles ; le roi s’y rendit accompagné seulement de quelques leudes dévoués parmi lesquels figuraient le duc Bob ou Baudeghisel, et le duc Desiderius, l’habile et heureux chef de l’armée d’invasion qui poursuivait alors en Aquitaine la conquête des villes de Hildebert et de Gonthramn[54]. Venu à la cour de Neustrie dans l’intervalle de deux campagnes, on eût dit qu’il s’y trouvait à point nommé pour aider de sa main la colère insensée du père contre le fils, et remplir ce rôle de ministre de la fatalité que les nobles gallo-romains jouèrent plus d’une fois dans les catastrophes domestiques de la dynastie mérovingienne[55].

À l’une des stations de la forêt, Hilperik s’arrêta et fit partir un message ordonnant à Chlodowig de se rendre auprès de lui, seul, pour un entretien secret[56]. Le jeune homme crut peut-être que ce rendez-vous mystérieux était arrangé par son père afin de lui donner le moyen de s’expliquer devant lui, de parler librement et de prouver son innocence ; du moins il obéit sans retard, n’ayant aucun soupçon de ce qui allait suivre. Arrivé à la forêt, il se trouva bientôt en présence de son père et des ducs Bob et Desiderius, qui se tenaient tous deux près de lui. On ne sait de quel air le roi accueillit son fils, s’il éclata en reproches et en malédictions, ou s’il n’y eut de sa part qu’un morne silence avec un signe de commandement. À ce signe, ou à l’ordre qui leur fut donné, Desiderius et Bob s’approchèrent du jeune prince, et le saisissant, chacun de son côté, par un bras, ils le tinrent avec force pendant qu’on lui enlevait son épée[57]. Quand il fut désarmé, on le dépouilla de ses riches habits, et on le couvrit de vêtemens grossiers ; accoutré ainsi et chargé de liens comme un vil malfaiteur, il fut conduit devant la reine et remis à sa discrétion[58].

Quoique Frédégonde eût d’avance bien arrêté ce qu’elle voulait faire quand elle se verrait maîtresse de la vie du dernier de ses beaux-fils, elle ne précipita rien ; et, suivant l’esprit de calcul et de prévoyance qui ne l’abandonnait jamais, elle retint Chlodowig prisonnier dans le palais de Chelles pour l’interroger elle-même, et tirer de ses paroles, soit des preuves contre lui, soit des renseignemens sur ses liaisons d’intérêt et d’amitié[59]. Durant trois jours, cette procédure domestique mit en présence l’un de l’autre, dans une lutte inégale, deux êtres de nature bien différente, la femme aussi adroite qu’impitoyable, pleine d’art pour dissimuler et de force pour vouloir, et le jeune homme imprudent, étourdi, franc de cœur et léger de propos. L’interrogatoire du prisonnier roula sur trois points qui lui furent présentés sous toutes les formes : Qu’avait-il à dire sur les circonstances du crime dont il était chargé ? De quelles personnes avait-il reçu des suggestions ou des conseils ? Avec quelles personnes se trouvait-il particulièrement lié d’affection[60]

De quelques détours qu’on usât pour le surprendre, Chlodowig fut inébranlable dans ses dénégations sur tous les faits allégués ; mais, ne résistant pas au plaisir de se faire gloire de la puissance et du dévouement de ses amis, il en nomma un grand nombre[61]. Cette information suffit à la reine, qui mit fin à son enquête, pour passer à l’exécution de ce qu’elle avait résolu. Au matin du quatrième jour, Chlodowig, toujours lié ou enchaîné, fut conduit de Chelles à Noisy, domaine royal situé à peu de distance sur l’autre rive de la Marne[62]. Ceux qui le transférèrent ainsi, comme pour un changement de prison, avaient des ordres secrets ; peu d’heures après son arrivée, il fut frappé à mort d’un couteau qu’on laissa dans la plaie, et enterré dans une fosse creusée le long du mur d’une chapelle dépendant du palais de Noisy[63].

Le meurtre consommé, des gens instruits par Frédégonde se rendirent auprès du roi et lui annoncèrent que Chlodowig, poussé au désespoir par la grandeur de son crime et l’impossibilité du pardon, s’était tué de sa propre main ; comme preuve du suicide, ils ajoutèrent que l’arme qui avait causé la mort était encore dans la blessure[64]. Hilperik, imperturbable dans sa crédulité, ne conçut aucun doute, ne fit ni enquête ni examen ; regardant son fils comme un coupable qui s’était puni lui-même, il ne le pleura point et ne donna pas même des ordres pour sa sépulture[65]. Cette omission fut mise à profit par la reine, dont l’inimitié ne pouvait s’assouvir ; elle s’empressa de commander qu’on déterrât le corps de sa victime et qu’on le jetât dans la Marne, pour qu’il fût à jamais impossible de l’ensevelir honorablement[66]. Mais ce calcul de barbarie demeura sans effet ; au lieu de se perdre au fond de la rivière ou d’être emportés au loin par le courant, les restes de Chlodowig furent poussés dans un filet tendu par un pêcheur du voisinage. Quand cet homme vint lever ses filets, il retira de l’eau un cadavre, et reconnut le jeune prince à sa longue chevelure qu’on n’avait point songé à lui enlever. Touché de respect et de compassion, il transporta le corps sur la rive et l’inhuma dans une fosse qu’il couvrit de gazon afin de la reconnaître, gardant pour lui seul le secret d’un acte de piété qui pouvait causer sa perte[67].

Frédégonde n’avait plus à craindre qu’un fils de Hilperik né d’une autre femme qu’elle héritât du royaume ; sa sécurité à cet égard était complète, mais ses fureurs n’étaient pas à bout. La mère de Chlodowig, l’épouse qu’elle avait fait répudier, Audovère, vivait encore dans un monastère de la ville du Mans ; cette femme avait à lui demander compte de sa propre infortune et de la mort de deux fils, le premier traqué par elle comme une bête fauve et contraint au suicide[68], le second assassiné. Soit que Frédégonde crût possible qu’au fond de son cloître Audovère nourrît des projets et trouvât des moyens de vengeance, soit que sa haine contre elle n’eût d’autre cause que le mal qu’elle-même lui avait fait, cette haine était au comble ; un nouveau crime suivit de près le meurtre de Chlodowig.

Des serviteurs de la reine, chargés de ses ordres, partirent pour le Mans, et, arrivés là, ils se firent ouvrir les portes du monastère où, depuis plus de quinze ans, Audovère était retirée et où avait grandi auprès d’elle sa fille Hildeswinde, qui portait le surnom de Basine[69]. Toutes les deux étaient comprises, chacune pour sa part, dans l’horrible commission donnée par Frédégonde ; la mère fut mise à mort, et la fille, chose incroyable si un contemporain ne l’attestait, la propre fille du roi Hilperik fut violée, et, lui vivant, subit un tel outrage[70]. Les domaines qu’Audovère avait reçus autrefois comme consolation du divorce, ses autres biens et tous ceux de Chlodowig et de sa sœur devinrent la propriété de Frédégonde[71]. Quant à la malheureuse jeune fille qui survivait déshonorée, sans famille, quoiqu’elle eût un père, et que son père fût roi, elle alla s’enfermer dans le monastère de Poitiers, et se remettre aux soins maternels de la fondatrice de cette maison, la douce et noble Radegonde[72].

La femme à qui les souffrances de la torture avaient arraché des déclarations contre elle-même et contre Chlodowig fut condamnée par jugement à être brûlée vive. En allant au supplice, elle rétracta ses aveux, criant à haute voix que tout ce qu’elle avait dit était mensonge ; mais celui que ces paroles auraient dû faire tressaillir, Hilperik, ne fut point tiré de son étrange engourdissement, et les protestations de la condamnée expirèrent inutiles au milieu des flammes du bûcher[73]. Il n’y eut point d’autres supplices au palais de Chelles ; les serviteurs et les amis de Chlodowig, instruits par l’exemple de ce qui était arrivé trois ans auparavant aux compagnons de son frère, avaient pris la fuite à propos, se dispersant de différens côtés, et faisant diligence pour sortir du royaume[74].

Des ordres expédiés aux comtes des frontières leur enjoignirent de barrer le passage aux fugitifs ; mais un seul, le trésorier de Chlodowig fut arrêté au moment où il arrivait sur le territoire de Bourges, pays du royaume de Gonthramn… Comme on le ramenait par la ville de Tours, l’évêque Grégoire, le narrateur de ces tristes scènes, le vit passer les mains liées, et apprit de ses gardiens qu’ils le menaient à la reine et à quel sort il était destiné[75]. Grégoire, ému de compassion pour ce malheureux, chargea ceux qui le conduisaient d’une lettre où il demandait sa vie. À cette prière d’un homme qu’elle révérait en dépit d’elle-même, Frédégonde fut saisie d’un salutaire étonnement, et, comme si une voix mystérieuse lui eût dit « C’est assez, » elle s’arrêta. Sa fièvre de cruauté finit ; elle eut la clémence du lion, le dédain du meurtre inutile, et non-seulement elle fit grace au prisonnier des tortures et du supplice, mais encore elle le laissa libre de s’en aller où il voudrait[76].

Cinq ans après, Hilperik était mort assassiné, laissant pour héritier de son royaume un fils âgé de quatre mois, et Frédégonde, incapable de faire tête au soulèvement de ses ennemis, avait mis cet enfant et elle-même sous la protection du roi Gonthramn, venu auprès d’elle à Paris. Dans ce voyage, qui devait lui donner la haute main sur les affaires de la Neustrie, Gonthramn était agité de sentimens très divers : la joie de pouvoir prendre sa revanche des torts que lui avait faits Hilperik, et la tristesse qu’en bon frère il ressentait de sa mort ; la défiance que lui causait l’amitié si trompeuse de Frédégonde, et l’intérêt qu’il avait à lui rendre service pour s’assurer la tutelle de son fils et la régence du royaume[77]. D’un côté, l’ambition le retenait à Paris ; de l’autre, une vague terreur le pressait d’abréger le plus possible un séjour qu’il croyait périlleux ; il jouait le rôle de patron et de défenseur de Frédégonde, et il se gardait contre elle[78]. Ses préoccupations lui ramenaient vivement à l’esprit la fin violente de son frère et de ses neveux, Merowig et Chlodowig ; ces derniers surtout, morts à la fleur de l’âge et dont il n’avait reçu aucun mal, étaient le sujet de ses rêveries mêlées de craintes pour lui-même et de regrets pour les siens. Il en parlait sans cesse et se plaignait de ne pouvoir au moins leur donner une sépulture honorable, ignorant qu’il était du lieu où leurs corps avaient été jetés[79]. De telles pensées le conduisirent à chercher des informations à cet égard, et bientôt le bruit de sa pieuse enquête fut répandu autour de Paris. Sur ce bruit, un homme de la campagne vint au logis du roi, demandant à lui parler, et, admis en sa présence, il dit : « Si cela ne doit pas tourner contre moi dans la suite, j’indiquerai en quel lieu est le cadavre de Chlodowig[80]. »

Joyeux de ce qu’il venait d’entendre, le roi Gonthramn jura au paysan qu’il ne lui serait fait aucun mal, et que bien au contraire, s’il donnait des preuves de ce qu’il annonçait, on le récompenserait par des présens[81]. Alors cet homme reprit : « Ô roi, ce que je dis est la vérité, les faits eux-mêmes le prouveront. Lorsque Chlodowig eut été tué, et enterré sous l’auvent d’un oratoire, la reine, craignant qu’un jour il ne fût découvert et enseveli avec honneur, le fit jeter dans le lit de la Marne. Je le trouvai dans les filets que j’avais préparés, selon le besoin de mon métier qui est de prendre du poisson. J’ignorais qui ce pouvait être, mais à la longueur des cheveux je reconnus que c’était Chlodowig. Je le pris sur mes épaules et le portai au rivage, où je l’enterrai et lui fis un tombeau de gazon. Ses restes sont en sûreté, fais maintenant ce que tu voudras[82]. » Gonthramn, feignant d’aller à la chasse, se fit conduire par le pêcheur au lieu où cet homme avait élevé un monticule de gazon[83]. La terre ayant été creusée, on trouva le cadavre de Chlodowig couché sur le dos et presque intact ; une partie de la chevelure, celle qui posait en dessous, s’était séparée de la tête, mais le reste, avec ses longues tresses pendantes, y demeurait encore attaché[84]. À cet indice qui ne laissait point de doute, le roi Gonthramn reconnut le fils de son frère, l’un de ceux dont il avait tant souhaité de pouvoir retrouver les restes. Il ordonna pour le jeune prince des funérailles magnifiques, et, menant lui-même le deuil, il fit transporter son corps à la basilique de Saint-Vincent, aujourd’hui Saint-Germain-des-Prés[85]. Quelques semaines après, le corps de Merowig, découvert dans le pays de Térouane, fut apporté à Paris, et enterré dans la même église, où reposait aussi le roi Hilperik[86].

Cette église fut le tombeau commun des princes mérovingiens, de ceux-là surtout qui, enlevés par une mort violente, ne purent choisir eux-mêmes leur sépulture. Son pavé subsiste, et, dans l’enceinte de l’édifice rebâti plusieurs fois, il garde encore la poussière des fils du conquérant de la Gaule. Si ces récits valent quelque chose, ils augmenteront le respect de notre âge pour l’antique abbaye royale, maintenant simple paroisse de Paris, et peut-être joindront-ils une émotion de plus aux pensées qu’inspire ce lieu de prière consacré il y a treize cents ans.

Augustin Thierry.

  1. Voyez la livraison du 1er décembre 1836.
  2. Regina… jussit libros exhiberi, qui de civitatibus suis… venerant. (Gregor. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 253.) — On doit se rappeler ici les cinq villes qui formaient le douaire de Galeswinthe.
  3. Franci verò cum Parthenium in odio magno haberent, pro eo quod eis tributa antedicti regis (Theudeberti) tempore inflexisset, eum persequi cœperunt. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. III, cap. XXXVI, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 202.) — Habebat (Fredegundis) tunc temporis secum Audonem judicem qui ei tempore regis (Chilperici) in multis consenserat malis. Ipse enim, cum Mummolo præfecto, multos de Francis, qui tempore Childeberti regis senioris ingenui fuerant, publico tributo subegit : qui post mortem regis ab ipsis spoliatus ac denudatus est. (Ibid., lib. VII, cap. XV, p. 299.)
  4. Sed cum populis tributariam functionem infligere vellent, dicentes quia librum præ manibus haberent qualiter sub anteriorum regum tempore dissolvissent, respondimus nos dicentes. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. IX, cap. XXX, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 350.) — Gaiso vero comes… tributa cœpit exigere : sed ab Eufronio episcopo prohibitus, cum exacta pravitate ad regis direxit præsentiam. (Ibid.)
  5. Chilpericus autem rex descriptiones novas et graves per consilium Fredegundis in cuncto regno suo fieri jussit. (Gesta reg. Francor., apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 563.) — Chilpericus etiam rex, suggerente Fredegunde regina, proscriptionibus gravissimis populum sibi subjectum atterere cœpit. (Aimoini monachi floriac., de Gest. Francor., lib. III, cap. XXXI ; ibid., tom. III, p. 81.)
  6. Chilpericus vero rex descriptiones novas et graves in omni regno suo fieri jussit… Statutum enim fuerat, ut possessor de propria terra unam amphoram vini per aripennem redderet. Sed et aliæ functiones infligebantur multæ, tam de reliquis terris quam de mancipiis : quod impleri non poterat. (Greg. Turon., Hist. Francor., lib. V, cap. XXIX, apud Script. rer. gallic. et francic., tom. II, p. 251.) — L’aripennis gaulois, moitié du jugerum, équivalait, suivant l’estimation de M. Dureau de la Malle, à douze ares soixante-quatre centiares ; l’amphore contenait vingt-six litres.
  7. Marcum referendarium qui hæc agere jussus fuerat. (Greg. Turon., Hist. Francor., lib. V, cap. XXIX, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 251.) — Marcus referendarius qui hanc descriptionem faciebat, secum omnes polepticos ferens. (Greg. Turon.}, Hist. epitomata, ibid., p. 409.) — Marcus referendarius huic muneri præpositus… (Aimoini monachi floriac., de Gest. Franc., lib. III, cap. XXXI ; ibid., t. III, pag. 81.) — Sous les rois mérovingiens, le titre de référendaire se donnait au chef de la chancellerie, garde du sceau ou de l’anneau royal.
  8. Lemovicinus quoque populus… congregatus in calendis martiis. (Greg. Tur., Hist. Francor., lib. V, cap. XXIX, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 251.) — Hadriani Valesii Rer. francic., lib. X, t. II, p. 102. — Les réunions ordinaires du sénat de Rome avaient lieu chaque mois aux Calendes et aux Ides. (Voy. Adam, Antiquités romaines, t. I, p. 14-15.)
  9. Plusieurs faits mentionnés par Grégoire de Tours prouvent que les questions relatives à l’assiette des impôts se traitaient, dans chaque ville, entre les commissaires royaux et la municipalité, sans intervention du comte. Voyez ce que Grégoire dit de Marowig, évêque de Poitiers, et de lui-même, lib. IX, cap. XXX.
  10. Respondimus nos dicentes : Descriptam urbem Turonicam Chlothacharii regis tempore manifestum est… Post mortem vero Chlothacharii regis Chariberto regi populus hic sacramentun dedit. Similiter etiam et ille cum juramento promisit, ut leges consuetudinesque novas populo non infligeret, sed in illo quo quondam sub patris dominatione statu vixerant, in ipso hic eos deinceps retineret ; neque ullam novam ordinationem se inflicturum super eos, quod pertineret ad spolium, spopondit. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. IX, cap. XXX ; ibid., p. 350.) — La promesse qu’en 561 le roi Haribert fit aux villes de son partage dut être faite alors par les autres fils de Chlother dans leurs royaumes respectifs. Ce qui concerne la ville de Tours peut donc s’induire pour Limoges, sauf cette différence que Tours prétendait, par privilége, à une exemption absolue d’impôts.
  11. Vere, vere. — Modò verè, modo dignè. — Æquum est, justum est. — Omnes censemus. — Omnes, omnes. Voy. Lamprid., apud Script. histor. Augustae, p. 53, et, dans les Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. I, p. 115, une note sur les acclamations du peuple et du sénat. Des réunions civiles cet usage passa dans les églises, où il fut pratiqué aux élections d’évêques et aux sermons.
  12. Dum cunctas Aquitaniæ urbes quæ ad regnum Chilperici respicere videbantur ad hæc solvenda verbis vel minis invitaret a Lemovicinis… (Aimoini monachi floriac., de Gest. Franc., lib. III, cap. XXXI, apud Script. rer. gallic. et francic., t. III, p. 81.)
  13. Lemovicinus quoque populus cum se cerneret tali fasce gravari, Marcum referendarium… : interficere voluit. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXIX ; ibid., t. II, p. 251.)
  14. Et fecisset utique nisi cura episcopus Ferreolus ab imminenti discrimine liberasset. (Ibid.)
  15. Arreptis quoque libris descriptionum incendio multitudo conjuncta concremavit. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXIX, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 251.) — Et omnes poleptici incendiis sunt concremati. (Greg. Turon., Hist. Franc. epitomata, ibid., p. 409.) — Et tomi universi quos secum ferebat igne cremati sunt. (Aimoini monachi floriac., de Gest. Franc., lib. III, cap. XXXI ; ibid., t. III, p. 81.)
  16. Undè multùm molestus rex dirigens de latere suo personas, immensis damnis populum adflixit, suppliciisque conterruit, morte multavit. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXIX, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 151.)
  17. Ferunt etiam tunc abbates atque presbyteros ad stipites extensos diversis subjacuisse tormentis, calumniantibus regalibus missis, quod in seditione populi ad incendendos libros satellites adfuissent. (Ibid.)
  18. Acerbiora quoque deinceps infligentes tributa. (Ibid.)
  19. Regina… jussit libros exhiberi, qui de civitatibus suis per Marcum venerant. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 253.) — Et ingressa in regestum (Fredegundis) reseravit arcam monilibus ornamentisque pretiosis refertam ; de qua cum diutissime res diversas extrahens filiæ adstanti porrigeret. (Ibid., lib. IX, cap. XXXIV, p. 352.)
  20. Marcus quoque referendarius post congregatos de iniquis descriptionibus thesauros… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. VI, cap. XXVIII, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 251.)
  21. Qua de causa multi relinquentes civitates illas, vel possessiones proprias, alia regna petierunt : satius ducentes alibi peregrinari, quam tali periculo subjacere. (Ibid., lib. V, cap. XXIX, p. 251.)
  22. Pari modo Rhodanus cum Arari conjunctus, ripas excedens, grave damnum populis intulit, muros Lugdunensis civitatis aliqua ex parte subvertit. (Ibid., lib. V, cap. XXXIV, p. 252.)
  23. Ipso anno graviter urbs Burdegalensis a terræ motu concussa est mæniaque civitatis in discrimine eversionis extiterunt. Qui tremor ad vicinas civitates porrectus est et usque ad Hispaniam adtigit, sed non tam valide. Tamen de Pyrenæis montibus immensi lapides sunt commoti… (Ibid.)
  24. Dysentericus morbus pene Gallias totas præoccupavit… a multis autem adserebatur venenum occultum esse. Rusticiores verò corales hoc pusulas nominabant ; quod non est incredibile, quia missiæ in scapulis sive cruribus ventosæ, procedentibus erumpentibusque vesicis, decursa sanie multi liberabantur ; sed et herbæ quæ venenis medentur, potui sumptæ plerisque presidia contulerunt. (Ibid., lib. V, cap. XXXV, p. 253.) — Voyez dans Grégoire de Tours l’énumération des symptômes, qui sont évidemment ceux de la petite vérole maligne.
  25. Et quidem primum hæc infirmitas a mense Augusto initiata parvulos adolescentes adripuit letoque subegit. Perdidimus dulces et caros nobis infantulos, quos aut gremiis fovimus, aut ulnis bajulavimus aut propria manu ministratis cibis ipsos studio sagaciore nutrivimus ; sed abstersis lacrymis cum beato Job diximus… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II ; pag. 253.) — Job, ch. I, v. 21.
  26. Igitur in his diebus Chilpericus rex graviter ægrotavit. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV, t. II, p. 253.)
  27. Quo convalescente, filius ejus junior, necdùm ex aqua et spiritu sancto renatus, ægrotare cœpit. Quem in extremis videntes, baptismo abluerunt. (Ibid.)
  28. Quo parumper melius agente, frater ejus senior, nomine Chlodobertus, ab hoc morbo corripitur. (ibid.)
  29. Ipsumque in discrimine mortis Fredegundis mater cernens, serò pœnitens… (Ibid.) — Tandem Fredegundis cujus toties dolor lacera torquebat præcordia, quoties semimortua natorum contemplabatur corpora, pristinæ feritatis oblita, humani induit compassionem animi. (Aimoini monachi floriac., de Gest. Franc., lib. III, cap. XXXI ; ibid., t. III, p. 82.)
  30. On en trouve une foule d’exemples dans les sagas, qui sont le monument le plus complet des anciennes mœurs germaniques. Les personnages de ces récits, hommes ou femmes, improvisent fréquemment ; l’improvisation des femmes est annoncée par ces formules : Tha kvad hun visu thessa, Hun svarar og kvad visu, Enn hun kvad visu (alors elle dit ces vers ; elle répondit et dit ces vers ; elle lui dit en vers, etc.). Voy. Saga af Ragnari Lodbrok, cap. IV, X, XVI ; Skioldunga saga, cap. xxxi, Volsunga saga, cap. XXIX, et tout le recueil intitulé Nordiska Kämpa dater.
  31. Ait ad regem. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 253.)
  32. « Ecce jam perdimus filios ; ecce jam eos lacrymæ pauperum, lamenta viduarum, suspiria orphanorum interimunt ; nec spes remanet cui aliquid congregemus. » (Ibid.)
  33. « Thesaurizamus nescientes cui congregamus ea. Ecce thesauri remanent a possessore vacui, rapinis ac maledictionibus pleni. » (Ibid.)
  34. « Numquid non exundabant promptuaria vino ? Numquid non horrea replebantur frumento ? Numquid non erant thesauri referti auro, argento, lapidibus pretiosis, monilibus, vel reliquis imperialibus ornamentis ? Ecce quod puicrius habehannus, perdimus. » (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 253.) — Il est difficile de croire que ce discours, si plein d’accent et de mouvement, soit une amplification de l’historien ; Grégoire de Tours n’a pas le défaut de déclamer sous le nom de ses personnages ; il leur fait dire les paroles qu’il avait lui-même entendues ou que l’opinion des contemporains leur attribuait. Or, si le discours de Frédégonde fut, comme il y a lieu de le penser, reproduit d’après des ouï-dire, on ne peut en expliquer le caractère que par l’induction qui précède.
  35. Hac effata regina, pugnis verberans pectus… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 253.)
  36. « Nunc, si placet, veni et incendamus omnes descriptiones iniquas, sufficiatque fisco nostro, quod suffecit patri regique Chlothachario. » (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 253.)
  37. Jussit libros exhiberi, qui de civitatibus suis per Marcum venerant ; projectisque in ignem, iterum ad regem conversa : « Quid tu, inquit, moraris ? Fac quod vides a me fieri. » (Ibid.)
  38. Tunc rex compunctus corde, tradidit omnes libros descriptionum igni, conflagratisque illis, misit qui futuras prohiberent descriptiones. (Ibid.)
  39. Post hæc infantulus junior dum nimio labore tabescit, extingitur ; quem cum maximo mœrore deducentes a villa Brennaco Parisius, ad basilicam sancti Dionysii sepelire mandaverunt. (Ibid.)
  40. Chlodobertum verò componentes in feretro, Suessiones ad basilicam sancti Medardi duxerunt, projicientesque eum ad sanctum sepulcrum, voverunt vota pro eo ; sed media nocte, anhelus jam et tenuis, spiritum exhalavit. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV ; apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 253.) Médard, évêque de Noyon, mort en 560, avait été enterré à Soissons, par ordre du roi Chlother.
  41. Magnus quoque hic planctus omni populo fuit ; nam viri lugentes, mulieresque lugubribus vestimentis indutæ, ut solet in conjugum exsequiis fieri, ita hoc funus sunt prosecutæ. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XXXV ; apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 253.)
  42. Igitur post mortem filiorum Chilperici, rex mense octobri in Cotia silva plenus luctu cum conjuge residebat. (Ibid., cap. XL, p. 256 ;) — Hadriani Valesii Rer. francic., lib. X, t. II, p. 108.
  43. Le complot de Leudaste et du prêtre Rikulf. Voyez la cinquième Lettre, dans la Revue du 1er mai 1836. — Chlodowig était alors âgé d’environ vingt-cinq ans.
  44. Tunc Chlodevechum filium suum Brennacum, faciente regina, transmisit, ut scilicet et ipse ab hoc interitu deperiret. Graviter ibi his diebus morbus ille qui fratres interfecerat sæviebat. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 256.)
  45. Ipse enim rex Calam parisiacæ civitatis villam advenit. Post paucos vero dies Chlodovechum ad se venire præcepit. (Ibid.) — Chelles est dans le département de Seine-et-Marne, à six lieues est de Paris.
  46. Igitur cùm in supradicta villa apud patrem habitaret, cœpit immature jactare… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 256.)
  47. « Ecce mortuis fratribus meis, ad me restitit omne regnum ; mihi universæ Galliæ subjicientur, imperiumque universum mihi fata largita sunt. Ecce inimicis in manu positis inferam quæcumgne placuerit. » (Ibid.)
  48. Sed et de noverca sua Fredegunde regina non condecibilia detrectabat. (Ibid.) — L’agrandissement de la Neustrie se poursuivait, depuis l’année 577, par l’occupation successive de toutes les villes d’Aquitaine, appartenant soit à l’Austrasie, soit au royaume de Gonthramn ; cette invasion fut complète en l’année 582. Voyez troisième et sixième Lettres. (Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1834 et du 1er décembre 1836.)
  49. Quæ illa audiens, pavore nimio terrebatur. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 256.) — Non defuere tamen qui delatoria contra eum usi arte, non solum quæ ipse injuriose loquebatur de regina verum et aliqua ad ipsam referrent mendacia. (Aimoini monachi floriac., de Gest. Franc. ; ibid., t. III, p. 87.)
  50. Post dies vero aliquot adveniens quidam ait reginæ : Ut orbata filiis sedeas, dolus hic Chlodovechi est operatus. Nam ipse concupiscens unius ancillarum tuarum filiam, maleficiis tuos per matrem ejus filios interfecit ; ideoque moneo ne speres de te melius, cum tibi spes per quam regnare debueras sit ablata. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL ; ibid., t. II, p. 256.)
  51. Tunc regina timore perterrita et furore succensa, nova orbitate compuncta, adprehensa puella in quam oculos injecerat Chlodovechus, et graviter verberata incidi comam capitis ejus jussit : ac scissæ sudi impositam defigi ante metatum Chlodovechi præcepit. (Ibid.)
  52. Matre quoque puellæ religata et tormentis diù cruciata elicuit ab ea professionem quæ hos sermones veros esse firmaret. (Ibid.)
  53. Regi exinde hæc et alia hujuscemodi insinuans, vindictam de Chlodovecho poposcit. (Ibid.)
  54. Tunc rex in venationem directus… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 256.) — Bobo dus filius Mummoleni… Bodegisilus, filius Mummoleni suessionici. (Ibid., lib. VI, cap. XLVI, p. 290, et lib. X, cap. II, p. 364.) — Les syllabes Bob, Bab, Bod, Bad, Bat, se substituaient souvent, comme petit nom familier, aux noms germaniques formés du composant Bald ou Baud, et d’un autre mot quelconque. — Voyez les troisième et sixième Lettres (15 juillet 1834 et 1er décembre 1836).
  55. Voy. l’histoire d’Arcadius, sénateur arverne, (Grégoire de Tours, liv. III, ch. IX, XII et XVIII.)
  56. Eum præcepit arcessiri secretius. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 256.)
  57. Quo adveniente, ex jussu regis adprehensus in manicis a Desiderio atque Bobone ducibus… (Ibid.)
  58. Nudatur armis et vestibus, ac vili indumento contectus, reginæ vinctus adducitur. (Ibid.)
  59. At illa in custodia eum retineri præcepit, elicere ab eo cupiens… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 256.)
  60. Si hæc ita ut audierat se haberent, vel cujus consilio usus fuerit, aut cujus hæc instinctu fecisset vel cum quibus maxime amicitias conligasset. (Ibid.)
  61. At ille reliqua denegans, amicitias multorum detexit. (Ibid.)
  62. Denique post triduum, regina vinctum jussit eum transire Matronam fluvium et in villa cui Nuceto nomen est custodiri. (Ibid.) — Noisy-le-Grand, à quatre lieues nord-est de Paris.
  63. In qua custodia cultro percussus interiit : ipsoque in loco sepultus est. (Greg. Turon., Hist. Franc.. lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 256.) — Ibid., lib. VIII, cap. x, p. 316.
  64. Interea advenerunt nuntii ad regem qui dicerent, quod ipse se ictu proprio perfodisset : et adhuc ipsum cultrum de quo se perculit, in loco stare vulneris adfirmabant. (Ibid., lib. V, cap. XL, p. 256.)
  65. Quibus verbis rex Chilpericus inlusus, nec flevit, quem ipse, ut ita dicam, morti tradiderat, instigante regina. (Ibid., p. 257.)
  66. Greg. Turon., Hist. Franc., lib. VIII, cap. x, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 316.
  67. Ibid.
  68. Merowig. Voyez la troisième Lettre dans la Revue du 15 juillet 1834.
  69. Voyez la première Lettre (livraison de la Revue du 1er décembre 1833). — Basine signifiait la bonne ; le radical de ce nom, bas ou bat, suivant les dialectes, se retrouve en allemand et en anglais moderne dans les comparatifs besser et better, et dans le superlatif best.
  70. Mater autem ejus crudeli morte necata, soror illius… delusa a pueris reginæ… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 257.)
  71. Opesque eorum omnes reginæ delatæ sunt. (Ibid.)
  72. In monasterium… transmittitur in quo nunc veste mutata consistit. (Ibid.) — Voyez la cinquième Lettre (livraison de la Revue du 1er mai 1836).
  73. Mulier quæ super Chlodovechum locuta fuerat, dijudicatur incendio concremari. Quæ cum duceretur, reclamare cœpit misera, se mendacia protulisse : sed nihil proficientibus verbis, ligata ad stipitem, vivens exuritur flammis. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 257.)
  74. Servientes quoque illius per diversa dispersi sunt. (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. V, cap. XL, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 257) — Voyez dans la troisième Lettre, la mort des compagnons de Merowig (Revue du 15 juillet 1834).
  75. Thesaurarius Chlodovechi a Cuppane stabuli comite de Biturico retractus, vinctus reginæ transmissus est diversis cruciatibus exponendus. (Ibid.)
  76. Sed eum regina et suppliciis et vinculis jussit absolvi ; liberumque, nobis obtinentibus, abire permisit. (Ibid.)
  77. Comperto autem Guntchramnus rex de fratris excessu amarissime flevit ; moderato quoque planctu, commoto exercitu Parisius dirigit. (Ibid., lib. VII, cap. V, p. 295)
  78. Nam Fredegundem patrocinio suo fovebat, ipsamque sæpius ad convivium evocans, promittens se ei fieri maximum defensorem. (Greg. Turon., lib. VII, cap. VII.) — Sed quia non erat fidus ab hominibus inter quos venerat, armis se munivit, nec umquam ad ecclesiam aut reliqua loca quò ire delectabat, sine grandi pergebat custodia. (Ibid., cap. VIII, p. 296.)
  79. Denique cum interitum Merovechi atque Chlodovechi sæpius lamentaretur, nesciretque ubi eos postquam interfecerant, projecissent… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. VIII, cap. X, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 316)
  80. Venit ad regem homo qui diceret : « Si mihi contrarium in posterum non habetur, indicabo in quo loco Chlodovechi cadaver sit positum. » (Ibid.)
  81. Juravit rex nihil ei molestum fieri, sed potius muneribus ampliari. (Ibid.)
  82. Tunc ille : « Veritatem, inquit me loqui, o rex ipsa ratio quæ acta est comprobabit. Nam quando Chlodovechus interfectus est ac sub stillicidio oratorii cujusdam sepultus, metuens regina ne aliquando inventus cum honore sepeliretur, jussit eum in alveum Matronæ fluminis projici. Tunc intra lapsum quod opere meo ad capiendorum piscium necessitatem præparaveram, reperi. Sed cum ignorarem quisnam esset, a cæsarie prolixa cognovi Chlodovechum esse… (Greg. Turon., Hist. Franc., lib. VIII, cap. X, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 316.)
  83. Quod cum rex comperisset, confingens se ad venationem procedere… (Ibid.)
  84. Detectoque tumulo, reperit corpusculum integrum et inlæsum ; una tantum pars capillorum quæ subter fuerat, jam defluxerat ; alla vero cum ipsis crinium flagellis intacta durabat. (Ibid., p. 317.)
  85. Convocato igitur episcopo civitatis, cum clero et populo et cereorum innumerabilium ornatu, ad basilicam sancti Vincentii detulit tumulandum. (Ibid.)
  86. Post hæc misit Pappolum Carnotenæ urbis episcopum, qui Merovechi cadaver requirens, juxta Chlodovechi tumulum sepelivit. (Ibid.)