Nouvelle Encyclopédie poétique, tome XVIII, 1819/14

Texte établi par P. Capelle, Ferra (Tome XVIIIp. 179-218).

DU RONDEL ET DU RONDEAU.


Le rondel, très en vogue au quinzième siècle, se composait de deux strophes dont la première était quelquefois de huit, et la seconde de six vers ; mais plus souvent de six et de quatre. Dans l’un et l’autre cas, les deux premiers vers étaient répétés à la fin de chaque strophe. On y traitait toutes sortes de sujets comme dans le rondeau, qui lui a succédé, et auquel les poetes du grand siècle ont conservé les règles prescrites par Clément Marot, qui, non content d’avoir posé les premières bases de l’épigramme,

À des refrains réglés, asservit les rondeaux.

En voici un qui contient quelques avis sages, et qui peut encore servir de modèle :

En un rondeau sur le commencement,
Un vocatif, comme maistre Clément,

Ne peut faillir rentrer par huis ou porte :
Aux plus savans poètes m’en rapporte,
Que d’en user se gardent sagement.
Bien inventer vous faut premièrement ;
L’invention déchiffrer proprement ;
Si que raison et rime ne soit morte
En un rondeau.

Usez de mots reçus communément,
Rien superflu n’y soit aucunement ;
Et de la fin quelque bon propos sorte.
Maistre passé serez certainement
En un rondeau.

Le rondeau, comme ou vient de le voir, est un petit poëme de treize vers sur deux rimes. La première partie en contient huit, après lesquels doivent être ramenés pour refrain les premiers mots du premier vers. La seconde partie est de cinq ; elle est terminée par le même refrain. Ce refrain doit être lié naturellement aux vers qui précèdent. Le mot peut être pris dans une autre acception, ce qui jette plus de variété dans l’ouvrage.

Le rondeau contient, à volonté, huit rimes masculines et cinq féminines, ou sept masculines et six féminines.

Le style marotique convient surtout à ce genre. On y emploie plus souvent les vers de dix ou de huit syllabes que le vers alexandrin, qui, par son rhythme, semble consacré aux idées nobles et sérieuses.

Le mécanisme du rondeau est parfaitement indiqué dans le suivant :

Ma foi, c’est fait de moi ; car Isabeau
M’a conjuré de lui faire un rondeau :
Cela me met en une peine extrême.
Quoi ! treize vers, huit en eau, cinq en ême !
Je lui ferais aussitôt un bateau.
En voilà cinq pourtant en un monceau :
Faisons-en huit en invoquant Brodeau,
Et puis mettons, par quelque stratagème :
Ma foi, c’est fait.

Si je pouvais encor de mon cerveau
Tirer cinq vers, l’ouvrage serait beau :
Mais cependant me voilà dans l’onzième ;
Et si je crois que je fais le douzième :
En voilà treize ajustés au niveau :
Ma foi, c’est fait.


Voiture.

Mais tout dépend du premier mot, comme l’a très-bien dit Vergier dans celui-ci :

Au premier mot, c’est là que gît la peine :
Dans le rondeau, c’est ce mot seul qui gêne ;
Trois fois il faut que, sans y rien changer,
Ce mot revienne, et qu’il s’aille loger
Où besoin est que le bon sens l’amène.
Tirez d’abord cinq vers de votre veine,
Et trois encor qui feront la huitaine,
Et s’uniront comme sans y songer
Au premier mot.

Cinq autres vers, fournis tout d’une haleine,
En feront un par-dessus la douzaine,
Qu’il faudra tous sur deux rimes forger.
Que reste-t-il ? que de les bien ranger,
Si que le sens à la fin vous ramène
Au premier mot.


Il existe une autre sorte de rondeau, qu’on appelle rondeau redoublé : il est composé de cinq quatrains ; les quatre derniers se terminent successivement par un vers du premier : on y joint quelquefois un envoi aussi de quatre vers, qui finissent par les premiers mot du rondeau.

Le rondeau, né gaulois, a la naïveté.

Boileau.


Il n’était pas d’auteur autrefois qui ne fît son rondeau ou son sonnet. Nous devons sur tout regretter le rondeau qui a de la grâce et de la franchise. Cette dernière qualité est sans doute la cause de son discrédit parmi nous : on a trop d’esprit à présent pour être simple et naïf. Hasarder aujourd’hui un rondeau, ce serait se présenter dans un cercle d’élégans du jour avec un costume du temps de Charles VIII ou de François I.er

Les rondeaux redoublés sont devenus très-rares :

Si l’on en trouve, ou n’en trouvera guère
De ces rondeaux qu’on nomme redoublés,
Beaux et tournés d’une fine manière,
Si qu’à bon droit la plupart sont sifflés.

A six quatrains les vers en sont réglés,
Sur double rime et d’espèce contraire,
Rimes où soient douze mots accouplés,
Si l’on en trouve, on n’en trouvera guère.

Doit au surplus fermer son quaternaire
Chacun des vers au premier assemblés,
Pour varier toujours l’intercalaire
De ces rondeaux qu’on nomme redoublès.

Puis par un tour, tour des plus endiablés,
Vont à pieds joints sautant la pièce entière
Les premiers mots, qu’au bout vous enfilez
Beaux et tournés d’une fine manière.

Dame Paresse, à parler sans mystère,
Tient nos rimeurs de sa cape affublés ;
Tout ce qui gêne est sûr de leur déplaire,
Si qu’à bon droit la plupart sont sifflès.


ENVOI.


Ceux qui de gloire étaient jadis comblés,
Par beau labeur en gagnaient le salaire.
Ces forts esprits, aujourd’hui cherchez-les ;
Signes de croix on aura lieu de faire,
Si l’on en trouve.


M…



RONDELS.



SUR UN DÉPART.


Le corps s’en va, mais le cœur vous demeure ;
Très-chère dame, adieu jusqu’au retour.
Trop me sera lointaine ma demeure.
Le corps s’en va, mais le cœur vous demeure ;
Très-chère dame, adieu jusqu’au retour.

Mais doux penser que j’aurai à toute heure,
Adoucira grant part de ma doulour.
Très-chère dame, adieu jusqu’au retour ;
Le corps s’en va, mais le cœur vous demeure.


Jean Froissard[1].

RÉPONSE.


Mon doux ami, adieu jusqu’au revoir ;
Qu’Amour bientost devers moi vous ramaine !
Pour vous ferai loyaument mon devoir.
Mon doux ami, adieu jusqu’au revoir ;
Qu’Amour bientost devers moi vous ramaine !

Si souhaiter pouvoit estre veoir,
Vous me verriez trente fois la semaine :
Mais puisqu’ainsi il n’est en mon pouvoir,
Mon doux ami, adieu jusqu’au revoir ;
Qu’Amour bientost devers moi vous ramaine !


Jean Froissard[2].

APPEL À LA GAITÉ.


Allez-vous-en, allez, allez,
Soucy, soin et mélancolie ;
Me cuidez-vous toute ma vie
Gouverner, comme fait avez ?
Je vous promets que non ferez ;
Raison aura sur vous maistrie[3] :
Allez-vous-en, allez, allez,
Soucy, soin et mélancolie.

Si jamais plus vous retournez
Avecque votre compagnie,
Je prie à Dieu qu’il vous maudie,
Et le jour que vous reviendrez :
Allez-vous-en, allez, allez,
Soucy, soin et mélancolie.


Charles d’Orléans[4].

À MA MIE.


Comment se peut-il faire ainsy,
En une seule créature,
Que tant ait de biens de nature,
Dont un chascun est esbahy ?
Craques tel chief-d’œuvre ne vy
Mieux accompli oultre mesure.
Comment se peut-il faire ainsy
En une seule créature ?

Mes yeux cuiday qu’eussent menty,
Quant apportèrent sa figure
Devers mon cueur en pourtraiture :
Mais vray fust, et plus que ne dy.
Comment se peut-il faire ainsy
En une seule créature ?


Charles d’Orléans

LES BAISERS.


Je ne prise point tels baisiers
Qui sont donnés par contenance,
Ou par manière d’accointance ;
Trop de gens en sont prisonniers.
On en peut avoir par milliers,
A bon marché, grant abondance.
Je ne prise point tels baisiers
Qui sont donnés par contenance.

Mais sçavez-vous lesquels sont chiers ?
Les privés venant par plaisance ;
Tous autres ne sont sans doutance,
Que pour fester estrangiers.
Je ne prise point tels baisiers
Qui sont donnés par contenance.


Charles d’Orléans.

On vient de lire ce rondel naïf et gaulois dont parle Boileau.

Nous allons donner les rondeaux, en tête desquels nous croyons en devoir placer trois de Clotilde de Surville, les plus anciens que nous connaissions suivant les principes usités encore aujourd’hui.

S’il était vrai que les poésies de Clotilde n’eussent point été retouchées par leur savant éditeur, il faudrait reculer d’un siècle les bornes de l’art des vers[5] ; et ce serait à cette femme étonnante que l’on devrait accorder la gloire d’avoir asservi à des règles exactes ce genre de poésie, et non à Clément Marot, qui, suivant le législateur du Parnasse,

A des refrains réglés asservit les rondeaux.

RONDEAUX.


À M.GR JACQUES DE TOULON,
qui souvent demandait en raillant ce que signifiait foi de pucelle.


Foy de pucelle est ung threzor divin ;
Heureulx qui l’ba, qui surtout n’en abuze !
Vive d’espoir ! cil onc ne sera vain ;[6]
Treuvera moult et plus qu’on luy refuze,[7]
S’avec l’Amour veult jouer au plus fin. 5
Dez qu’ainsy va le cueur avant la main,
Faut de rigueurs qu’ung amant nous accuze :
Eh ! ne respond d’un accueil plus humain,[8]
Foy de pucelle ?

Pour ceste-là qu’ha besoing, soir et matin,[9] 10
Aux siens costés, d’un galant qui l’amuze,
Vous jure, moy, par le chief de ma muze[10]
(S’espargne au gars la moitié du chemain)[11]
Que ne pourra jurer, au lendemain,[12]
Foy de pucelle.15


Clotilde de Surville.

À M.GR AYMARD DE POICTIERS,
qui demandait a l’auteur quel jeune ami elle lui préférait.


Voulez sçavoir qu’est l’amant qui m’actire ?
Comte, oyez-moy ; le diray sanz restraict :[13]
Non moinz que vouz de hault rang fust extraict ;
En droict corsage esgaleroit Zéphyre ;
En grace Adon ; Céphale en doulx actraict.[14] 5
Pour sien amour, s’est tel que m’en inspire ;[15]
Le diz sans pair : le vostre est moult aygret.[16]
Sera constant ?… Ah ! plus que n’en peulx dire
Voulez sçavoir !

Que de mon cueur luy disputiez l’empire, 10
Bien faict à vouz, qu’estes son banneret :
Ainz rien qu’à luy contez vostre martyre ;[17]
Vous suiz garant, tant soict l’amy discret,
Qu’en apprendrez plus que ne croy, beau sire,
Voulez sçavoir. 15


Clotilde de Surville.

À MA DOULCE MYE ROCCA,
m’interrogeant si j’avais souvenance du premier temtement d’amour.


Se m’en soubvient de ceste heure tant belle
Où mon amy vers moy vint accourant,
Plus beau cent foiz que la roze nouvelle,
Ne voyd Zéphyr d’elle s’énamourant,
Ez moyz gentilz que chante Philomelle ![18] 5
Lors que me dict : « Plus ne veulx, damoyselle,
» Aultres desduicts qu’estre pour vous souffrant, »[19]
Vyz mon esmoy : puyz demandes, cruelle,[20]
Se m’en soubvient !

Pour ceste, emprez qu’eust dict : « Fiere pucelle,[21] 10
» Estes à moy », qu’eust, de bayzers couvrant
Secrets appaz que traistre Amour décele,
Faict qu’en ses braz senty qu’alloy mourant,[22]
Pas trop, ma foy, ne me soubvient d’icelle,
Se m’en soubvient.15


Clotilde de Surville.

DE L’AMOUR DU SIÈCLE ANTIQUE.


Au bon vieux temps un train d’amour regnoit,
Qui sans grand art, et dons se demenoit,
Si qu’un bouquet donné d’amour profonde,
Cestoit donner toute la terre ronde :
Car seulement au cueur on se prenoit.
Et si par cas à jouir on venoit,
Savez-vous bien comm’on s’entretenoit ?
Vingt ans, trente ans : cela duroit un monde
Au bon vieux temps.

Or est perdu ce qu’Amour ordonnoit :
Rien que pleurs faints, rien que changes on n’oit.
Qui voudra donc qu’à aymer je me fonde ?
Il faut premier que l’Amour on refonde,
Et qu’on la meine ainsi qu’on la menoit
Au bon vieux temps.


Clément Marot.

LE SERMENT D’AMITIÉ.


A Dieu me plains, qui seul me peut entendre,
Et qui congnoist quelle fin doyuent prendre
Tant de trauaux, de ce commencement ;
Car ie suis seur (s’ils durent longuement)
Que ie puis bien certaine mort attendre.
Assez congnois que trop ueux entreprendre ;
Mais quel remède ? ailleurs ne puis entendre,
Ny ne feray : i’en fay uœu et serment
A Dieu.

Tende la Mort son arc, s’elle ueut tendre ;
Ie ne luy puis commander ny défendre ;
Une en a pris le pouuoir seulement ;
Mais si tiendray-ie en mon entendement
Ceste amitié, iusques à l’âme rendre
A Dieu.


Saint-Gelais.

LE REMÈDE EFFICACE.


Pour te guérir de cette sciatique
Qui te retient comme un paralytique,
Entre deux draps, sans aucun mouvement,
Prends-moi deux brocs d’un fin jus de sarment ;
Puis lis comment on le met en pratique :
Prends-en deux doigts, et bien chaud les applique
Sur l’épiderme où la douleur te pique,
Et tu boiras le reste promptement
Pour te guérir.

Sur cet avis ne sois point hérétique ;
Car je te fais un serment authentique
Que, si tu crains ce doux médicament,
Ton médecin, pour ton soulagement,
Fera l’essai de ce qu’il communique
Pour te guérir.


Maître Adam.

SUR LES SAISONS.


L’uneaprès l’autre elles roulent sans cesse ;
Du gai Printemps l’amoureuse richesse
Consiste en fleurs ; les blés ne sont produits
Que dans l’Été ; l’Automne a soin des fruits,
Et de l’année accomplit la promesse ;
L’Hiver arrive engourdi de paresse.
Tel fut des dieux l’ordre plein de sagesse ;
Et les saisons furent toujours depuis
L’une après l’autre.

Ainsi va l’homme : il a de la faiblesse.
Pendant l’enfance ; après, par la jeunesse
Vers les plaisirs tous ses pas sont conduits ;
De là ce feu se ralentit, et puis
Vient l’âge mûr, ensuite la vieillesse :
L’une après l’autre.


Benserade.

À BENSERADE,
Qui, après avoir mis en rondeaux les Métamorphoses d’Ovide,
avait demandé un
rondeau à l’Auteur.


A la fontaine où s’enivre Boileau,
Le grand Corneille et le sacré troupeau
De ces auteurs que l’on ne trouve guère,
Un bon rimeur doit boire à pleine aiguière,
S’il veut donner un bon tour au rondeau.
Quoique j’en boive aussi peu qu’un moineau,
Cher Benserade, il faut te satisfaire,
T’en écrire un. Eh ! c’est porter de l’eau
A la fontaine.

De tes refrains un livre tout nouveau
A bien des gens n’a pas eu l’heur de plaire :
Mais quant à moi, j’en trouve tout fort beau,
Papier, dorure, image, caractère,
Hormis les vers qu’il fallait laisser faire
A La Fontaine.


Prépetit de Grammont.

À BENSERADE,
Sur la traduction des Métamorphoses d’Ovide, en rondeaux, publiée en 1676.


Pour des rondeaux, chant royal et ballade,
Le temps n’est plus ; avec la vertugade
On a perdu la veine de Clément :
C’était un maître ; il rimait aisément ;
Point ne donnait à ses vers l’estrapade.
Il ne faut point de brillante tirade,
De jeu de mots, ni d’équivoque fade ;
Mais un facile et simple arrangement,
Pour des rondeaux.

Cela posé, notre ami Benserade
N’eût-il pas fait beaucoup plus sagement
De s’en tenir à la pantalonade,
Que de donner au public hardiment
Maint quolibet, mainte turlupinade,
Pour des rondeaux ?


Chaulieu.

À M.LLE DESHOULIÈRES.


Pour être aimé[23], il faut qu’on soit aimable,
De corps gentil, et d’esprit agréable,
S’il est possible en la fleur de ses ans :
Jeunesse duct aux doux ébattemens,
Qui de l’amour font un jeu délectable.
Vieillesse, hélas ! maladie incurable,
Rend un amant aux nymphes méprisable,
Quand à leurs yeux il s’offre en cheveux blancs
Pour être aimé.

Moi qui me sens de ce crime coupable,
Des beaux esprits doyen peu mariable,
Cessez, Iris, de rire à mes dépens :
Quand me parlez de boire, j’y consens ;
Mais plus ne suis en âge convenable
Pour être aimé.


Charpentier.

RÉPONSE À M. CHARPENTIER.


Au dieu charmant vous pouvez bien encore
Offrir encens ; point il ne déshonore
Gens comme vous, toujours sûrs d’un retour.
Oui, vous pouvez inspirer de l’amour ;
Je le sens bien au feu qui me colore.
Sur votre teint on voit toujours éclore
Ces belles fleurs dont se pare l’Aurore,
Quand elle vient annoncer un beau jour
Au dieu charmant.

Les dieux sur vous, ainsi que sur Pandore,
Ont répandu chacun ce qui décore
Les favoris du céleste séjour.
Ne craignez point ; aimez sans nul détour,
Et livrez-vous, comme l’amant de Laure,
Au dieu charmant.



M.lle Deshoulières.

CONTRE UN MAUVAIS AUTEUR.


Au bas du céleste vallon
Où règne le docte Apollon,
Certain rimailleur de village
Fait le procès au badinage
D’un des successeurs de Villon.
Fait-il bien ou mal ? C’est selon :
Mais ses vers, dignes du billon,
Sont pires qu’un vin de lignage
Au bas.

Si l’on connaissait ce brouillon,
On pourrait lui mettre un bâillon,
Et corriger son bredouillage ;
Mais pour un sot il est fort sage
De n’avoir pas écrit son nom
Au bas.


J.-B. Rousseau.

À IRIS.


Contre l’Amour voulez-vous vous défendre ?
Empêchez-vous et de voir et d’entendre
Gens dont le cœur s’explique avec esprit.
Il en est peu de ce genre maudit,
Mais trop encor pour mettre un cœur en cendre.
Quand une fois il leur plait de nous rendre
D’amoureux soins, qu’ils prennent un air tendre,
On lit en vain tout ce qu’Ovide écrit
Contre l’Amour.

De la raison il ne faut rien attendre :
Trop de malheurs n’ont su que trop apprendre
Qu’elle n’est rien dès que le cœur agit.
La seule fuite, Iris, nous garantit :
C’est le parti le plus utile à prendre
Contre l’Amour.


M.me Deshoulières.

LA RAISON EN DÉFAUT.


Taisez-vous, tendres mouvemens ;
Laissez-moi pour quelques momens :
Tout mon cœur ne saurait suffire
Aux transports que l’amour m’inspire
Pour le plus parfait des amans.
A quoi servent ces sentimens ?
Dans mes plus doux emportemens
Ma raison vient toujours me dire :
Taisez-vous.

La cruelle, depuis deux ans…
Mais, hélas ! quels redoublemens
Sens-je à mon amoureux martyre ?
Mon berger paraît ; il soupire :
Le voici ; vains raisonnemens,
Taisez-vous.


M.me Deshoulières.

SUR L’ABBÉ BOIS-ROBERT,
protégé par le cardinal de richelieu.


Coiffé d’un froc bien raffiné,
Et revêtu d’un doyenné
Qui lui rapporte de quoi frire,
Frère René devient messire,
Et vit comme un déterminé.
Un prélat riche et fortuné,
Sous un bonnet enluminé,
En est, s’il le faut ainsi dire,
Coiffé.

Ce n’est pas que frère Réné
D’aucun mérite soit orné,
Qu’il soit docte, qu’il sache écrire,
Ni qu’il dise le mot pour rire ;
Mais seulement c’est qu’il est né
Coiffé.


Malleville.

À M L’ABBE DE ***,
qui avait écrit a l’auteur qu’il n’y avait rien de si triste qu’une extrême sagesse.


Fleur de vingt ans tient lieu de toute chose :
Si sort voulait, lui qui de tout dispose,
Pour vos péchés un peu me rajeunir,
Prélat futur, je saurais vous punir
De tous les maux où votre avis m’expose.
Point ne craignez, telle métamorphose ;
Trop bien savez que, quoi qu’on se propose,
On tâche en vain à faire revenir
Fleur de vingt ans.

Quel sérieux ! dirait-on pas qu’on n’ose
Rire avec vous ? En vain votre air impose ;
Nous savons bien à quoi nous en tenir.
Tout en disant : Dieu veuille vous bénir,
Vous cueillerez, beau sire, à porte close,
Fleur de vingt ans.



M.me Deshoulières.

À UNE DAME
soupconnée d’avoir fait un rondeau.


Vous l’avez fait, je l’imagine,
Ce petit rondeau qui raffine
Tous les rondeaux de ce temps-ci :
Il porte assez bien, dieu merci,
La marque de son origine.
La grâce en est toute divine,
Et la chute tellement fine,
Que vous pouvez bien dire si
Vous l’avez fait.

En vain vous faites la mutine ;
Vous en rougissez, c’est un sine
Qui nous assure de ceci :
Non, je n’en suis plus en souci ;
Je le connais à votre mine ;
Vous l’avez fait.


Malleville.

LA VERTU EN DANGER.


Entre deux draps de toile belle et bonne,
Que très-souvent on rechange, on savonne,
La jeune Iris, au cœur sincère et haut,
Aux yeux brillans, à l’esprit sans défaut,
Jusqu’à midi volontiers se mitonne.
Je ne combats de goûts contre personne ;
Mais franchement sa paresse m’étonne ;
C’est demeurer seule plus qu’il ne faut
Entre deux draps.

Quand à rêver ainsi l’on s’abandonne,
Le traître Amour rarement le pardonne ;
A soupirer l’on s’exerce bientôt,
Et la vertu soutient un grand assaut
Quand une fille avec son cœur raisonne
Entre deux draps.


M.me Deshoulières.

LE PORTRAIT.


Il est joli, l’objet que je désire :
Raison, gaité, doux regard, doux sourire,
Rosire a tout. Vous autres, beaux-esprits,
A qui Phébus en a tant, tant appris,
Onc ne sauriez mieux jaser, ni mieux dire.
Un sein, hélas ! dont je sens tout le prix,
Je l’ai baisé, je l’ai vu, je l’ai pris :
Pour quoi l’Amour ici me fait écrire :
Il est joli.

Et cet endroit et ce secret, pourpris,
Où le plaisir fait sentir son empire,
Las ! Cupidon ne m’en a rien appris ;
Bien il est vrai que je vois à Rosire
Un pied mignon, et pied mignon veut dire :
Il est joli.


Picardet.

L’EXPLICATION.


Un peu plus bas que le mont de Surêne,
Une bergère écoutait son Philène,
Qui, loin du monde et du bruit de la cour,
Allait disant aux rochers d’alentour,
Que sa maîtresse était une inhumaine.
Elle, à ces mots, de la rive prochaine,
Pour l’arrêter, court à perte d’haleine,
Veut qu’il se taise, ou qu’il parle en ce jour
Un peu plus bas.

Sois dans mon cœur, lui cria Dalimène.
Non, non, dit-il, je n’ai point l’âme vaine :
Pour un tel bien je devrais du retour ;
Il me suffit qu’on souffre mon amour,
Et qu’on me place, en me tirant de peine,
Un peu plus bas.


Scudery.

À CLARICE.


Dans un rondeau, me dit le dieu des vers,
Peins la beauté dont tu portes les fers ;
Du grand Voiture emprunte la manière,
Et cherche ailleurs ces traits, cette lumière,
Dont en rimant moi-même je me sers.
Pour copier ses agrémens divers,
Trace Vénus sortant du sein des mers,
Et mets enfin Clarice tout entière
Dans un rondeau

Père du jour, lui dis-je, et des concerts,
Quand sur mon front j’aurais vos lauriers verts,
Je ne pourrais fournir telle carrière ;
Je tarirais plus tôt votre rivière,
Et je mettrais plus tôt tout l’univers
Dans un rondeau.


Hamilton.

AUTRE SUR LE MÊME SUJET.


L’astre du jour ne voit rien ici-bas
Qui soit égal à ces divins appas,
À ces beautés dont Flore est le modèle ;
C’est de Vénus la figure immortelle,
C’est son éclat, c’est sa bouche et ses bras.
De l’admirer nos yeux ne sont point las ;
Moins de trésors ont ces heureux climats,
Que va dorer de sa clarté nouvelle
L’astre du jour.

Celle qui fit jadis tant de fracas,
Celle pour qui Paris fit tant de pas,
La belle Hélène enfin, était moins belle,
Et n’avait pas de son temps fait comme elle
Et ce que voit, et ce que ne voit pas
L’astre du jour.


Hamilton.

PORTRAIT D’UN ABBÉ.


En manteau court, en perruque tapée,
Poudré, paré, beau comme Déiopée,
Enluminé d’un jaune vermillon,
Monsieur l’abbé, vif comme un papillon,
Jappe des vers qu’il prit à la pipée.
Phébus, voyant sa mine constipée,
Dit : Quelle est donc cette muse éclopée
Qui vient chez nous racler du violon
En manteau court ?

C’est, dit Thalie, à son rouge trompée,
Apparemment quelque jeune Napée
Qui court en masque au bas de ce vallon.
Vous vous moquez, lui répond Apollon ;
C’est tout au plus une vieille poupée
En manteau court.


J.-B. Rousseau.

À UNE DAME
qui demandait un rondeau a l’auteur[24]

.


On n’en fait plus, ma chère Eléonore ;
On ne fait plus de ces jolis rondeaux,
Dont la cadence, agréable et sonore,
Droit au refrain marchait a pas égaux.
Dans ce siècle, plus sage ou plus froid que les autres,
Il faudrait que nos cœurs fussent toujours émus :
Pour des yeux aussi vifs, aussi beaux que les vôtres,
On n’en fait plus.

Les complimens sont le fard du poête :
J’en ai fait mille ; ils étaient superflus :
Mais dès l’instant où l’on vous les répète,
On n’en fait plus.


De Laurès.

RONDEAUX REDOUBLÉS

L’AMANT GUÉRI.


Épris d’amour pour la jeune Climène,
J’ai soupiré pour elle un jour ou deux :
Si l’insensible eût partagé ma peine,
J’aurais long-temps brûlé des mêmes feux.

Depuis l’instant qu’un dépit courageux
M’ôta du cœur cette passion vaine,
Je ne saurais que plaindre un langoureux
Epris d’amour pour la jeune Climène.

Elle croyait me tenir dans sa chaîne ;
Mais quelque sot… Pourquoi perdre des vœux ?
Je sais trop bien qu’elle est fière, inhumaine :
J’ai soupiré pour elle un jour ou deux.

Je ne dis pas que mon cœur amoureux
N’eût soupiré pour elle une semaine.
J’aurais nourri cet amour dangereux,
Si l’insensible eût partagé ma peine.

Divin Bacchus, ta liqueur souveraine
M’a garanti d’un incendie affreux.
Sans ton secours, élève de Silène,
J’aurais long-temps brûlé des mêmes feux.


ENVOI.


Garder six mois une fièvre quartaine
Est, à mon sens, un mal moins rigoureux
Que d’adorer une fille hautaine
Qui de mépris relance un malheureux
Epris d’amour.


À M. LE DUC DE SAINT-AIGNAN,
sur la guérison de la fievre quarte.


Sans dégainer et sans monter Moreau,
Mettez à fin périlleuse aventure ;
Onc chevalier ne fit exploit plus beau :
Contre vous-même en ferais la gageure.

Quoi ! de félonne et laide créature,
Fièvre qui sait ouvrir l’huis du tombeau,
Savez en bref faire déconfiture,
Sans dégainer et sans monter Moreau !

Vaincre pour vous n’est pas un fait nouveau ;
Ne gît, beau sire, en ce point l’enclouure.
Dès votre avril, comme Hercule au berceau,
Mettez à fin périlleuse aventure.

Mais qu’en combat, où rien ne sert armure,
Où rien ne sert qu’on ait féé la peau,
Ayez dompté qui dompte la nature !
Onc chevalier ne fit exploit si beau.

Ci vous verrons encor faire rondeau,
Fendre géans du chef à la ceinture,
Faire de vous plus d’un vivant tableau ;
Contre vous-même en ferais la gageure.

Or, de mes vœux si le destin a cure,
Point n’entrerez dans le fatal bateau
Qu’un siècle n’ait accompli sa mesure ;
Point ne serez sans amours, sans pipeau,
Sans dégainer.


M.me Deshoulières.


LE CONSEIL.


J’en jurerais, moi qui jamais ne jure,
Que c’est l’amour qui fait votre chagrin.
Vous ne pouviez avoir pire aventure,
Fût-ce le mal monsieur Saint-Mathurin.

Ce petit dieu n’est qu’un dieu souterrain,
Et n’est pas beau, comme dit sa peinture ;
Ains il est laid comme un monstre marin :
J’en jurerais, moi qui jamais ne jure.

Vous avez beau celer votre capture ;
Votre visage auparavant serein,
Et vos soupirs, font que je conjecture
Que c’est l’amour qui fait votre chagrin.

Friand des cœurs plus qu’un poulet de grain,
Dieu sait comment du vôtre il fera cure ;
Dans quatre jours vous n’en aurez un brin :
Vous ne pouviez avoir pire aventure.

Je sentis bien, quand je fus sa pâture,
Qu’il a la dent dure comme l’airain,
Et quand il mord, Dieu sait quelle torture !
Fût-ce le mal monsieur Saint-Mathurin.

Mais écoutez remède souverain :
Un mari jeune et de belle structure,
Mieux que l’onguent que vendait Tabarin,
Veus guérira : moi, qui jamais ne jure,
J’en jurerais.


Scarron.


FIN DES RONDEAUX.
  1. Né à Valenciennee en 1337, mort en 1410. Il fut l’instituteur de la belle Pulchérie de Fay-Colan, mère de Clotilde de Surville, l’une des femmes poètes les plus extraordinaires après la malheureuse Héloïse Fulbert, poête de Troyes, et Barbe de Verrue, dont nous avons parlé dans notre discours sur l’origine de la Poésie française.
  2. On remarquera que ces deux rondels n’ont pas besoin de notes pour être compris. Ce serait étonnant pour le temps où ils furent faits, si l’on ne savait qu’ils ont été retouchés par le président Fauchet.
  3. Maistrie, aura le dessus.
  4. Charles, duc d’Orléans, père de Louii XII, ni en mai 1391, mort à Amboise le 8 janvier 1467.
  5. Clotilde, née en 1405, vivait encore en 1495, époque a laquelle elle chanta les triomphes de Charles VIII. Clément Marot naquit en 1495, et mourut en 1544.
  6. Vers 3. Qu’il vive d’espoir ! jamais cet espoir…
  7. Vers 4. Il trouvera beaucoup plus qu’on ne lui refuse.
  8. Vers 8. Eh quoi ! foi de pucelle, ne répond-elle pas.
  9. Vers 10. Pour celle qui a besoin, soir et matin…
  10. Vers 12. Je vous jure par le chef.
  11. Vers 13. Si elle épargne…
  12. Vers 14. Qu’elle ne pourra.
  13. Vers 2. Ecoutez-moi ; je vous le dirai sans restriction.
  14. Vers 5. Adonis.
  15. Vers 6. Pour son amour, s’il est tel que celui qu’il m’inspire.
  16. Vers 7. Je dis qu’il est sans pareil : le votre est aigrelet.
  17. Vers 12. Ainsi contez-lui votre martyre, et je vous…
  18. Vers 5. Dans les mois.
  19. Vers 7. Autre plaisir.
  20. Vers 8. Tu vis mon émotion.
  21. Vers 10. Pour cette autre heure.
  22. Vers 13. Que je sentis une j’allais mourir en ses bras.
  23. Il y a un hiatus dans ce vert : il se trouve dans toutes les éditions.
  24. Ces vers ne sont que l’apparence d’un rondeau ; mais ils sont tournés avec grâce, et les refrains sont parfaitement amenés.