Nouveau règlement général pour les nouvellistes


Nouveau Règlement général pour les Nouvellistes.

1703



Nouveau
Règlement général pour les Nouvellistes
,
s. l. n. d. In-41.

Dans les assemblées qui se forment de ces infatigables curieux qui font profession actuelle de s’entretenir des grands événemens, l’on n’y entend ordinairement que du galimatias et des qui-pro-quo, au lieu de discours judicieux et vraisemblables ; cet abus a obligé les presidens de tous les bureaux etablis pour le debit et l’entretien des nouvelles du temps de convoquer une assemblée generale pour convenir ensemble et authentiquement des moyens de remedier à un tel abus2.

Mais la plus grande difficulté fut de s’ajuster sur le lieu et la manière de s’assembler, car les nouvellistes des Thuilleries pretendoient que tous les autres devoient s’y rendre et leur ceder la preseance, à cause que c’etoit la maison du roi3. Le president du Luxembourg soutint qu’elle lui appartenoit d’ancienneté, et à cause du bon air qui fait ordinairement la substance des partisans de nouveautés4 ; mais celui du Palais-Royal disputa à tous le premier rang, par la raison que son fondateur avoit été le plus grand politique de son siècle5. Le president du cloître des Grands-Augustins le voulut emporter de haute lute6. Il proposa, pour soutenir son droit, toutes les boutiques qui en dependent, dans lesquelles on faisoit une continuelle lecture de toutes les gazettes qui s’impriment dans l’Europe : de sorte qu’on devoit regarder ce lieu celèbre comme le tronc copieux de toutes les nouvelles, et dont les branches s’etendent et fleurissent dans tous les autres bureaux. Neanmoins, le president des Celestins s’y opposa formellement, sous pretexte que leur jardin etoit, par privilége, destiné pour les nouvellistes de distinction, et qu’aucune autre personne n’avoit la liberté d’y entrer7. Il avança que de tout temps les plus habiles politiques en avoient fait leur centre, temoin Antoine Perez8, secretaire d’Etat des depêches universelles de Philippe II, roi d’Espagne, lequel, s’étant refugié en France, conçut tant d’inclination pour ce couvent, qu’il voulut qu’après sa mort on l’enterrât dans le cloître, où l’on voit encore son epitaphe, qui doit imprimer un vrai respect dans l’esprit des savans nouvellistes9.

Ceux du Palais, qui ne sont nourris que d’un lait qui ne sauroit jamais se cailler, formèrent empêchement à la pretention de tous les autres, et même au dessein qu’ils avoient de travailler à la reforme. Ils alleguoient pour moyen le long usage où ils etoient de parler de tout sans règle et sans connoissance, en soutenant que les saillies d’esprit et l’invention avoient bien plus de beauté et d’agrement qu’une froide relation de faits et d’evenemens ; que ce style n’etoit bon que pour les marchands, qui ne comptent que sur leur propre fonds, au lieu que les personnes d’un genie vif et heureux savoient trouver dans l’imagination un plaisir et un applaudissement qu’on ne goûtoit point dans un recit simple et uni ; que c’etoit par le secret de faire des applications hardies des loix sur differentes matières opposées que plusieurs avocats acqueroient de la reputation et de grosses fortunes ; en un mot, que l’inclination des François étoit toujours d’aller bien loin, sans s’embarrasser de la science des chemins, et qu’il suffisoit d’avoir une langue et du courage pour gagner bien du pays.

Le deputé des caffés remontra que la question dont il s’agissoit ne regardoit nullement la noblesse ni l’ancienneté des lieux où les bureaux se tenoient, mais seulement ceux qui y avoient entrée et voix deliberative ; qu’on ne pouvoit pas nier que presentement les caffés ne fussent le rendez-vous le plus ordinaire des nouvellistes d’esprit et de distinction, particulièrement en hyver, où les promenades n’etoient pas de saison, et que c’etoit pour cette raison qu’il devoit avoir la preseance dans cette generale assemblée.

Les barbiers eurent avis des motifs pourquoi elle se tenoit. Ils ne manquèrent pas d’y faire leurs remontrances, aux fins d’y être reçus comme membres de ce digne corps, fondés sur ce que de tout temps ils étoient en possession d’être les premiers nouvellistes de tous les pays, et d’être choisis pour battre l’estrade et decouvrir tout ce qui se passe d’important dans ce genre de science, ayant pour cet effet beaucoup de relations auprès des personnes de la première qualité : en sorte que c’etoit dans leurs boutiques que se rafinoient les plus curieuses nouveautés avant que de se repandre dans le public ; qu’au reste ils avoient soin de prendre regulièrement les gazettes toutes les semaines, dont la lecture ne coûtoit rien qu’un peu de patience, en attendant son rang d’être rasé, en y ajoutant, aussi gratis, des commentaires considerables, concluant que, si l’on ne leur faisoit pas la justice de leur accorder la preseance sur tous les bureaux, ils esperoient au moins d’y être agregés pour y occuper la seconde place.

Après qu’on eut examiné toutes les circonstances de ces contestations, les presidens et deputés convinrent enfin de laisser la preseance au bureau du Palais, non-seulement à cause que c’est le magasin general des nouvelles, et où il en vient moins qu’il ne s’en fabrique, mais encore pour n’avoir point de procès, qui acheveroient de gâter l’esprit s’ils étoient joints avec le negoce des nouvelles10. À l’égard du rang des autres presidens et deputés, il fut arrêté qu’il se prendroit comme ils entreroient, n’y ayant point de place, après celle du president du Palais, plus honorable l’une que l’autre. Les choses etant ainsi reglées, quoiqu’avec beaucoup de peine, on travailla serieusement aux moyens de mettre un bon ordre par tous les bureaux, qui fût ponctuellement observé par tous les nouvellistes, à peine aux contrevenans de n’être pas ecoutés, et de confisquer leurs nouvelles comme marchandises de contrebande.

On trouve les principaux articles de ce règlement, qui a eté lu, publié et affiché dans les bureaux11.



1. Une autre édition de cette très courte pièce fut donnée avec date et nom d’éditeur : Nouveau règlement général pour les nouvellistes, à Paris chez Cl. Cellier, 1703, in-8.

2. Ce qu’on dit ici de ces bureaux de nouvelles est très sérieux sans qu’il y paroisse. Le manque de gazettes autres que le Gazette de France, où se trouvoit seulement ce que le gouvernment vouloit bien laisser passer ; l’impossibilité où l’on étoit de se renseigner en dehors du cercle étroit de la feuille officielle, avoit fait organiser sur quelques points de Paris des sortes de centres auxquels venoient aboutir, comme à un écho commun, tous les bruits sur les choses de l’intérieur et de l’extérieur. On tenoit registre de ces nouvelles, quels que fussent le lieu d’où elles vinssent à la personne qui les eût apportées. On en discutoit la valeur ; et si elles le méritoient, on leur donnoit place dans le Journal, dont les copies manuscrites étoient répandues à profusion dans Paris, et qui n’est autre que ces fameuses Nouvelles à la main dont on a tant parlé. V., dans l’Encyclopédie du XIXe siècle, t. 17, p. 307–310, notre article sur ces embryons du journal.

3. Dans un curieux petit livre, l’Ambigu d’Auteuil, 1709, in-8º, p. 27, il est parlé de ces nouvellistes des Tuileries et de l’endroit où ils se tenoient. D’ordinaire, ils prenoient place sur les bancs, « à l’ombre, autour du rondeau », et sur un autre « fort long, qui est au bout du boulingrin ». C’etoit, dit plaisamment l’auteur, ce qu’on appeloit « l’arrière-ban des nouvellistes ». Parmi ceux-ci, les plus assidus étoient, à l’époque dont nous parlons, un voyageur fameux que je n’ai pas pu reconnoître, et un vieux comédien, qui doit être La Thorillière. « Il jouit, dit l’auteur, de mille écus de pension que luy fait sa troupe, et de trente mille escus qu’il a espargnez du temps que Corneille et Molière travaillèrent pour le théâtre. L’occupation de ces oisifs, ajoute-t-il, est de s’entretenir de ce qu’ils ont vu et de ce qui les regarde en particulier lorsque les nouvelles ne fournissent pas ; et bien souvent, dans l’empressement que quelques uns ont de donner bonne opinion de leur fait, quatre ou cinq parlent à la fois ».

4. Le grand centre, en effet, fut longtemps au Luxembourg. En 1678, les faiseurs de nouvelles y péroroient déjà. C’est surtout contre ceux de ce bureau que Hauteroche, cette même année, avoit dirigé sa comédie des Nouvellistes. Un peu plus tard, étoit publié, toujours à leur adresse, Le grand théâtre des Nouvellistes, docteurs et historiens à la mode, ou Le cercle fameux du Luxembourg, poëme héroï-comique, Anvers, 1689, in-8. V. aussi les Satires de Ducamp d’Orgas, 1690, in-8, p. 71. Ceux qui s’occupoient surtout des choses de la littérature, les chenilles du théâtre, comme les appelle Gresset, s’assembloient sous un grand if. C’est ce qu’il faut savoir pour bien comprendre ce couplet qui se chantoit au prologue d’une pièce de Le Sage, les Mariages du Canada, jouée en 1734 :

Grand juge-consul du Permesse,
Vous savez notre différent.
De grâce, reglez notre rang
Par un arrêt plein de sagesse,
Par un arrêt définitif,
Tel que vous en rendez à l’if.

5. C’est là, dans l’allée qui disparut pour faire place à la galerie de droite, que se trouvoit le fameux orme appelé l’arbre de Cracovie. Ce nom, que Pannard prit pour titre d’opéra comique en 1742, venoit non pas de la ville de Pologne, mais des mensonges, des craques, qui trouvoient là un abri. Au VIIe chant de la Henriade travestie il est parlé des milliers de nouvellistes

Deguenillés, mourant de faim,
De ces hableurs passant leur vie
Dessous l’arbre de Cracovie.

Les nouvellistes du Palais-Royal n’avoient pas grand crédit. V. ce qu’en dit la Gazette dans les Ennuis de Thalie (Hist. du Théâtre-Italien, t. 5, p. 263). En 1709, suivant l’Ambigu d’Auteuil, un apothicaire s’y étoit fait « l’essayeur des bonnes ou mauvaises nouvelles. »

6. Le voisinage du Pont-Neuf avoit dès longtemps achalandé de nouvelles les oisifs du cloître des Augustins. Les gazettes étoient là dans leur vrai centre. On connoît celle du Pont-Neuf faite par Saint-Amant, édit. Livet, t. 2, p. 161, et l’on sait par le Paris en vers burlesque de Bertaud, p. 36–37, que dans les presses de marchands et de curieux encombrant le pont se trouvoit toujours quelque vendeur de gazette. Dans le Grand Théâtre des nouvellistes, p. 61, il est parlé de ce docteur

Pré.....Qu’on voit tous les matins
Présider sur le banc du quai des Augustins.

7. On y voyoit surtout des abbés. V. Satires de Ducamp d’Orgas, p. 73.

8. Antonio Perez, aux derniers temps de sa vie, avoit en effet habité dans le voisinage des Célestins. Après avoir logé rue Mauconseil, vis-à-vis de l’hôtel de Bourgogne, puis à Saint-Lazare, dans la rue du Temple, au faubourg Saint-Victor, il étoit venu s’établir dans la rue de la Cerisaie. Il avoit toujours été très curieux de nouvelles, et même, comme s’il n’eût pas cessé d’être ministre de Philippe II, il poussoit jusqu’à l’espionnage cette passion de curiosité. Les Espagnols l’accusoient d’envoyer de Paris à Madrid des espions à gages. V. Œuvres choisies de Quévedo, La Haye, 1776, in-12, t. 1, p. 100. S’il alla quelquefois se mettre aux écoutes dans le cloître des Célestins, il ne put se permettre jusqu’à la fin de sa vie ces promenades de nouvelliste. Il devint en effet presque perclus de ses jambes, et, ne pouvant plus se rendre à l’église, il fut obligé de demander qu’on lui accordât le droit d’avoir une chapelle dans sa maison. (Lorente, Hist. de l’inquisition, t. 3, p. 360.)

9. « Il fut, dit M. Mignet, enterré aux Célestins, où, jusqu’à la fin du dernier siècle, on pouvoit lire une epitaphe qui rappeloit les principales vicissitudes de sa vie. » (Antonio Perez et Philippe II, 1845, in-8º, p. 301.) V. aussi Piganiol de la Force, Descript. de Paris, 1765, in-8, t. 4, p. 254–256.

10. Malgré cette décision, les nouvellistes des Tuileries gardèrent longtemps le pas qu’ils avoient pris depuis le commencement du siècle sur ceux du Luxembourg. Ils l’avoient encore en 1709. Je le vois par ce qui est dit dans l’Ambigu d’Auteuil, p. 37. Voici ce que j’y trouve : « Après que toutes les nouvelles sont dites au Palais Royal, et que des histoires qui ont été rebattues déjà cent fois y ont encore été renouvellées, les coqs des pelotons choisissent ceux qu’ils trouvent dignes de leur tenir compagnie, et leur font signe de les suivre aux Tuileries. C’est sur les six heures que se fait le tric (sic) de cette promenade, et le moins mal en ordre veut se produire dans ces magnifiques jardins, où le désajustement des autres ne seroit pas de mise. Après le tour de la grande allée, ils se retirent sous des ormes qui sont du côté de la terrasse qui borde la Seine. Là, les plus vénérables prennent séance, pendant que le reste, étant debout, ne se lasse point de participer à la récapitulation de ce qui a été débité de plus important pendant la journée, non seulement au Palais-Royal, mais au Luxembourg, à l’Arsenal, au Palais, sans oublier les cloîtres, où il se fait un monde de nouvellistes, et les fameux caffez de Paris, d’où il ne manque pas de venir des députez. »

11. Ce règlement, en 15 articles, est annexé à la seconde édition de cette pièce sous ce titre : Nouvelle ordonnance pour les nouvellistes. Il étoit en substance dans quelques vers assez bien tournés de la satire Le grand théâtre, etc., et qui seront mieux de mise ici. C’est au président du Cercle du Luxembourg que l’on s’adresse, et, comme vous verrez, on n’oublie pas d’y parler de Simonneau, qui étoit le greffier :

Ordonnez, sans délai, que pendant votre absence,
Toujours le plus ancien y tienne l’audience.
.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
Et de plus ordonnez qu’on garde mot pour mot
Vos derniers règlements d’y parler par escot ;
Et qu’en son privé nom, tout reçu nouvelliste
Repondra des faux pas que fera son copiste ;
Qu’on ne recevra pas d’acte sur le bureau
Qui ne soit paraffé du docteur Sim. . . . . . ,
Sous peine de tomber dans d’estranges bevues,
Comptant trop sur la foy de cent badauds des rües.
Que l’on fera serment, enregistrant son nom,
D’avoir toujours en bouche un soigneux : Que dit-on ?
Et de ne débiter jamais le doux sans l’aigre,
Mais, comme le chapon, le gras avec le maigre ;
Qu’on bannira du cercle un tas de ces grimaux
Dont le but n’est jamais que d’en conter à faux.
Qu’on mettra tous ses soins à purger l’assemblée
De cent donneurs d’avis faits sous la cheminée ;
Que chaque nouvelliste aura soin à son tour
De parcourir Paris et fureter la cour....

Je vous ai dit le nom du greffier du Cercle ; j’ignore celui du président, mais ce que je sais, c’est que l’individu qui, en 1728, surveilloit la transcription et la rédaction des Nouvelles à la main se nommoit Dubreuil, qu’il logeoit rue Taranne, et que l’abonnement à son journal manuscrit étoit par mois de 6 livres si l’on ne vouloit que 4 pages in-4, et de 12 livres si l’on désiroit le double de pages. Plus tard, le grand bureau fut chez madame Doublet, aux Filles-Saint-Thomas. « Sur une table, deux grands registres étoient ouverts qui recevoient de chaque survenant, l’un le positif, et l’autre le douteux ; l’un la vérité absolue, et l’autre la vérité relative. » Et voilà le berceau de ces Nouvelles à la main…, ébauche des Mémoires secrets, que Bachaumont annonce ainsi dès 1740 : « Un écrivain connu propose de donner chaque semaine une feuille de nouvelles manuscrites. Ce ne sera point un recueil de petits faits secs et peu intéressans, comme les feuilles qui se débitent depuis quelques années. Avec les événements publics que fournit ce qu’on appelle le cours des affaires, on se propose de rapporter toutes les nouvelles journalières de Paris et des capitales de l’Europe, et d’y joindre quelques réflexions sans malignité, néanmoins sans partialité, dans le seul dessein d’instruire et de plaire, par un récit où la vérité paroîtra toujours avec quelque agrément. Un recueil suivi de ces feuilles formera proprement l’histoire de notre temps… À chaque ordinaire,… elle (la feuille) sera payée sur le champ par le portier, afin qu’on aye la liberté de l’abandonner quand on n’en sera pas satisfait. » (Edmond et Jules de Goncourt, Portraits intimes du 18e siècle (Bachaumont), Paris, Dentu, 1857, in-18, p. 33–34.) — À la fin de 1752, parut aussi l’Avis d’une feuille manuscrite intitulée le Courrier de Paris. On vouloit là encore faire mieux que ces nouvelles à la main « rejetées sur les provinces par la satiété de Paris ». Quelques numéros que possède M. Albert de la Fizelière prouvent qu’on ne fit ni mieux ni plus mal. La police sévissoit souvent contre cette sorte de publicité : de là, ses disparitions et ses transformations si fréquentes ; de là aussi la rareté des copies qui en sont restées. V. notre article de l’Encyclopédie déjà cité, et le Journal de Barbier (1744), 1re édit., t. 2, p. 451.