Nouveau dictionnaire des origines, inventions et découvertes/2e éd., 1834/Encre

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ENCRE. Ménage prétend que ce mot vient de l’italien inchiostro, qui a été fait du latin encaustum, dont les Polonais ont fait incost, les Flamands inkt, et les anglais luk. C'était avec un léger


pinceau que les anciens écrivaient, et leur encre n’était autre chose que du charbon de cœur dé pin pulvérisé dans un mortier et détrempé, auprès du feu ou au soleil, avec de la gomme pour lui donner de la consistance. Deux Athéniens, Polygnote et Mycon, qui excellaient dans la peinture, sont les premiers qui aient fait de l’encre de marc de raisin, que l’on nomma tryginum, qui veut dire fait de lie de vin. Les empereurs et les rois écrivaient avec une encre pourprée, qui était composée de coquilles pulvérisées et de sang tiré de la pourpre. Il n’était permis qu’à eux d’écrire avec cette encre, appelée par les Latins encaustum. Selon Pline, le seul des anciens qui rapporte les différentes manières de faire de l’encre usitées de son temps, l'encre la plus commune, et celle dont on se servait pour écrire des livres, était faite avec de la suie d'un bois résineux appelé tœda, mêlée avec celle que l’on tirait des tuyaux de cheminées, et dans laquelle on faisait de la gomme. Le même auteur parle d’une espèce d’encre qui venait des Indes, et dont il ignore la composition ; mais il prétend que toute sorte d’encre doit être mise au soleil, pour acquérir sa perfection, et que celle dans laquelle on faisait infuser du vin d’absinthe empêchait les souris de ronger les livres. Les anciens faisaient encore de l’encre avec le sang de certains poissons qui l’avaient noir. Ils se servaient d’une liqueur rouge pour écrire les titres des livres et les grandes lettres : c’était, selon Ovide, du vermillon ou quelque autre liqueur dans laquelle on faisait infuser du bois de cèdre. Quoique l’écriture en lettres d’argent, pour le titre des livres et pour les grandes lettrés, soit très ancienne, on ne peut cependant assurer qu’elle fût en usage chez les Romains, surtout du temps de la république. Les Hollandais attribuent à Laurent Coster, natif d’Harlem, l’invention dé l’encre dont les imprimeurs se servent de nos jours. L’encre commune, la plus usitée aujourd'hui, est un composé de tannin et d’acide gallique unis à l’oxide de fer et tenus en dissolution dans une solution de gomme. L’encre d’imprimerie, dont les fabricans font encore un secret, est composée, suivant M. de Ribeaucourt, de noir de fumée et d’huile de lin bouillie jusqu’à une consistance très forte. L’encre sympathique, que l’on observa la première, et que Waitz publia en 1705, est encore la plus jolie et la mieux caractérisée. On l’obtient en dissolvant de l’hydrochlorate de cobalt dans une quantité d’eau suffisante pour que la couleur de la solution soit à peine sensible. Les caractères invisibles tracés avec cette encre apparaissent en bleu dès qu’on chauffe légèrement le papier et disparaissent par le refroidissement. Le jus d’oignon, l’acide sulfurique étendu d’eau, etc., donnent également une encre sympathique, mais qui ne peut plus disparaître après que le papier, sur lequel elle a été étendue, a été présenté au feu.

Encre indélébile. On vend depuis long-temps, dans le commerce, des encres dites indélébiles, et cependant il n’en est aucune, jusqu’à présent, qui ne soit attaquable par quelques-uns des agens chimiques connus. Le ministre de la justice ayant appelé l’attention de l’Académie des sciences, il y a déjà plusieurs années, sur les moyens de prévenir la falsification des actes et le blanchiment frauduleux des vieux papiers timbrés, il fut nommé une commission de huit membres (MM. Gay-Lussae, Dulong, Chaptal, Deyeux, Thénard, Chevreul, Darcet et Sérullas), pour s’occuper de cette importante question. Après un grand nombre d’expériences, dont plusieurs, sans doute, furent infructueuses, M. Darcet, organe de cette commission, fit un rapport le 30 mai 1831, dans lequel se trouve enfin la solution désirée. Voici, des deux procédés qui y sont indiqués, celui qui est le plus simple à mettre en pratique, : « Prenez de l’encre de la Chine ou, à son défaut, une imitation de cette encre que l’on fabrique en Europe avec du noir


de fumée et de la colle animale ou de la gomme ; délayez-la avec un mélange d’eau et d’acide hydrochloridrique qui marque un degré et demi du pèse-liqueur de Beaumé, c’est-à-dire, dont la pesanteur spécifique soit 1010. Avec ce mélange acide, l’encre se délaye plus aisément qu’avec l’eau ordinaire ; l’encre qui en résulte coule bien, pénètre suffisamment dans le papier, et préparée en gros peut ne revenir qu’à quarante-deux centimes le litre. » Il est bien étonnant que ce rapport, si impatiemment attendu, et qui intéresse à un si haut degré la société, n’ait pour ainsi dire reçu aucune publicité, puisque aujourd’hui même les notaires, et en général les hommes publics, ignorent cette précieuse découverte, et que la justice est encore obligée de poursuivre des falsificateurs.

Encre de Chine. Autrefois l’encre se faisait avec de la terre noire, c’est pourquoi le signe dont on se sert encore aujourd’hui pour désigner l’encre, se compose de deux caractères superposés, dont l’un signifie noir et l’autre terre. On fait une encre très estimée avec du noir de fumée. On emploie de l’huile de pin à laquelle on mêle le suc de l’arbre kin (de l’huile de Gergélin, suivant le P. Du Halde) et de la colle animale pour la lier et lui donner de la consistance. Quelques personnes y ajoutent une préparation odorante… C’est sous la dynastie des Thang (de 618 à 904) que l’on commença à faire de l’encre de noir de fumée. Li-king-koueï réussit à la rendre dure comme la pierre. Sous la dynastie de Song (de 960 à 1278), Tchang-In commença à faire usage du camphre et du musc dans la fabrication de l’encre ; c’est aussi lui qui le premier appliqua des feuilles d’or sur les bâtons d’encre. Quand l’encre est trop vieille, la colle animale disparaît entièrement et les caractères manquent d’éclat. Si elle est trop nouvelle la colle domine et encrasse le pinceau. Pour s’en servir avec succès, il faut qu’elle ait au moins trois ou cinq ans et dix ans au plus ; ce n’est que dans ces derniers temps que Kan- Lou a su lui donner toutes les qualités désirables. Autrefois les fabricans d’encre la conservaient dans des sachets de peau de léopard pour la préserver de l’humidité ; ils la mettaient aussi dans des coffres vernis, hermétiquement fermés pour augmenter son éclat. Anciennement l’encre qui venait de Nankin était la plus estimée ; il en est de même encore aujourd’hui. Parmi les différentes espèces d’encre qui viennent de ce pays, on met au premier rang celle qui est faite avec du noir de fumée de hou-ma (jesamum orientale) ; on y ajoute du musc, du camphre et du suc de hong-hoa (cathamus tinctorius) pour lui donner de l’éclat. On fait aussi de l’encre avec le noir de fumée du pin, mais elle est d’une qualité bien inférieure. L’encre en boule (Wan-me) est la même que celle qu’on appelle Thaïphing-me. Ces deux encres, que l’on fabrique avec le noir de fumée de pin, se tire des arrondissemens de Nié-theou et de Ngao-tcheou. On peut les employer à la teinture des étoffes. Le noir de fumée de pin vient d’un endroit appelé Hiong-ye, dans l’arrondissement de Ki-theou. On obtient ce noir de fumée en brûlant des nœuds de pins. L’encre en boule s’emploie à imprimer des lettres et des estampilles sur les ballots ou sur des caisses de marchandises. Pour écrire sur une étoffe de soie, mêlez un peu de suc de gingembre à l’eau dans laquelle vous délayez votre encre ; les caractères ne s’étaleront pas. Quand il fait très froid, délayez l’encre dans de l’eau où vous aurez mis un peu de suc de Fan-tsiao ( piper nigrum), vous pourrez écrire sans que l’encre se congèle. Quand vous avez du papier trop vieux, sur lequel il est difficile d’écrire, mêlez à l’encre du suc de Sung-kan (espèce de pin), le papier ne boira pas, et vous pourrez y tracer des caractères purs et élégans. Quand vous voulez vous assurer si l’encre est bonne ou mauvaise, mettez-en quelques gouttes sur une boîte vernissée en noir. Elle est excellente quand elle offre une teinte


noire exactement semblable à celle du vernis. On peut se servir utilement de l’encre pour guérir la brûlure. Délayez-la dans un peu d’eau, et faites-en une pâte épaisse que vous étendez sur la partie brûlée : la douleur s’apaise sur-le-champ. L’encre la meilleure et la plus estimée aujourd’hui se fabrique dans l’arrondissement de Hoës-Tcheon ; quelques fabricans à cause de la difficulté de transporter l’huile, envoient dans les districts de King-Sîang et de Ching-Youen, des personnes qui achètent à bas prix l’huile de Tong et la brûlent sur les lieux pour en obtenir le noir de fumée qu’elles rapportent avec elles. Lorsque l’encre faite avec ce noir de fumée est étendue sur du papier et exposée aux rayons obliques du soleil, elle offre un reflet d’un rouge brillant, si l’on a trempé la mèche de la lampe (où l’on a brûlé de l’huile de Tong) dans le suc de la plante Thse tsao (cercis cilicastrum) Lorsqu’on brûle de l’huile pour en obtenir du noir de fumée, une livre donne environ une once de noir de fumée de première qualité. On la recueille à mesure qu’elle se forme. Une personne vive et adroite peut faire le service de deux cents lampes. Si l’on recueille le noir de fumée avec trop de lenteur, elle se calcine, et l’on perd à-la-fois l’huile et le noir qu’on voulait en obtenir. Voici comment se fait l’encre ordinaire avec du noir de fumée de pin. On commence par dépouiller le pin de toute sa résine, ensuite on abat l’arbre. S’il restait la plus légère partie de résine, l’encre faite avec le noir de fumée de ce bois ne pourrait se dissoudre parfaitement dans l’eau et encrasserait le pinceau. Lorsqu’on veut dépouiller un pin de sa résine, on pratique un trou concave au pied de l’arbre, et on y place une lampe. Le bois s’échauffe peu à peu, et bientôt tout le suc de l’arbre découle par la saignée qu’on a faite. Les morceaux de pin que l’on brûle pour en obtenir du noir de fumée doivent être minces et avoir environ un pied de long. Le lieu destiné à recevoir le noir de fumée est une longue cage en bamboux tressés, semblable à la cabane où les mariniers se mettent à l’abri de la pluie dans les bateaux. Elle doit avoir environ cent pieds de long. On la revêt à l’intérieur et à l’extérieur de feuilles de papier collé. Ce travail terminé, on pratique plusieurs cloisons percées de petits trous pour donner passage à la fumée. On garnit le sol de terre et de briques, et après avoir achevé le conduit qui doit faire arriver la fumée jusqu’à la dernière cloison, on brûle à l’entrée des morceaux de pin pendant plusieurs jours. Quand le feu est éteint on entre dans cette longue cage pour recueillir le noir de fumée. Dès que le feu est allumé, la fumée pénètre depuis la première cloison jusqu’à la dernière. Le noir de fumée qui s’attache aux parois de la première et de la seconde cloison (en commençant par la fin), est la plus légère et la plus déliée ; elle sert à faire la meilleure encre de noir de fumée de pin. Le noir de fumée de la cloison du milieu est très épaisse, on l’emploie a fabriquer l’encre commune. Quant à celle de la première et de la seconde cloison (en partant de l’entrée), on en fait du noir que l’on vend aux imprimeurs qui l’emploient après l’avoir broyé. Le résidu, qui n’a pu être réduit en poudre, sert aux vernisseurs et aux peintres de la dernière classe. Pour juger de la qualité de l’encre faite avec du noir de fumée de pin, il suffit de la laisser tremper dans l’eau pendant quelque temps ; elle est médiocre si elle surnage, et elle est d’autant meilleure, qu’elle s’enfonce davantage dans l’eau. Lorsque l’encre a été liée avec de la colle animale, et qu'elle est suffisamment sèche, on en casse un bâton avec un marteau, et l'on juge de son degré de dureté selon qu'elle se divise en plus ou moins de morceaux. Il y a des fabricans qui dorent l'encre et qui y mèlent du musc. Il est tout-à-fait indifférent de parfumer plus ou moins le noir de fumée de pin ou d'huile. Ces renseignemens sur la fabrication et l'emploi de l'encre de Chine ont été extraits et


traduits de l’Encyclopédie japonaise et du Tian-kong-kni-ice, par M.Stanislas Julien, membre de l’académie et professeur de chinois au collège de France, (Annales de chimie et de physique.)