Nous tous/Les Grimaces

Pour les autres éditions de ce texte, voir Les Grimaces.

Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 111-114).


XLIV

LES GRIMACES


La Vérité de son puits
Sort, et puis
Dans leur splendeur ingénue
Montrant son sein et son flanc
De lys blanc,
Apparaît, superbe et nue.

Mais aussitôt, les satins
Des catins
Se hérissent d’épouvante,
Et ce peuple en falbala
Traite la
Nymphe, comme une servante.


Malgré sa noble fraîcheur,
La blancheur
De ces poudrederizées
Obscurcit les purs accords
De son corps,
Dont elles font des risées.

Fi ! disent-elles. Pour nous,
Fronts si doux,
Quel deuil que ce jaune ivoire !
Elle n’a donc ni pudeur
Ni candeur !
La vilaine, qu’elle est noire !

En sa toilette, aucun art !
Pas de nard,
Et le seul zéphyr la gante.
Sa croupe même est en vrai !
Sans délai
Chassez-moi cette arrogante.


La Nymphe au regard divin
Tâche en vain
D’apaiser tout ce tumulte ;
Avec un grand cri moqueur,
Tout le chœur
Des filles roses l’insulte.

Ce qu’il vous faut encor, c’est
Un corset,
Disent-elles. Nous, vos dupes !
Nenni. Pour avoir du chic
En public,
Vous manquez par trop de jupes.

Non, ce qui plaît et fleurit
Pour l’esprit,
C’est la robe, quand on l’ouvre.
Belle affaire, un sein vivant !
On en vend
Aux Grands Magasins du Louvre.


Cachez-le, votre corps beau,
Ce corbeau
Près de nos blancheurs de cygne !
Impudente, détalez.
Vite, allez
Mettre une feuille de vigne !


18 janvier 1884.