Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Veau.

Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 242-244).


LXXXVII

LE VEAU


Si j’en crois Gustave Claudin,
Et son livre assuré de plaire,
Où par un flamboiement soudain,
Le Paris d’autrefois s’éclaire ;

À l’ancien Café de Paris,
Où venaient, quittant leurs repaires,
Des gens qui n’étaient pas maris,
Gardes nationaux, ou pères ;

Roqueplan, cet esprit, Véron,
Cet homme à la panse étoffée,
Plus voluptueux que Néron,
Musset, beau comme un jeune Orphée ;


En cet endroit où s’échangeaient
Les diamants de la parole,
Ces grands Parisiens mangeaient
Du veau cuit à la casserole.

Et même, ô problèmes subtils
Qui tordent la raison humaine !
Ce mets que chacun évite, ils
En mangeaient trois fois par semaine.

En quoi donc était fait ce veau ?
Quelle prophétesse Cassandre,
Quelle cuisinière au cerveau
Puissant, le cuisait sur la cendre ?

La casserole où se dorait
Ce veau charmeur qui nous fait honte
Et que le poète adorait,
Fut-elle de cuivre ou de fonte ?

De pareils veaux ne cuisent plus !
Ils sont entrés dans la nuit noire,
Parmi les âges révolus
Et catalogués par l’histoire.


Comme les amours de Bulbul,
Il est bien certain que ce mythe
Nous reporte à des temps où nul
Ne prévoyait la dynamite.

Mais c’est égal, veau décevant
Qui vers des extases m’élèves,
Je te reverrai bien souvent
Dans les chimères de mes rêves.


7 mars 1884.