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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 221-223).


LXXX

CARÊME


Le mardi-gras, ayant pu voir,
Le long du boulevard, trois masques
Et deux tout petits à l’œil noir
Agitant des tambours de Basques ;

De plus, en habit vermillon
Ayant vu trois joueurs de trompe
Exécuter leur carillon,
Comme on sonne, quand on se trompe ;

Mortifiant ses sens domptés,
Guy, dont les sentiments sont tendres,
Pour expier ces voluptés
A fait son mercredi des cendres.


Sur une chaise en bois de teck,
Il mangea des pommes de terre,
Mais qui n’étaient pas au beefteck,
Dans une chambre solitaire.

Puis il monta, le long du Bois,
Un cheval, une ombre, une ellipse,
Mince, effaré, pâle, aux abois,
Et sorti de l’Apocalypse.

Puis, dans une exposition
Très intéressante, où deux nègres
Se promenaient sans passion,
Il alla voir des dessins maigres.

Le soir, son esprit se peupla
D’effrois ; il alla dans le monde
Et très longuement contempla
Une dame extrêmement blonde.

N’offrant nulle prise à l’enfer,
Elle était mince et transparente ;
On aurait dit un fil de fer
Sans nulle saillie apparente.


Rentré chez lui, Guy lut des vers
Très sages, dont jadis nous rîmes,
Purs de tout ornement pervers
Et même dénués de rimes.

Tel, évitant même l’esprit,
Que toujours Alphonse Karr aime,
Guy, dont la douceur me surprit,
A bien commencé le carême.


29 février 1884.