Nous tous/Aveu

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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 254-256).


XCI

AVEU


On lui disait : Mademoiselle,
Faites votre confession.
Rire est joli ; mais être oiselle
N’est pas une profession.

On admire votre corsage
Et ce bel œil intelligent ;
Mais pour être tout à fait sage,
Économisez de l’argent.

Si votre beauté fulgurante
Éblouit toujours le miroir,
Achetez des coupons de rente
Et mettez-les dans un tiroir.


Car un jour viendra, jour de jeûne,
Où, le doux printemps ayant fui,
Vous serez jeune, mais moins jeune
Que vous ne l’êtes aujourd’hui.

Lors, pour braver les épigrammes
Et garder les amants épris,
Il faudra des cheveux pour dames ;
Vous savez qu’ils sont hors de prix.

On lui parlait ainsi. Mais elle
Répondit, fugitif éclair :
Merci, messieurs, pour votre zèle ;
J’ai la lèvre rouge et l’œil clair.

Je m’amuse, et la vie est douce ;
Regardez ma petite main.
Je roule et n’amasse pas mousse,
Comme la pierre du chemin.

Et je ris. Être ou ne pas être
Gaie, est la seule question.
Je ne prendrai personne en traître,
Pas même le prix Montyon.


J’erre, en emplissant ma corbeille
Des lys où l’aube a mis ses pleurs,
Et j’aspire, comme l’abeille,
Le suc des odorantes fleurs.

Thésauriser m’est impossible.
J’égrène ma folle chanson,
Et puis, j’ai le tort invincible
D’être aimante — comme chausson !


11 mars 1884.