Nous tous/Bon Matin

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Nous tousG. Charpentier et Cie, éd. (p. 137-139).
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LI

BON MATIN


Au matin, Elle entra chez Guy,
Pâle, ayant pourtant l’air d’être aise,
Belle, avec un air alangui,
Dans sa robe couleur de fraise.

Dans la maison, qui se soumit,
Elle entra comme une voisine,
Et tout de suite, Elle se mit
À fourrager dans la cuisine.

Ô doux régal que parfois j’eus !
Avec de jolis airs tartuffes,
Elle arrosa d’un très bon jus
Des œufs du jour, brouillés aux truffes,


Et les servit. Guy déjeuna,
Trouvant le destin peu sévère.
Ainsi qu’aux noces de Cana,
Un vin rose empourprait son verre.

Puis, tandis qu’il en savourait
Jusqu’aux dernières gouttelettes
Qu’un rayon de soleil dorait,
Elle servit les côtelettes.

Ayant sur ce point triomphé
Sans chiffonner sa collerette,
Tandis que Guy prit son café
En fumant une cigarette,

Pour achever l’enchantement,
Elle prit un bel exemplaire
Du livre, et lut très lentement
Quelques strophes de Baudelaire.

Puis elle joua du Wagner
Au piano, montrant le lobe
D’une oreille rose, et dans l’air
Volaient les parfums de sa robe.


Elle s’agenouilla. Ses yeux
Disaient toutes sortes de choses,
Et Guy, se roulant dans les cieux,
Baisa longtemps ses lèvres roses.

Et dans son bonheur affermi
Comme un roi jeune et plein de gloire,
Il égarait ses doigts parmi
La grande chevelure noire.

Il planait, comme un Séraphin,
Dans le ciel où tout est dictame ;
Puis il dit, s’éveillant enfin :
Mais qui donc êtes-vous, madame ?

Moi ? dit-elle, s’il vous souvient
De votre désir, je suis celle
Que l’on attendait, et qui vient,
Et dont l’œil d’or sombre étincelle.

En ceci, rien d’original.
Tout est simple, dans cette affaire.
J’ai lu l’annonce du journal,
Et je suis la bonne à tout faire !


1er février 1884.