Bibliothèque de l’Action française (p. 41-43).

Au pays de Dollard[1]



C’est entendu. Nous irons le 24 mai prochain. Ce sera presque l’anniversaire de l’immortel fait d’armes. Il y a de cela exactement 258 ans, dix-sept jeunes gens, en ce coin de terre ignoré du Long-Sault, faisaient cadeau, à la colonie en péril de mort, du salut et de la gloire. Ils s’engageaient dans une lutte sans espérance et le triomphe ne leur vint que de leur défaite.

On aurait pu croire que le rivage du Long-Sault serait devenu un lieu sacré, que les bénéficiaires de cet héroïsme auraient vénéré le tombeau des héros comme une relique sainte. Hélas ! la grande solitude qui, au soir de la défaite, s’appesantit sur les cadavres et sur les ruines du petit fort, n’a pas encore été soulevée. Dans la colonie sauvée on parla sans doute pendant longtemps de la tragique aventure, et les noms de Dollard et du Long-Sault furent unis dans un même culte. Quelques voyageurs d’alors saluèrent en passant le grand souvenir, tel ce chevalier de Troyes qui, avec d’Iberville et un parti de Canadiens, passe là quelque vingt-cinq ans plus tard en route pour la baie d’Hudson. Puis ce fut l’oubli, un oubli profond qui plana en maître souverain sur les coteaux funèbres où étaient tombés les plus chevaleresques des Français.

Ah ! Je le sais, nous avons gardé dans nos annales et dans nos cœurs la mémoire de Dollard et de ses compagnons. Ils sont une de nos plus grandes fiertés. Il y a huit ans nos jeunes gens ont voulu se ressouvenir et ils ont préparé du bronze pour leurs glorieux frères de 1660. Mais lequel d’entre nous est allé revoir le théâtre du combat ? Quel père ou quelle mère de race française, en quête de leçons de dévouement pour leurs fils, ont pensé à les conduire en pèlerinage au pays de Dollard ? Quel est le jeune homme d’aspirations inquiètes qui ait choisi d’aller ajuster ses rêves d’action dans le décor épique du Long-Sault ? À peine, de temps à autre, un pèlerin inconnu, un curieux d’histoire a-t-il passé discrètement à travers le petit village de Carillon, au grand ébahissement des villageois, y cherchant le site de la légende. Souvent, dans la saison d’été, Carillon a été le terminus d’excursions de tous genres. L’emplacement du fortin historique est, semble-t-il, à quelques centaines de pas du quai d’arrivage. Et, je vous le demande, quel excursionniste s’est souvenu de l’histoire et a levé les yeux vers les collines prochaines ?

À l’Action française nous voulons que cet oubli prenne fin et que soit réparée cette trop longue indifférence. Les puissances de notre passé nous sont devenues trop nécessaires pour les laisser ainsi comme un capital abandonné. Les directeurs de la revue et quelques amis iront faire un premier pèlerinage. Ils eussent souhaité conduire à Carillon des milliers de personnes. Rien qu’une éclatante manifestation pourrait réparer un peu ce coupable oubli de deux siècles. Les misères de ce temps ont commandé aux directeurs de l’Action française de faire moins grand. Ils iront quand même en éclai- reurs, faire la première battue vers cette lointaine histoire. Et il faudra qu’après eux les grandes foules se mettent en route vers le Long-Sault. Il faudra qu’un jour, sur ce carré de sol acheté et consacré, se dresse, face à l’Outaouais, la statue de Dollard. Et pourquoi ne le dirais-je pas ? Je vois venir le jour où, au pied de ce monument, pendant que se relèveront toutes les espérances, les jeunes gens du Canada français viendront prêter leur serment à la patrie.

Mai. 1918.
  1. Nous reproduisons ici ces deux papes où l’Action française annonçait son premier pèlerinage au Long-Sault. Ce premier pèlerinage, croyons-nous, fut le point de départ de tout un mouvement national pour populariser la fête de Dollard. (Note de l’éditeur).