Notre futur
HENRIETTE DE TRÉVILLE
VALENTINE
NOTRE FUTUR
Scène PREMIÈRE
Ainsi, vous avez bien compris ? Des bougies partout, des lumières… beaucoup de lumières ! Enfin, que tout soit pour le mieux. (Entrant.) Oh ! oui, beaucoup de lumières, je les adore, moi !… C’est étonnant comme cela sied à mon visage !… (Elle s’approche de la glace.) Eh ! bien, mais savez-vous, madame, que vous êtes tout simplement ravissante. Ce costume vous va à merveille ! et je me trompe fort, ou bien vous allez faire encore quelque nouvelle conquête !… Toutes ces dames vont être furieuses ! C’est si jaloux, les femmes !… Quand à ces messieurs, par exemple… Eh ! bien, là, franchement, il y a des moments où je comprends les hommes ! (Regardant la pendule.) Huit heures un quart… (S’asseyant.) Allons ! j’ai encore deux heures devant moi, deux grandes heures d’ennui !… C’est effrayant comme le temps vous paraît long quand on attend !… Malgré moi je me sens inquiète, agitée… Ah ! dame, l’idée d’un mariage peut bien vous émouvoir un peu !… surtout lorsqu’il s’agit d’un jeune homme et que l’on est la veuve d’un vieux général !… Ah ! c’est qu’en fait d’amour, mon pauvre mari n’était pas la prodigalité même… Mon Dieu !… je ne le lui reproche pas… Le cher homme !… Je sais bien que ce n’était pas de sa faute… mais c’est égal, franchement, il était un peu trop… comment dirai-je ? un peu trop économe… Oh ! mais, avec monsieur de Néryss, cela n’est pas à craindre ! Il est jeune, lui… Il est du Midi, lui… Et quand on est du Midi, Dieu sait… Pourvu qu’il vienne seulement ! C’est qu’il y a déjà quelque temps qu’il n’a donné signe d’existence… Bah ! je l’ai invité, il viendra ; d’ailleurs il m’aime… il a l’intention de m’épouser, j’en suis sûre… il profitera donc de cette soirée pour… Et déjà, l’autre jour, dans le petit salon, lorsqu’il m’a fait asseoir sur mon joli divan havane et qu’il s’est agenouillé devant moi, je croyais bien qu’il allait faire sa demande… En tout cas, ce n’était pas l’envie qui lui manquait. (On sonne.) Tiens ! l’on a sonné ! (Regardant l’heure.) Neuf heures moins vingt… Qui peut venir si tôt ?
Scène DEUXIÈME
Thank you very much, miss Alice. You may go now ! Thank you !
Valentine !
Moi-même, cousine ! Bonjour !
Comme tu arrives de bonne heure !
Est-ce un reproche ?
Enfant, va !
C’est que, vois-tu, j’ai désiré venir un peu avant le bal… parce que j’avais à t’entretenir de choses sérieuses !
Ah ! mon Dieu !
Oh ! Très sérieuses ! Tu comprends ? il est des choses que je n’oserais dire à maman, et que je puis te dire à toi.
Merci de la préférence !
Je viens donc te demander conseil… Mais d’abord laisse-moi te faire tous mes compliments ! Dieu ! Que tu es belle ce soir !
Ah ! Le « ce soir » est aimable.
Oh ! tu es toujours restée taquine, toi… je veux dire… quelle jolie toilette tu as ce soir !… Là !
Tu trouves ?
Mais c’est-à-dire que j’ai l’air d’une petite Cendrillon à côté de toi, avec ma robe blanche, toute simple.
Toi ! tu es cent fois charmante, comme cela !
Et des diamants ! En as-tu assez ! Oh ! c’est moi qui aimerais ça, des diamants !
Tu sais bien qu’une jeune fille n’en porte pas.
Oui, tandis qu’une veuve ! Dieu ! que cela doit être agréable d’être veuve !
Eh bien ! c’est gentil pour ton futur mari ce que tu dis là !
Tiens ! c’est vrai… j’ai dit une bêtise… C’est ennuyeux… je ne fais que cela !… Ou bien je ne dis rien du tout… et alors je deviens bête… de peur de dire des bêtises !…
Gamine, va !… (Elle se lève et va prendre une tapisserie.)
Mais aussi, je te l’ai dit, je compte sur toi pour me donner quelques conseils… Ah ! d’abord, quand un jeune homme vous parle, qu’est-ce qu’il faut faire ?… Moi, je suis toujours très embarrassée… Ainsi, tiens ! à ton dernier bal, monsieur de Mercourt est venu à moi et m’a dit comme ça : « Ah ! mademoiselle, vous êtes vraiment charmante !… » Sais-tu ce que je lui ai répondu ?
Non…
« Et vous aussi, monsieur ! » Tu vois l’effet d’ici… Alors il a cru que je me moquais de lui et il est parti.
Pauvre enfant ! Voilà ce que c’est que l’innocence.
Oh ! oui, l’innocence, voilà une vertu que j’admire beaucoup… chez les autres… Que je voudrais en savoir autant que toi… mon Dieu !
Valentine !
Encore une bêtise… Tu vois, c’est plus fort que moi… Aussi, il faut absolument que tu me dises…
Ah ! pardon ! Mais d’abord, de quoi s’agit-il ?
C’est que c’est très difficile à expliquer… Il s’agit de… d’un…
Tu rougis ! Tu baisses les yeux ! Je comprends… C’est un jeune homme…
Hein ! Comment le sais-tu ?
Est-ce que je n’ai pas été jeune fille, moi ? Est-ce que je n’ai pas rougi, moi… dans le temps ?… Va ! chère petite, je ne m’y trompe pas…
Eh ! bien, oui, là !… C’est un jeune homme.
Je le savais bien… et il se nomme ?
Oh ! ça, je te le dirai plus tard.
Du mystère ? C’est parfait !… Est-il bien, au-moins ?
Lui ?… Oh !… très bien…
Très bien ?… tu me le montreras ?
Tu le verras ce soir… et tu me diras alors si j’ai bon goût…
Tiens, vraiment, tu m’amuses… et… il t’aime ?
Lui ! Oh ! oui il m’aime… il m’a dit qu’il serait bien heureux de m’épouser.
Bah ! ça ce n’est pas une preuve ! c’est une chose que les hommes vous promettent si facilement et qu’ils tiennent si peu !…
Oh ! oui, mais lui, c’est sérieux ! Figure-toi qu’à ton dernier bal, j’ai dansé avec lui… et, sans en avoir l’air, tout en valsant, il m’a emmenée dans le petit salon, tu sais ?… le petit salon ?
Oui, oui. (À part.) Il paraît que c’est l’endroit !
Il n’y avait justement personne… Alors il m’a fait asseoir sur le divan havane…
Sur mon divan havane ?
Oui ! cela t’étonne ?
Moi ? non ! (À part.) Oh ! ces hommes sont tous les mêmes ! (Haut.) Apporte-moi mes laines !…
Et puis, lorsque j’ai été assise, monsieur de…
Monsieur de ?
Ce monsieur-là, enfin, m’a pris les deux mains, et s’est mis à genoux devant moi… comme cela, tiens ! (Elle se met à genoux devant sa cousine et la prend par la taille.) Oh ! c’est étonnant comme c’est agréable de voir un homme à ses genoux !
Cela n’est pas précisément l’opinion de messieurs nos maris, cela !… Enfin ! continue.
Eh bien ! donc, il s’est mis à genoux devant moi et, avec une voix tendre, il m’a dit des choses, oh ! mais des choses !… Je ne comprenais pas toujours, mais je sentais que cela me faisait plaisir !… Oh ! mais, c’est égal ! Je t’assure que j’étais très embarrassée… Aussi, de peur de dire des bêtises, je me contentais de répondre oui à tout ce qu’il disait.
Tu disais oui ? malheureuse enfant !
Est-ce que j’ai eu tort ?
Avec les hommes, c’est si dangereux !
Mais je ne savais que répondre, moi ! Si tu l’avais entendu : « Ah ! mademoiselle, vous êtes belle et je vous aime. » — « Oui ? » — Ah ! « Valentine — il m’a appelée Valentine — Ah ! Valentine, réalisez le rêve de ma vie ! Mon cœur est consumé par l’ardeur de ses flammes et, seule, vous pouvez éteindre l’incendie que… que vos beaux yeux ont allumé. » — Ça, je n’ai pas très bien compris ce que cela voulait dire ! — « Enfin vous êtes ma reine, mon ange, Valentine ! » — « Oui. » — « Voulez-vous être ma femme ? »
Et tu as répondu ?
Oui !… Dame ! j’étais si troublée, je ne savais que dire.
Les hommes sont si entreprenants !
Oh ! oui !
« Oh ! oui ! » Ah ça, comment le sais-tu ?
Mais, cousine !
Oh ! il n’y a pas de « mais, cousine ! » Et je vois bien que tu me caches quelque chose ; mais je ne te tiens pas quitte comme cela, entends-tu bien ? et tu vas m’expliquer…
Eh ! bien, oui là ! j’aime mieux tout te dire !… À maman je n’aurais jamais osé : avec toi je sens que j’aurai plus de courage. (Baissant les yeux.) Ah ! ma chère Henriette, si tu savais ce qu’il a fait !
Ah ! mon Dieu ! C’est donc bien grave ?
Oh ! oui ! c’est grave ; c’est-à-dire que, maintenant, il faut qu’on nous marie.
Est-il possible ? oh ! pauvre enfant ! pauvre enfant !
Il m’a embrassée !
Ah ! Tu m’avais fait peur. (Elle s’assied.)
Tu ne trouves donc pas cela grave, toi ?
Mon Dieu ! si j’étais ton confesseur, je te dirais : « C’est très grave ! » Mais moi, ma pauvre enfant, je n’ai pas le courage de t’en blâmer. (Avec un soupir.) Je connais trop bien les hommes !
Est-il possible !
Et si l’on devait se marier pour si peu de chose, je crois qu’il y aurait bien peu de femmes sur la terre qui coifferaient Sainte-Catherine. (Elle reprend sa tapisserie.)
Alors, cousine, tu ne m’en veux pas ?
Moi ? chère petite !… Oh ! pas du tout !… Mon pauvre général me le disait souvent : « L’amour est la meilleure des excuses ! »… Et j’étais bien de son avis !
Mais alors… si ce soir il veut m’emmener dans le petit salon… est-ce qu’il faudra ?…
Garde-t’en bien !… Les hommes sont toujours plus entreprenants la seconde fois que la première !
Mais comment faire alors ? S’il me demande de danser avec lui, je ne puis pourtant pas lui refuser… puisqu’il m’a promis de m’épouser ?
Oh ! je devine ce que tu veux !… Voyons, fillette ! Alors tu l’aimes ?
Mon Dieu ! je ne sais pas.
Bon ! je comprends ! ça veut dire beaucoup !… Et lui, est-ce qu’il t’aime ?
Il m’adore !
Dans ce cas, c’est parfait !… Puisqu’il en est ainsi je parlerai à ta mère et, si elle y consent, tu l’épouseras !
Je l’épouserai ! (Embrassant Henriette tendrement.) Oh ! ma chère Henriette !
Hein ! Comme il y a des moments où l’on vous aime !… Ah ça ! tu serais donc bien heureuse de te marier, toi ?
Me marier, cousine ! mais c’est ce que je rêve ! Être appelée madame ! Porter des diamants !… Aller au Palais Royal !…
À la bonne heure ! Tu as une manière de comprendre tes devoirs conjugaux toi ! Je t’en fais mes compliments.
Mais, cousine…
Enfin ! Vous vous aimez : c’est l’essentiel ! et puisqu’il t’a promis de t’épouser, je parlerai à ta mère… Mais au moins, serait-il bon pour cela que je connusse le nom de ton prétendu ?
C’est juste !… D’ailleurs je n’ai plus de raisons pour te le cacher… C’est monsieur de Néryss.
Monsieur de Néryss ! (Elle pose vivement sa tapisserie.)
Oui ! Qu’y a-t-il là qui t’étonne ?
Non ! c’est impossible !
Comment ! impossible ? mais je t’assure que c’est la pure vérité.
Je te dis qu’il ne t’aime pas… J’en suis sûre.
Mais puisqu’il me l’a dit !
Bah ! Tu crois à ces choses-là, toi !
Et pourquoi ne m’aimerait-il pas, après tout ?
Parce que… parce qu’il ne t’aime pas !
Mais puisqu’il doit m’épouser, là !
Eh bien, et moi aussi, là !
Il doit t’épouser ?
Oui !
Il a demandé ta main ?
Il va me la demander ce soir !
Oh ! mais moi, c’est déjà fait : voilà la différence !
Bah ! Qu’est-ce que cela prouve ? Pour ces messieurs le mariage n’est-il pas le pseudonyme de l’amour ?
Mais…
Et puis, d’abord, il ne te convient pas du tout. Tu es bien trop jeune pour lui.
Comment ! mais c’est un jeune homme.
Lui ! un jeune homme ? Il a trente ans : c’est tout au plus un homme jeune ! voilà tout ! Va, je te dis qu’il ne te convient pas du tout.
Enfin, que veux-tu ! Cela me regarde et comme tu m’as promis de demander à maman…
Moi ! demander à ta mère !… ah ! non, par exemple !… Je ne veux pas que tu puisses me reprocher un jour d’avoir fait ton malheur.
Mon malheur !
Mais dame ! tu vois bien qu’il ne t’aime pas sérieusement.
Comment cela ?
Puisqu’il me fait aussi la cour à moi.
Mais…
Et qui te dit qu’il n’agit pas de même avec toutes les femmes ?
Oh !
Et cet homme-là serait un mari fidèle !… allons donc !
Pourquoi veux-tu l’épouser, alors ?
Pourquoi je veux l’épouser ?…
Dame ! il en sera pour toi comme pour moi ! Et je suppose que ce n’est pas pour l’unique agrément d’avoir un mari volage que…
D’abord, il n’est pas question de moi en ce moment… Et puis, je te dirai que ce n’est pas du tout la même chose… Une veuve a, sur cette matière, plus d’expérience qu’une petite fille.
Mais…
Et d’ailleurs, toi non plus tu ne l’aimes pas ! Mais non ! Si tu veux l’épouser, c’est par caprice… pour aller au Palais-Royal.
Mais quand je te dis…
Ah ! bah ! tout cela, ce sont des amours de petites filles ! un feu de paille ! Cela brûle, mais ne dure pas !… Va, ma chère enfant, je sais très bien ce qu’on éprouve à votre âge. Apercevez-vous un jeune homme ? Crac ! votre tête s’exalte ! S’avise-t-il de vous faire un compliment, le moindre brin de cour ? oh ! alors, c’est évident ! il va vous épouser !… et pour peu que vous ayez lu des romans, vous vous étonnez que le beau jeune homme ne vous demande pas la permission de vous enlever !… Oui, voilà comme vous êtes à votre âge ! Des amourettes, soit ! je vous l’accorde ! Mais un amour sérieux ? Allons donc ! non ! non ! non ! mille fois non !
Tu ne parlais pas précisément comme cela tout à l’heure !
C’est que j’ai réfléchi !
Bien rapidement alors ! car ce n’est que depuis que j’ai prononcé le nom de monsieur de Néryss que…
Que veux-tu dire ?
Eh ! je veux dire que je sais bien pourquoi tu parles de la sorte… et que les meilleurs avocats sont toujours ceux qui défendent leur propre cause.
Là ! je m’y attendais !… De l’aigreur !… Parce que je te dis des vérités sur monsieur de Néryss, alors cela te fâche ? Eh bien ! veux-tu que je te dise ?… Épouse-le ! Tu pourras te vanter d’avoir un mari charmant… trop charmant même… surtout avec les autres !
C’est ça, moque-toi de moi à présent ! Tiens ! vrai ! tu n’es pas gentille !
Voyons, Valentine !
Laisse-moi tranquille !
Ah ! Tu veux bouder ?… à ton aise ! seulement, quand tu auras fini, tu auras la bonté de me le dire. (Un instant de silence. Valentine tourne à demi le dos à Henriette. Cette dernière prend un journal sur la table et se met à lire. Tout à coup, elle pousse un cri.)
Ah ! mon Dieu, que vois-je ? Monsieur de Néryss…
Monsieur de Néryss ! Qu’y a-t-il ?
Le perfide ! Il se marie.
Il se marie !
Tiens ! lis plutôt ! (Lisant.) « On annonce le mariage prochain de monsieur Raoul de Néryss avec mademoiselle de Stainfeld ! Cette toute charmante personne… » (Parlé.) Toute charmante !… Est-il possible ! Elle louche ! (Lisant.) — « Cette toute charmante personne apporte à son mari la jolie dot de deux cent mille livres de rente ! Hâtons-nous de dire que M. de Néryss, qui est un galant homme… » — (Parlé.) Un galant homme, lui ! — « qui est un galant homme n’a vu, dans ce mariage qu’un mariage d’amour ! » — Oh ! le traître !
Qui aurait jamais pu s’attendre à cela, mon Dieu !
Oh ! les hommes ! les hommes ! les voilà bien !
Et il disait qu’il m’aimait !
Non, tenez ! Ils ne valent pas la corde pour les pendre ! Et c’est là l’homme que tu voulais épouser ? Rt tu crois que je t’aurais laissé faire cette bêtise ?… Oh ! non, par exemple !
Hélas ! cousine…
Ah ! oui, tu pousses des soupirs à présent, tu me dis : « Hélas ! cousine ! » Mais tout à l’heure, lorsque je cherchais à te dissuader, lorsque je te disais que tu faisais une sottise, tu te fâchais et tu m’en voulais, j’en suis sûre, de prendre ainsi ton intérêt contre toi-même ! Eh bien ! tu reconnais à présent combien j’avais raison ! Mais non, tu ne voulais rien entendre !… Et si je t’avais écoutée, j’aurais été demander à ta mère… et j’aurais, moi, participé à ton malheur futur… Ah ! tiens ! Valentine, tu ne mérites pas qu’on te plaigne !
Henriette, tu me fais de la peine !
Cela t’apprendra à m’écouter à l’avenir !
Hélas ! cousine, comment pouvais-je savoir ?
C’est vrai !… le perfide ! Moi aussi, je m’y étais laissé prendre !… Oh ! mais, va ! maintenant, je ne le regrette pas !
Oh ! ni moi non plus, certes ! (Tristement.) Et pourtant, je ne sais pas, il me semble que cela me fait quelque chose.
Que vois-je, tu pleures ?
Moi, non, cousine !
Enfant ! À quoi bon me cacher tes larmes ? Tu n’as pas à en rougir !… La honte n’est pas pour celui qui les verse. (L’embrassant.), mais pour celui qui les fait couler.
N’importe, je ne pleurerai pas ! Ces larmes, il ne les mérite pas.
Hélas ! ma pauvre chérie ! tu n’as pas été heureuse pour ton premier amour !… Mais qu’une chose te console. Dis-toi bien que tu aurais pu être bien plus malheureuse en devenant sa femme.
C’est vrai, cousine, aussi je ne veux plus penser à lui, et je l’oublierai, je te le promets !
C’est ce que tu feras de mieux, fillette !
Et je le haïrai !
Oh ! cela, garde t’en bien, ma pauvre enfant… tu l’adorerais.
Moi, l’adorer ? Jamais !
Oh ! toi tout comme une autre ! Va ! nous sommes toutes les mêmes, nous autres femmes ! aussi ne cherche pas à le haïr, n’essaie même pas de le juger ; car si ta douleur le condamnait, ton amour trouverait encore une excuse pour le justifier… Oublie-le : voilà tout ! et quand l’oubli sera peu à peu entré dans ton cœur, quand l’amour ne sera plus là pour excuser cet homme, alors tu verras comme tu le mépriseras et comme tu remercieras le ciel des pleurs qu’il t’aura fait verser.
Ma chère Henriette !… tu es bonne, toi… tu cherches à me consoler : tu ne veux pas que je pleure !
Mais certainement non, je ne veux pas que tu pleures ! Eh ! que diraient nos invités s’ils te voyaient de la sorte ! Je veux que tu sois gaie, au contraire, que tu ries, que tu danses, que tu t’amuses enfin !… Allons, fillette, embrasse-moi ! (Elles s’embrassent.) Et maintenant, mademoiselle de Stainfeld, vous pouvez épouser notre futur !