Notre avenir à tous - Rapport Brundtland/Chapitre 5

Chapitre 4 Rapport Brundtland Chapitre 6




Commission mondiale sur l’environnement et le développement

Chapitre 5
Sécurité alimentaire : soutenir le potentiel



Introduction modifier

Le monde produit aujourd’hui davantage de nourriture par habitant qu’il n’en a jamais produit auparavant durant tout le cours de l’histoire humaine. En 1985, il a été produit par habitant près de 500 kilogrammes de céréales et de légumes-racines, qui sont les principales sources d’aliments (1). Pourtant malgré cette abondance, plus de 730 millions d’êtres humains n’ont pas pu se nourrir suffisamment pour pouvoir mener une existence pleinement productive (2). Par endroits, il n’y a pas assez de cultures, tandis qu’ailleurs des multitudes de gens n’ont pas de quoi s’acheter à manger. Ailleurs encore, tant dans des pays développés que dans des pays en développement, de vastes régions connaissent un accroissement de la production vivrière qui sape les fondements de la future production alimentaire.

On dispose aussi bien des ressources agricoles que de la technologie nécessaire pour nourrir les populations de plus en plus nombreuses. Des résultats importants ont été acquis au cours des dernières décennies. L’agriculture ne manque pas de ressources; elle manque de politiques capables d’assurer que la nourriture soit produite là où elle est nécessaire et de façon à fournir aux populations rurales pauvres des moyens d’existence suffisants. Nous pouvons répondre à ce défi en améliorant encore nos réalisations et en élaborant de nouvelles stratégies de soutien pour assurer la sécurité de l’alimentation et des moyens d’existence.

1. Réalisations modifier

Entre 1950 et 1985, la production céréalière a augmenté plus rapidement que la population, puisqu’elle est passée d’environ 700 millions à plus de 1 800 millions de tonnes, ce qui représente un taux d’accroissement annuel de 2,7 pour cent environ (3). Cette augmentation a permis de satisfaire les demandes de céréales de plus en plus fortes résultant de l’accroissement démographique et de l’augmentation des revenus dans les pays en développement ainsi que des besoins accrus en denrées d’affouragement dans les pays développés. Les résultats n’en ont pas moins été très variables selon les régions (voir tableau 5-1).

Avec l’augmentation très marquée de la production dans certaines régions et de la demande dans d’autres, la structure du commerce mondial des denrées alimentaires, en particulier des céréales, s’est radicalement transformée. L’Amérique du Nord qui exportait à peine 5 millions de tonnes par an de céréales vivrières avant la Deuxième Guerre mondiale en exportait près de 120 millions de tonnes durant les années 1980. Le déficit céréalier de l’Europe est beaucoup plus faible actuellement et les exportations de l’Amérique du Nord se font surtout actuellement vers l’URSS, l’Asie et l’Afrique. Au début des années 1980, trois pays, la Chine, le Japon et l’URSS, absorbaient la moitié des exportations mondiales et l’autre moitié se dirigeait pour une bonne part vers des pays en développement relativement riches, comme les exportateurs de pétrole du Moyen-Orient. Plusieurs pays agricoles pauvres, notamment en Afrique au sud du Sahara, sont devenus des importateurs nets de céréales vivrières. Encore faut-il noter que, même si un quart de la population africaine vivant au sud du Sahara dépendait de céréales importées en 1984, les quantités qui ont été importées dans cette région n’ont encore jamais atteint, au cours des années 1980, le dixième du volume du commerce mondial des céréales (4).

En plus des céréales, d’autres denrées alimentaires contribuent à modifier les structures de la demande et de la production mondiales d’aliments. Ainsi, la demande de lait et de viande augmente à mesure que le niveau des revenus s’accroît dans les sociétés où les protéines animales sont en faveur, et une bonne partie des efforts de développement agricole consentis dans les nations industrialisées ont été orientés vers la satisfaction de cette demande. En Europe, la production de viande a plus que triplé entre 1950 et 1984 et la production de lait a presque doublé (5). La production de viande destinée à l’exportation a fortement augmenté, en particulier dans les terres pastorales d’Amérique latine et d’Afrique. Les exportations mondiales de viande sont passées d’environ 2 millions de tonnes en 1950-52 à plus de 11 millions de tonnes en 1984 (6).

Pour produire cette quantité de lait et de viande, il fallait un cheptel dont les effectifs comptaient en 1984 environ 1,4 milliards de bovins et de buffles, 1,6 milliards d’ovins et de caprins, 800 millions de porcins et un nombre considérable de volailles, le tout représentant un poids supérieur à celui de tous les habitants de la terre (7). Pour la plupart, ces animaux paissent, broutent ou se nourrissent de plantes locales récoltées à leur intention. Pourtant, l’accroissement de la demande de céréales fourragères a provoqué une forte augmentation de la production de céréales comme le maïs, lequel a représenté près des deux tiers de l’augmentation totale de la production céréalière en Amérique et en Europe entre 1950 et 1985.

Cette croissance sans précédent de la production vivrière a été en partie réalisée grâce à une extension de la base de production : augmentation des surfaces cultivées, du cheptel, de la flotte de pêche, etc. Mais elle est surtout due à un accroissement phénoménal de la productivité. La croissance démographique s’est traduite, dans la majeure partie du monde, par une diminution de la superficie cultivée par habitant. Aussi, parallèlement à cette diminution, les planificateurs et les exploitants agricoles se sont-ils préoccupés d’accroître la productivité. Au cours des 35 dernières années, cet effort a consisté à :

  • employer de nouvelles variétés de semences pour obtenir des rendements maximums, faciliter les cultures multiples et opposer une résistance aux maladies;
  • appliquer davantage d’engrais chimiques, dont la consommation a augmenté de plus de neuf fois (8);
  • utiliser davantage de pesticides et de produits chimiques similaires, dont l’emploi a augmenté de 32 fois (9);
  • étendre les surfaces irriguées, qui ont plus que doublé (10).

Les statistiques établies pour l’ensemble du monde masquent des différences régionales importantes (voir encadré 5-1). La technologie nouvelle n’a pas eu partout le même impact et l’écart de la technologie agricole s’est à certains égards creusé davantage. C’est ainsi, par exemple, qu’en Afrique, la productivité moyenne des céréales vivrières a diminué par rapport aux valeurs européennes, tombant de la moitié environ au cinquième au cours des 35 dernières années. Même en Asie, où la technologie nouvelle s’est rapidement répandue, la productivité a diminué par rapport aux niveaux européens (11). Des « écarts technologiques » semblables se sont creusés entre diverses régions à l’intérieur d’un même pays.

Les dernières décennies ont vu apparaître trois grands types de systèmes de production vivrière. Une « agriculture industrielle », à forte intensité de capital et d’intrants et le plus souvent à grande échelle, qui domine en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest et de l’Est, en Australie et Nouvelle-Zélande et dans de petites régions de certains pays en développement. Une agriculture du type « Révolution verte » se rencontre dans les zones homogènes, riches en ressources, souvent plates et irriguées de quelques pays en développement, surtout en Asie mais aussi dans quelques parties de l’Amérique latine et de l’Afrique du Nord. Si, dans les débuts, les nouvelles technologies ont pu favoriser les grands exploitants, elles sont aujourd’hui accessibles à un nombre croissant de petits producteurs. Enfin, une « agriculture pauvre en ressources », reposant davantage sur une pluviosité incertaine que sur l’irrigation, se pratique en général dans des régions en développement malaisées à mettre en culture : terres sèches, hautes terres, forêts, où les sols sont fragiles. Tel est le cas de presque toute l’Afrique subsaharienne et des zones les plus écartées de l’Asie et de l’Amérique latine. Là, la production par habitant a diminué et la faim pose un problème critique. Quoi qu’il en soit, les trois systèmes de production vivrière manifestent chacun des signes de crise qui menacent leur croissance.

II. Signes de crise modifier

Dans la quasi-totalité des pays, les politiques agricoles ont été axées sur l’accroissement de la production. Malgré cela, il s’est avéré beaucoup plus difficile de réaliser un accroissement régulier de la production mondiale de 3 pour cent par an autour de 1985 qu’il ne l’avait été autour de 1955. Par ailleurs, les records de production ont été contrebalancés par l’apparition concomitante de crises économiques et écologiques : les pays industrialisés ont de plus en plus de mal à gérer leur production vivrière excédentaire, les moyens d’existence de millions de producteurs pauvres dans les pays en développement subissent une érosion constante et la base de ressources agricoles est presque partout en butte à des facteurs adverses.

1. L’impact des subventions modifier

Les excédents vivriers qui existent en Amérique du Nord et en Europe proviennent surtout des subventions et autres incitations qui stimulent la production même en l’absence de demande. Les subventions directes ou indirectes qui couvrent actuellement la quasi-totalité du cycle alimentaire sont devenues extrêmement onéreuses. Aux États-Unis, le coût du soutien à l’agriculture est passé de 2,7 milliards de dollars en 1980 à 25,8 milliards en 1986. Dans la CEE, les mêmes dépenses sont passées de 6,2 milliards de dollars en 1976 à 21,5 milliards en 1986 (12).

Il est devenu politiquement plus intéressant, et en général économiquement plus avantageux, d’exporter les excédents – souvent sous forme d’aide alimentaire – que de les stocker. Ces excédents, fortement subventionnés, font baisser les prix sur le marché international de denrées telles que le sucre et ils ont créé de sérieux problèmes pour plusieurs pays en développement dont l’économie se fonde sur l’agriculture. L’aide alimentaire – autre que celle fournie en cas d’urgence – et les importations à prix réduits ont aussi pour effet de maintenir à un niveau bas les prix payés aux agriculteurs du Tiers Monde, ce qui n’encourage guère à améliorer la production vivrière locale.

Les répercussions qu’un système de production fortement subventionné exerce sur l’environnement commencent aussi à se faire sentir dans les pays industrialisés eux-mêmes où l’on constate (13) :

  • une baisse de la productivité à mesure que la qualité du sol s’appauvrit par suite d’une mise en culture intensive et d’une utilisation excessive, d’agents chimiques, d’engrais et de pesticidesl4;
  • une destruction des zones campagnardes due à la suppression des haies, des ceintures vertes et des autres couvertures végétales, ainsi qu’au nivellement, à l’occupation et à la mise en culture de terres marginales et de zones de protection des bassins versants, et
  • une pollution des nappes aquifères par des nitrates, due à l’emploi excessif, et souvent subventionné, d’engrais azotés.

Les conséquences financières, économiques et environnementales des régimes d’incitations qui sont applicables actuellement commencent à faire l’objet de critiques au niveau des gouvernements et de certains groupes, en particulier d’associations d’agriculteurs. On s’inquiète notamment des répercussions que ces politiques entraînent pour les pays en développement. Elles font baisser les prix pratiqués sur le marché international pour des denrées comme le riz et le sucre qui occupent une place importante dans les exportations de nombreux pays en développement et imposent donc à ces derniers de sérieux manques-à-gagner. Elles accentuent l’instabilité des prix mondiaux. Et elles découragent les pays producteurs de traiter eux-mêmes leurs denrées agricoles (15).

Il en va de l’intérêt de tous, en particulier de celui des agriculteurs, que ces politiques soient modifiées. Déjà, ces dernières années, certains changements sont intervenus dans le, cas de la conservation et quelques régimes de subventions ont mis l’accent sur la nécessité de réduire les surfaces cultivées. La charge économique et financière que représente les subventions doit être allégée et le tort que les régimes incitatoires causent à l’agriculture des pays en développement en perturbant les marchés mondiaux doit être éliminé.

2. L’indifférence vis-à-vis des petits producteurs modifier

La technologie nouvelle qui permet l’accroissement de la productivité agricole demande des qualifications scientifiques et techniques, un service approprié de vulgarisation et de prestations en faveur des agriculteurs et une orientation commerciale dans la gestion agricole. Dans bien des régions de l’Asie, notamment, les petits exploitants ont fait preuve d’une remarquable aptitude à utiliser les techniques nouvelles si on leur apporte les incitations nécessaires et des appuis financiers et logistiques adéquats. En Afrique, les petits producteurs de cultures commerciales ont fait la démonstration du potentiel que constituent les petits exploitants sur ce continent et des résultats tout aussi positifs ont également été enregistrés ces dernières années avec les cultures vivrières. Toutefois, les contrées écologiquement défavorisées et les masses rurales pauvres n’ont pas profité des progrès de la technologie et elles n’en bénéficieront pas tant que les gouvernements ne seront pas décidés à redistribuer les terres et les ressources et en mesure de le faire et aussi longtemps que les soutiens et les incitations nécessaires ne seront pas dispensés.

Les systèmes de soutien à l’agriculture prennent rarement en compte les circonstances particulières dans lesquelles sont placés les agriculteurs et les éleveurs vivant au niveau de subsistance. Les premiers n’ont pas les moyens d’avancer les sommes en espèces qui sont nécessaires pour se procurer les intrants modernes. Nombre d’entre eux sont des cultivateurs itinérants qui ne possèdent pas de titre de propriété sur la terre qu’ils exploitent. Ils plantent souvent des cultures variées sur une parcelle de terrain pour répondre à leurs propres besoins, ce qui les empêche d’appliquer les méthodes mises au point pour de vastes aires de monoculture.

Quant aux éleveurs, ils sont souvent nomades, donc difficiles à atteindre par des services d’éducation, de vulgarisation ou d’accès à des équipements. Comme les agriculteurs de subsistance, ils sont dépendants de certains droits garantis par la tradition mais actuellement menacés par l’évolution du commerce. Les races autochtones qu’ils élèvent, si elles sont en général vigoureuses, sont rarement très productives.

En milieu agricole, les femmes, qui jouent un rôle de premier plan dans la production vivrière, sont souvent ignorées des programmes d’amélioration de la production. En Amérique latine, dans la zone des Caraïbes et en Asie, elles constituent une grosse partie de la main-d’œuvre agricole et en Afrique au sud du Sahara ce sont elles qui assurent la quasi-totalité de la production vivrière. Malgré cela, leurs besoins ne sont presque jamais pris en considération dans les programmes de développement agricole.

3. Dégradation de la base de ressources modifier

Des politiques à courte vue sont responsables d’une dégradation de la base de ressources agricole sur presque tous les continents : érosion du sol en Amérique, acidification des sols en Europe, déboisement et désertification en Asie, en Afrique et en Amérique latine, gaspillage et pollution de l’eau à peu près partout. D’ici 40 à 70 ans, un réchauffement du climat de la planète risque de provoquer l’immersion de vastes régions littorales actuellement productrices. Si certains des phénomènes mentionnés ci-dessus sont attribuables à des orientations prises par la consommation d’énergie et par la production industrielle et si d’autres sont imputables à la surutilisation de ressources limitées par une population accrue, il n’en reste pas moins que les politiques agricoles qui mettent l’accent sur un accroissement de la production au détriment des considérations environnementales ont largement contribué, elles aussi, à cette détérioration.

3.1 Perte des ressources en sols modifier

Le processus d’extension des surfaces cultivées qui s’est déroulé au cours des dernières décennies a souvent entraîné la mise en culture de terres marginales particulièrement exposées à l’érosion. À la fin des années 1970, le taux d’érosion dépassait celui de la formation du sol sur un tiers environ de la surface cultivée aux États-Unis, notamment dans la vaste ceinture agricole du Middle West (16). Au Canada, la dégradation des sols a coûté aux agriculteurs 1 milliard de dollars par an (17). En URSS, où la mise en culture des terres dites « vierges » a longtemps constitué un des grands axes de la politique agricole, on considère actuellement qu’une grande partie de ces terres sont marginales (18). En Inde, l’érosion du sol affecte 25 à 30 pour cent des surfaces cultivées (19). Si des mesures de conservation ne sont pas prises, la superficie totale des terres cultivées arrosées par la pluie dans les pays en développement d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine diminuera à la longue, d’après une étude de la FAO, de 544 millions d’hectares du fait de l’érosion et de la dégradation des sols (20).

L’érosion fait perdre au sol son aptitude à retenir l’eau, le prive de ses éléments nutritifs et diminue l’épaisseur de la couche dans laquelle les plantes peuvent prendre racine. Une terre érodée n’a plus la même productivité. La couche superficielle entraînée par l’érosion gagne les rivières, les lacs et les réservoirs, colluvionne les ports et les canaux, diminue la capacité de stockage des réservoirs et augmente la fréquence et la gravité des inondations.

Des réseaux d’irrigation mal conçus ou mal gérés ont provoqué dans les sols des phénomènes d’engorgement par l’eau, de salinisation et d’alcalinisation. Selon des estimations de la FAO et de l’UNESCO, la moitié des systèmes d’irrigation du monde souffrent plus ou moins de ces problèmes (21). Les mêmes sources indiquent qu’environ 10 millions d’hectares de terres irriguées sont abandonnées chaque année.

Avec la dégradation du sol, c’est toute la base de ressources agricoles qui se trouve minée. À mesure que des terres cultivées sont perdues, les agriculteurs ont tendance à surutiliser les terres restantes et à se déplacer vers des forêts et des prairies d’élevage. Une politique de soutien à l’agriculture ne saurait se fonder sur des méthodes ayant pour effet de ronger le sol et de l’appauvrir.

3.2 Impact des agents chimiques modifier

Les engrais chimiques et les pesticides ont beaucoup contribué à la croissance de la production intervenue depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, mais on sait, parce que cela a été clairement proclamé, qu’on ne doit pas trop s’appuyer sur ces produits. Le lessivage des résidus d’azote et de phosphates, en provenance des quantités excessives d’engrais employées en agriculture, est nuisible pour les ressources en eau et les dommages ainsi causés ne cessent de s’étendre.

L’utilisation d’agents chimiques pour lutter contre les insectes, les parasites, les mauvaises herbes et les champignons permet d’augmenter la productivité mais, si elle est abusive, elle devient une menace pour la santé des hommes et la vie d’autres espèces. Une exposition chronique et de longue durée à des résidus de pesticides et d’agents chimiques dans les aliments, dans l’eau et même dans l’air constitue un danger, en particulier pour les enfants. Lors d’une étude faite en 1983, il a été estimé que 10 000 personnes environ meurent chaque année dans des pays en développement par suite d’une intoxication due à des pesticides et que quelque 400 000 sujets souffrent d’intoxications aigües (22). Les effets ne sont pas seulement ressentis dans la zone où les pesticides sont utilisés, mais ils voyagent en suivant la chaîne alimentaire.

Des pêcheries commerciales ont été décimées, des espèces d’oiseaux mises en péril et des insectes prédateurs de parasites ont été totalement éliminés. Le nombre des espèces d’insectes nuisibles devenues résistantes aux pesticides a augmenté dans le monde et beaucoup d’entre elles résistent même aux agents chimiques les plus récents. La diversité et la sévérité des infestations parasitaires augmentent sans cesse et mettent en danger la productivité agricole dans les régions touchées.

L’emploi d’agents chimiques en agriculture n’est pas nuisible en soi. De fait, le taux d’utilisation est encore très faible dans de nombreuses régions où ces produits se montrent très efficients et où les résidus ne constituent pas encore une menace pour l’environnement. Dans ces régions, l’emploi des produits agrochimiques peut être avantageusement développé. Ce qui arrive, malheureusement, c’est que le recours aux agents chimiques tend à s’intensifier surtout dans les régions où, globalement, ils risquent de faire plus de mal que de bien.

3.3 Pression exercée sur les forêts modifier

Les forêts jouent un rôle crucial dans le maintien et l’amélioration de la productivité des terres agricoles. Cependant, l’expansion de l’agriculture, la croissance du commerce des bois de construction et la demande de bois de chauffage ont amené la destruction d’une bonne partie de la couverture forestière. Si ce processus de destruction a atteint l’ensemble de la planète, il a pris une tournure particulièrement alarmante dans les pays en développement, notamment ceux qui possèdent des forêts tropicales (voir chapitre 6).

La croissance démographique et la diminution des superficies arables incitent les agriculteurs pauvres de ces pays à rechercher de nouvelles terres dans les zones forestières pour y développer leurs cultures vivrières. Certaines politiques gouvernementales encouragent la conversion des forêts en pâturages, tandis que d’autres favorisent de vastes programmes de mise en valeur dans des zones forestières. Il n’est certainement pas erroné de vouloir supprimer des forêts pour libérer des terrains agricoles à condition du moins que les terres ainsi défrichées soient les meilleures qui puissent être mises à la disposition des nouvelles exploitations, qu’elles soient à même de nourrir les populations encouragées à venir s’y installer, et qu’elles n’exercent pas déjà quelque fonction plus utile, par exemple pour la protection de bassins versants. Ce qui arrive souvent, c’est que les défrichements de forêts sont entrepris sans une réflexion et une planification suffisantes.

Les déboisements sont particulièrement perturbateurs pour les zones supérieures des bassins versants et pour les écosystèmes qui en dépendent. Ces zones ont une grande influence sur le régime des précipitations, tandis que leur sol et leur système végétal agissent sur la façon dont ces précipitations sont dirigées vers les cours d’eau et vers les terres cultivées des plaines situées en aval. La multiplication du nombre des inondations et des sécheresses, ainsi que l’augmentation de leur gravité dans de nombreuses parties du monde ont été mises en relation avec les déboisements pratiqués dans les hautes zones des bassins versants (23).

3.4 Progrès de la désertification modifier

Environ 29 pour cent des terres émergées subissent un processus de désertification léger, moyen ou grave, et 6 pour cent d’entre elles sont en outre classées comme très gravement atteintes (24). En 1984, les terres sèches nourrissaient dans le monde quelque 850 millions d’habitants, dont 230 millions étaient établis sur des terres atteintes de désertification grave (25).

Si la désertification touche presque toutes les régions du globe, elle se montre particulièrement destructrice pour les terres arides d’Amérique du Sud, d’Asie et d’Afrique où l’on compte qu’au total 18,5 pour cent (870 millions d’hectares) de terres productives sont fortement désertifiées. Parmi les terres sèches des pays en développement, ce sont les zones soudano-sahéliennes de l’Afrique et, dans une moindre mesure, quelques pays situés au-dessus de ces zones, qui souffrent le plus. C’est sur leurs terres arides et semi-arides que vivent 80 pour cent des habitants moyennement touchés et 85 pour cent des habitants gravement touchés par la désertification (26).

Les terres ayant atteint un degré de dégradation permanente qui les assimile au désert continuent à s’étendre à un taux annuel de 6 millions d’hectares (27). Chaque année, 21 millions d’hectares cessent en outre d’avoir une rentabilité économique parce qu’ils sont touchés par la désertification (28). En dépit de quelques améliorations locales, on prévoit que ces tendances se poursuivront (29).

III. Le défi modifier

La demande alimentaire ne manquera pas d’augmenter parallèlement à la croissance démographique au fur et à mesure que les habitudes de consommation se modifieront. D’ici à l’an 2000, la production mondiale s’accroîtra de 1,3 milliard d’habitants environ (voir chapitre 4), tandis que l’élévation du niveau des revenus se traduira par une augmentation de la demande de produits alimentaires qui pourra être de l’ordre de 30 à 40 pour cent dans les pays en développement et d’environ 10 pour cent dans les pays industrialisés (30). Il s’ensuit qu’au cours des prochaines décennies, le réseau alimentaire mondial doit être géré de telle façon que la production vivrière puisse augmenter de 3 à 4 pour cent par année.

La sécurité alimentaire mondiale ne dépend pas seulement d’une augmentation de la production globale, mais également d’une atténuation des distorsions qui affectent la structure du marché mondial des produits alimentaires, et de l’orientation qui pourra être donnée à la production alimentaire afin qu’elle se concentre davantage sur les pays, les régions et les ménages qui souffrent d’un déficit vivrier. Beaucoup de pays n’ayant pas atteint l’autosuffisance alimentaire possèdent les plus vastes réservoirs de ressources agricoles non encore exploitées. L’Amérique latine et l’Afrique subsaharienne contiennent beaucoup de terres non utilisées, même si elles sont très variables en qualité et en quantité selon les pays et si une forte proportion d’entre elles sont écologiquement vulnérables (31). L’Union soviétique et certaines parties de l’Amérique du Nord possèdent aussi d’importantes étendues de terre périphériques qui se prêteraient à une mise en valeur agricole. Seules l’Asie et l’Europe souffrent d’une véritable pénurie de terres agricoles.

La sécurité alimentaire mondiale ne peut être atteinte que si l’on s’assure que tout le monde, y compris les gens les plus pauvres, ait accès à la nourriture. Cela signifie, au plan mondial, qu’il faut revoir tout le système de distribution des denrées alimentaires sur notre planète, tandis que, d’une façon plus immédiate et tangible, la tâche incombe aux gouvernements nationaux. On sait qu’une distribution inéquitable des biens de production, le chômage et le sous-emploi sont au cœur du problème de la faim dans de nombreux pays.

Un développement rapide et rationnel de l’agriculture ne se traduit pas seulement par une production vivrière accrue, mais par de nouvelles possibilités, pour la population, de gagner l’argent avec lequel elle pourra acheter de la nourriture. C’est ainsi que les pays qui, tout en possédant des ressources agricoles non exploitées, importent des denrées alimentaires pour nourrir leurs citoyens, importent en réalité du chômage. De même, les pays qui subventionnent l’exportation de denrées agricoles augmentent le niveau du chômage dans les pays qui importent ces denrées. Ce processus contribue à marginaliser la population, laquelle, une fois marginalisée, est contrainte pour survivre de détruire la base de ressources. Réorienter la production vers les pays à déficit vivrier et vers les agriculteurs pauvres en ressources de ces pays est une façon d’assurer durablement des moyens d’existence aux populations concernées.

Conserver la base de ressources agricoles et assurer aux pauvres des moyens d’existence sont deux objectifs qui peuvent se renforcer mutuellement de trois façons. En premier lieu, disposant de ressources stables et de moyens d’existence suffisants, les agriculteurs sont amenés à adopter de bonnes méthodes d’exploitation et de gestion. En second lieu, les mêmes objectifs ont pour effet de freiner l’exode rural, de stimuler la production agricole à partir de ressources qui, dans d’autres circonstances, resteraient sous-utilisées, et de réduire la dépendance à l’égard d’autres sources vivrières. En troisième lieu, ces objectifs font reculer la pauvreté et, de ce fait, ralentissent la croissance démographique.

La réorientation de la production vers les pays à déficit vivrier aura aussi pour effet d’alléger les pressions auxquelles sont soumises les ressources agricoles des pays industrialisés à économie de marché, ce qui permettra à ces pays de rationaliser davantage leur politique agricole. Les régimes d’incitations pourront être modifiés de telle sorte qu’au lieu d’encourager une surproduction, ils soutiendront des pratiques agricoles capables de bonifier le sol et d’améliorer la qualité de l’eau. Les budgets nationaux seront libérés des charges imposées par le stockage et l’exportation des excédents alimentaires.

Une telle réorientation de la production agricole ne pourra cependant être instaurée durablement que si la base de ressources reste sûre. Or, on l’a déjà vu, ceci est loin d’être le cas actuellement. La sécurité alimentaire mondiale, pour être atteinte, exige donc que la base de ressources pour la production agricole soit soutenue, mise en valeur et, lorsqu’elle a été détériorée ou détruite, soit restaurée.

IV. Stratégies pour l’instauration d’une sécurité alimentaire durable modifier

Pour assurer la sécurité alimentaire, il faut plus que de bons programmes de conservation, lesquels peuvent être – et sont souvent – débordés et sapés par des politiques agricoles, économiques et commerciales inappropriées. Il ne suffit pas non plus d’ajouter aux programmes une composante environnementale. Les stratégies alimentaires doivent tenir compte de toutes les politiques capables de répondre aux trois impératifs déjà décrits, à savoir : réorienter la production vers les régions les plus nécessiteuses, assurer des moyens d’existence aux populations rurales pauvres et conserver les ressources.

1. L’intervention gouvernementale modifier

L’intervention gouvernementale en matière agricole est de règle dans les pays industriels et en développement, et il en sera de même dans l’avenir. Les efforts que les pouvoirs publics ont consentis pour développer la recherche et la vulgarisation agricoles et pour mettre à la disposition des agriculteurs des facilités de crédit, des services de commercialisation et une série d’autres mesures de soutien, ont tous contribué aux réussites enregistrées durant les cinquante dernières années. Le véritable problème, dans de nombreux pays en développement, tient en fait à la faiblesse de ces systèmes.

L’intervention a aussi pris d’autres formes. Nombre de gouvernements contrôlent pratiquement la totalité du cycle vivrier : les intrants et les produits, les ventes domestiques, les exportations, les marchés publics, le stockage et la distribution, les prix et les subventions, en même temps qu’ils édictent des règlements concernant l’utilisation des terres : surfaces de mise en culture, variétés cultivées, etc.

Les formes que revêt généralement l’action des gouvernements souffrent de trois défauts fondamentaux. En premier lieu, les critères sur lesquels se fondent les interventions sont dépourvus de toute orientation écologique et obéissent le plus souvent à des considérations à courte vue. Il faudrait que de tels critères puissent dissuader les agriculteurs d’avoir recours à des pratiques défectueuses et les encourager à conserver et à bonifier leurs sols, leurs forêts et leurs eaux.

En second lieu, chaque politique agricole a tendance à fonctionner dans un cadre national où les prix et les subventions sont fixés à à un niveau uniforme, où les critères applicables à la fourniture de services d’appui sont normalisés, où le financement des infrastructures se fait de façon assez arbitraire, etc. Il faut adopter des politiques variables selon les régions pour qu’elles puissent répondre aux divers besoins locaux, ce qui encouragera les agriculteurs à appliquer des méthodes écologiquement appropriées aux terres qu’ils cultivent.

L’importance d’une différenciation régionale est nettement illustrée par les exemples suivants :

  • Dans des régions montagneuses, il pourra être nécessaire d’appliquer des prix incitatoires pour les fruits et de subventionner les fournitures de céréales vivrières afin d’encourager les agriculteurs à se tourner vers l’horticulture, laquelle peut être écologiquement plus favorable.
  • Dans des zones exposées à l’érosion par le vent et l’eau, des subventions et autres aides officielles encourageraient les agriculteurs à conserver le sol et l’eau.
  • Les agriculteurs dont les terres se situent au-dessus d’une aire de recharge de la nappe phréatique exposée à la menace de pollution nitrée pourraient recevoir une aide leur permettant de fertiliser le sol et d’accroître la productivité sans recourir aux engrais azotés.

Le troisième défaut de l’intervention gouvernementale est inhérent aux régimes d’incitation. Dans les pays industrialisés, la protection excessive dont bénéficient les agriculteurs et la surproduction agricole sont la résultante d’un ensemble de mesures constitué par des abattements fiscaux, des subventions directes et un contrôle des prix. Ces régimes sont actuellement truffés de contradictions, lesquelles ne font qu’accentuer le processus de dégradation de la base de ressources agricoles et font, à la longue, plus de mal que de bien à l’agriculture. Quelques gouvernements comprennent aujourd’hui cette situation et s’efforcent de canaliser davantage les subventions vers la conservation, et non plus vers une augmentation de la production.

Du côté des pays en développement, le régime des incitations est la plupart du temps marqué de faiblesse. Les interventions sur le marché sont fréquemment inefficaces en raison de l’absence d’une structure organique responsable de la passation des contrats d’approvisionnement et de la distribution. Les agriculteurs sont en butte à une forte incertitude et les systèmes de soutien aux prix ont trop souvent profité aux citadins ou encore sont restés limités à quelques cultures commerciales, provoquant au niveau de la répartition des cultures des distorsions qui ont aggravé les risques de destruction de la base de ressources agricoles. Dans certains cas, le contrôle des prix freine le zèle des producteurs. Ce qu’il faudrait, dans bien des cas, c’est tenter d’opérer une réorientation radicale des « termes de l’échange » en faveur des agriculteurs au moyen d’une politique des prix et d’une réallocation des dépenses publiques.

Pour renforcer la sécurité alimentaire à l’échelle mondiale, il faut réduire les incitations à la surproduction non compétitive dans les pays développés à économie de marché et, au contraire, développer les incitations à la production vivrière dans les pays en développement. Simultanément, il convient de revoir la structure de ces régimes incitatoires pour qu’ils poussent les exploitants à adopter des méthodes agricoles aptes à conserver et à mettre en valeur la base de ressources agricoles.

2. Une perspective mondiale modifier

Les échanges commerciaux de produits agricoles ont triplé de volume entre 1950 et 1970 et doublé depuis lors. Toutefois, dès qu’il s’agit de politique agricole, les pays adoptent dans le meilleur des cas une attitude conservatrice, continuant à penser surtout en termes locaux ou nationaux et se préoccupant avant tout de protéger leurs agriculteurs contre ceux qui risqueraient de les concurrencer.

Il ne sera possible de réorienter la production alimentaire vers les pays à déficit vivrier qu’en modifiant profondément la structure des échanges. Il faudrait que tous les pays reconnaissent que les barrières protectionnistes sont désavantageuses pour tous les partenaires puisqu’elles réduisent les échanges commerciaux sur les produits alimentaires alors que certaines nations pourraient tirer un réel avantage de tels échanges. Chaque pays devrait commencer par restructurer son commerce, son régime fiscal et ses systèmes d’indications en appliquant des critères dans lesquels une place serait faite à la rationalité économique et écologique ainsi qu’aux comparaisons internationales des avantages escomptés.

Les excédents de production qui, en raison de la politique d’incitation, s’accumulent dans les pays à économie de marché, donnent lieu à des pressions croissantes en faveur d’une exportation à des prix subventionnés ou sous forme d’aide alimentaire sans caractère d’urgence. Les pays donateurs comme les bénéficiaires devraient être attentifs à l’impact exercé par une aide de ce type et la réserver pour des objectifs à long terme. Elle peut être d’une réelle utilité dans des projets visant à la restauration de terres dégradées, à l’édification d’une infrastructure rurale et au relèvement du niveau nutritionnel de groupes vulnérables.

3. La base de ressources modifier

Une production agricole satisfaisante ne peut être assurée durablement qu’à condition que les terres, l’eau et les forêts ne subissent pas de dégradation. Comme on l’a déjà indiqué, cette condition peut être remplie dans le cadre général d’une réorientation de l’action des pouvoirs publics. Cependant, des mesures plus spécifiques de protection de la base de ressources devraient aussi être prises pour que la productivité agricole et les moyens d’existence de tous les ruraux puissent être non seulement maintenus à leur niveau actuel, mais améliorés.

3.1 L’utilisation des terres modifier

La première tâche pour améliorer la base de ressources consistera à déterminer les grandes catégories de terres, soit

  • les zones de mise en valeur, capables de supporter une culture intensive, de faire vivre une population plus nombreuse et de favoriser de plus hauts niveaux de consommation;
  • les zones de prévention qui, de l’avis général, ne devraient pas être soumises à une culture intensive et qui, si on les exploite, devraient servir à d’autres fins;
  • les zones de restauration, où les terres dépouillées de leur couverture végétale ont perdu la totalité ou une grande partie de leur productivité.

Pour classer les terres selon la « meilleure utilisation » possible, on devrait disposer d’informations qui n’existent pas toujours. La plupart des nations industrialisées possèdent des inventaires et des descriptions de leur patrimoine foncier, forestier et hydraulique suffisamment détaillés pour permettre une catégorisation des terres. En revanche, peu de pays en développement possèdent de tels inventaires, et ils devraient se préoccuper à bref délai d’en établir en ayant recours à des méthodes de surveillance par satellite ou à d’autres techniques récemment mises au point (32).

Le classement des terres dans les diverses catégories pourrait être confié à un office ou une commission à laquelle seraient représentés les intérêts des personnes concernées, en particulier les éléments pauvres et marginaux de la population. Les procédures devraient avoir un caractère public et reposer sur des critères universellement acceptés qui tiendraient compte à la fois de la meilleure utilisation possible des terres et du degré de mise en valeur nécessaire pour assurer des moyens d’existence stables. Le classement des terres selon la meilleure utilisation possible sera déterminant pour la distribution des équipements d’infrastructure, des services de soutien, des mesures promotionnelles, des réglementations restrictives, des subventions fiscales et d’autres mesures d’incitation ou de dissuasion.

Les terres identifiées comme zones de prévention ne recevront pas de prestations, sous forme d’appuis techniques ou financiers, qui pourraient en encourager la mise en culture intensive. Par contre, ces terres pourraient servir à des usages économiquement rationnels, par exemple comme pâturages, comme plantations d’arbres fruitiers ou comme réserves de bois de chauffage et zones de sylviculture. Les personnes responsables de la réforme du système d’appui et d’indications devraient prendre en considération une gamme plus large de cultures, notamment celles qui favorisent le pacage, la conservation du sol et de l’eau, etc.

À l’heure actuelle, des facteurs naturels et certaines pratiques d’utilisation du sol ont réduit la productivité jusqu’au point où les terres ne sont plus mêmes capables de soutenir une agriculture de subsistance. Ces zones demandent à être traitées différemment selon les cas, et c’est aux gouvernements qu’il incombe d’établir en priorité une politique nationale et des programmes multidisciplinaires pour la restauration de ces zones, créant ou renforçant les mécanismes institutionnels appropriés. Lorsque de tels mécanismes existent déjà, ils doivent être mieux structurés et coordonnés. Le plan des Nations Unies pour la lutte contre la désertification qui est déjà mis en place devrait bénéficier d’un soutien accru, notamment financier.

Pour restaurer des terres, on peut être contraint d’imposer des restrictions aux activités humaines afin de laisser la végétation se régénérer. C’est là une tâche délicate si la terre supporte un cheptel abondant ou une population nombreuse, car l’acceptation et la participation de la population locale sont des éléments de la plus haute importance. L’État peut par exemple, avec la coopération des habitants, déclarer « réserve nationale » une zone à protéger ou, si une telle zone appartient à des particuliers, l’acheter à ses propriétaires ou leur accorder des encouragements à la restauration.

3.2 Améliorer la gestion de l’eau modifier

Les améliorations à apporter à la gestion de l’eau sont une condition essentielle au relèvement de la productivité agricole et à la lutte contre la dégradation des terres et la pollution des eaux. Il importe tout particulièrement de se préoccuper de la façon dont les projets d’irrigation sont conçus et de l’efficience avec laquelle l’eau est utilisée.

Lorsque l’eau est rare, un projet d’irrigation doit permettre une productivité maximale par unité d’eau; lorsque l’eau est abondante, l’objectif doit être une productivité maximale par unité de terrain. Ce sont les conditions locales, toutefois, qui dicteront la quantité d’eau pouvant être utilisée sans dommage pour le sol. La salinisation, l’alcalinisation et l’engorgement peuvent être évités par des mesures pertinentes de drainage, d’entretien, de mise en culture, de contrôle des quantités d’eau et de rationalisation des redevances pour la fourniture d’eau. Beaucoup de ces objectifs pourront être atteints plus facilement dans le cadre de petits projets d’irrigation, mais, quelle que soit l’envergure des projets, ils devront être conçus en fonction des capacités et des objectifs des agriculteurs concernés et faire participer ces derniers à la gestion des systèmes.

Dans certaines régions, un emploi trop intensif de l’eau souterraine fait rapidement baisser le niveau de la nappe phréatique, ce qui équivaut le plus souvent à enrichir quelques particuliers aux dépens de la collectivité. Là où l’utilisation des eaux souterraines dépasse la capacité de recharge des formations aquifères, des dispositions réglementaires ou fiscales s’imposent. L’usage combiné des eaux souterraines et superficielles permet parfois d’améliorer les horaires de distribution ainsi que les quantités d’eau disponibles pour l’irrigation.

3.3 Solutions de remplacement pour les agents chimiques modifier

Nombreux sont les pays, notamment du Tiers Monde, qui peuvent et devraient augmenter les rendements agricoles en utilisant davantage d’engrais chimiques et de pesticides. Mais il y a place également, et les gouvernements devraient aider les agriculteurs en ce sens, pour une amélioration des rendements reposant sur un emploi plus efficace des éléments nutritifs d’origine organique, lesquels viendraient compléter les engrais chimiques. De même, la lutte contre les parasites devrait faire davantage appel à des méthodes naturelles (voir encadré 5-2). De telles stratégies demandent une nouvelle orientation des politiques officielles qui, actuellement, favorisent une utilisation accrue des pesticides et des engrais chimiques. Il faudrait donc instituer et faire fonctionner les bases législatives et normatives et les moyens de recherche nécessaires à l’implantation de stratégies non chimiques.

Dans beaucoup de pays, l’emploi d’engrais chimiques et de pesticides est fortement subventionné. Or, les subventions ainsi accordées ont pour effet de promouvoir l’emploi des agents chimiques dans les régions où la production agricole a déjà atteint son caractère le plus commercial et où les dégâts environnementaux causés par ces agents risquent d’annuler le bénéfice des accroissements de productivité qui leur sont imputables. Ainsi donc, l’utilisation des agents chimiques devra être gérée et encouragée différemment selon les régions.

Les cadres législatifs et institutionnels nécessaires pour contrôler l’emploi des produits agrochimiques ont besoin d’être partout énergiquement renforcés. Les pays industrialisés doivent resserrer le contrôle sur les exportations de pesticides (voir chapitre 8). Les pays en développement, de leur côté, doivent se doter des instruments législatifs et institutionnels qui leur sont nécessaires pour gérer l’emploi des produits agrochimiques sur leur territoire. Pour ce faire, une assistance technique et financière devra leur être fournie.

3.4 Sylviculture et agriculture modifier

Laissées dans leur état naturel, les forêts protègent les bassins versants, diminuent l’érosion, offrent des habitats à la faune sauvage et jouent un rôle capital dans les systèmes climatiques. Elles sont également une ressource économique capable de fournir du bois de construction et de chauffage ainsi que d’autres produits. L’essentiel est de savoir opérer un équilibre entre les besoins de l’exploitation forestière et la nécessité de protéger la forêt.

Une politique sylvicole rationnelle ne peut se fonder que sur une analyse de la capacité de la forêt elle-même et du sol sous-jacent à accomplir plusieurs fonctions. Une telle analyse pourra se traduire par la décision de défricher des forêts afin de les remplacer par des cultures intensives ou par des pâturages; parfois, on cherchera à gérer la forêt pour qu’elle produise davantage de bois de construction ou pour une utilisation agroforestière et, parfois aussi, on laissera la forêt intacte afin qu’elle serve à la protection d’un bassin versant, à des activités récréatives ou à la conservation d’espèces naturelles. Dans tous les cas, l’extension de l’agriculture dans des zones forestières doit être basée sur une classification scientifique de la capacité des sols.

Chaque programme de conservation des ressources forestières doit commencer avec la population locale qui est à la fois la victime et l’agent des destructions et qui aura à supporter le poids d’un nouveau système de gestion (33). C’est elle qui devra être au centre d’une gestion forestière intégrée, base d’une agriculture durable.

Une telle approche ne manquera pas d’entraîner des changements dans la façon dont les gouvernements fixent les priorités en matière de développement, comme elle exigera qu’une plus grande autorité soit dévolue aux administrations locales et aux collectivités. Il faudra négocier ou renégocier des contrats pour l’exploitation des forêts de manière à garantir la durabilité des ressources sylvicoles ainsi que la conservation globale de l’environnement et des écosystèmes. Les prix pratiqués pour les produits extraits de la forêt devront refléter la valeur réelle de ces biens.

Certaines portions du territoire forestier pourront être choisies comme zones de prévention. En général, il s’agira de parcs nationaux où l’on s’abstiendra de toute exploitation agricole dans le but de conserver le sol, l’eau et la faune et la flore sauvages. Parfois aussi, il s’agira de terres marginales qui, si on les exploitait, accéléreraient les processus d’érosion et de désertification. Sous ce rapport, il est extrêmement important de procéder au reboisement des zones forestières dégradées. Les zones protégées et les parcs nationaux peuvent aussi servir à conserver des ressources génétiques dans leurs habitats naturels (voir chapitre 6).

Il peut aussi y avoir un prolongement de la sylviculture vers l’agriculture. Les agriculteurs peuvent utiliser des systèmes agroforestiers pour produire des aliments et du combustible. Dans de tels systèmes, une ou plusieurs espèces d’arbres sont cultivées sur la même terre qu’une ou plusieurs cultures vivrières ou combinées avec des activités d’élevage, même si les opérations se déroulent parfois à des moments différents. Bien choisies, les espèces cultivées se renforcent mutuellement et produisent davantage de nourriture et de combustible que lorsqu’on les cultive séparément. Cette technologie est particulièrement appropriée pour les petits exploitants et pour les terres de qualité médiocre. L’exploitation agroforestière a été universellement pratiquée par les agriculteurs traditionnels. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est faire revivre les anciennes méthodes en les améliorant, en les adaptant aux conditions nouvelles et en mettant au point de nouveaux procédés (34).

Les organisations internationales qui s’occupent de recherche sylvicole devraient travailler dans divers pays tropicaux et dans le cadre de différents écosystèmes selon les orientations actuellement suivies par le Groupe consultatif de la Recherche agricole internationale. On aurait grand intérêt à créer des organes spécialisés dans cette branche et à développer les recherches sur la contribution que les forêts peuvent apporter à la production agricole, par exemple en élaborant des modèles capables de mieux prédire la mesure dans laquelle, par exemple, l’enlèvement de portions entières du couvert forestier risque de se traduire par un appauvrissement des ressources hydrauliques et pédologiques.

3.5 Pisciculture modifier

Les pêcheries et la pisciculture jouent un rôle de premier plan en matière de sécurité alimentaire puisqu’elles fournissent non seulement des protéines, mais des emplois. La majeure partie des approvisionnements mondiaux en poissons viennent de la mer, où 76,8 millions de tonnes poissons ont été pêchées en 1983. Les quantités débarquées ont augmenté de 1 million de tonnes par an au cours des dernières années et l’on estime qu’à la fin de ce siècle les prises pourraient totaliser 100 millions de tonnes par an (35). Ce chiffre est très inférieur au montant estimé de la demande. Certaines indications donnent à penser qu’une bonne partie des stocks ichtyologiques disponibles dans les eaux douces naturelles sont déjà exploités à plein ou endommagés par la pollution.

La pisciculture, qui se distingue de la pêche traditionnelle en ce que les poissons sont élevés volontairement dans des plans d’eau contrôlés, peut contribuer à répondre à la demande future. Les rendements piscicoles ont doublé au cours de la dernière décennie et représentent actuellement 10 pour cent environ de la production halieutique mondiale (36). Cette production pourrait encore quintupler, voire décupler d’ici à l’an 2000 pour autant que les soutiens nécessaires sur le plan scientifique, financier et structurel soient mis à disposition (37). La pisciculture peut être pratiquée dans les rizières, les anciennes carrières, les étangs et autres plans d’eau et à diverses échelles : sous forme d’activité individuelle ou d’entreprise familiale dans le cadre d’une coopérative ou d’une société commerciale. Le développement de la pisciculture devrait bénéficier d’un rang élevé de priorité tant dans les pays en développement que dans les pays développés.

4. Productivité et rendements modifier

Si l’on peut compter que la conservation et la mise en valeur de la base de ressources agricoles accroîtront la production et la productivité, des mesures particulières doivent être prises pour augmenter l’efficacité des intrants. La meilleure façon de procéder consiste à renforcer le potentiel technologique et humain utilisable pour l’agriculture dans les pays en développement.

4.1 La base technologique modifier

Des mariages entre technologies traditionnelles et modernes peuvent fournir l’occasion d’améliorer la nutrition et d’élever durablement le taux d’emploi dans les zones rurales. La biotechnologie, notamment les techniques de culture tissulaire, les procédés de préparation de produits à valeur ajoutée à partir de la biomasse, la microélectronique, les sciences de l’informatique, la transmission d’images par satellite et la technologie des communications sont autant d’outils de pointe qui peuvent contribuer à améliorer la productivité agricole et la gestion des ressources (38).

Assurer des moyens d’existence stables aux agriculteurs pauvres en ressources est un défi particulièrement sérieux adressé à la recherche agronomique. Les grands progrès accomplis au cours des dernières décennies par la technologie agricole trouvent surtout à s’appliquer dans les milieux terriens qui sont stables, homogènes, riches en ressources, dotés de bons sols et bien approvisionnés en eau. Des technologies nouvelles doivent être appliquées d’urgence en Afrique subsaharienne et dans les régions les plus écartées d’Asie et d’Amérique latine qui se caractérisent par des précipitations très irrégulières, un relief accidenté et des sols pauvres et qui, de ce fait, ne se prêtent nullement à des programmes de mise en valeur du type « Révolution verte ».

Pour pouvoir être utile à l’agriculture dans ces régions, la recherche devra se décentraliser et s’intéresser davantage aux conditions et aux besoins les plus urgents des agriculteurs. Les chercheurs devront s’entretenir avec les exploitants pauvres et fonder les priorités de la recherche sur celles de l’agriculture. Ils devront s’inspirer des procédés mis au point par les agriculteurs et les perfectionner au lieu de procéder en sens contraire. La recherche adaptative devra être développée au niveau des exploitations et prendre des stations agronomiques comme base de référence, les agriculteurs eux-mêmes étant appelés en fin de compte à évaluer les résultats.

Les entreprises commerciales peuvent aider à mettre au point et à diffuser la technologie, mais c’est aux organismes publics qu’il appartient de fournir l’armature essentielle à la recherche et à la vulgarisation agricoles. Trop peu d’institutions d’enseignement et de recherche reçoivent un financement suffisant dans les pays en développement. Le problème atteint une acuité particulière dans les pays à faible revenu, où les dépenses pour la recherche et la vulgarisation agricoles représentent 0,9 pour cent du total du revenu agricole, alors que ce taux est de 1,5 pour cent dans les pays à revenu moyen (39). Les activités de recherche et de vulgarisation doivent recevoir une grande expansion, surtout dans les régions où le climat, le sol et la topographie posent des problèmes spéciaux.

Ces régions auront notamment besoin de nouvelles variétés de semences, mais ce besoin se fera aussi sentir dans l’agriculture de nombreux pays en développement. À l’heure actuelle, 55 pour cent du matériel génétique végétale scientifiquement conservé se trouvent entre les mains d’institutions situées dans les pays industriels, 31 pour cent dans des institutions situées dans les pays en développement et 14 pour cent dans des Centres de la Recherche agricole internationale (40). Une grande partie de ce matériel est originaire de pays en développement. Ces banques génétiques doivent étendre leurs inventaires de matériel, améliorer leurs techniques de stockage et faire en sorte que leurs ressources puissent aisément être mises à la disposition des centres de recherche des pays en développement.

Des sociétés privées cherchent de plus en plus à acquérir des droits de propriété sur des semences améliorées, souvent sans tenir compte des droits des pays où le matériel végétal de base a été obtenu. De telles pratiques risquent de dissuader les pays qui possèdent un riche potentiel de ressources génétiques de mettre celles-ci à la disposition de la communauté internationale, ce qui réduira pour tous les pays les chances d’arriver à produire de nouvelles semences. Le potentiel de recherche génétique est si faible dans les pays en développement que l’agriculture de ces pays risque de devenir excessivement dépendante de banques génétiques privées et de fournisseurs de semences étrangers. La coopération internationale et une claire conscience des avantages inhérents à un partage des bénéfices sont deux éléments qui jouent un rôle vital dans les secteurs les plus vulnérables de l’agrotechnologie, au nombre desquels figure la sélection des nouvelles variétés de semences.

4.2 Ressources humaines modifier

La transformation technologique de l’agriculture traditionnelle serait difficilement réalisable sans un effort parallèle pour développer les ressources humaines (voir chapitre 4). Des réformes doivent être apportées aux systèmes éducatifs pour qu’ils produisent des chercheurs mieux informés des besoins des populations rurales et de l’agriculture. L’analphabétisme est encore très répandu parmi les paysans pauvres, Mais les campagnes éducatives devraient surtout faire de l’alphabétisation fonctionnelle et insister sur l’utilisation efficace de la terre, de l’eau et des forêts.

En dépit du rôle capital qu’elles jouent dans l’agriculture, les femmes n’ont guère accès à l’éducation tandis que leur représentation auprès des services de recherche, de vulgarisation et d’appui reste notoirement insuffisante. Elles devraient avoir les mêmes possibilités de s’instruire que les hommes. Il devrait y avoir davantage de vulgarisatrices, les femmes devraient participer à des visites sur le terrain et elles devraient avoir davantage leur mot à dire dans les décisions concernant les programmes de mise en valeur agricole et forestière.

4.3 Productivité des intrants modifier

Traditionnellement, les agriculteurs utilisaient des matières organiques locales comme sources d’énergie, comme engrais ou pour lutter contre les parasites. Aujourd’hui, on emploie de plus en plus, pour répondre aux mêmes besoins, l’électricité, les produits dérivés du pétrole, les engrais chimiques et les pesticides. Le coût de ces intrants représente une proportion toujours croissante du prix de revient des denrées agricoles tandis que l’usage excessif qui en est fait exerce des répercussions économiquement et écologiquement dommageables.

Un des besoins énergétiques les plus importants concerne les installations mécaniques utilisées pour l’irrigation. Des améliorations importantes pourraient être apportées au rendement des pompes par ces mesures d’incitation s’adressant aux fabricants d’équipements et aux exploitants, ainsi que par de bonnes campagnes de vulgarisations. Les pompes servant à l’irrigation pourraient aussi être actionnées par l’énergie éolienne ou par des moteurs classiques à combustion interne brûlant du gaz produit par des déchets biologiques. Les séchoirs et réfrigérateurs fonctionnant à l’énergie solaire permettent de conserver des denrées agricoles qui, autrement, seraient vouées à la destruction. Ces diverses sources alternatives d’énergie méritent d’être développées, surtout dans les régions pauvres en ressources énergétiques.

Une application défectueuse des engrais se traduit par une perte d’éléments nutritifs. Entraînés par lixiviation du champ où on les a répandus, ceux-ci s’en vont souvent polluer les sources d’eau avoisinantes. Des pertes similaires, avec effets secondaires destructeurs, se produisent avec les pesticides. Aussi les services de vulgarisation et les fabricants de produits chimiques devront s’attacher en priorité à informer les usagers de la façon d’utiliser avec prudence et économie des matières qui sont à la fois coûteuses et toxiques.

5. L’équité modifier

Pour qu’une agriculture puisse être durable, il ne suffit pas qu’elle relève le niveau moyen de la productivité et des revenus, mais aussi la productivité et les revenus de la population pauvre en ressources. De même, la sécurité alimentaire ne consiste pas seulement à augmenter la production vivrière, mais à assurer que les pauvres, qu’ils soient ruraux ou citadins, ne souffrent pas de la faim même si la disette règne pendant une certaine période ou s’il y a pénurie locale de denrées alimentaires. Pour atteindre un tel résultat, il faut que l’équité soit systématiquement recherchée dans la production comme dans la distribution des denrées alimentaires.

5.1 Les réformes agraires modifier

Dans de nombreux pays où les terres sont très inégalement réparties, la réforme agraire est d’une importance primordiale. Sans elle, des réformes d’ordre institutionnel ou méthodologique adoptées dans l’intention de protéger la base de ressources peuvent avoir pour effet de creuser les inégalités existantes en coupant la classe pauvre de l’accès aux ressources et en favorisant les propriétaires de grandes exploitations, mieux placés pour obtenir les crédits et les services, toujours limités, mis à la disposition des agriculteurs. Les réformes de ce genre, qui maintiennent des centaines de millions de ruraux dans un statu quo inamovible, jouent parfois dans un sens exactement contraire à celui qu’escomptaient leurs promoteurs et ne font que perpétuer la violation des impératifs écologiques.

Étant donné la diversité des situations institutionnelles et écologiques, il ne peut pas exister d’approche universelle à la réforme agraire. Il appartient à chaque pays d’élaborer son propre programme de réforme de façon à venir en aide aux paysans qui possèdent peu de terres et à instituer une base d’action coordonnée pour la conservation des ressources. Une redistribution des terres est particulièrement nécessaire là où de grands domaines coexistent avec un nombre important de très petites exploitations. Les éléments cruciaux de la réforme agraire portent sur la structure du régime foncier, la sécurité des baux ruraux et l’enregistrement officiel des droits à la propriété foncière.

Dans les régions où les propriétés sont fragmentées en de multiples parcelles non contiguës, un remembrement peut faciliter la mise en œuvre de mesures de conservation des ressources. Une politique de conservation peut aussi être favorisée par une action coopérative des petits agriculteurs groupant leurs efforts, par exemple, pour lutter contre les parasites ou pour mieux gérer les ressources en eau.

Dans beaucoup de pays, les femmes n’ont pas directement accès à la propriété foncière, celle-ci étant réservée aux hommes. Il serait dans l’intérêt de la sécurité alimentaire que la réforme agraire reconnaisse le rôle joué par les femmes dans la production vivrière. Les femmes, notamment celles qui sont responsables d’une exploitation, devraient pouvoir posséder la terre en toute propriété.

5.2 Agriculteurs et pasteurs vivant au niveau de subsistance modifier

Les agriculteurs, pasteurs et nomades qui vivent au niveau de subsistance constituent une menace pour la base de ressources environnementales lorsque des circonstances échappant à leur contrôle les contraignent à s’entasser sur des terres ou dans des régions incapables de les nourrir tous.

Les droits traditionnels des ruraux vivant au niveau de subsistance, notamment des agriculteurs itinérants, des pasteurs et des nomades doivent donc être protégés contre les empiétements. Il faut notamment assurer le respect des baux ruraux et des droits communaux. Si leurs pratiques traditionnelles constituent une menace pour la base de ressources, on peut être amené à restreindre les droits de ces ruraux, mais uniquement après avoir prévu des solutions de remplacement. Dans la plupart des cas, il faut aider ces groupes à diversifier leurs moyens d’existence et à s’insérer dans l’économie de marché grâce à des programmes d’emploi et à la production de certaines cultures commerciales.

La recherche devrait s’intéresser assez tôt aux besoins variés de l’exploitation diversifiée qui est caractéristique de l’agriculture de subsistance. Les services de vulgarisation et de fourniture d’intrants doivent devenir plus mobiles afin d’atteindre les cultivateurs itinérants et les nomades, et des fonds publics doivent être investis en priorité pour l’amélioration des terres de culture, des pâturages et des sources d’eau de ces ruraux.

5.3 Développement rural intégré modifier

La population rurale continuera à s’accroître dans de nombreux pays. Compte tenu des régimes actuels de répartition des terres, le nombre des petits propriétaires fonciers et des paysans sans terre augmentera d’environ 50 millions, atteignant en l’an 2000 un niveau approximatif de 220 millions d’unités (41). Ensemble, ces groupes représentent les trois quarts des ménages d’agriculteurs dans les pays en développement (42). S’ils n’ont pas accès à des moyens d’existence suffisants, ces ménages pauvres en ressources seront maintenus dans la pauvreté et contraints, pour survivre, d’utiliser abusivement la base de ressources.

On a dépensé beaucoup d’effort à élaborer des stratégies de développement rural intégré et l’on connaît fort bien les facteurs qui peuvent favoriser leur succès ou lui faire obstacle. L’expérience a montré la nécessité de la réforme agraire, laquelle doit cependant être soutenue par la distribution d’intrants et la prestation de services ruraux. Il faut donner la préférence aux petits exploitants et plus spécialement aux femmes, lors de la répartition des ressources, toujours comptées, en finances, en personnel et en nature. Il faut aussi que les petits agriculteurs aient davantage leur mot à dire dans la formulation des politiques agricoles.

Un développement rural intégré nécessite également la création dans les régions rurales d’emplois non agricoles destinés à absorber les forts accroissements de population active qui sont attendus dans la plupart des pays en développement. À mesure que le développement agricole se poursuivra de façon satisfaisante et que le niveau des revenus s’élèvera, des emplois se créeront dans le secteur des services et celui de la petite industrie si cette évolution est soutenue par les pouvoirs publics.

5.4 Fluctuations des disponibilités en denrées alimentaires modifier

La dégradation de l’environnement risque d’accroître la fréquence et la gravité des pénuries alimentaires. Si le développement d’une agriculture à bases stables et solides est capable de réduire les variations saisonnières de l’approvisionnement en denrées alimentaires, il ne peut cependant les éliminer. Les fluctuations dues aux conditions météorologiques sont inévitables et la dépendance croissante vis-à-vis de quelques cultures pratiquées sur de vastes étendues risque d’amplifier les dégâts causés par les intempéries et les parasites. Ce sont souvent les familles les plus pauvres et les régions écologiquement défavorisées qui souffrent le plus de ces pénuries.

Les stocks vivriers jouent un rôle crucial dans la lutte contre les pénuries. Les réserves actuelles de céréales dans le monde atteignent aujourd’hui 20 pour cent environ du volume de la consommation annuelle; les pays en développement en contrôlent le tiers environ, les deux autres tiers étant contrôlés par les pays industrialisés. Plus de la moitié des réserves détenues par les pays en développement se trouvent dans deux pays : la Chine et l’Inde. Dans la plupart des autres pays, le niveau des stocks est juste suffisant pour les besoins opérationnels immédiat et l’on ne peut guère, dans ce cas, parler de réserves (43).

Dans les pays industrialisés, les stocks vivriers correspondent presque exclusivement à des excédents et ils constituent une base pour l’aide d’urgence, base qui doit être maintenue. L’aide alimentaire en cas d’urgence n’est cependant qu’une assise précaire pour la sécurité alimentaire, et il faudrait que les pays en développement constituent leurs propres réserves nationales lors des années excédentaires et qu’ils encouragent également les ménages à assurer leur propre sécurité alimentaire. À cette fin, ils devront mettre en place un système efficace pour que l’État puisse soutenir et faciliter l’achat, le transport et la distribution des denrées alimentaires. La mise en place d’installations de stockage est une mesure indispensable, tant pour empêcher que des denrées ne se perdent après la récolte que pour permettre d’intervenir d’urgence en cas de situation catastrophique.

Lorsqu’il y a pénurie de denrées alimentaires, les ménages pauvres se trouvent le plus souvent dans une situation où, non seulement ils ne peuvent pas produire d’aliments, mais ils se voient privés de leur gagne-pain habituel et n’ont pas de quoi s’acheter les denrées sur le marché. La sécurité alimentaire exige donc aussi des mécanismes d’intervention rapide permettant de sauvegarder le pouvoir d’achat des familles frappées par la disette, soit par la mise en œuvre de programmes d’urgence de travaux publics, soit par des mesures qui protégeront les petits exploitants des mauvaises récoltes.

V. Des aliments pour l’avenir modifier

C’est un défi d’une ampleur et d’une complexité colossales que celui qui consiste à accroître la production alimentaire pour suivre le rythme de la demande tout en conservant aux systèmes de production leur essentielle intégrité écologique. Quoiqu’il en soit, nous possédons les connaissances nécessaires pour conserver nos ressources pédologiques et hydrologiques. Les technologies nouvelles ouvrent la possibilité d’accroître la productivité tout en atténuant la pression qui s’exerce sur les ressources. Il existe une nouvelle génération d’agriculteurs en qui s’allient l’expérience et l’éducation. Maîtres de telles ressources, nous serions en mesure de satisfaire les besoins de la famille humaine. L’obstacle qui se dresse devant nous tient à l’étroitesse de vues de la planification et des politiques agricoles.

Appliquer le concept de développement durable à la recherche de la sécurité alimentaire signifie que l’on s’efforcera systématiquement de renouveler les ressources naturelles. En d’autres termes, cela exige une approche globale centrée sur les écosystèmes aux niveaux national, régional et mondial, capable en outre d’assurer une utilisation rationnelle et coordonnée des terres, de l’eau et des forêts. L’objectif de la sécurité écologique devrait être solidement intégré au mandat de la FAO, des autres institutions des Nations Unies qui s’occupent d’agriculture ainsi que de toutes les agences internationales concernées. Il demandera un renforcement et une réorientation de l’assistance internationale (voir chapitre 3).

Les systèmes agricoles qui ont été élaborés au cours des dernières décennies ont beaucoup fait pour atténuer la faim dans le monde et pour élever les niveaux de vie. Ils ont donc répondu jusqu’à un certain point à ce qu’on attendait d’eux; mais ils étaient conçus pour un monde plus petit et fragmenté. De nouvelles réalités en ont mis au grand jour les contradictions internes. Ces réalités demandent des systèmes agricoles qui accordent autant d’attention aux hommes qu’à la technologie, aux ressources qu’à la production, aux résultats à long terme qu’aux résultats immédiats. Seuls de tels systèmes pourront répondre au défi que pose l’avenir.

Notes modifier

(1) D’après les données de l’Annuaire FAO de la production 1985 (Rome, 1986).

(2) D’après les estimations de la Banque mondiale pour 1980, selon lesquelles 340 millions d’habitants des pays en développement (excluant la Chine) n’avaient pas un revenu suffisant pour ingérer une quantité minimale de calories les mettant à l’abri de graves atteintes à leur santé et protégeant leurs enfants contre les retards de la croissance, tandis que 730 millions d’autres sujets avaient un revenu un peu supérieur mais néanmoins au-dessous de ce qu’il faut pour mener une vie de travail normale. Voir Banque mondiale, La pauvreté et la faim – La sécurité alimentaire dans les pays en développement : problèmes et options (Washington D.C., 1986).

(3) FAO, Annuaire FAO de l’alimentation et des statistiques agricoles 1951 (Rome, 1952); Annuaire FAO de la production 1985, op. cit.

(4) FAO, Annuaire de l’alimentation et des statistiques agricoles, volume du commerce, partie 2, 1951 et Annuaire FAO du Commerce 1982 et 1984 (Rome, 1952, 1983 et 1985).

(5) FAO, Annuaire FAO du commerce 1968 et Rapport et perspectives sur les produits 1984-85 (Rome, 1969 et 1985).

(6) FAO, Annuaire de l’alimentation et des statistiques agricoles, volume du commerce, partie 2, 1954 (Rome, 1955); FAO, Rapport et perspectives sur les produits, op. cit.

(7) FAO, Annuaire FAO de la production 1984 (Rome, 1985).

(8) O.R. Brown, « Sustaining World Agriculture », dans L.R. Brown et coll., State of the World 1987 (Londres : W.W. Norton, 1987).

(9) A. Gear (ed.), The Organic Food Guide (Essex : 1983).

(10) Comité de l’URSS pour la Décennie hydrologique internationale, World Water Balance and Water Ressources of the Earth (Paris, UNESCO, 1978).

(11) FAO, Annuaire de l’alimentation et des statistiques agricoles 1951 et Annuaire FAO de la production 1984, op. cit.

(12) « Dairy, Prairie », The Economist, 15 nov. 1986.

(13) CMED, Advisory Panel on Food Security, Agriculture, Forestry and Environment, Food Security (Londres : Zed Books, 1987).

(14) Le mot « pesticides » est employé dans ce rapport au sens large et désigne à la fois les insecticides, les herbicides, les fongicides et tous les intrants agricoles similaires.

(15) Banque mondiale, Rapport sur le Développement dans le monde 1986 (New York, Oxford University Press, 1986).

(16) Brown, op. cit.

(17) Canada, Comité du Sénat de l’agriculture, des pêches et des forêts, Nos sols dégradés, le Canada compromet son avenir (Ottawa : 1984)

(18) Brown, op. cit.

(19) Centre for Science and Environment, The State of India’s Environment 1984-85 (New Delhi : 1985).

(20) FAO, Terres, vivres et population (Rome, 1984).

(21) I. Szabolcs, « Agrarian Change », préparé pour la CMED, 1985.

(22) Gear, op. cit.

(23) J. Bandyopadhyay, « Rehabilitation of Upland Watersheds », préparé pour la CMED, 1985.

(24) PNUE, « Évaluation générale des progrès réalisés dans la mise en œuvre du plan d’action pour la lutte contre la désertification », 1978-1984, Nairobi, 1984 : CMED, Advisory Panel, op. cit.

(25) PNUE, op. cit.

(26) PNUE, op. cit.

(27) PNUE, op. cit.

(28) PNUE, op. cit.

(29) PNUE, op. cit.

(30) Agriculture : Horizon 2000 (Rome, 1981).

(31) FAO, Potential Population Supporting Capacities of Lands in the Developing World (Rome, 1982).

(32) La classification des terres selon leur capacité mise au point par le U.S. Bureau of Land Management est un exemple de la façon dont le problème pourrait être abordé. Un type de classification plus large est implicite dans : FAO, Potential Population Supporting Capacities, op. cit.

(33) INDERENA, Caquan-Caqueta Report (Bogota, Colombie, 1985).

(34) Les programmes agroforestiers exécutés en Inde offrent un exemple de cette stratégie. Ils ont été adoptés avec enthousiasme par un grand nombre d’agriculteurs.

(35) FAO, Rapport sur l’alimentation mondiale (Rome, 1985); CMED, Advisory Panel, op. cit.

(36) CMED, Advisory Panel, op. cit.

(37) Ibid.

(38) Ibid.

(39) FAO, Rapport sur l’alimentation mondiale, op. cit.

(40) D’après les données fournies par la Fondation Dag Hammarskjold, Suède, publiées dans : Centre for Science and Environment, op. cit.

(41) Estimations de la FAO citées dans CMED, Advisory Panel, op. cit.

(42) Ibid.

(43) FAO, Perspectives de l’alimentation (Rome, 1986).