Notre Infanterie
Revue des Deux Mondes6e période, tome 50 (p. 771-802).
L’EFFORT FRANÇAIS

NOTRE INFANTERIE

I

C’était l’hiver de 1917, aux écoles d’infanterie de la 4e armée, que j’avais été admis à visiter. Sur le polygone de Bouy, blanc de neige, hérissé de glaçons, un régiment exécutait un simulacre de combat. Cent officiers de tous grades regardaient, groupés autour du chef de bataillon qui avait monté la manœuvre et la commentait. Il s’agissait d’essayer sur le terrain un mécanisme nouvellement inventé pour mieux réussir ce qu’on appelle le « passage de lignes, » qui est l’art de lancer en avant, au cours d’une action offensive, une troupe fraîche et de lui faire traverser, sans mélange des unités, la troupe déjà engagée.

Visiblement, les cent officiers n’avaient d’yeux et d’oreilles que pour cette seule nouveauté. Quant au reste, ni l’accoutrement des soldats, ceux-ci armés de tremblons et ceux-ci de couteaux de chasse, et ceux-ci, les pourvoyeurs du fusil-mitrailleur, harnachés de bretelles de cuir qui s’adaptent au casque, en sorte qu’ils ressemblaient à des samouraïs, ni les gerbes des lance-flammes qui, jaillissant soudain des tranchées, faisaient fondre au loin la neige et répandaient dans l’air glacé la tiédeur d’un bref et sinistre printemps, ni les évolutions bien rythmées des groupes de grenadiers, pas un trait de l’étrange spectacle ne tenait la moindre place dans le commentaire du chef de bataillon ni dans les propos de ses auditeurs : pour eux comme pour lui, ce n’était là que du « déjà vu, » plus rien que de l’acquis. Et « je songeais que pourtant ces vieilleries étaient vieilles l’une de six semaines seulement, et telle autre de six mois, et la plus archaïque de deux ans peut-être.

Soudain, comme pour répondre à ces pensées, la manœuvre du passage de lignes une fois menée à son terme, une saisis- sante leçon de choses nous fut proposée. Une compagnie, armée seulement du fusil, comme au début de la guerre, et soutenue (à la faveur d’une convention complaisante) par une section de mitrailleuses, se déploya en ligne de tirailleurs, et, pendant dix minutes, exécuta des feux à la façon de 1914. Puis, les dix minutes d’après, une autre compagnie travailla à son tour, mais à la façon de 1917, c’est-à-dire que, formant en deux vagues d’assaut ses quatre sections, elle mit en œuvre à la fois la mousqueterie de ses voltigeurs, les grenades de ses grenadiers, les feux de ses fusiliers-mitrailleurs, et les rafales des mitrailleuses, et la canonnade des obusiers d’accompagnement.. Pour l’ouïe comme pour la vue, le contraste apparut formidable : entre la compagnie armée comme en 1914 et l’autre, si un combat réel s’était engagé, il se fût nécessairement déroulé comme la lutte d’une troupe européenne contre une bande de nègres armés de sagaies et de fusils à pierre.

Aussi, le soir venu, comme je m’en retournais avec le directeur de la manœuvre, le grave et sage commandant Létondot, depuis tombé au champ d’honneur, je lui dis : « Supposons un de nos capitaines d’infanterie, soldat de carrière, qui aurait été fait prisonnier à Blamont, le 15 août 1914, et rapatrié cette semaine : s’il avait vu les exercices que nous venons de voir, qu’en aurait-il compris ? — Rien, ou peu de chose. — Mais encore ? — A peu près ce qu’en pourrait comprendre un centurion de la seconde guerre punique ; — Mais si vous aviez eu comme spectateur de votre manœuvre un capitaine allemand, capturé hier au Sud de Juvincourt ? — Ah ! celui-là, au contraire, se fût senti à l’aise parmi nous, bien au courant et bien au fait, comme je le serais d’ailleurs sur un polygone allemand. Il n’aurait appris de moi, je ne pourrais apprendre de lui que peu de secrets, les quelques nouveautés, allemandes ou. françaises, que dévoilera la prochaine bataille, demain peut-être, et qu’après-demain Allemands et Français, se plagiant mutuellement, travailleront à s’approprier. »

Oui, dans cette guerre qui souvent sembla se ralentir et piétiner sur place, tout s’est transformé au contraire, et dans les périodes même les plus stagnantes en apparence, tout évoluait, l’armement, les doctrines, les techniques, et tout s’écoulait avec la plus déconcertante rapidité. Et la loi la plus nette de ce perpétuel écoulement l’ut que l’armée française a pâti et profité tout ensemble des idées de l’armée allemande et réciproquement, et que chaque découverte de l’une a tiré son principe d’une découverte de l’autre. Seules constituées en leur force dès le mois d’août 1914 et alors presque seules en présence, toutes deux ont vécu, depuis ces temps lointains, d’une étrange vie commune : elles s’étreignaient dans leur sang, mais s’observaient aussi d’un regard lucide, et leur étreinte fut comme une intime et monstrueuse collaboration. Si l’une des deux, se complaisant en elle-même, avait cessé, fût-ce une fois au cours de ces quatre ans et pour quelques semaines seulement, de guetter les progrès de l’autre, c’en était fait d’elle : l’autre l’eût presque aussitôt maîtrisée. En ces quatre ans, l’armée française n’a pas été maîtrisée : c’est elle, au contraire, qui, peu à peu, a pris l’ascendant sur sa rivale, l’a dominée, et finalement l’a vaincue. Cette simple remarque suffit à justifier, en son intention du moins, le mémento succinct qui va suivre des transformations progressives de l’armement et de la doctrine tactique de notre infanterie ; rien n’est plus propre que cette chronologie pathétique à manifester l’effort de la France en armes.

Mais comment constituer en dignité et en autorité un tel exposé ? Aurait-il suffi que celui qui osa l’entreprendre fût un de ces Français, semblable à tant de Français, qui, pour avoir vécu quatre ans d’un communiqué à l’autre et pour, avoir sans cesse réfléchi aux choses de la guerre, ont fini par se créer peut-être comme un commencement de compétence ? Lui aurait-il suffi d’avoir étudié page à page tant de comptes rendus d’opérations et tant de journaux de marches ? Même lui aurait-il suffi, laissant les papiers pour regarder les âmes, d’avoir visité dans leurs cantonnements et aux lignes, aux abords du Chemin-des-Dames ou dans l’âpre secteur de la Butte-du-Mesnil, deux très belles divisions d’infanterie, les Bretons et les Vendéens de la 21e, les Gascons, les Basques et les Béarnais de la 36e, d’avoir recueilli leurs souvenirs, et d’avoir vu parfois, tandis qu’ils contaient, leurs pauvres demeures souterraines s’emplir de lumière ? Non, il ne lui aurait pas suffi d’avoir regardé, observé de toutes les puissances de son âme. Mais, comme il errait dans la « forêt obscure » des faits et des émotions, un guide l’a pris par la main et l’a dirigé. Et ce fut, parmi nos fantassins, l’un de ceux qui, tout en se battant, — trois blessures, huit citations et, à trente-six ans, la cravate de commandeur de la Légion d’honneur, — ont le plus énergiquement pensé cette guerre. Que ne permet-il qu’on le nomme ici ? Son nom parerait ces pages de noblesse. Puisse du moins celui qui les écrit ne pas trop gâcher les pensées qui lui viennent d’un tel guide ! Fuisse-t-il se tirer de leur commune entreprise à force de simplicité, de sincérité et de ferveur !


PREMIÈRE PÉRIODE
L’INFANTERIE PENDANT LA GUERRE DE MOUVEMENT
(Août-octobre 1914)

Notre infanterie est entrée en campagne munie (les trois seules armes, fusil, baïonnette, mitrailleuse, qui étaient aussi les seules armes de l’infanterie allemande, et munie en outre d’une doctrine, dont certes nous n’avions pas le monopole, mais qui semble avoir été poussée chez nous jusqu’à ses conséquences logiques les plus extrêmes, — la doctrine de l’offensive malgré tout.

Pour la résumer, ne craignons pas d’emprunter à ses détracteurs des traits grossis. En vue de la guerre, telle qu’on imaginait qu’elle se déroulerait, violente et très courte, on faisait fonds avant tout sur la bravoure française. Attaquer à outrance, et si l’on se sait tourné, attaquer quand même, et, si l’on juge la situation désespérée, attaquer encore, tel est le principe, qui s’exprimait aussi parfois sous cette forme paradoxale : Plus on est faible, plus on attaque. Dans nos manœuvres du temps de paix, un chef avait plus de chances d’être félicité s’il avait attaqué que s’il s’était défendu : il devait réunir sa troupe à couvert, pousser droit devant lui, rechercher à tout prix l’abordage pour fixer l’ennemi, tout en le manœuvrant par les ailes, et c’était, à tous les échelons, la consigne invariable, où l’art de la guerre semblait enclos. Et comme tout combat d’infanterie se ramène nécessairement à combiner, mais selon des formules très diverses, le mouvement et le feu, la formule par nous préconisée, comme la plus appropriée à la fougue de notre tempérament national, c’était la plus brutale, celle qui voit dans le mouvement le moyen d’action essentiel, dans le feu le moyen d’action secondaire. En ce système d’idées, qu’est le fusil ? Surtout un porte-baïonnette. Qu’est la mitrailleuse ? Rien que l’engin du combat défensif, donc du genre de combat que nous aurions, selon toute vraisemblance, le moins à pratiquer. Dans le combat offensif, la mitrailleuse n’est qu’un embarras, vu la difficulté de l’installer vite et de la ravitailler en munitions ; et c’est pourquoi notre infanterie n’était dolée que de deux mitrailleuses par bataillon.

Or, dès le 14 août 1914 en Alsace et ,en Lorraine, dès le 19 et le 20 août en Luxembourg et en Belgique, les forces françaises s’ébranlèrent en effet pour de vastes actions offensives, et presque aussitôt voici que nos armées, ces régiments que naguère nous avions vus partir en si bel arroi de leurs casernes et s’acheminer sans bravade, mais pleins de confiance, fièrement, vers les wagons fleuris, voici que nos cinq armées, nos armées magnifiques, d’un bout à l’autre du front immense, retraitaient à la fois, douloureuses, livrant à l’invasion le sol de la pairie.

Alors, quand éclatèrent en même temps le sinistre communiqué : « De la Somme aux Vosges... » et les cris d’allégresse de l’Allemagne et le gémissement, sincère ou hypocrite, des neutres : « Pauvre France ! » et que nos bourgades les plus lointaines s’emplirent de réfugiés, aussitôt des voix murmurèrent chez nous de savantes explications de notre détresse ; et souvent depuis, en chaque période sombre, leur réquisitoire contre les erreurs et les défaillances de notre préparation à la guerre fut repris et précisé.

De ces griefs, beaucoup et des plus graves concernent notre infanterie. Osons les redire : il convient que tout Français les regarde en face.

Pourquoi, demande-t-on, notre doctrine de l’offensive ? Alors que notre Règlement du 12 juin 1875 sur les manœuvres de l’infanterie n’avait respiré que prudence, et que ses auteurs, des hommes qui venaient de faire la guerre et savaient ce qu’elle est, s’étaient attachés surtout à mettre en relief » l’importance prépondérante du feu, » alors que, par exemple, ils avaient sagement prévu, pour le combat offensif, des renforts et des soutiens de compagnie, pourquoi, par quel paradoxe, les rédacteurs de nos Règlements ultérieurs s’étaient-ils progressivement départis de cette juste humilité devant la puissance du feu, et cela précisément à mesure que la mise en service d’engins plus meurtriers accroissait cette puissance ? Pourquoi en était-on presque arrivé à estimer que l’arme véritable du fantassin, c’est le fantassin lui-même ?

Tandis que notre antique Règlement de 1875 avait étudié avec tant de détail les modes et conditions du combat défensif, reconnaissances, organisation du terrain, construction de tranchées, abris, flanquement, etc., pourquoi, par quel orgueil notre pratique ultérieure avait-elle peu à peu délaissé cette étude ? Pourquoi l’exiguïté de nos règlements sur l’emploi de la mitrailleuse ?

Pourquoi notre fusil (modèle 1886, modifié en 1893) était-il le plus archaïque des fusils en service dans les armées de l’Europe ?

Pourquoi nos uniformes éclatants, képi rouge et pantalon rouge, en face du gris de campagne allemand ?

Pourquoi si peu d’empressement dans l’élite de notre jeunesse à rechercher le titre d’officier de réserve ? Pourquoi si peu de sous-officiers rengagés ? Pourquoi tant de sursis d’appel octroyés aux réservistes ? Pourquoi réduisait-on sans cesse la durée de leurs périodes d’instruction ? Et tandis que l’Allemagne, dès les premières batailles, put engager presque au même titre que ses corps d’armée actifs treize corps de réserve, solidement encadrés et bien exercés, pourquoi chez nous, durant des semaines, faute de cadres et d’entraînement, des dizaines de milliers de réservistes demeurèrent-ils simplement des rationnaires ?

Pourquoi avions-nous toujours différé d’établir de vastes camps d’instruction où l’on pût faire manœuvrer des troupes de toutes armes, alors que les Allemands en avaient établi au moins un par corps d’armée ? Puisque la technique du combat est de pur métier, toute de pratique et de dressage, pourquoi réduisions-nous nos régiments à s’agiter dans des cours de caserne ou sur des champs d’exercice exigus, et quand ils sortaient de leurs garnisons pour les manœuvres d’automne, pourquoi les retenions-nous sur les routes, avec consigne de respecter les cultures ?

Certes, ces griefs sont graves. Mais, quand ils seraient tous fondés, ceux-là et beaucoup d’autres par surcroît, encore faudrait-il, pour en juger avec équité, se rappeler deux choses.

La première est que seule la guerre apprend la guerre et que l’armée française n’avait pas fait la guerre depuis quarante-trois ans, — L’armée allemande non plus, dira-t-on. — Aussi pourrait-on dresser un bilan non moins chargé des fautes et des insuffisances de son infanterie.

Puis, il conviendrait peut-être de ne pas oublier tout à fait que notre infanterie, refoulée le 23 août à Charleroi et autres lieux, fut victorieuse sur la Marne, quinze jours seulement plus tard. Qui explique Charleroi par les susdites fautes et insuffisances se doit d’expliquer la Marne par les mêmes causes, — ce qui veut dire que nos revers du mois d’août 1914 ne sont pas imputables particulièrement à notre infanterie, ni à telle ou telle des lacunes de notre préparation militaire, mais d’abord et bien plutôt à un petit fait, à quoi il faut toujours revenir, sous peine de ne rien comprendre à rien, le guet-apens de Belgique, la machination soigneusement combinée outre-Rhin par une foule de chefs militaires et politiques et applaudie, quand elle se dévoila, par le peuple allemand tout entier, la traîtrise qui, jetant au Nord de la Meuse une énorme masse de manœuvre allemande, devait fatalement entraîner pour quelques jours l’enveloppement de notre ordre de bataille.

Il n’est ni de notre dessein ni de notre pouvoir de déterminer si l’État-Major français avait étudié à l’avance ce projet d’invasion ennemie par le Nord de la Meuse. Peut-être l’avait-il anciennement prévu, mais écarté de ses prévisions comme démesuré, comme contraire à la raison, comme trop dangereux diplomatiquement, comme inexécutable militairement (faute d’effectifs suffisants), comme propre en un mot, si l’Allemagne commettait la folie de s’y arrêter, à la conduire, à travers des succès éphémères, vers l’abîme : auquel cas ce ne serait pas l’Etat-Major français, mais l’allemand qui, tout compte fait, aurait calculé faux.

Quoi qu’il en soit, c’est ce projet que l’Allemagne essaya d’exécuter, contre notre attente. Or, aujourd’hui qu’il est loisible à chacun, à l’aide de documents tombés dans le domaine public, de dessiner sûrement sur la carte les zones de débarquement de toutes nos unités et de toutes les unités ennemies ; aujourd’hui qu’un croquis [1], reproduit à l’envi par les plus vulgaires journaux illustrés de l’Allemagne, montre à qui veut nos forces toutes concentrées face à la frontière commune, tandis qu’au Nord de cette frontière commune, autour de la voie ferrée de Cologne à Aix-la-Chapelle et à Liège, treize corps d’armée allemands s’amoncellent pour former l’aile marchante qui allongera vers Bruxelles, vers Mons, vers Amiens, vers Paris, sa courbe monstrueuse ; aujourd’hui que chacun voit à plein le plan de l’Allemagne, grandiose puisqu’il a failli réussir, absurde puisqu’il a échoué, en tout cas criminel, chacun voit aussi qu’il n’eût été du pouvoir d’aucun chef militaire, quelque génie qu’on lui suppose, d’y remédier, et que, notre plan de concentration, fondé sur le respect des traités, étant ce qu’il était, le plan de concentration ennemi, fondé sur le mépris de la foi jurée, étant ce qu’il était, la « bataille de Charleroi » ne pouvait être que ce qu’elle fut, une défaite, et dont la France, selon le calcul allemand, aurait dû périr.

Et chacun voit aussi du même coup que, placée dans la situation stratégique qui fut alors la nôtre, une infanterie quelconque, même mieux armée et mieux instruite que l’infanterie française ou que l’allemande, toute autre infanterie aurait subi le même sort. Par suite, marquer, comme nous faisions tout à l’heure, que ce sont après tout les mêmes régiments et les mêmes chefs, le même armement, le même système d’idées tactiques qui, mis en défaut à Charleroi, triomphèrent quinze jours plus tard sur la Marne, ce n’était pas assez dire : à Charleroi, ni notre armement, ni notre doctrine tactique ne furent vraiment en cause ; là, une hideuse surprise stratégique a joué seule.

Si donc c’est à l’œuvre qu’on connaît l’artisan, il n’est pas équitable de prendre de Charleroi son point de perspective. Sarrebourg, Virton, Charleroi, Guise, la Marne, le Grand-Couronné, la Course à la Mer, l’Yser, Ypres ne sont que les épisodes solidaires d’une bataille unique de plus de deux mois, et c’est la série entière de ces épisodes qu’il s’agit de considérer comme un bloc.


Oui, notre infanterie, aux premiers jours, s’était partout précipitée à l’offensive avec une fougue conforme à l’esprit de son dressage, et parfois avec la plus téméraire intrépidité. Les témoignages français, allemands, abondent, unanimes, et le souvenir m’obsède encore, à quatre ans de distance, d’un récit que j’ai rencontré, aux premiers mois de la guerre, dans le carnet de route d’un fusilier prussien : deux belles compagnies de zouaves se sont lancées de très loin à l’assaut d’une position, à travers un champ dénudé ; de face, de flanc, les mitrailleuses allemandes se dévoilent ; ils s’acharnent ; leur jeune force brillante tourbillonne sous la rafale, se ranime par instants, chancelle ; ils tombent par grappes, puis un à un, tous jusqu’au dernier ; et la page écrite par leur ennemi est toute baignée d’admiration pour eux et d’une sorte d’horreur sacrée. En tant de combats, tant d’officiers chargèrent en avant de leur compagnie, ou de leur bataillon ou même de leur régiment, la poitrine chamarrée d’or, comme pour attester à la fois la bravoure de notre infanterie et son inexpérience ! De cette bravoure et de cette inexpérience, leur sacrifice reste en effet le symbole magnifique et désolant.

Mais ce fut, au début, chez les Allemands, dans le combat offensif, la même tactique forcenée : près du bois de la Marfée, par exemple, le 27 août, quand nos soldats de la 21e division les virent descendre des hauteurs de Noyers, drapeaux au vent, au son des tambours et des fifres, et marcher contre nos tranchées en de profondes colonnes par quatre, que l’artillerie française, tirant de plein fouet, massacrait. Dès le temps de paix, pour le dressage de l’infanterie, nous nous étions prévalus de notre furia francese ; mais eux, ils avaient compté sur son digne pendant, le furor teutonicus, non moins justement que nous, non moins imprudemment. Non moins utilement aussi, semble-t-il : peut-être (la jeune armée américaine n’en a-t-elle pas offert un tout récent exemple ?) une loi mystérieuse, universelle, commande-t-elle, malgré les expériences d’autrui. les mêmes excès de confiance en elle-même à toute infanterie neuve et qui pour la première fois affronte la mort ; peut-être cette excitation exaspérée est-elle, au début d’une campagne, pour une armée quelconque, la condition même de son entrée en ligne.

Pour tempérer la furia francese aussi bien que le furor teutonicus, il fallut que les deux infanteries eussent découvert ce qu’était désormais, servie par les engins modernes, décuplée par rapport à la guerre de 1870, la puissance du Feu.

Cette révélation formidable, l’infanterie française la reçut d’ailleurs la première, car c’est elle qui attaquait. Elle la reçut dès le 19 août, quand les Allemands, qui depuis cinq jours reculaient à dessein devant notre 1re armée, firent tête à Sarrebourg sur une ligne d’arrêt par eux choisie, organisée défensivement dès le temps de paix. Ils avaient chargé d’artillerie lourde les hauteurs au Nord-Est de Sarrebourg ; de même, la région Hommarting, Guntzwiller, Saint-Louis ; de même, Obersteigen ; et sur le terrain repéré à l’avance (une planchette de tir y fut trouvée), notre infanterie fut accablée par un ennemi resté invisible. Et c’est le même 19 août, par une destinée toute pareille, que, sur la Seille et le canal des Salines, l’infanterie de notre 2e armée, bombardée des hauteurs lointaines de Delme à Rodalbe et à Guéblange, apprit à redouter les « gros noirs » et la force souveraine des obstacles passifs. Mêmes expériences dans les autres armées, les jours suivants, à la « bataille des frontières. »

Or, c’est dans le désarroi de ces premières épreuves que notre infanterie, au lendemain de Charleroi, recevant soudain l’ordre de retraite générale, dut faire l’apprentissage de la défensive. Elle le fit en des conditions cruelles, car l’Allemand, qui attaquait, lui apprenait que la mitrailleuse peut servir même dans l’attaque, tandis que ceux de nos régiments qui furent chargés de couvrir notre repli n’avaient que rarement gardé leurs sections de mitrailleuses : elles avaient retraité plus vite, pour échapper à la capture. Il en résulta que, tout au long de la retraite, notre fantassin, à mesure qu’il apprenait à craindre davantage le feu de l’ennemi, perdait au contraire sa confiance en son propre feu : réduit à son fusil, il tirait nerveusement, avec frénésie, pour s’étourdir ; puis, sa cartouchière une fois vidée, et bientôt vidée, il se repliait.

Il en fut ainsi pendant treize jours. Pourtant il y eut la Marne. Pendant treize jours, nos armées refluèrent par les routes qu’encombraient les caravanes des paysans en fuite, et derrière elles les bourgs et les villages flambaient. Pourtant il y eut la Marne.


Que fut la Marne ? Pour le Haut-Commandement, la Marne fut une manœuvre prédite et décrite, dès le surlendemain de Charleroi, par l’instruction générale adressée aux armées dans la nuit du 25 au 26 août, ce fut la faute de von Kluck saisie et exploitée à la minute propice, ce fut une combinaison de très savante stratégie ; mais, pour la troupe d’infanterie, la Marne ne fut rien que le commandement de Demi-tour ! soudainement entendu. Or, la combinaison stratégique reposait sur le postulat qu’un tel commandement pourrait être exécuté après ces treize jours de l’horrible retraite, et c’était là, selon les précédents de l’histoire militaire, une hypothèse incertaine. Pourtant, au commandement de Demi-tour ! aussi correctement qu’une escouade sur le champ d’exercice, cinq cent mille hommes firent demi-tour, et au commandement de Marche ! marchèrent, et s’offrirent à la mort, et vainquirent. Et la combinaison stratégique construite par le maréchal Joffre fut belle, mais belle surtout peut-être parce qu’il l’avait fondée sur un acte de foi aux vertus de notre infanterie. Que sa foi n’ait pas été déçue, c’est là la merveille.

Elle s’explique. Nos armées avaient retraité décontenancées plutôt que découragées, irritées, sans comprendre, comprenant seulement (et à bon droit) que quelque maléfice obscur, déloyal, avait été jeté sur elles. De nombreuses divisions n’avaient même pas été engagées. D’autres, celles de Guise, par exemple, décimées certes, avaient goûté la bonne saveur de la victoire. Et celles même qui avaient le plus souffert n’avaient aucunement trouvé dans les procédés de combat de l’ennemi, — à part quelques-uns, comme l’emploi des mitrailleuses dans l’offensive, — de quoi leur faire reconnaître la prétendue supériorité technique de l’infanterie ennemie : à Dinant, à Maissin, à Gozée, n’avait-on pas refoulé Saxons et Prussiens ? « Ils sont bien forts, » disait-on ; mais le disant, on gardait conscience de sa propre force ; et puisque, pour conjurer le maléfice, tous les ordres et toutes les instructions ramenaient chaque jour, comme une formule d’incantation, la promesse d’une reprise de l’offensive, on espérait : on s’avouait manœuvré ; battu, non pas.

Une autre explication, aussi vraie, mais plus haute, est celle-ci : notre infanterie avait accepté de ses officiers, avec amour, la loi de leur exemple. Assurément ce n’était pas d’eux seuls, ni même d’eux principalement qu’elle avait reçu l’élan, la flamme, mais de la nation entière. Venues de la maison et des tombes aimées, et de l’école, et de l’église, les voix de tous les vieux, de toutes les femmes, de tous les ancêtres avaient commandé à nos soldats de bien se battre. Dès les premiers jours, ils avaient oublié leurs partis, leurs querelles, pour n’être plus que les serviteurs de la Mère commune ; et, connaissant qu’il y a plus d’une demeure dans la maison de la Mère, et que toutes sont belles, et que le peuple « élu de Dieu » voulait les ravager toutes, ils s’étaient tous offerts, du même cœur brusquement simplifié, comme les fils tous pareils de la France une et indivisible, prêts à souffrir pour ses causes, pour toutes ses causes indistinctement. Mais c’est grâce à notre corps d’officiers, c’est grâce aux cadres, (ce mot est plein de sens et de justesse) que cette immense force de bonne volonté éparse trouva son armature.

Nos officiers d’infanterie payèrent de leur personne avec une prodigalité qui dépassa toute imagination, et qu’attestent les listes funèbres. Insistons par quelques exemptes sur ce grand fait : nul n’y insistera jamais assez.

Le 64e régiment, parti avec un effectif de 55 officiers, en avait 44 hors de combat le 20 septembre, jour où il fut reconstitué, à Bezannes, à douze compagnies ; à cette date, un seul chef de bataillon lui reste ; il n’a plus un capitaine ; sept compagnies sur les douze sont commandées par des adjudants ou des sergents [2]. — Le 93e ne compte plus, le 8 septembre, que 7 officiers, au lieu de 54 : un chef de bataillon, un capitaine, deux lieutenants, trois sous-lieutenants. — Un soldat du 124e écrit, le 23 août, sur son carnet de route : « Le combat de Virton a été meurtrier. Le commandant Brunet est frappé mortellement alors que, debout, la pipe aux lèvres, il dicte ses ordres ; le commandant Favier a la tête emportée en enlevant son bataillon à l’assaut ; le lieutenant Guillo-Lohan, criblé de balles, se fait asseoir par ses hommes contre un arbre, son sabre à la main, face à l’ennemi, et meurt. Le commandant de la 15e brigade, colonel Chabrol, saisit un fusil, monte à l’assaut, et se fait tuer. Le régiment a perdu 5 officiers tués, 14 blessés, un disparu ; hommes de troupe : 9 tués, 259 blessés, 498 disparus. » Le 15 septembre, le même narrateur donne une seconde liste de 8 autres officiers mis hors de combat. Le 25 septembre, il écrit encore : « Plus de chefs de bataillon ; le lieutenant Fournier est le seul lieutenant d’active qui nous reste [3]. » — Interrogez au hasard l’un de nos vétérans sur ses plus lointaines impressions de la guerre. Immanquablement ce qu’il vous mettra sous les yeux, comme une naïve et touchante image d’Épinal, ce sera le souvenir d’un chef exemplaire, dont le plus souvent il aura oublié le nom : le capitaine, sabre haut, qui crie En avant ! — le sous-lieutenant, frais émoulu de Saint-Cyr, qui, attaqué à l’improviste, fait coucher sa section, envoie un coureur demander au chef de la compagnie l’autorisation d’ouvrir le feu, et attend, debout, un peu pâle, que le coureur revienne ; — ou, durant la retraite, le capitaine qui a mis pied à terre et chargé sur son cheval, puis sur ses propres épaules, les sacs des éclopés.

C’était là notre « caste militaire, » c’étaient là nos hobereaux, nos Junkers à nous ; et pour les avoir vus si hardis au combat, et dans la retraite si fermes et si humains, nos soldats s’étaient donnés à eux, et « le lien s’était formé, ce lien subtil qui fait la force d’une troupe, ce lien qui est autre chose que la discipline et qui fait de la discipline une chose personnelle et vivante : adhésion individuelle, successive, rapide ou lente, d’un certain nombre d’hommes à leur chef, « élection, » choix raisonné ou instinctif, reconnaissance, admiration, sympathie, attirance d’autant plus forte qu’elle se sait libre et que l’homme la forge avec tout son cœur [4]. »

C’est que ces officiers avaient dès longtemps, dans la brousse du Soudan ou dans les sables sahariens, fait leur veillée des armes, et que, les uns dans les combats du Maroc, les autres dans le labeur ingrat des garnisons, ils avaient exercé pendant des années cette vertu d’abnégation à quoi tant de Français n’avaient ouvert leurs âmes que de la veille. Par eux nos soldats s’étaient reliés aux ancêtres, s’étaient reconnus avec ravissement comme les petits-fils et les arrière-descendants de soldats disciplinés ; grâce à eux, ils retrouvaient intact, fidèlement gardé, leur propre patrimoine, le dépôt des vertus guerrières de leur race, et c’est pourquoi, de l’Ourcq à Sézanne et des Marais de Saint-Gond aux Hauts de Meuse, tous d’un même cœur ils y allèrent, aussi purs que leurs anciens, les hommes d’armes de la Pucelle.


Sur la Marne, par suite du regroupement de nos forces, notre infanterie, presque toujours manœuvrée jusque-là, put enfin manœuvrer à son tour et mener le combat en rase campagne, celui qu’elle avait été préparée à. mener. Et ce fut aussi le caractère des actions multiples, aux péripéties tour à tour offensives et défensives, où elle fut engagée durant la « Course à la Mer, » tandis que les deux adversaires essayent chacun de gagner l’autre de vitesse et de le déborder, » roquent » en même temps, remontent peu à peu de Ribécourt vers Roye, vers Arras, vers La Bassée, vers Ypres. Les hommes sont jetés à la bataille au débarquer des wagons, — combien, pleins de sommeil, s’endormirent sur leur fusil, la cartouche à demi poussée dans le magasin ! — puis sont rembarques, débarqués à nouveau, plus haut, plus bas, pour boucher quelque brèche. : Comment rendre l’impression de cette mêlée et de ce hourvari, mieux qu’en transcrivant une page au hasard de l’un de ces carnets de route, si beaux, comme on en a tant publié, où des soldats, depuis tombés au champ d’honneur, notèrent au jour le jour les actes de leur régiment ? C’est un jeune sergent du 124e, Alfred Joubaire, qui parle [5]. Son régiment, qui a retraité du Luxembourg belge jusqu’à Ville-sur-Tourbe, a été transporté le 12 septembre au ravin de Moulin-sous-Toutvent, y a combattu du 13 au 18 ; puis engagé de nouveau vers Roye, il a pris et perdu Billancourt le 24, et depuis a lutté sans trêve :


Dimanche, 4 octobre. — L’ordre arrive d’attaquer. Le régiment est à grand’peine rassemblé dans un ravin. Tout le monde est très fatigué, mais on y va tout de même de bon cœur. Contre-ordre. A douze heures, nouvel ordre. Les Allemands vont attaquer surtout le front, nous contre-attaquons. A deux heures, le mouvement commence. On se défile dans le ravin. Au débouché du chemin on est salué par une salve de balles et d’obus. Au-dessus de nos têtes, les 77 déchirent l’espace et lancent du feu. Enfin on s’empare de quelques tranchées. L’attaque semble réussir, on avance vers Roye. Je suis avec le capitaine de K... et le commandant Lambert dans une petite tranchée. Les obus passent juste au-dessus de nos têtes, rasant le parapet, cinglant l’air, nous aspergeant de terre. Si on levait la tête, elle serait emportée. Les balles sifflent de toutes parts. Le capitaine de K... récite cinq fois : « Je vous salue, Marie... » ; Sevin et mol nous répondons. A ce moment arrive le lieutenant Fourtier. Il est blessé. Il est heureux : il a fait avancer ses mitrailleuses et a fait de bon travail. Le capitaine de K... m’envoie porter un renseignement au général. Mais ce n’est pas facile de sortir de la tranchée : l’air est sillonné d’obus et de balles. N’importe, il le faut. Alors je sors et bondis au pas de course à travers champs. Les camarades me croient tué. Mais je repars. Une fois le renseignement donné, je me repose un peu avec Leleuvre dans un ravin. Les balles sifflent toujours, les obus éclatent. Partout il y a des morts.

L’attaque semblait réussie, quand parvient l’ordre de repli. Une fois encore, il faut reculer sans savoir pourquoi... A ce moment, les Allemands nous chargent en masse. On entend le son plaintif et aigu de leurs fifres. Quel air lugubre ! Pendant ce temps, la nuit est tombée. Le 250e nous tire dessus. Et toujours, dans le lointain, le son de la charge boche. Ils crient et chantent. On reforme le régiment en rassemblement articulé. On fait former les faisceaux. Les hommes exténués se courbent : il fait nuit.

Lundi, 5 octobre. — La bataille engagée depuis quinze jours se poursuit toujours avec fureur. Voilà quinze jours consécutifs que le 124e se bat sans répit. Les hommes sont à bout. Le régiment n’est plus que l’ombre de lui-même. Plus d’officiers. Un chef de bataillon fait fonction de colonel. Les compagnies sont commandées par des adjudants ou même par des sergents-majors. Les effectifs sont réduits de plus de moitié. Nous aspirons tous au repos. Mais il faut tenir encore : pas un ne reculera.

Mardi, 6 octobre. — A quatre heures, debout ! Matinée calme. A neuf heures, une attaque allemande se prépare. Une de nos batteries de 75 vient s’établir près de nous : la danse commence pour les Boches. Nous allons dans une petite tranchée, sons des pommiers. Obus, puis balles. Les Allemands bombardent furieusement Andechy, qui est en feu. A la nuit tombante, ils chargent encore en masse. Leur sonnerie lugubre perce la nuit. Devant le nombre nos troupes se replient. Andechy est occupé par l’ennemi. Toute la nuit je suis le colonel à travers la campagne pour chercher des emplacements de tranchée préparés par le génie. A deux heures, je me couche enfin dans une meule de paille. J’y suis très bien.

Mercredi, 7 octobre. — A cinq heures, debout ! Il fait très froid. On fait un peu de feu près d’un petit bois. A six heures, arrive de la division l’ordre d’attaquer Andechy de suite. On rassemble le régiment et on part en masse...


« On part en masse ».. » Et ainsi sans fin. Jamais chez ce noble enfant, une récrimination contre la patrie, jamais un doute sur elle. S’est-il jamais posé, sur les défauts de notre préparation militaire, l’une quelconque des questions que nous posions tout à l’heure ? Non, assurément, ni lui, ni aucun de ses pareils. Grandeurs et misères, ils avaient accepté toute la France. Et peut-être n’eurent-ils pas si grand tort.

Certes, la France aurait pu, dans les années qui ont précédé l’agression germanique, doubler, tripler son effort, — supposé que les Allemands l’eussent laissée faire. Supposé qu’elle eût pu savoir l’heure, et seuls les Allemands savaient l’heure, elle aurait pu laisser là ses autres tâches et se transformer toute en un camp retranché [6]. Certes, elle n’a pas été rien que Sparte : trop de ses fils d’ailleurs avaient cru qu’il leur suffirait de maudire la guerre pour en conjurer la menace et de restreindre nos armements pour désarmer le peuple de proie ; trop de ses fils, même parmi les soldats de métier, avaient cessé de croire à la guerre.

Pourtant, par delà les fautes ou les erreurs particulières et récentes, si l’on regarde aux vérités générales, qui seules sont des vérités, si l’on considère le cours sinueux de ces quarante-trois années où la France, vaincue et sans cesse guettée par le vainqueur, dut déployer, si fière fùt-elle, des ressources infinies de prudence et de souplesse, il apparaîtra que, pure de tout esprit de conquête et soucieuse par-dessus tout de réaliser sur la terre son vieux rêve, presque aussi vieux qu’elle, de la paix entre les hommes, elle a fait beaucoup pour entretenir sans cesse un appareil militaire conforme aux fins de sa politique toute défensive et toute pacifique, assez puissant néanmoins pour tenir en respect l’Allemagne et ses appétits. Il apparaîtra qu’elle a su en conséquence, — tandis que tant d’autres nations, grâce à elle, prospéraient dans le luxe et dans la joie, — s’imposer pour son armée des charges budgétaires proportionnellement aussi lourdes que celles que s’imposait l’Allemagne, et des lois de recrutement plus lourdes, puisqu’elle en était venue jusqu’à enfermer pour trois ans dans les casernes sa jeunesse entière, — et cela nulle nation ne l’avait jamais fait, depuis que le monde est monde. Il apparaîtra, en un mot, que le rôle d’ « armée de couverture de l’Entente, » ce n’est pas seulement depuis le 2 août 1914, c’est depuis l’année 1871 que l’armée française l’a tenu.

Elle l’a bien tenu, s’il est vrai que la France a su lever et transporter aussitôt et en bel ordre aux frontières de très grandes forces, 22 corps d’armée actifs, 26 divisions de réserve, 10 divisions de cavalerie, les concentrer en douze jours, aussi vite que l’Allemagne, les reconstituer à pleins effectifs immédiatement après la saignée du mois d’août, soutenir, avec l’aide de l’armée belge et du corps expéditionnaire britannique, le choc de forces allemandes qui, tour à tour diminuées et accrues, formaient à la bataille d’Ypres plus de 37 corps d’armée <ref> Exactement 22 corps d’armée actifs et la valeur de 15 corps de réserve au total 1 293 bataillons d’infanterie. </<ref>, et vaincre sur la Mortagne, et vaincre au Grand-Couronné, et vaincre sur la Marne, et vaincre sur l’Yser.

Alors, au terme de cette bataille de trois mois, au jour où le Drang nach Calais est brisé, là-bas, outre-Rhin, beaucoup s’effarent : « Quoi ! la nation abandonnée à toutes les jouissances n’est pas encore tout à fait abattue ? Quoi ! Paris... Quoi ! Calais... » Quelques-uns ont compris : notre patrie n’avait pas si mal préparé son armée, et surtout la Germanie avait retrouvé devant elle, comme à Bouvines, comme à Valmy, comme à Iéna, la piétaille de France.)


DEUXIÈME PÉRIODE
L’INFANTERIE PENDANT LA GUERRE DE POSITION
PREMIERS PHASE : LA STABILISATION DU FRONT ET NOS OFFENSIVES DE 1915

A ce moment, vers le début de novembre 1914, un grand fait étrange s’est produit : depuis les dunes de la mer du Nord jusqu’aux vallonnements devant Altkirch, court, presque continue, une ligne de tranchées où s’abritent les infanteries des Alliés ; en face, l’infanterie allemande occupe une ligne pareille.

On entend répéter chez nous que l’Allemagne l’avait dès longtemps prévu et voulu ainsi : elle nous aurait révélé la tranchée.

Mais rien n’est plus faux. Dès les tout premiers combats, chaque fois qu’ils avaient dû se mettre sur la défensive, nos fantassins, bien qu’avec répugnance, avaient ébauché, si rudimentaires fussent-elles, des tranchées-abris : tous nos règlements leur avaient commandé cette pratique, et, à défaut de règlements, le plus spontané des instincts, l’instinct de conservation, la leur aurait sans doute vite apprise. Il en fut ainsi, presque automatiquement, dans les moindres escarmouches ; il en fut ainsi, en vertu d’ordres généraux, dans la préparation des actions d’ensemble : dès le 15 août, — pour citer un exemple, — six divisions de réserve [7] sont employées à la fois à organiser défensivement les positions entre Toul et Verdun : aux termes de l’instruction (15 août 1914, 15 heures 30) qui leur prescrit ces travaux, elles doivent « profiler de la nuit pour l’exécution des premiers ouvrages et tranchées du front, création d’obstacles sérieux et mise en place des défenses accessoires, réseaux de fil de fer, etc., et améliorer le reste les jours suivants, de manière à mettre ces organisations en état de résister à toute attaque. »

Quant à ériger le procédé en système de guerre universel, quant à « remuer de la terre » uniformément sur le front de toutes les armées ; c’est le projet que nul, ni chez les Allemands ni chez nous, n’a jamais conçu ; c’est l’idée qui n’a jamais existé en tant qu’idée ; c’est la chose qui fut seulement constatée après coup, à l’état de fait accompli. Les Allemands, eux aussi, à leur entrée en guerre, n’avaient rêvé que du combat en rase campagne, « énergique et rapide, » seul conforme à ce qu’ils appelaient, comme nous, leur « grande tradition, » seul digne du « tempérament offensif » qu’ils s’attribuaient comme nous. Comme nous ils s’étaient indignés d’abord d’être ravalés, eux, les guerriers, aux besognes des terrassiers : ils ne s’y ployèrent, tout comme nous, que sous le fouet de la nécessité [8].

Comment le phénomène s’était-il produit ? Peu à peu et en des circonstances diverses. Ici, en Lorraine, dès que l’on eut commencé, de part et d’autre, pour la course à la mer, à transporter en hâte les divisions après les divisions vers le Nord, les rares unités restées sur place avaient profité du répit pour se terrer plus ou moins, par crainte de quelque retour offensif de l’adversaire ; ailleurs, dès le 20 septembre environ, au pied des hauteurs de l’Aisne, de Nogent-l’Abbesse, de Moronvilliers, les Anglais et les Français avaient senti qu’ils ne pourraient tenir sur un terrain dominé que s’ils se retranchaient ; ailleurs, en pays de plaine, des lignes capricieuses, incertaines, avaient été vaguement tracées là où les infanteries s’étaient arrêtées à bout de souffle sur des positions de fin de combat. Presque partout, à la fin d’octobre 1914, ce ne sont encore que des installations du moment, sommaires, les trous individuels que les hommes se sont creusés en pleine lutte et que peu à peu ils ont reliés aux trous voisins. A quoi bon s’implanter plus profondément ? Demain, pense-t-on, la bataille se rallumera, ici ou là, et le mouvement va reprendre, dans quelques heures peut-être.

L’Allemagne partage cette confiance. Elle croit. encore à la fin proche et soudaine de la guerre. Le 18 octobre 1914, le major Moraht écrit : « La décision viendra comme un voleur dans la nuit, sans se faire annoncer [9]. » Le 4 novembre, il reproduit joyeusement ce témoignage d’un neutre : « Le soldat français n’en peut vraiment plus <[10]. » Le 7 novembre, à la nouvelle que les Français attendent l’entrée en ligne, entre le 15 février et le 15 mars 1915, de nouvelles forces britanniques, il écrit : « Nous devons espérer et escompter qu’à ces dates la décision sur le front français sera depuis longtemps déjà chose acquise [11]. » Non, les Allemands n’avaient pas prévu la guerre immobile, car c’eût été prévoir la guerre longue, donc désastreuse pour eux ; et s’ils l’avaient prévue telle, ils ne l’auraient pas déchaînée, ils fussent restés chez eux. S’il est une vérité qui domine l’histoire de ces quatre ans, c’est bien celle-là.

Cependant, les jours passent. Ni les Allemands n’attaquent, ni nous. De part et d’autre, les caissons de l’artillerie sont à peu près vides, et trop de sang a coulé. Le front de plus en plus s’est fixé, ou, selon une métaphore nouvelle dans le langage militaire, il a « cristallisé. »

Mais depuis trop longtemps nos fantassins tiennent la ligne avancée, prêts à toute alerte, presque coude à coude, à raison d’un homme par mètre courant, sur les 850 kilomètres du front français. On ne saurait les y maintenir tous indéfiniment. Comment les relever pourtant ? Où trouver des disponibilités ? Il n’y a d’autre parti que de diminuer la densité des effectifs sur la ligne de feu, ce qui n’est possible que si l’on organise plus puissamment le terrain. Les Allemands s’y appliquèrent systématiquement quelques jours ou quelques semaines avant nous, parce que, ayant leurs visées sur la Russie, ils s’étaient résolus à garder pour un temps, en France, une attitude expectante. Ce ne serait qu’une pause, croyaient-ils, et nous, de notre côté, nous espérions, à la faveur de quelque victoire russe, les bousculer bientôt.


De part et d’autre, le système défensif prend figure. Il consiste, à l’ordinaire, en une ligne continue de tranchées, creusées à hauteur d’homme, que double, à cent ou deux cents mètres en arrière, une ligne de soutien, et que renforcent des points d’appui, bois, fermes, villages, sommairement organisés. Peu à peu, parce que le moyen d’action le plus puissant dans la défensive, c’est le feu de flanc, on aménage la première ligne en crémaillère, et l’on y établit des mitrailleuses comme organes de flanquement. En face, à des distances qui varient, en terrain découvert, de 400 à 40 mètres, s’étend la ligne ennemie : entre les deux, par delà les réseaux de fil de fer, la terre « qui n’est à personne, » la zone interdite, la zone de mort. Une seule consigne : tenir, user l’ennemi. Et, comme les munitions d’artillerie sont rares, c’est aux fantassins eux-mêmes qu’on demande d’exercer sur l’adversaire cette action continue d’usure : les deux infanteries terrées déchaînent au moindre bruit des feux de mousqueterie ou des bordées de mitrailleuses sur tout ce qui semble vivre devant elles. Mais le fusil et la mitrailleuse sont des armes à tir tendu, et le problème est d’atteindre l’ennemi au fond de la tranchée. La grenade à main fait donc son apparition, chez les Allemands d’abord (vers le 15 novembre, semble-t-il). Aussitôt nous retirons de nos places fortes les grenades à main cylindriques dont elles étaient approvisionnées pour le cas d’investissement ; et, comme leurs approvisionnements sont trop faibles, nous improvisons des engins de fortune, bouteilles ou boites de conserves remplies de cheddite, etc., ou nous ripostons à coups de bombardes légères, tous appareils renouvelés des sièges de jadis, mais dont le fantassin doit pour l’instant apprendre le maniement dans la tranchée même, à ses risques et périls. Grenades, pelles et pioches, bastions, courtines et chevaux de frise, décidément le Règlement sur la défense des Places importe plus que le Règlement sur les manœuvres de l’infanterie, et les outils du sapeur plus que les armes du fantassin. Il faut se résigner à l’évidence : la guerre de position, la guerre de siège s’installe, et l’hiver est venu.

Ils sont là, les fantassins, emmurés dans la géhenne, obsédés par l’odeur macabre, sans rien qui les réconforte, sinon le sentiment que la misère de chacun est la misère de tous. Pas de casques, pas de cuisines roulantes, pas d’alcool pour réchauffer les aliments, des capotes usées, et les pieds qui gèlent ; et dès la fin de novembre, après trois mois seulement de caserne, au fond de la tranchée, les recrues de la classe 14 ont rejoint les vétérans. Pour horizon, la haute paroi qui suinte, ou, s’ils osent parfois regarder par une fente entre deux sacs de terre, c’est l’horreur du paysage immobile où seuls semblent vivre les cadavres qui se dissolvent. Quand vient la pluie ou la neige, quelques-uns, les privilégiés, s’abritent sous un pan de tôle ondulée ; la plupart, encapuchonnés de sacs vides en grosse toile, se tassent les uns contre les autres, ainsi que font les bêtes, et leur âme pleine de torpeur s’engourdit, « pareille à une lampe dont on a baissé la mèche [12] » et seule y vacille la double pensée de la mort et du devoir. Le devoir, c’est d’accomplir la corvée de gabions, ou de rondins, ou de fascines, c’est de tresser des claies pour en revêtir la tranchée, c’est de briqueter les boyaux, c’est aussi d’écrire à la maison le bout de lettre qui dira : « Rien de nouveau, tout va bien, » et c’est encore de prendre son tour de garde au créneau : là, il faudra de quart d’heure en quart d’heure déplacer sa tête de quinze centimètres pour regarder ; si on le fait, on aura chaque fois appelé la mort et chaque fois accompli un beau fait d’armes, mais nul ne le saura que si l’on est tué [13].

Le devoir, ce n’est pas seulement de peiner dans la tranchée : souvent il faut en sortir, et se battre. De crainte que l’infanterie perde « l’esprit combatif, » les Instructions abondent qui disent : « Sur tout le front, on ne doit cesser de progresser pied à pied, si peu que ce soit, à la sape, si c’est nécessaire ; à tout moment favorable, notamment au matin et à la brune, de petits éléments se porteront à l’avant, à quelques dizaines de mètres, s’il est impossible de pousser plus loin ; ils se creusent des abris, se maintiennent, se renforcent peu à peu [14], » Il faut de plus sortir de ses trous pour détruire les fils de fer : le fantassin apporte ses cisailles, le sapeur ses charges allongées (que ces choses semblent lointaines !). Patrouilles et coups de main : les hommes s’élancent, recouverts de boucliers. Ou bien, la nuit, ils rampent, le couteau de chasse au poing : des cris dans les ténèbres, des balles, des râles : à l’aube, quelques prisonniers qui grelottent dans notre tranchée, et, là-bas, quelques-uns des nôtres qui gisent, pris dans les broussailles barbelées. « Je les grignote, » c’est le propos que l’on prête à Joffre. Hélas ! Les Allemands disent de même et disent aussi vrai. Bravade contre bravade, en tous temps, en tous pays, ainsi va la guerre.

Mais la relève vient : deux jours dans la tranchée avancée, deux jours en seconde ligne, quatre jours au repos dans quelque village encombré et pouilleux, voilà le roulement ; puis le cycle est révolu et l’on recommence. Alors, quand ils remontent à nouveau vers les shrapnels par les boyaux où les terres s’éboulent, quand leur lourd barda se heurte aux parois et qu’ils butent et s’enfoncent dans la boue entre deux caillebotis, les fantassins songent qu’ils ont toute misère bue : ah ! s’ils savaient ! Ils songent que c’est le premier hiver dans la tranchée et le dernier : s’ils savaient !


Tel est le régime du « secteur passif, » du secteur calme, mais, en plein hiver, les Allemands à Crouy, les Français en maints lieux tentèrent de vastes actions offensives. La plus puissante est la série des attaques françaises que leur premier historien, le prince Oscar de Prusse, a groupées sous le nom de Bataille d’hiver de Champagne (15 février-18 mars 1915), et qui, menées aux abords de Perthes sur un front de sept kilomètres environ, nous firent progresser de deux ou trois kilomètres en profondeur.

Tandis que, dans la guerre de mouvement, le combat offensif consiste en une marche d’approche plus ou moins longue qui aboutit à l’assaut, il se réduisait désormais, vu la proximité de l’ennemi, à un acte unique, l’assaut. Il fallait désormais aborder l’ennemi d’un seul élan, par surprise, atteindre ses parapets avant qu’il eût eu le temps de se reconnaître et de faire usage de ses armes, donc ouvrir des brèches suffisantes dans ses réseaux de fils de fer : mission que l’on dut, à cette époque, confier pour la moindre part aux artilleurs, trop pauvrement approvisionnés, pour le reste aux sapeurs et aux fantassins eux-mêmes. Mais le feu d’infanterie de la défense ce révéla plus paissant qu’on n’avait cru, et d’autre part la médiocrité de nos moyens en artillerie limitait étroitement nos attaques, les ramenant parfois à des fronts de bataillon ou même de compagnie : l’artillerie allemande, mal contrebattue par la nôtre, pouvait concentrer tous ses feux sur ces fronts étriqués, et la situation de la troupe d’assaut se faisait pénible sur le coin de terrain conquis, mais trop bien connu du défenseur.

Les mêmes caractères marquent les âpres opérations, resserrées en des cadres plus étroits encore, que les Français menèrent à Vauquois (mars 1915) ou aux Eparges (février-avril 1915) : aux Éparges, trois actions offensives, de plusieurs jours chacune, finirent par nous porter à la crête tant convoitée.

Après chacune de ces entreprises, où certes nous progressions, les Allemands calculaient au bout de combien de siècles de pareilles progressions nous conduiraient à Berlin. C’est l’époque où von Kluck disait par dérision : « Je n’ai pas pris Paris, c’est entendu, mais les Français ne prendront jamais Vouziers ; » et von Falkenhayn : « Nous assiégeons la forteresse France. » Pour riposter, nous répétions sans fin notre comparaison de l’armée allemande à une bête encagée, qui s’épuise furieuse contre des murs d’acier. Qui était l’assiégé ? Les mots ne sont que des mots ; mais de part et d’autre, au printemps de 1915, la notion s’est précisée de la solidité du front, sinon encore de son inviolabilité. On a reconnu désormais que « si l’infanterie a une très grande force d’occupation du terrain, elle n’a par elle-même aucune puissance offensive contre des obstacles défendus par le feu et garnis de défenses accessoires. » On répète qu’ « on ne lutte pas avec des hommes contre du matériel. »

A la lumière de ces principes fut préparée par nous en Artois une nouvelle bataille, qui éclata le 9 mai 1915 sur un front plus large, aussi large (une quinzaine de kilomètres) que le permettaient nos ressources, encore si restreintes, en artillerie. L’armement du fantassin était resté le même (à part le rôle accru de la grenade). Mais la bataille d’Artois offrit une grande nouveauté : l’art qui régla la conduite du combat d’infanterie.

On avait pris soin, avec une minutie jusqu’alors inusitée, de tracer des parallèles de départ, qui permirent aux troupes d’assaut de partir face à leurs objectifs dans les meilleures conditions de rapidité et de cohésion : chaque parallèle était pourvue de gradins de franchissement qui alternaient avec des passerelles destinées aux vagues lancées des parallèles suivantes. — On avait établi ces bases de départ à la meilleure distance d’assaut, fixée en principe à 200 mètres, au moins de l’ennemi, pour favoriser le jeu de nos tirs de préparation, et à 400 mètres ou 500 au plus, — En arrière, on avait disposé des places d’armes pour y rassembler à couvert, aux points convenables, les soutiens et les réserves, et pour n’envoyer au combat que des troupes fraîches et reposées. — On avait échelonné, jusqu’aux environs des parallèles, des voies de communication, des organes de liaison, des dépôts de vivres, d’eau, de munitions, d’artifices, d’outils, des aménagements pour l’évacuation des blessés. — On avait amené, plusieurs jours à l’avance, les unités dans leur secteur d’attaque, en sorte que chacune avait eu le loisir d’étudier son terrain, d’établir ses croquis, d’assurer ses liaisons, de choisir son point de direction. — On avait réglé de telle sorte le débouché de l’attaque que les troupes d’assaut purent franchir d’un bond la zone dangereuse du feu ennemi, avant le déclenchement de ce feu. — Au lieu que, dans les actions antérieures, l’objectif des troupes d’attaque, c’était l’ennemi, sans guère plus de précision, ici chaque unité avait été renseignée à l’avance sur le détail et la limite de sa mission, savait quel objectif extrême lui était assigné.

La bataille du 9 mai amena presque d’emblée la rupture, par surprise et par force, du front ennemi : succès qui, dépassant nos prévisions, ne put être exploité à fond, faute de réserves, et aussi parce que le front rompu était vraiment trop étroit. Une seconde attaque d’ensemble fut ordonnée, et la bataille se prolongea jusqu’au 9 juin. Plusieurs opérations, de plusieurs jours chacune, méthodiquement, prudemment conduites, nous livrèrent tour à tour le plateau de Lorette, Carency, Ablain-Saint-Nazaire, la sucrerie de Souciiez, Neuville-Saint-Vaast, le Labyrinthe. Partout l’Allemand avait reculé et enduré des pertes plus lourdes que nous. Et surtout, sur ces plateaux de l’Artois, le génie de la France, plus particulièrement le génie d’un grand fantassin venait d’arrêter une formule nouvelle du combat d’infanterie, le type même de la bataille en guerre de position : les batailles futures ne seront longtemps que des variantes, d’ailleurs singulièrement modifiées, de celle-là.

Puisqu’on venait d’inventer une telle méthode et de l’éprouver, il convenait d’en propager au plus tôt la connaissance et le maniement dans toutes nos armées : de là l’idée, germée au lendemain de la bataille d’Artois, de créer des écoles d’infanterie : à tour de rôle, pour quelques semaines, on retirerait des combats des unités ou des catégories d’officiers, et, dans des centres d’instruction, non loin de la ligne de feu, on leur enseignerait les nouveautés de la technique Mais comment y parvenir ? En ce temps-là, nos alliés britanniques avaient déjà levé de grandes forces, mais qui en étaient encore à s’exercer dans les camps d’outre-Manche ; il nous fallait défendre un front immense, y maintenir continûment toute notre infanterie, qui se débattait par surcroît dans une double crise, crise des cadres, crise des effectifs en hommes de troupe. Pour ce qui est des cadres, les officiers subalternes s’étaient sacrifiés en trop grandes masses aux premiers mois de la guerre, et beaucoup des survivants avaient été appelés à combler des vides aux échelons supérieurs : l’élite de nos plus jeunes classes de recrutement ne suffisait plus, comme en temps de paix, à fournir à leur place des sous-lieutenants et des lieutenants ; c’est parmi les combattants eux-mêmes, dans les cadres de sous-officiers et jusque dans le rang, qu’il avait fallu puiser. Quant à la troupe, c’était l’époque où les usines de guerre, les arsenaux, les parcs d’artillerie et d’aviation, les mines retiraient sans fin des régiments d’infanterie les ouvriers qualifiés et même les simples manœuvres, tous ceux qui savaient tenir un outil : aux lieux où l’on tue et où l’on meurt, presque seuls restaient, avec leurs officiers, les paysans. On se vit donc contraint à maintenir tous en ligne ces régiments appauvris : plus tard, peut-être, on verrait à les mieux instruire. Pour l’heure, on parvint du moins à créer, dès le mois de juin 1915, dans chaque armée, des cours pour le recrutement et la formation des sous-officiers, des chefs de section et des commandants de compagnie : et ce furent les humbles commencements d’une grande chose.


Aux lieux où l’on tue et où l’on meurt, la besogne des fantassins s’était faite plus atroce. Ce n’est pas impunément que pendant des mois ils avaient suivi la consigne de reprendre toute parcelle de terrain perdue et de progresser pied à pied : de tranchée en tranchée et de sape en sape, les deux armées souterraines avaient cheminé l’une vers l’autre, et voici qu’elles s’étaient jointes.

Maintenant, dans l’été de 1915, en de nombreux secteurs, les tranchées se touchent presque ; saillants et rentrants, les lignes s’enchevêtrent. Des points de friction se sont formés qui s’élargissent comme des ulcères. Au bois d’Ailly, au bois le Prêtre, au bois de la Grurie, durant des jours, Français et Allemands se disputent à la grenade l’accès d’un boyau, séparés seulement par une pile de sacs de terre ; les cadavres des défenseurs viennent étayer un à un la pile sanglante, et nos plus beaux régiments fondent. Ailleurs, là où les lignes sont demeurées plus distantes, les lourds projectiles à ailettes des Minenwerfer cheminent à grand bruit dans l’air et ravagent nos tranchées, et, depuis le 22 avril 1915, les Allemands, — ne leur disputons pas la priorité de cette découverte scientifique, — les inondent de leurs ignobles gaz asphyxiants. Ailleurs, sévit la guerre de mines. Au bois de Bolante, au Four de Paris, à la Cote 108 (près de Berry-au-Bac), presque encerclée, et qui sautait, — c’était chose bien connue, — deux fois par semaine, les fantassins écoutent, l’oreille collée au sol, sonner le pic des sapeurs ennemis, ou bien, attendant que les nôtres aient achevé de tramer leurs réseaux, comptent les heures et les minutes jusqu’à l’instant : un bruit obscur qui ondule, le terrain qui se boursoufle, les postes d’écoute qui croulent, un nuage de terre et de chaux qui jaillit, sur quoi s’abattent ensemble les feux des deux artilleries, sur quoi s’élancent les fantassins allemands et les nôtres ; l’entonnoir s’est creusé, et jour et nuit ; à coups de grenades, ils s’en disputeront les lèvres. Maison du Passeur, Cabaret Korteker, dix fois perdus, dix fois reconquis, ouvrages de Marie-Thérèse, de Fontaine-Madame, de la Fille-Morte, dans le mystère de la forêt d’Argonne, où se concentrait la triple horreur de la guerre de mines, de la lutte par les gaz, de la lutte par l’artillerie de tranchées ; promontoires des Eparges, du Linge, de l’Hartmannwillerskopf, qui, sur le moutonnement de l’immense bataille, dressaient leurs cimes toujours embrasées : c’est en ces lieux sacrés, aux noms déjà lointains, que nos fantassins révélèrent à l’Allemagne une vérité jusqu’alors ignorée : qu’elle ne devait pas redouter seulement la fougue des Français, mais encore, et bien plus, la ténacité paysanne des Français.

Cependant, grâce aux accroissements de l’armée britannique, grâce aussi aux « Marie-Louise « de notre classe 15, le Haut-Commandement a pu retirer de la ligne de feu des troupes nombreuses. En quelques semaines de repos et d’entrainement à l’arrière, elles retrouvent leur cohésion, que la vie des tranchées avait éparpillée : régiments, divisions, corps d’armée reprennent figure d’ « unités. » On les regroupe en vue d’une grande action offensive : combinée avec une action Franco-britannique en Artois, elle sera tentée le 25 septembre 1915 en Champagne sur un front de vingt-cinq kilomètres, de la vallée de la Suippe à la lisière Ouest de la forêt d’Argonne.

L’espoir est grand : il est que l’élan de nos troupes nous portera d’un premier effort jusqu’aux batteries de l’adversaire, au delà des lignes fortifiées qu’il nous oppose, et que nos soldats ne lui laisseront « ni trêve ni repos jusqu’à l’achèvement de la victoire. »


Ce fut une victoire, en effet. La préparation d’artillerie, qui dura trois jours, formidable pour l’époque, assura un succès initial presque complet. L’infanterie disposait de mitrailleuses en plus grand nombre, et les grenades modernes, grenades à fusil [15], grenades à main munies d’une mise à feu à temps, avaient apparu. Quant à l’emploi tactique de l’infanterie, il fut réglé selon les mêmes principes qu’à la bataille du 9 mai, avec cette différence qu’en Champagne on n’espérait guère rompre du premier coup les organisations ennemies dans toute leur profondeur : les avions nous avaient découvert une seconde ligne de positions. Nos troupes enlevèrent presque partout la première, d’un seul élan, et le désarroi fut tel chez l’adversaire que von Einem donna des ordres pour retraiter sur la Meuse. Il retira ces ordres, parce que sa seconde ligne résista. Nous étions encore novices dans l’art de maintenir, au cours d’une avance, la liaison entre l’artillerie et l’infanterie. Certaines de nos unités d’assaut s’étaient brisées contre les secondes positions ; d’autres avaient passé au travers, poussé jusqu’au terrain libre : mais là, privées de leur artillerie, elles avaient perdu toute force et la brèche s’était refermée derrière elles. De plus ces secondes positions avaient souvent été établies à contre-pente : procédé connu des longtemps, mais que les Allemands avaient raffiné ; en plusieurs lieux, ils avaient comme collé à la lisière des bois leurs engins disposés à contre-pente, mitrailleuses et réseaux de fil de fer, en sorte que nos avions n’avaient pu les repérer... Il est pénible de résumer en ces quelques formules des actions si complexes, alors qu’on a peine, même le plan directeur sous les yeux, à en démêler l’enchevêtrement. Mais c’est la loi d’un tel exposé que, pour rester intelligible, il reste schématique. A titre d’exemple, suivons du moins au jour le jour les opérations d’un seul régiment d’infanterie, le 137e .

Il a été engagé devant la Butte de Tahure du 25 au 27 septembre avec les autres régiments de la 21e division, mais a moins souffert qu’eux : il n’a perdu en ces trois jours que son colonel, tué, 6 officiers et 163 hommes de troupes tués ou blessés. Presque intact, il est prêté, le 28 septembre, à la 22e division et, sous les ordres du lieutenant-colonel d’Olonne, progresse ce jour-là victorieusement : il occupe le bois des Faucons, les Echelons, borde le ravin de la Goutte, s’empare du bois des Loups et des extrémités Ouest des tranchées de Mannheim et de Göttingen ; en fin. de journée, il a pris comme butin cinq mitrailleuses et des milliers de grenades. Dans la nuit, il conquiert la place d’armes de l’Ouest des Mamelles et l’entrée Ouest de la tranchée Schiller.-— Le 29, il appuie une attaque des régiments voisins en direction de Tahure : mais l’avance est faible. — Le 30, il reçoit du corps d’armée l’ordre d’occuper la Mamelle Nord, qui est une colline dénudée, entourée de trois côtés par l’ennemi : trois batteries d’artillerie lourde l’appuieront. — Le 1er octobre, à la nuit tombante, trois compagnies (les 7e, 9e et 10e) donnent l’assaut, s’emparent de la Mamelle, ainsi que d’une place d’armes à l’Est. Elles travaillent toute la nuit à organiser le terrain conquis, mais les hommes sont très las, et, au lever du jour, ceux de la 7e compagnie n’ont pas achevé de réunir en une tranchée continue leurs trous de tirailleurs. — Or, dans la matinée du 2, les Allemands les prennent sous un fort bombardement, puis, s’élançant des tranchées de Cobourg et de Gotha, attaquent : leur premier assaut est rejeté ; au second, ils parviennent jusqu’à nos tirailleurs, isolés dans leurs trous, s’ouvrent un passage, anéantissent la 7e compagnie ; les deux autres compagnies résistent, contre-attaquent, reconquièrent toutes leurs tranchées ; l’ennemi accable le secteur entier d’obus suffocants. — Du 3 au 5, tout le régiment s’emploie à consolider le terrain conquis, sous un feu de plus en plus violent. — Le 6, trois compagnies participent à une attaque d’un régiment voisin contre le Trapèze, s’emparent d’une place d’armes, capturent un canon-revolver, un obusier de tranchée, 1 500 fusils. — Le 7, nos tranchées, creusées dans un sol très friable, sont prises d’enfilade par l’artillerie ennemie : le régiment est très éprouvé par ce feu ; il est relevé le 8. Il a perdu, du 25 septembre ail 8 octobre, 31 officiers et 1 155 hommes, tués ou blessés.

Si par la pensée on se représente cinquante séries aussi complexes d’épisodes aussi variés, on se formera quelque idée de ce que fut, en ces journées, la tâche de notre infanterie.

Pour l’ennemi, qui avait failli être rompu, pour nous aussi, le principal enseignement de la bataille de Champagne fut qu’à l’avenir le défenseur devrait s’enfoncer dans un labyrinthe de plus en plus emmêlé de caves bétonnées et de blockhaus blindés, doublé, triplé à l’arrière par d’autres lignes de positions d’arrêt, sur lesquelles des effectifs relativement faibles pussent tenir jusqu’à l’arrivée des réserves stratégiques. Les Allemands déployèrent toute leur énergie à exécuter ce programme, et la photographie aérienne, qui commençait alors à rendre de grands services, nous fit suivre au jour le jour les progrès de la nouvelle zone défensive qu’organisaient pour eux d’innombrables prisonniers russes. Nous nous appliquions aussi, mais avec de chétives ressources en main-d’œuvre, à nous organiser pareillement en profondeur. L’année 1915 s’acheva ainsi.


Quand on regarde comment nous l’avons employée, on se demande si l’histoire ne jugera pas que, des quatre années vénérables, celle-là est la plus vénérable.

Il avait fallu, en 1915, nous adapter à l’improviste aux conditions d’une guerre de siège sans l’assistance de nos provinces du Nord, les plus riches, les mieux outillées industriellement. L’ennemi campe à vingt lieues de notre capitale. Crise des munitions, crise des harnachements, crise des éclatements de canons de 75, crise des cadres : les Allemands, qui regardent, et qui ont dressé de bonnes statistiques, prédisent chaque jour que demain la France devra mettre bas les armes. Pourtant elle tient, elle rouvre, repeuple, réorganise les usines qui lui restent, en établit d’autres ; elle renouvelle son armement canons lourds, canons de tranchées, poudres, explosifs, avions et pour l’infanterie, engins jusqu’alors inconnus, qui n’inter viendront que l’an d’après dans les batailles, mais que déjà elle a inventés et qu’elle forge mystérieusement : c’est un incomparable déploiement d’énergie créatrice. Comment fut-ce possible ? Où ses inventeurs puisent-ils la force pour inventer, ses organisateurs pour organiser ? Qui leur donne la confiance ? Certes, le fantassin misérable d’alors. Le miracle de la Marne, l’infanterie le renouvelle jour après jour, par les mérites de milliers de martyrs. Par trois fois en ces douze mois, le 15 février, le 9 mai, le 25 septembre, comme aux jours napoléoniens et telle que Vigny l’avait dépeinte, elle s’est largement éployée, « l’infanterie de ligne, l’infanterie de bataille, où les paysans de l’armée se font faucher par mille à la fois, aussi pareils, aussi égaux que les épis d’un champ de la Beauce, » et, dans l’entretemps, elle s’est adaptée au régime d’une guerre dont les épisodes quotidiens ressemblent tantôt à des duels de bandits, tantôt à des accidents d’usine. Jadis, dans un beau livre, le général de Maud’huy avait écrit : « Un peuple riche et indus- triel peut avoir une bonne artillerie, un peuple possédant une aristocratie guerrière et une bonne race de chevaux peut avoir une cavalerie redoutable ; mais tant vaut le peuple, tant vaut l’infanterie [16]. » Si ces lignes écrites bien avant la guerre sont vraies, s’il est vrai qu’un peuple a toujours l’infanterie qu’il mérite, quelle louange pour notre patrie ! De fait, à la fin de 1915, les neutres ont cessé de dire : « Pauvre France ! » Là-bas surtout, aux États-Unis, ils disent plutôt, généreusement : « O most human France ! » Et beaucoup se rappellent que souvent, au cours des siècles, les Français ont versé leur sang, non pour leurs seuls intérêts, mais pour le bonheur de leurs frères humains.


JOSEPH BEDIER.

  1. On le trouvera, dessiné par le général baron von Freytas-Loringhoven, « Chef des stellvertretenden Generalstabes der Armee », dans le Militär Wochenblatt, n° du 9 août 1917, p. 466.
  2. Le régiment est alors commandé par le seul chef de bataillon qui reste. Le 1er bataillon par un lieutenant du réserve, le 2e par un lieutenant d’activé, qui a comme adjoint un sous-lieutenant de réserve ; le 3e, de même. Les compagnies sont commandées, la 4e par un lieutenant de réserve, les 5e, 7e, 10e, 12e par des sous-lieutenants d’activé, les 1er, 2e, 3e, 6e, 11e par des adjudants, la 8e» par un sergent-major, la 9e» par un sergent.
  3. Alfred Joubaire, Pour la France, carnet de route d’un fantassin, Paris, Perrin, 1917, pages 32, 33, 84, 105.
  4. J’emprunte cette définition, qui rend un si beau son français, à un soldat le capitaine Malcor.
  5. A. Joubaire, Pour la France, p 118.
  6. L’heure choisie par eux fut celle où nos Chambres venaient de prendre toutes dispositions pour hâter l’exécution d’un nouveau programme d’armement nécessité par les récents accroissements de l’armement dans l’armée allemande. En mars 1912, quand est arrêté notre projet de budget pour 1913. il est convenu entre le ministre des Finances et le ministre de la Guerre que celui-ci sera autorisé à engager, en vue de l’accélération du programme d’armement, 31 300 000 fr. de dépenses, crédits qu’en octobre 1913 M. Millerand annonce devoir être majorés de 13000 000 de francs pour les camps d’instruction. Le 19 décembre 1913, un état de dépenses à engager en plus des prévisions budgétaires normales pour assurer l’exécution de fabrications et travaux urgents était arrêté par le ministre de la Guerre à 604 950 000 francs (dont 3 000 000 pour le Service de santé, 28 000 000 pour l’intendance, 241 000 000 pour le Génie, 36 000 000 pour l’Artillerie). C’est ce programme qui, augmenté des dépenses afférentes à la loi de trois ans, fut voté le 15 juillet 1914.
  7. Les 54e, 55e, 56e, 67e divisions de réserve et les divisions de réserve des places de Toul et de Verdun.
  8. Des faits, des documents nombreux le prouvent. Voici, par exemple, quelques lignes d’un article paru dans le Tag du 22 juillet 1915. Son auteur, le colonel Immanuel, est un écrivain militaire apprécié : « Avant la guerre, dit-il, la tranchée avait sa place dans tous les règlements allemands ; mais on ne peut pas dire qu’elle fut chez nous en grande faveur. On y voyait un expédient, on s’en passait volontiers, on n’y recourait qu’en cas d’extrême nécessité. Dans la plupart des manœuvres d’automne, on ne voyait apparaître les bêches qu’au moment de l’appel, quand un chef voulait s’assurer qu’elles avaient été nettoyées et que le nombre y était. Fidèles à notre grande tradition militaire, nous attachions une importance primordiale à la rencontre, au combat en rase campagne, énergique et rapide. Il était donc tout naturel qu’on regardât la tranchée avec une certaine méfiance, on peut dire avec un mépris à peine dissimulé. On redoutait qu’elle ne devint la mort de l’offensive, et dans la défensive on n’en attendait pas non plus grand avantage, puisqu’il fallait renoncer à toute liberté de mouvement. Pendant les manœuvres, on s’abstenait de remuer de la terre, pour ne pas abimer les cultures D’ailleurs, on ne pensait pas avoir à recourir à la tranchée dans une véritable guerre : on comptait bien battre l’ennemi avant qu’il fût question de se terrer... » Ne croirait-on pas lire un article d’un de ces critiques chagrins de chez nous, qui si souvent ont répété le lieu commun de notre imprévision ?
  9. Major Moraht, Der Völkerkrieg, t. I, p. 134.
  10. Ibid., p. 152 : « Der französische Soldat kann einfach nicht mehr.
  11. Ibid., p. 157 : « Wir müssen hoffen und erwarten, dass zu diesem Zeilpunkt die Entscheidung auf fz. Boden Idngst gefallen ist. » Rien de plus précieux que le recueil de ces articles à qui veut suivre les mouvements de l’opinion publique en Allemagne : on y voit, par exemple p. 79, p. 85), que, malgré le silence des communiqués officiels, la nation entière a « senti passer », pleine d’angoisse » notre victoire de la Marne. On y voit aussi de quel cœur unanime elle a approuvé la violation de la Belgique et la dévastation sauvage des pays envahis.
  12. Capitaine H. Belmont, Lettres d’un officier de chasseurs alpins (2 août 1914-28 décembre 1915), Plon, 1916, p. 63. (C’est l’un des plus nobles livres d’outre-tombe qui soient).
  13. Ce trait, bien noté, comme beaucoup d’autres, dans un beau livre, Bourru, soldat de Vauquois (Paris, Perrin).
  14. C’est le texte d’une Instruction générale de la 2e armée, semblable à des centaines d’autres, mais que nous transcrivons de préférence, à cause de sa date très reculée, 10 octobre 1914.
  15. Ces grenades, lancées par l’intermédiaire d’une tige qui pénètre dans les canons et qui portent jusqu’à deux cents mètres sous un angle de 54e, furent mises en service vers mai-juin 1915.
  16. De Maud’huy, Infanterie, 2e édition, Paris, 1912, p. 8.