Notions de Logique, 1884/Partie 1


Librairie J. Lefort (p. 5-29).


PREMIÈRE PARTIE.

PRINCIPES


§ I.


La logique, ou art de bien penser, nous apprend à faire un bon usage de notre raison.

La faculté de raisonner, est le don le plus précieux que l’homme ait reçu de son Créateur ; c’est par la raison qu’il surpasse les autres créatures visibles, se rapproche des anges et devient l’image de Dieu.

Cependant si l’homme faisait un mauvais usage de cette même faculté, il pourrait se dégrader, tomber au-dessous des animaux les plus stupides, et se rendre digne d’un malheur éternel.

Il est vrai que la vertu et le vice appartiennent à la volonté ; mais la volonté est une faculté aveugle qui doit être dirigée par la raison. Nous ne voulons pas ce que nous ne connaissons pas. Si la volonté est mauvaise, c’est qu’elle est séduite par les mauvaises opérations de l’intelligence.

Nous ne traiterons pas ici de la logique, comme on le fait dans une classe de philosophie, où l’on donne sur les raisonnements beaucoup de règles embarrassantes par leur multiplicité, difficiles à saisir, à retenir et à appliquer. Nous poserons seulement les premiers principes de cette logique intérieure et pratique dont chacun a besoin pour la direction de ses pensées, de ses actions et de sa conduite.

La logique est un art que nous devons apprendre avec quelque peine, parce que notre raison, bornée de sa nature, est encore obscurcie par le péché originel, égarée par les préjugés et entraînée par la violence des passions. Le défaut d’attention, la précipitation, la paresse, la vanité, la présomption et plusieurs autres vices nous font déraisonner pitoyablement.

On pourrait apprendre la logique comme les autres arts par la seule expérience, mais il est beaucoup plus court de recourir aux règles que les personnes instruites nous ont tracées d’avance. L’expérience ne nous instruit ordinairement qu’à nos dépens. Celui qui voudrait étudier sans maître la peinture, la musique ou quelque science, passerait une grande partie de sa vie en recherches vaines et en tentatives inutiles.


§ II.


Les trois principales opérations de l’esprit.


Les trois principales opérations de notre esprit sont : 1o concevoir simplement les choses par la représentation intérieure qui nous en donne l’idée. L’idée est donc le résultat ou l’objet de cette première opération qu’on nomme aussi perception.

2o Juger, c’est unir deux idées en affirmant que l’une convient à l’autre, ou les désunir en niant que l’une convienne à l’autre. Pour cela, il faut apercevoir leur ressemblance ou leur différence.

3o Raisonner, c’est déduire un jugement d’un autre jugement précédent, dont il résulte comme conséquence.

Ainsi la première opération de notre esprit est la simple perception ou la représentation d’une chose sans en rien affirmer. Quand vous dites : maison, homme, arbre, vous n’exprimez par ces mots que de simples objets représentés dans votre esprit. Le jugement a lieu quand vous liez l’idée d’un objet à l’idée d’un autre. Si vous dites : Cette maison est belle, vous exprimez un jugement où la beauté conçue par votre esprit est liée à l’idée de la maison que vous vous représentez. Si vous dites : Cette maison n’est pas belle, vous exprimez un jugement qui nie la liaison des deux idées existantes dans votre esprit.

Le raisonnement a lieu quand on porte un jugement comme étant la suite d’un autre. Vous formez un raisonnement en disant : Cette maison est belle, donc elle sera vendue chèrement ; car le second jugement est déduit du précédent.


§ III.


Des Idées.


La première opération de notre esprit nous donne donc l’idée, qui consiste dans la perception d’un objet quelconque représenté dans notre intelligence.

Sans rechercher comment se fait cette perception, ou se produit cette effigie, nous observerons que si elle représente un objet corporel, un arbre, une maison, etc., elle vient alors de l’imagination, ou faculté de produire des images.

Il y a des idées dont nous concevons l’objet spirituellement et sans nous en former aucune image ; par exemple : la beauté, la vertu, ou quelque autre qualité séparée par l’abstraction du sujet où elle réside.

C’est une imperfection très ordinaire à l’homme, lorsqu’il veut penser à Dieu ou aux anges, etc., de consulter son imagination et de se les dépeindre sous une forme corporelle : ainsi, se représenter Dieu comme une vaste mer, comme une étendue sans limite, comme une lumière éblouissante, etc. Il est vrai que ces figures, et autres semblables, quand on a soin de les corriger par la raison et surtout par la foi, loin d’avoir quelque chose de répréhensible, nous servent au contraire utilement pour nous élever jusqu’à la nature de la Divinité, comme nous employons les images et les statues pour nous représenter Dieu le Père, les anges, etc. Mais tout cela est fort imparfait ; car les choses spirituelles ne peuvent jamais entrer dans le domaine de l’imagination.

Les idées ne nous représentent pas les objets eux-mêmes, mais les notes, caractères, propriétés ou qualités qui les distinguent. Si toutes ces qualités conviennent effectivement à l’objet qu’on veut représenter, l’idée est juste ; mais cela arrive rarement : l’expérience nous apprend à nous méfier de nos connaissances, et principalement de ce qui nous vient par l’imagination.

Il y a plusieurs sortes d’idées : les idées sont générales, particulières ou singulières. Une idée singulière, ou individuelle, est celle dont toutes les notes ensemble ne conviennent qu’à un individu, c’est-à-dire à un objet unique, entre tous ceux qui existent, en quelque genre que ce soit. Nous exprimons cet objet singulier ou individuel par un nom propre, et quelquefois par un nom commun, mais en y ajoutant un pronom démonstratif ou quelque autre marque déterminative, comme Socrate, Rome, cette maison, le livre que je lis, etc. Une idée dont toutes les notes conviennent à plusieurs individus n’est pas singulière, mais générale ou particulière :

1o Générale, si elle s’étend à tous les individus d’une même classe ou espèce : telle est l’idée exprimée par le mot homme, parce que ce qui constitue l’homme, la vie, le sentiment, la raison, appartient également à tous les individus de l’espèce humaine. 2o Particulière, si elle ne s’étend qu’à une partie des individus de la même espèce. Ainsi : quelques hommes, plusieurs étoiles, etc. Parmi les idées générales, il y en a de plus ou moins étendues. En comparant l’espèce des hommes à celle des bêtes, on trouve entre elles quelque chose de commun, savoir, la vie et la sensation, ce qui constitue l’animal. Donc l’idée d’animal est plus étendue que celle d’homme ou de bête, puisqu’elle contient tous les individus de l’une et de l’autre espèce. L’animal est appelé genre par rapport à ces deux espèces.

Remarquez que le genre par rapport à l’espèce inférieure, devient espèce par rapport au genre supérieur. Ainsi l’animal et la plante, qui sont deux genres, deviennent espèces par rapport à la créature vivante corporelle, qui est un genre supérieur.

On demande d’où viennent les idées.

Nous répondrons :

1o Plusieurs idées viennent de Dieu qui nous les donne directement lui-même ou nous les envoie par le ministère de ses anges. Le chrétien ne peut en douter.

2o L’âme acquiert beaucoup d’idées par le moyen des sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher. Les choses qui agissent sur les organes de ces sens produisent dans le corps des mouvements à l’occasion desquels le sentiment et les idées s’excitent dans l’âme.

3o L’âme aperçoit en elle-même plusieurs choses : son existence, ses opérations intérieures. Elle peut se dire avec toute assurance : Je pense, donc j’existe.

4o La mémoire de ce que nous avons vu ou entendu autrefois, éveille d’autres idées qui se rattachent aux premières.

5o Le démon a aussi la puissance de susciter en nous certaines idées.

Si l’on veut avoir de bonnes idées, il faut le demander souvent à Dieu, écouter de sages instructions, lire de bons livres, remplir sa mémoire de tout ce que la saine raison et la foi catholique proposent d’utile, éviter ce qui excite des impressions dangereuses.


§ IV.


Du Jugement et des Propositions.


Le jugement est la seconde opération de l’esprit ; il consiste à unir deux idées, en affirmant que l’une convient à l’autre, ou à les désunir en niant leur convenance.

Donc tout jugement est affirmatif ou négatif.

Le jugement s’exprime par une proposition affirmative ou négative. Et comme dans le jugement il y a deux idées à joindre ou à séparer, de même dans la proposition il y a deux termes qui expriment ces idées. Le premier est appelé sujet, l’autre, attribut. Dans la proposition affirmative, entre le sujet et l’attribut, se trouve le verbe, est, servant de lien ou de nœud pour joindre l’un à l’autre. Dans la proposition négative, où l’on exprime que l’attribut ne convient pas au sujet, il faut ajouter une négation au verbe.

Ainsi quand je dis, Dieu est tout-puissant, j’exprime un jugement affirmatif. Dieu est le sujet de la proposition ; tout-puissant, l’attribut ; est, le verbe, lien ou nœud qui joint les deux idées. Quand je dis, L’homme n’est pas tout-puissant, j’exprime un jugement négatif. L’homme est le sujet de cette proposition ; tout-puissant, l’attribut ; la convenance des deux idées est niée au moyen de l’adverbe ne pas ajouté au verbe.

On trouve ces trois choses, le sujet, le verbe et l’attribut, dans toutes les propositions. Ainsi en disant : Pierre court, c’est comme si l’on disait : Pierre est courant. Le sujet Pierre et l’attribut courant sont unis affirmativement.

La proposition est universelle, quand le sujet est pris universellement, comme lorsqu’on dit : Tous les hommes sont mortels.

La proposition est particulière, quand le sujet est pris particulièrement. Exemple : Quelques hommes sont vertueux.

La proposition est singulière, quand elle a pour sujet un seul individu. Exemple : Pierre est courageux.

Il y a des propositions qui méritent une attention spéciale : ce sont celles qu’on nomme définitions.

La définition est une courte proposition qui exprime la nature d’un objet. Pour être bonne, elle doit contenir le genre le plus prochain et la différence spécifique du sujet, c’est-à-dire indiquer à quel genre voisin le sujet appartient et par quels attributs il diffère de toute autre espèce de ce genre. Ainsi quand je dis : L’homme est un animal raisonnable, je donne une bonne définition de l’homme, car je le range dans la classe des animaux comme dans le genre le plus prochain ; et cependant, je l’en distingue absolument par l’attribut raisonnable qui constitue sa différence spécifique.

La définition, pour être exacte, doit convenir à tout le défini et au seul défini. Ainsi en disant : L’homme est un animal usant bien de la raison, on ne donne pas une définition exacte, car il est malheureusement impossible d’affirmer que tout homme use bien de sa raison.

De même on ne définit pas l’homme en disant seulement qu’il est une créature raisonnable, car on pourrait en dire autant de l’ange.

Il importe beaucoup de bien juger. Si la logique ne nous préserve pas toujours de toute erreur, elle nous apprend du moins à veiller attentivement sur nos jugements et à les rectifier.


§ V.


Le Raisonnement.


Le raisonnement est une troisième opération de l’esprit, s’appuyant sur les deux autres.

C’est un jugement tiré d’un autre jugement. De ce qu’une idée convient à une seconde, on en conclut qu’elle convient aussi à une troisième renfermée dans la seconde ; ou au contraire on conclut que la troisième idée n’a pas telle qualité, parce que la seconde ne l’a pas non plus.

Le raisonnement ne nous serait pas nécessaire, si nous pouvions voir les vérités en elles-mêmes ; mais notre esprit est si borné qu’il doit aller péniblement de l’une à l’autre. Saint Thomas d’Aquin pense que les anges n’ont pas besoin de raisonner pour parvenir à la connaissance des vérités, parce qu’ils les voient tout d’un coup en elles-mêmes. Quant à nous, dans cette recherche, nous nous servons de quelques principes certains dont nous tirons des conséquences, et cette opération nous avance d’un pas dans le chemin qui mène des ténèbres à la lumière.

Dieu nous a communiqué quelques vérités ou principes généraux, nous laissant le devoir d’en déduire les vérités particulières dont la connaissance s’applique aux divers cas de la vie humaine.

Par exemple, c’est un principe général, que nous devons éviter le mal et faire le bien. Par le raisonnement nous en tirons cette vérité particulière, que nous devons éviter le mensonge, etc.

Outre ce principe général de la morale, Dieu nous a donné dix commandements qui sont des principes secondaires, explicatifs du premier. Ces dix commandements contiennent eux-mêmes d’autres vérités, que nous en déduisons par le raisonnement.

La forme la plus ordinairement employée dans le raisonnement pour la recherche de la vérité, est celle du syllogisme. Nous allons en expliquer la nature.


§ VI.


Du Syllogisme.


Le syllogisme est un raisonnement qui consiste en deux propositions dont on déduit une troisième ; il est ordinairement fondé sur un des deux principes suivants, où il n’y a pas d’erreur possible :

I. Ce qui convient à l’idée d’une généralité, convient à chacun des individus qui composent cette généralité.

II. Ce qui ne convient pas à l’idée d’une généralité, ne convient à aucun des individus qui entrent dans la même généralité.

Les deux premières propositions du syllogisme se nomment Prémisses ; la plus générale des deux prémisses se nomme Majeure ; la moins générale, ordinairement la seconde, se nomme Mineure. La troisième proposition déduite des deux autres par une conséquence, légitime ou illégitime, se nomme Conclusion.

Quand les prémisses sont vraies et la conséquence légitime, c’est-à-dire contenue dans les prémisses, le syllogisme est matériellement et formellement en règle, soit par exemple les syllogismes suivants :


sur le premier principe.


Toute injustice est défendue ; Majeure.

Or, l’usure est une injustice ; Mineure.

Donc l’usure est défendue.


sur le second principe.


Nul péché n’est permis ; Majeure.

Or, tout mensonge est un péché ; Mineure.

Donc nul mensonge n’est permis.

Si les prémisses sont vraies, la conclusion l’est aussi, pourvu que la conséquence soit légitime. En sorte que si quelqu’un admet les prémisses, il ne peut nier la vérité de la conclusion qu’en la qualifiant d’illégitime. Pour obtenir une conséquence légitime, il y a certaines règles à observer. Dans les cours de philosophie, on en donne une multitude, qui s’appliquent à toutes sortes de syllogismes, mais qui sont trop compliquées pour être exposées ici ; nous nous bornerons aux plus essentielles, en les appuyant sur des exemples.

1o La conclusion du syllogisme doit être contenue dans la majeure ; la mineure sert à le faire voir. Exemple :

Tous les hommes sont mortels ;

Or, tous les rois sont hommes ;

Donc tous les rois sont mortels.

Les rois sont mortels parce qu’ils sont hommes :

La conclusion est contenue dans la majeure, et la mineure le fait voir.

2o Dans un syllogisme simple, il n’y a que trois propositions, et par conséquent trois sujets et trois attributs. Pour exprimer ces trois sujets et ces trois attributs, on ne se sert que de trois termes différents ; ainsi dans le syllogisme précédent les trois termes sont :

1o Tous les hommes,

2o Mortels,

3o Tous les rois.

Un de ces termes se trouve deux fois dans les prémisses, on l’appelle moyen ; il doit être pris au moins une fois généralement. Ici le terme moyen est homme, il est pris généralement dans la majeure.

4o Une des prémisses, soit la première, soit la seconde, doit être une proposition générale ; on ne peut rien conclure de deux propositions particulières. Exemple :

Quelques impies sont Français ;

Or, quelques Français sont braves.

On ne peut conclure de là, ni que tous les impies, ni même que plusieurs impies sont braves.

5o Une des prémisses doit être affirmative ; on ne peut rien conclure de deux propositions négatives.

Ainsi on ne saurait dire :

Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux ;

Or, Philémon et Baucis n’avaient ni or ni grandeur ;

Donc ils étaient heureux.

Mais on dirait bien :

Les pauvres ne possèdent ni les richesses ni les honneurs du monde ;

Or, beaucoup de pauvres sont heureux ;

Donc on peut être heureux sans posséder ni les richesses, ni les honneurs, ni l’or, ni la grandeur.

D’après ces règles, il est facile de voir que les syllogismes suivants sont ridicules :

1o Tous les mahométans sont des infidèles ;

Or, tous les Chinois sont des infidèles ;

Donc tous les Chinois sont des mahométans.

La conclusion de ce syllogisme n’est pas contenue dans les prémisses, car les mahométans et les Chinois peuvent avoir la même qualité d’infidélité, et cependant être des peuples de différentes religions ; le syllogisme pèche donc contre la première règle, il ne vaut rien. Remarquez aussi que le terme moyen, savoir, des infidèles, ne se prend généralement ni dans la majeure ni dans la mineure. On dit seulement que les Mahométans sont quelques infidèles, les Chinois quelques infidèles, ni les uns ni les autres ne sont tous les infidèles.

2o Vous n’êtes pas ce que je suis ;

Or, je suis homme ;

Donc vous n’êtes pas homme.

La conséquence de ce syllogisme n’est pas légitime, parce que vous et moi pouvons être des sujets différents et cependant avoir la même qualité d’hommes. Ni l’une ni l’autre des deux prémisses n’est une proposition générale.

Quand un argument paraît avoir une conséquence légitime, tandis que cette conséquence est fausse, cela s’appelle sophisme ou mauvais raisonnement.

Voici les principales espèces de sophismes :


§ VII.


Diverses sortes de sophismes.


PREMIER SOPHISME.


prouver autre chose que ce qui est en question.


C’est un vice ordinaire dans les contestations : on dispute avec chaleur, et souvent on ne s’entend pas les uns les autres.

Ainsi les luthériens, voulant prouver qu’il est permis de manger de la viande tous les jours, disent :

Toutes les créatures de Dieu sont bonnes ;

Or, la viande est une créature de Dieu ;

Donc la viande est toujours bonne.

Les catholiques admettent ce syllogisme ; mais ils remarquent qu’il ne prouve nullement ce qui est en question. Nul ne conteste que la viande, considérée comme créature de Dieu, soit bonne. Mais l’usage peut en avoir été défendu à certains jours. Comme le fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, dans le paradis terrestre, était fort bon en lui-même ; mais Adam a péché en le mangeant, parce que Dieu lui en avait interdit l’usage.


SECOND SOPHISME.


supposer vrai ce qui est en question.


Cette mauvaise manière de raisonner est aussi très commune. On pose un principe comme certain, tandis qu’il ne l’est pas. Dans tout raisonnement, ce qui sert de preuve doit être admis de l’adversaire et reconnu par lui comme vrai ; pour cela, il faut n’employer dans ses prémisses que des propositions dont la vérité soit claire et évidente.

Pour raisonner avec quelqu’un, il ne suffit pas que le principe dont nous partons soit clair à nos propres yeux, il faut encore qu’il le soit au jugement de notre adversaire. Ainsi, pour prouver quelque chose à un mahométan, on se servirait inutilement d’un texte de l’Écriture sainte, puisqu’il n’y reconnaît pas la parole de Dieu. Il faut, pour lui parler religion, poser quelques principes raisonnables dont il convienne.

On se trompe souvent soi-même à l’aide des sophismes. Ainsi une jeune personne s’autorise à suivre les modes en se disant :

Il m’est permis de m’habiller comme les autres ;

Or, les autres suivent la mode ;

Donc il m’est permis de suivre la mode.

Son raisonnement est un sophisme ; il s’appuie sur un principe vicieux et suppose pour vrai ce qui est en question, qu’il soit permis de faire tout ce que font les autres, maxime énergiquement réfutée par ces paroles de saint Paul : « Si je plaisais encore au monde, je ne serais pas le disciple de Jésus-Christ. »


TROISIÈME SOPHISME.


prendre pour cause ce qui n’est pas cause.


C’est la mauvaise manière de raisonner des personnes superstitieuses qui disent :

J’ai renversé une salière ;

Donc je dois m’attendre à un malheur, etc.

On se trompe de la même façon en supposant qu’une chose qui a précédé un événement en est nécessairement la cause. Comme l’apparition d’une comète, cause de guerre, etc.


QUATRIÈME SOPHISME.


juger d’une chose par ce qui ne lui convient qu’accidentellement.


Par exemple, condamner la médecine, parce qu’il y a des médecins ignorants ; juger mal des pratiques religieuses, parce qu’il s’y glisse des abus. Comme si le mauvais usage que les hommes peuvent faire des meilleures choses les rendait mauvaises.


CINQUIÈME SOPHISME.


prendre pour principe général ce qui n’est pas généralement vrai.


C’est en quoi on se trompe le plus. Si le principe sur lequel on se fonde n’est pas généralement vrai, il est impossible de réduire le raisonnement à un syllogisme régulier et de s’assurer de la justesse d’une argumentation.

Presque tous les proverbes, quoique énoncés généralement, ont leurs exceptions, et l’on se tromperait gravement si on voulait en tirer une conclusion absolue. Par exemple : telle mère, telle fille ; point d’argent, point de suisse, etc.


§ VIII.


Sophismes d’amour-propre, d’intérêt ou de passion, sophismes suggérés par l’imagination.


1o Sophismes d’amour-propre :

L’amour-propre rend jaloux, envieux et malin à l’égard des autres. Il ne souffre qu’avec peine leurs avantages. Or, c’est un grand avantage de connaître la vérité, de la dire et surtout de la dire le premier ; on veut ravir cette gloire au prochain ; on combat ses opinions ou ses inventions pour la seule raison qu’elles viennent de lui, et d’après ce sophisme intérieur :

C’est un autre que moi qui le dit ou qui le fait ;

Donc cela est faux et mauvais.

2o Sophismes d’intérêt :

Pour conserver ce que l’on a, ou parvenir à ce que l’on désire, on ne regarde plus à la vérité ou à la justice des principes, pourvu que le raisonnement favorise notre fortune ou notre ambition.

3o Sophismes de passion.

Combien y en a-t-il qui font intérieurement ce raisonnement :

Je l’aime ;

Donc c’est une personne pleine de bonnes qualités.

Je la hais ;

Donc elle n’a que des défauts.

L’objet de notre passion nous paraît tel que notre sentiment nous le dépeint, comme celui qui a la jaunisse voit tout jaune.

4o L’imagination,

Qui est ordinairement mise en jeu par les passions, trouble la raison. Ainsi, sans la connaître, les jeunes filles se représentent la vie chrétienne sous des couleurs sombres et rebutantes, et elles répugnent à s’y engager.

Le paresseux se dit : « Je trouverai un lion dans mon chemin. » Cela lui suffit pour ne pas oser avancer ; cependant le lion n’existe que dans son imagination.

5o La passion et l’imagination nous empêchent de bien raisonner en deux manières :

1o Elles arrêtent notre attention sur ce qui leur plaît ;

2o Elles la détournent de ce qui leur est opposé.


§ IX.


Méthode pour former sa conscience au moyen d’une logique chrétienne.


La conscience est un jugement pratique par lequel on décide sur la bonté ou la malice d’un acte particulier, qu’on doit faire ou omettre en telle ou telle circonstance.

Pour déterminer la bonté morale d’un acte, il faut en considérer l’objet, voir les circonstances qui l’accompagnent et la fin qu’on s’y propose.

Le jugement par lequel on décide qu’un acte particulier est bon ou mauvais, licite ou illicite, se fonde sur un syllogisme intérieur dont les deux prémisses doivent être vraies pour que la conclusion soit légitime.

Si l’on admet des prémisses défectueuses, on arrive à une fausse conclusion et l’on se forme une mauvaise conscience.

Soit, par exemple, ce raisonnement d’une personne indisposée qui veut s’exempter de sortir le dimanche pour entendre la messe :

Les malades sont dispensés de sortir, etc. ;

Or, je suis malade ;

Donc je suis dispensée, etc.

D’abord, dans la majeure, il s’agit d’une maladie réelle, rendant la sortie impossible ou fort dangereuse. La mineure est donc à examiner ; il faut s’assurer de la réalité de la maladie ou du danger auquel on s’expose en sortant.

Au moyen de cet exemple, on peut distinguer diverses sortes de consciences :

1o Celui qui est vraiment malade, ou qui s’exposerait à un grand danger en sortant, se forme, par le susdit syllogisme, une conscience droite ou vraie.

2o Celui qui se dirait malade par paresse, se formerait une conscience erronée ou fausse.

3o Celui qui s’exempterait de sortir pour une trop légère incommodité, se formerait une conscience relâchée.

4o Celui qui craindrait de rester au logis contre l’avis d’un médecin sage et craignant Dieu, serait le jouet d’une conscience scrupuleuse.

Pour former notre conscience, nous devons considérer l’objet, les circonstances et la fin d’une action ; c’est-à-dire, outre la nature de la chose même qu’on se propose de faire, il faut examiner la qualité des personnes, le temps, le lieu, la manière, le motif et les résultats.

Quelques personnes, pour s’autoriser à fréquenter les spectacles, se disent : « Je n’y fais pas de mal, car je ne prête aucune attention à ce qu’on y représente. »

Mais le mal est-il seulement dans l’attention donnée à la pièce représentée ? N’y a-t-il pas :

1o Du temps perdu ?

2o De l’argent mal employé à soudoyer des comédiens dont la profession est condamnée ?

3o Un mauvais exemple donné par le mépris des ordonnances ecclésiastiques qui réprouvent le spectacle ?

4o On s’expose à y rencontrer une compagnie dangereuse.

5o De plus, est-il bien possible de ne jamais donner son attention à la représentation qu’on a sous les yeux ?

6o Enfin, est-on assez maître de ses passions pour s’assurer que cette occasion périlleuse ne les excitera pas d’une façon coupable ?

La conclusion du syllogisme qui forme la conscience sera juste et légitime si elle se fonde sur des prémisses vraies ; c’est la vérité de ces prémisses qu’il faut examiner, en écartant soigneusement les passions, qui offusquent et obscurcissent la raison.