Notice sur les travaux scientifiques de Henri Poincaré
Académie des Sciences
NOTICE SUR LES TRAVAUX SCIENTIFIQUES D'HENRI POINCARE
- Gauthiers-Villars, imprimeur-libraire de l'Ecole Polytechnique, du Bureau des Longitudes, Paris.
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BIBLIOGRAPHIE.
Comptes rendus des séances de l'Académie des Sciences.
1. 1879. Deux Notes sur les invariants arithmétiques.
2. 22 mars 1880. Sur les courbes définies par les équations différentielles.
3. 7 juin 1880. Sur les formes cubiques ternaires.
4. 22 novembre 1880. Sur la réduction simultanée d'une forme linéaire et d'une forme quadratique.
5. 14 et 21 février 1881. Sur les fonctions fuchsiennes.
6. 21 mars 1881. Sur les équations différentielles linéaires à intégrales algébriques.
7. 28 mars 1881. Sur la représentation des nombres par les formes.
8. 4 avril 1881. Sur une nouvelle application et quelques propriétés importantes des fonctions fuchsiennes.
9. 11 avril 1881. Sur l'intégration des équations linéaires par le moyen des fonctions abéliennes.
10. 18 avril 1881. Sur les fonctions fuchsiennes.
11. 18 avril 1881. Sur les fonctions abéliennes.
12. 23 et 30 mai 1881. Sur les fonctions fuchsiennes.
13. 6 juin 1881. Sur une propriété des fonctions uniformes.
14. 21 juin 1881. Sur les fonctions fuchsiennes.
15. 11 juillet 188 1. Sur les groupes kleinéens.
16. 18 juillet 1881. Sur une fonction analogue aux fonctions modulaires.
17. 8 août 1881. Sur les fonctions fuchsiennes.
18. 17 octobre 1881. Sur les fonctions fuchsiennes.
19. 5 décembre 1851. Sur les courbes définies par les équations différentielles.
20. 9 et 16 janvier 1882. Sur une extension de la notion arithmétique de genre.
21. 23 janvier 1882. Sur les fonctions fuchsiennes.
22. 13 février 1882. Sur les points singuliers des équations différentielles.
23. 27 février 1882. Sur l'intégration des équations différentielles par les séries.
24. 27 mars 1882. Sur les groupes discontinus.
25. 10 avril 1882. Sur les fonctions fuchsiennes.
26. 21 avril 1882. Sur les fonctions fuchsiennes.
27. 22 mai 1882. Sur une classe d'invariants relatifs aux équations linéaires.
28. 3 juillet 1882. Sur les transcendantes entières.
29. 9 octobre 1882. Sur les fonctions fuchsiennes.
30. 30 octobre 1882. Sur les séries trigonométriques.
31. 22 janvier 1883. Sur les fonctions de deux variables.
32. 5 mars 1883. Sur les séries de polynômes.
33. 12 mars 1883. Sur les groupes des équations linéaires.
34. 16 avril 1883. Sur les fonctions à espaces lacunaires.
35. 30 avril 1883. Sur les groupes des équations linéaires.
36. 21 mai 1883. Sur les fonctions fuchsiennes.
37. 23 juillet 1883. Sur certaines solutions particulières du problème des trois corps.
38. 29 octobre 1883. Sur la reproduction des formes.
39. 5 et 26 novembre 1883. Sur l'intégration algébrique des équations linéaires.
40. 3 décembre 1883 (en commun avec M. Picard). Sur un théorème de Riemann, relatif aux fonctions de n variables indépendantes, admettant 2n systèmes de périodes.
41. 17 décembre 1883. Sur les équations algébriques.
42. 24 décembre 1883. Sur les séries trigonométriques.
43. 4 février 1884. Sur les courbes définies par les équations différentielles.
44. 11 février 1885. Sur les substitutions linéaires.
45. 25 février 1885. Sur les groupes hyper-fuchsiens.
46. 31 mars 1884. Sur une équation différentielle.
47. 15 juillet 1884. Sur un théorème de M. Fuchs.
48. 3 novembre 1884. Sur les nombres complexes.
49. 17 novembre 1884. Sur la réduction des intégrales abéliennes.
50. 8 décembre 1884. Sur une généralisation des fractions continues.
51. 29 décembre 1884. Sur les intégrales de différentielles totales de première espèce.
52. 5 janvier 1885. Sur une généralisation du théorème d'Abel.
53. 9 février 1885. Sur l'équilibre d'une masse fluide animée d'un mouvement de rotation.
54. 16 mars 1885. Sur les fonctions abéliennes.
55. 20 avril et 27 juillet 1885. Sur l'équilibre d'une masse fluide animée d'un mouvement de rotation.
56. 9 et 16 novembre 1883. Sur les intégrales irrégulières des équations linéaires.
57. 7 décembre 1885. Sur les séries trigonométriques.
58. 4 janvier 1886. Sur la transformation des fonctions fuchsiennes et la réduction des intégrales abéliennes.
59. 25 janvier 1886. Sur les résidus des intégrales doubles.
60. 29 mars 1886. Sur les fonctions fuchsiennes et les formes quadratiques ternaires indéfinies.
61. 19 avril 1836. Sur la réduction des intégrales abéliennes.
62. 26 avril 1886. Sur l'équilibre d'une masse fluide en rotation. (Réponse à M. Mathiessen.)
- Thèse inaugurale.
(Paris, Gauthier-Villars ; 1879.)
63. Sur les propriétés des fonctions définies par des équations aux différences partielles.
- Acta Mathematica.
(Stockholm, Central Tryckeriet.)
64. Sur les groupes fuchsiens (t. 1, fasc. 1, p. 1 à 62; 1882).
65. Sur les fonctions fuchsiennes (t. 1, fasc. 3, p. 193 à 295; 1883).
66. Sur les fonctions de deux variables (t. II, fasc. 1, p. 97 à 113; 1883).
67. Sur les groupes kleinéens (t. III, fasc. 1, p. 49 à 92; 1883).
68. Sur les groupes des équations linéaires (t. IV, fasc. 3, p. 201 à 311 ; 1884).
69. Sur les fonctions zéta-fuchsiennes (t. V, fasc. 3, p. 209 à 278; 1884).
70. Sur un théorème de M. Fuchs (t. VI, fasc. 1, p. 1 à 32; 1883).
71. Sur l'équilibre d'une masse fluide animée d'un mouvement de rotation (t. VII, fasc. 3 et 4, p. 259 à 380; 1883).
72. Sur les intégrales irrégulières des équations linéaires (t. VIII, fasc. 4, p. 295 à 344; 1886).
- Journal de Mathématiques pures et appliquées.
(Paris, Gauthier-Villars.)
73. Sur les courbes définies par les équations différentielles. Première Partie (3ème série, t. VII, p. 373 à 422; novembre et décembre 1881).
74. -- Deuxième Partie (3ème série, t. VI11, p. 250 à 296; août 1882).
75. -- Troisième Partie (4ème série, publiée par Camille Jordan, t. 1, fasc. 2, p. 167 à 244; 1885).
76. -- Quatrième Partie (48 série, publiée par Camille Jordan, t. II, fasc. 2, p. 151 à 217; 1886).
- Journal de l'Ecole Polytechnique.
(Paris, Gauthier-Villars.)
77. Sur les propriétés des fonctions définies par les équations différentielles (XLVe Cahier, p. 13 à 26; 1878).
78. Sur un mode nouveau de représentation géométrique des formes quadratiques définies ou indéfinies (XLVIIe Cahier, p. 177 à 245; 1880).
79. Sur les formes cubiques ternaires et quaternaires. Première Partie. (Lème Cahier, p.199 à 253; février 1882).
80. -- Deuxième Partie (LIème Cahier, p. 45 à 91; 1882).
81. Sur la réduction simultanée d'une forme linéaire et d'une forme quadratique. (Sous presse.)
- American Journal of Mathematics.
(Baltimore, John Hopkins University.)
82. Sur les équations linéaires aux différentielles ordinaires et aux différences finies (Vol. VII, no 3, 57 pages; 1885).
83. Sur les fonctions abéliennes (Vol. VIII, no 4, p. 289 à 342).
- Bulletin de la Société mathématique de France.
(Paris, Gauthier-Villars.)
84. Sur un théorème de la théorie générale des fonctions (t. XI, nos 3 et 4, p. 112 à 125; 1883).
85. Sur les fonctions thêta (t. XI, no 4, p. 129 à 134; 1883).
86. Sur les fonctions entières (t. XI, no 4, p. 136 à 144; 1883).
87. Sur la réduction des intégrales abéliennes (t. XII, no 4, p. 124 à 144 ; 1884).
88. Remarques sur une méthode de M. Appell pour obtenir le développement en séries trigonométriques des fonctions elliptiques (t. XIII, no 1, p. 19 à 27; 1855).
89. Sur la représentation des nombres par les formes (t. XIII, no 6, p. 162 à 194; 1885).
90. Sur les déterminants d'ordre infini.
- Bulletin astronomique.
(Paris, Gauthier-Villars.)
91. Sur certaines solutions particulières du problème des trois corps (t. 1, p. 65 à 74; février 1884).
92. Sur la convergence des séries trigonométriques (t. I, p. 319 à 327; juillet 1884).
93. Sur l'équilibre d'une masse fluide animée d'un mouvement de rotation. Premier Article (t. II, p. 109 à 118 ; mars 1885).
94. -- Deuxième Article (t.II, p. 405 à 413; septembre 1885).
95. Sur la stabilité de l'anneau de Saturne (t. II, p. 507 à 508; novembre 1885).
96. Sur une méthode de M. Lindstedt (t. III, p. 57 à 61; février 1886).
- Association française pour l'avancement des Sciences.
(Congrès d'Alger, 1881)
97. Sur les invariants arithmétiques (t. X, p. 109 à 117).
98. Sur l'application de la Géométrie non-euclidienne à la théorie des formes quadratiques (t. X, p. 132 à 138).
- Acta Societatis Scientiarum Fennicoe.
(Helsingfors, Imprimerie de la Société finlandaise de Littérature.)
99. Sur les fonctions à espaces lacunaires (t. XIII ; 1881).
- Mathematische Annalen.
(Leipzig, Teubner.)
100. Sur les fonctions uniformes qui se reproduisent par des substitutions linéaires (t. XIX, p. 553 à 564; 1882).
- Divers.
101. Cours à la Faculté des Sciences de Paris, pendant l'année 1885-1886, et publié par l'Association amicale des Élèves et anciens Élèves de la Faculté. (Paris, au Siège social de l'Association, à la Sorbonne.)
- Première Partie : Cinématique pure. Mécanismes;
- Seconde Partie : Potentiel. Mécanique des fluides.
102. Mémoire pour le concours du grand prix des Sciences mathématiques ; 1880. "Perfectionner en quelque point important la théorie des équations différentielles linéaires à une seule variable indépendante." Ce Mémoire, qui a obtenu une mention très honorable, n'a pas été publié sous sa forme primitive.
- EXPOSÉ SUCCINCT DES PRINCIPAUX RÉSULTATS.
Mes travaux mathématiques ont eu jusqu'ici quatre objets principaux :
- 1) Étude des équations différentielles;
- 2) Théorie générale des fonctions ;
- 3) Algèbre et Arithmétique;
- 4) Mécanique céleste.
Toutefois, je n'ai pas poursuivi ces quatre buts indépendamment l'un de l'autre et sans profiter de l'appui mutuel que se prêtent ces théories, en apparence si différentes.
Ainsi, mes recherches sur les fonctions, que j'ai appelées fuchsiennes, se rattachent à la fois à l'étude des équations différentielles, puisqu'elles me permettent d'intégrer les équations différentielles linéaires à coefficients algébriques, et à la théorie générale des fonctions, puisque ces transcendantes présentent des particularités remarquables, qui sont de nature à jeter quelque lumière sur la manière d'être des fonctions analytiques.
Ce n'est pas tout; il y a une théorie qui m'a été également utile dans toutes mes recherches : c'est celle des groupes formés par des substitutions linéaires. Ces substitutions jouent en effet, à la fois, un rôle prépondérant dans l'étude des équations linéaires et dans celle des formes arithmétiques. C'est à cette circonstance que l'on doit attribuer les rapprochements, souvent inattendus, que je signalerai plus loin, entre la théorie des nombres et celle des fonctions fuchsiennes, théories qui ne semblent pourtant, au premier abord, avoir aucun point de contact.
Quels que soient cependant ces liens plus ou moins intimes entre des ordres d'idées qui paraissent fort différents, je crois pouvoir, pour exposer avec ordre les résultats de mes travaux, adopter la classification que j'ai esquissée plus haut.
Voici maintenant quels sont dans ces quatre domaines les principaux rés ultats que j'ai obtenus, en laissant de côté un grand nombre de résultats secondaires, qui trouveront leur place dans le Résumé analytique.
J'ai intégré les équations différentielles linéaires à coefficients algébriques par le moyen de transcendantes nouvelles, tout à fait analogues aux fonctions elliptiques et que j'ai appelées fuchsiennes. Quant aux intégrales des équations non linéaires, j'en ai donné divers développements en séries; l'un d'entre eux permet le calcul numérique de l'intégrale pour toutes les valeurs réelles de la variable. J'ai déterminé enfin, dans un très grand nombre de cas, la forme des courbes définies par les équations différentielles.
Dans mes travaux sur la théorie générale des fonctions, je citerai un théorème qui permet de ramener les fonctions non uniformes aux fonctions uniformes.
J'ai étendu aux fonctions de deux variables un certain nombre de propositions importantes qui n'étaient démontrées que pour les fonctions d'une seule variable, entre autres le théorème fondamental de M. Weierstrass et la théorie des résidus de Cauchy. Je me suis occupé en particulier des transcendantes abéliennes, auxquelles j'ai étendu un certain nombre de propriétés des fonctions elliptiques. J'ai ramené la théorie de la réduction des intégrales abéliennes, dont les beaux travaux de M. Picard avaient montré l'importance, à quelques théorèmes généraux très simples.
En Algèbre, j'ai étudié en détail les propriétés des substitutions linéaires et j'ai abordé le premier la question de la résolution d'un nombre infini d'équations linéaires dépendant d'un nombre infini de variables. En Arithmétique, je me suis occupé des formes quadratiques et cubiques, et j'ai introduit une notion nouvelle, celle des invariants arithmétiques.
En Mécanique céleste, j'ai étudié certaines solutions particulières remarquables du problème des trois corps. Dans un autre ordre d'idées, j'ai recherché quelles sont les figures d'équilibre d'une masse fluide en rotation. Aux deux formes ellipsoïdales depuis longtemps connues, j'en ai ajouté une infinité d'autres, dont une est en équilibre stable.
- RESUME ANALYTIQUE.
- PREMIERE PARTIE.
- EQUATIONS DIFFERENTIELLES.
I. - Généralités.
Dès que les principes du Calcul infinitésimal furent établis, l'analyste se trouva en face de trois problèmes :
- Résolution des équations algébriques;
- Intégration des différentielles algébriques ;
- Intégration des équations différentielles.
L'histoire de ces trois problèmes est la même. Après de longs et vains efforts pour les ramener à des problèmes plus simples, les géomètres se sont enfin résignés à les étudier pour eux-mêmes, et ils en ont été récompensés par le succès.
Longtemps on a pu espérer que l'on pourrait résoudre toutes les équations par radicaux. On y a renoncé, et aujourd'hui les fonctions algébriques nous sont aussi bien connues que les radicaux auxquels on voulait les ramener. De même les intégrales de différentielles algébriques, que l'on a cherché longtemps à ramener aux fonctions logarithmiques ou trigonométriques, s'expriment aujourd'hui à l'aide de transcendantes nouvelles.
Il devait en être à peu près de même des équations différentielles. Le nombre des équations intégrables par quadratures est extrêmement restreint, et tant qu'on ne s'est pas décidé à étudier les propriétés des intégrales en elles-mêmes, tout ce domaine analytique n'a été qu'une vaste "terra incognita" qui semblait à jamais interdite au géomètre.
C'est Cauchy qui y a pénétré le premier, grâce à l'invention d'une méthode ingénieuse qu'il a appelée calcul des limites. A sa suite, MM. Fuchs, Briot et Bouquet, et Mme Kowalevski ont employé avec succès la même méthode.
Ce sont donc les travaux de ces géomètres qui m'ont servi de point de départ. En présence d'un problème si compliqué, ces divers savants, au lieu d'étudier la manière d'être des intégrales des équations différentielles ou des équations aux dérivées partielles pour toutes les valeurs de la variable, c'est-à-dire dans tout le plan, se sont d'abord occupés de déterminer les propriétés de ces intégrales dans le voisinage d'un point donné. Ils avaient ainsi reconnu que ces propriétés sont très différentes selon qu'il s'agit d'un point ordinaire ou d'un point singulier.
Dans le voisinage d'un point ordinaire, l'équation différentielle peut se mettre sous la forme
(1) dy/dx = f(x,y),
et y peut se développer suivant les puissances de x - x(0).
Dans le voisinage d'un point singulier, l'équation différentielle peut se mettre sous l'une des deux formes
(2) (x - x(0))*dy/dx = f(x,y),
(3) ((x - x(0))^m)*dy/dx = f(x,y),
si elle est du premier ordre ou, sous des formes analogues, si elle est d'un ordre supérieur ou aux dérivées partielles. Dans le cas où l'équation différentielle se met sous la forme (2) (ou sous des formes analogues pour le second ordre ou les ordres supérieurs), MM. Briot et Bouquet avaient signalé certaines propriétés des intégrales, et M. Fuchs en avait donné le développement en séries dans le cas particulier des équations linéaires.
J'ai cherché d'abord à étudier l'équation (2) supposée non linéaire, et à trouver le développement en séries de ses intégrales. J'ai reconnu (77) (1) que ces intégrales peuvent se développer suivant les puissances de (x - x(0)) et de ((x - x(0))^(lambda)), lambda étant une constante facile à déterminer, ou, dans un cas particulier, suivant les puissances de (x - x(0)) et de log(x - x(0)). Le résultat peut d'ailleurs s'étendre aux équations d'ordre supérieur.
(1) Les chiffres placés entre parenthèses renvoient aux numéros de la Bibliographie.
J'ai voulu ensuite (63) étudier du même point de vue les équations aux dérivées partielles du premier ordre. Cauchy et Mme Kowalevski nous avaient appris comment on peut développer en séries les intégrales de ces équations dans le voisinage d'un point ordinaire. Il restait à étudier ces intégrales dans le voisinage d'un point singulier, comme l'avaient fait MM. Briot et Bouquet pour les équations différentielles. En abordant ce problème, je rencontrai deux sortes de singularités: les premières accidentelles et spéciales à l'intégrale particulière que l'on envisage, les secondes essentielles et provenant de l'équation aux différences partielles elles-mêmes. Dans le premier cas, je vis aisément que les intégrales satisfont à des équations algébriques, dont les coefficients sont holomorphes par rapport aux variables. Dans le second cas, les difficultés à surmonter étaient plus grandes.
J'ai envisagé d'abord l'équation
(4) X(1)*(dz/d(x(1))) + X(2)*(dz/d(x(2))) + ... + X(n)*(dz/d(x(n))) = lambda*z,
où les x sont des fonctions holomorphes de x(1), x(2), ..., x(n), (quand ces variables sont suffisamment voisines de zéro) et s'annulent avec ces variables.
Pour que cette équation admette une intégrale holomorphe, il faut d'abord que lambda satisfasse à une certaine équation algébrique de degré n; mais cette condition n'est pas suffisante; les racines de cette équation doivent de plus être assujetties à une condition spéciale : le polygone convexe qui contient tous les points du plan qui représentent ces racines ne doit pas contenir l'origine. Si cette condition est remplie, il y a toujours une intégrale holomorphe, et il n'y en a pas, en général, dans le cas contraire. Nous verrons plus loin quelles sont les conséquences de ce fait dans la théorie générale des fonctions.
Considérant ensuite les équations
d(x(1))/(X(1)) = d(x(2))/(X(2)) = ... = d(x(n))/(X(n)),
je reconnus que les intégrales générales de ce système sont de la forme
((T(1))^(lambda(1)))/(K(1)) = ((T(2))^(lambda(2)))/(K(2)) = ... = ((T(n))^(lambda(n)))/(K(n)),
où les T sont des fonctions holomorphes par rapport aux x, où les lambda sont les racines de l'équation algébrique dont nous venons de parler et les K des constantes d'intégration.
Cela n'est vrai d'ailleurs que si les h satisfont à la condition énoncée plus haut, et, dans ce cas, il est possible de trouver le développement des diverses intégrales particulières de l'équation (4).
Tout ce que je viens de dire ne s'applique qu'aux points singuliers les plus simples, analogues à celui de l'équation (2). Pour les singularités d'ordre plus élevé, telles que celle que présente l'équation (3), on ne sait presque rien. Ces singularités d'ordre supérieur se présentent en particulier dans l'étude des équations linéaires, dont les intégrales sont dites alors irrégulières; mais, même dans ce cas spécial, nous ne savons à leur sujet que fort peu de chose.
M. Thomé, qui les a étudiés, a montré que les équations sont alors satisfaites formellement par des séries de la forme suivante
exp(P(x))*phi(1/x),
P(x) étant un polynôme entier en x et phi(1/x) étant une série ordonnée suivant les puissances décroissantes de x. (Je suppose ici, pour fixer les idées, qu'on a rejeté le point singulier à l'infini.) Mais, pour que ces séries représentassent les intégrales cherchées, il faudrait qu'elles fussent convergentes, ce qui n'a lieu que dans des cas très particuliers. J'eus l'idée d'appliquer à ces intégrales irrégulières la transformation de Laplace (102, 82 et 72), et j'obtins ainsi sous une forme nouvelle et simple la condition de convergence de ces séries; mais le cas de la convergence n'était qu'exceptionnel, et il semblait que, dans le cas général, 0n ne put rien tirer des développements de M. Thomé. Il n'en était rien. On connaît depuis longtemps une série, celle de Stirling, qui, bien que divergente, peut être légitimement employée pour représenter la fonction
(Gamma'(x))/(Gamma(x));
car, si x est très grand, l'erreur commise sur cette fonction en s'arrêtant dans la série à un terme de rang convenable est extrêmement petite. J'ai montré que les séries de M. Thomé jouissent de la même propriété. Alors même qu'elles sont divergentes, elles représentent les intégrales des équations proposées de la même manière que la série de Stirling représente la fonction (Gamma'(x))/(Gamma(x)). J'ai trouvé en outre, en passant, un certain nombre de propriétés des équations linéaires, entre autres celle-ci :
Si une équation linéaire d'ordre n a pour coefficients des polynômes entiers d'ordre m (m < n), elle admettra n - m intégrales holomorphes dans tout le plan.
Mais l'étude des intégrales des équations différentielles dans le voisinage d 'un point donné, quelle que soit son utilité au point de vue du calcul numérique, ne saurait être regardée que comme un premier pas. Ces développements, qui ne sont valables que dans un domaine très limité, ne nous apprennent pas, au sujet de ces équations, ce que nous apprennent les fonctions Thêta au sujet des intégrales des différentielles algébriques : ils ne peuvent pas être considérés comme une véritable intégration.
Il faut donc les prendre comme point de départ dans une étude plus approfondie des intégrales des équations différentielles où l'on se proposera de sortir des domaines limités, où l'on s'était systématiquement cantonné, pour suivre les intégrales dans toute l'étendue du plan.
Mais cette étude peut être faite à deux points de vue différents :
- 1) On peut se proposer d'exprimer les intégrales à l'aide de développements toujours valables et non plus limités à un domaine particulier.
On est conduit ainsi à introduire dans la Science de nouvelles transcendantes; mais cette introduction est nécessaire, car les fonctions anciennement connues ne permettent d'intégrer qu'un très petit nombre d'équations différentielles.
- 2) Mais ce mode d'intégration, qui nous fait connaître les propriétés des équations au point de vue de la théorie des fonctions, ne saurait suffire à lui seul si l'on veut appliquer les équations différentielles, par exemple, à des questions de Mécanique ou de Physique.
Nos développements ne nous apprendraient pas, à moins d'un travail considérable, si par exemple la fonction va constamment en croissant, ou si elle oscille entre certaines limites, si elle peut croître au delà de toute limite. En d'autres termes, si l'on considère la fonction comme définissant une courbe plane, on ne saurait pas quelle est la forme générale de cette courbe. Dans certaines applications, toutes ces questions ont autant d'importance que le calcul numérique, et il y avait là un nouveau problème à résoudre.
Dans les paragraphes qui vont suivre, je vais exposer les efforts que j'ai faits pour trouver la solution de ces deux problèmes.
II. - Fonctions fuchsiennes.
Désirant, comme je l'ai expliqué plus haut, exprimer les intégrales des équations différentielles à l'aide de séries toujours convergentes, j'étais naturel lement conduit à m'attaquer d'abord aux équations linéaires. Ces équations, en effet, qui ont été dans ces derniers temps l'objet des travaux de MM. Fuchs, Thomé, Frobenius, Schwarz, Klein et Halphen, étaient les mieux connues de toutes; on possédait depuis longtemps les développements de leurs intégrales dans le voisinage d'un point donné et, dans un assez grand nombre de cas, on était parvenu à les intégrer complètement à l'aide des fonctions anciennement connues. C'était donc en en abordant l'étude que j'avais le plus de chances d'arriver à un résultat.
Mais il était nécessaire de plus de faire une hypothèse au sujet des coefficients des équations que je voulais étudier. Si j'avais pris, en effet, pour coefficients des fonctions quelconques, j'aurais obtenu également pour les intégrales des fonctions quelconques et, par conséquent, je n'aurais pu dire quelque chose de précis au sujet de la nature de ces intégrales, ce qui était mon but. J'étais donc conduit à examiner les équations linéaires à coefficients rationnels et algébriques. Je supposerai, pour simplifier un peu l'exposé qui va suivre, que les coefficients sont rationnels.
Voici maintenant la classification que j'ai adoptée pour ces équations linéaires et qui est la plus naturelle au point de vue du problème que nous voulons résoudre (27, 69). Soit y une intégrale d'une équation linéaire d'ordre n à coefficient rationnels. Posons
(5) z = exp(sum(lambda*dx))*(F(n-1)*((d^(n-1)(y))/(d(x^(n-1)))) + (d^(n-2)(y))/(d(x^(n-2)))) + ... + F(1)*(dy/dx) + F(0)*y),
lambda et les F étant des fonctions rationnelles de x. Il est clair que z satisfera comme y à une équation linéaire d'ordre n à coefficients rationnels. Je dirai que ces deux équations appartiennent à la même famille. On voit aisément, en effet, que la connaissance des propriétés de la fonction y entraîne celle des propriétés de la fonction z.
Il y a dans chaque famille une infinité d'équations différentes, mais certaines fonctions des coefficients ont même valeur pour les équations d'une même famille; en d'autres termes, il y a, comme je l'ai montré dans ma Note du 22 mai 1882, des invariants qui demeurent inaltérés par la substitution représentée par l'équation (5). Ces invariants ne sont pas les mêmes que ceux de M. Halphen. Ce savant géomètre envisage la transformation qui consiste à remplacer x par une fonction quelconque de x' et à multiplier y par une autre fonction quelconque de x'. Au contraire, les fonctions qui entrent dans ma substitution (5) ne sont pas quelconques, mais rationnelles. Rien ne saurait mieux faire comprendre la différence du point de vue de M. Halphen et du mien. M. Halphen cherche avant tout des relations entre diverses intégrales, et il peut impunément introduire dans ses calculs des fonctions quelconques; au contraire, mon But étant d'étudier la nature de l'intégrale elle-même, cette nature serait évidemment altérée, si je multipliais l'intégrale par une fonction quelconque, comme le fait M. Halphen.
Mais cette étude intime de la nature des fonctions intégrales ne peut se faire que par l'introduction de transcendantes nouvelles, dont je vais maintenant dire quelques mots. Ces transcendantes ont une grande analogie avec les fonctions elliptiques, et l'on ne doit pas s'en étonner, car si j'imaginais ces fonctions nouvelles, c'était afin de faire pour les équations différentielles linéaires ce qu'on avait fait à l'aide des séries thêta elliptiques et abéliennes, pour les intégrales des différentielles algébriques.
C'est donc l'analogie avec les fonctions elliptiques qui m'a servi de guide dans toutes mes recherches. Les fonctions elliptiques sont des fonctions uniformes qui ne sont pas altérées quand on augmente la variable de certaines périodes. Cette notion est tellement utile dans l'Analyse mathématique, que tous les géomètres ont dû penser depuis longtemps qu'il conviendrait de la généraliser en cherchant des fonctions uniformes d'une variable x qui demeurent inaltérées, quand on fait subir à cette variable certaines transformations, mais ces transformations ne peuvent pas être choisies d'une manière quelconque. Elles doivent évidemment former un groupe, et, de plus, on ne doit pas pouvoir trouver dans ce groupe une transformation infinitésimale, c'est-à-dire qui ne fasse varier x que d'un infiniment petit. Sans cela, en répétant indéfiniment cette transformation, on ferait varier x d'une façon continue, et notre fonction uniforme, qui ne serait pas altérée quand la variable augmenterait d'une manière continue, se réduirait à une constante. En d'autres termes, notre groupe doit être discontinu (102, 5, 64). Le premier problème à résoudre est donc de trouver tous les groupes discontinus que l'on peut former.
Dans le cas des fonctions elliptiques, les transformations du groupe (qui est évidemment discontinu) consistent à ajouter à x certaines constantes. Ici encore une nouvelle analogie avec les fonctions elliptiques peut nous venir en aide.
Pour étudier ces fonctions, on divise le plan en une infinité de parallélogrammes connus sous le nom de parallélogrammes des périodes. On peut obtenir tous les parallélogrammes en transformant l'un d'eux par les diverses substitutions du groupe, de sorte que la connaissance de la fonction à l'intérieur de l'un des parallélogrammes entraîne sa connaissance dans tout le plan. De même, si nous envisageons un groupe discontinu plus compliqué, engendrant une transcendante d'ordre plus élevé, nous pourrons partager le plan (ou la région du plan où la fonction existe) en une infinité de régions ou de polygones curvilignes, de telle façon qu'on puisse obtenir toutes ces régions en appliquant à l'une d'elles toutes les transformations du groupe. La connaissance de la fonction à l'intérieur d'un de ces polygones curvilignes entraîne sa connaissance pour toutes les valeurs possibles de la variable.
Il est aisé de voir quelle est l'espèce particulière de groupes discontinus qu'il convient d'introduire. On se rappelle quel est le mode de génération des fonctions elliptiques : on considère certaines intégrales appelées de première espèce, ensuite, par un procédé connu sous le nom d'inversion, on regarde la variable x comme fonction de l'intégrale; la fonction ainsi définie est uniforme et doublement périodique.
De même ici, nous envisagerons une équation linéaire du second ordre et, par une sorte d'inversion, nous regarderons la variable x comme fonction, non plus d'une intégrale, mais du rapport z des deux intégrales de notre équation. Dans certains cas, la fonction ainsi définie sera uniforme, et alors elle demeurera inaltérée par une infinité de substitutions linéaires changeant z en (alpha*z + beta)/(gamma*z + delta). Pour cela, le groupe formé par ces substitutions doit être discontinu, et il est aisé de voir que les polygones curvilignes dont il a été question plus haut sont limités par des arcs de cercle. J'ai supposé d'abord que les coefficients des substitutions (z, (alpha*z + beta)/(gamma*z + delta)) étaient réels ou, ce qui revient au même, que ces substitutions n'altéraient pas un certain cercle appelé fondamental. Dans ce cas, les arcs de cercle qui servent de côtés à nos polygones curvilignes sont orthogonaux à ce cercle fondamental.
Quelle est alors la condition pour que le groupe engendré par un polygone curviligne donné soit discontinu? Pour résoudre ce problème, il y avait à surmonter une difficulté spéciale que je veux expliquer en quelques mots. Partant du polygone curviligne générateur, on construit aisément les polygones voisins, puis les polygones voisins de ceux-ci, et ainsi de suite. On a ainsi une sorte de surface qui va sans cesse en s'accroissant, et ce qu'il s'agit de faire voir, c'est que cette surface ne va pas se recouvrir elle-même partiellement ou totalement, c'est-à-dire qu'un polygone nouvellement annexé à notre surface ne va pas recouvrir en partie un polygone anciennement construit. Pour cela, il ne suffit pas de remarquer que notre surface est simplement connexe et sans point de ramification (unverzweigt). Cette façon de raisonner n'est qu'un paralogisme qui a déjà entraîné quelques savants dans diverses erreurs et qui, dans le problème qui nous occupe, nous égarerait certainement. II faut encore faire voir que la surface recouvre une partie du plan qui est elle-même simplement connexe ( le contraire pourrait avoir lieu e t une surface simplement connexe pourrait, en se recouvrant plusieurs fois elle-même, couvrir une région plane à connexion multiple). Ici la région simplement connexe, recouverte une fois et une seule par notre surface, est la superficie du cercle fondamental.
Il s'agit donc de démontrer qu'en construisant successivement tous nos polygones, comme je l'ai dit plus haut, on ne sortira jamais de ce cercle et qu'o1.i atteindra forcément un point quelconque du cercle. La seconde de ces propositions m'aurait peut-être arrêté longtemps sans l'aide que j'ai trouvée dans une théorie fort différente : je veux parler de la Géométrie non euclidienne. Cette Géométrie, fondée sur l'hypothèse que la somme des angles d'un triangle est plus petite que deux droits, ne semble d'abord qu'un simple jeu [le l'esprit qui n'a d'intérêt que pour le philosophe, sans pouvoir être d'aucune utilité au mathématicien.
Il n'en est rien; les théorèmes de la géométrie de Lobatchevski sont aussi vrais que ceux de la géométrie d'Euclide, à la condition qu'on les interprète comme ils doivent l'être. Ainsi, par exemple, ces théorèmes ne sont pas vrais de la ligne droite, telle que nous la concevons, mais ils le deviennent si, partout où Lobatchevski dit "une droite", nous disons "un cercle qui coupe orthogonalement le cercle fondamental". Je me trouvais donc en présence de toute une théorie, imaginée, il est vrai, dans un but métaphysique, mais dont chaque proposition, convenablement interprétée, me fournissait un théorème applicable à la Géométrie ordinaire. Il se trouva qu'en combinant tous ces théorèmes, j'obtins aisément la solution de la difficulté dont j'ai parlé plus haut.
Je pus ainsi construire tous les groupes discontinus formés de substitutions, n'altérant pas le cercle fondamental, et je les appelai groupes fuchsiens. Mais un problème important se posait : étant donné un groupe fuchsien, existe-t-il des fonctions uniformes inaltérées par les substitutions de ce groupe (65)? C'est ce que j'ai démontré et j'ai donné à ces fonctions le nom de M. Fuchs. Pour arriver à ce résultat, il eût été possible, dans certains cas particuliers, d'appliquer la proposition connue sous le nom de principe de Dirichlet, si souvent appliquée par Riemann et démontrée plus récemment par M. Schwarz.
Je ne connaissais pas ce principe à cette époque, mais l'eussé-je connu, que je ne m'en serais pas servi; car il ne pouvait me donner la solution du problème que dans certains cas particuliers et, même dans ces cas,il pouvait servir à démontrer l'existence de la fonction, mais il n'en donnait pas le développement analytique. C'est encore à 1'analogie avec les fonctions elliptiques que j'ai dû faire appel.
On sait que ces fonctions peuvent être regardées comme le quotient de deux transcendantes, non plus seulement uniformes, mais encore entières, et que l'on appelle les séries thêta. Les fonctions ne sont plus doublement périodiques, mais elles sont multipliées par une exponentielle quand la variable augmente d'une période. De même ici, je devais chercher à exprimer les fonctions fuchsiennes par le quotient de deux transcendantes finies et uniformes, tout à fait analogues aux fonctions thêta, et se reproduisant multipliées par un facteur simple, quand la variable z subit une des transformations du groupe.
Je trouvai aisément des séries satisfaisant à ces conditions et je les appelai thêta-fuchsiennes. Le quotient de deux pareilles séries était évidemment une fonction fuchsienne : j'avais donc du même coup démontré l'existence de ces fonctions et trouvé leur expression analytique. Le quotient de l'unité par une série thêta-fuchsienne st susceptible aussi d'un développement simple, et c'est la considération de ces développements nouveaux qui m'a permis de démontrer réciproquement que toute fonction fuchsienne peut être regardée comme le quotient de deux séries thêta-fuchsiennes.
Ces fonctions fuchsiennes sont de deux sortes, les unes existant dans tout le plan, les autres n'existant qu'à l'intérieur du cercle fondamental. Dans les deux cas, il y a entre deux fonctions fuchsiennes qui ont même groupe une relation algébrique. La détermination du genre de cette relation est d'une importance capitale; je l'ai obtenue d'abord par des procédés analytiques, et plus simplement ensuite par la géométrie de situation.
Grâce à ces relations algébriques, il est possible d'utiliser les fonctions fuchsiennes pour l'étude des fonctions et des courbes algébriques. Ainsi l'on peut exprimer les coordonnées des points d'une courbe algébrique par des fonctions fuchsiennes, c'est-à-dire uniformes, d'un même paramètre. On peut alors se servir de ces expressions des coordonnées pour arriver à un certain nombre de théorèmes sur ces courbes. On peut s'en servir également pour exposer d'une façon plus simple la théorie des fonctions abéliennes.
Si, dans une intégrale abélienne de première espèce, on remplace la variable par une fonction fuchsienne de z, cette intégrale devient à son tour une fonction uniforme de z dont on trouve aisément le développement analytique. Ainsi ces intégrales, qu'on savait déjà obtenir à l'aide des fonctions thêta, sont susceptibles d'une expression analytique entièrement différente, où entrent des transcendantes ne dépendant que d'une seule variable.
Mais ce n'est pas tout. Toute fonction fuchsienne peut être regardée comme provenant de l'inversion d'une équation du second ordre à coefficients algébriques, c'est-à-dire qu'on peut l'obtenir en regardant la variable x comme fonction du rapport z des intégrales de cette équation. Nos transcendantes nous fournissent donc immédiatement l'intégration d'une infinité d'équations linéaires que l'on peut appeler fuchsiennes.
Pour que l'analogie avec les fonctions elliptiques fut complète, il faudrait que les autres propriétés de ces fonctions, telles que les lois d'addition, de multiplication et de transformation pussent s'étendre aux nouvelles transcendantes.
La théorie de la transformation se généralise immédiatement, avec cette différence toutefois que le groupe des fonctions fuchsiennes étant beaucoup plus compliqué que celui des fonctions elliptiques, les cas à considérer sont beaucoup plus nombreux et variés. Ce qui en fait surtout l'intérêt, c'est qu'on peut s'en servir pour jeter quelque lumière sur la question de la réduction des intégrales abéliennes (58). J'y reviendrai plus loin.
Au contraire, le théorème d'addition ne peut pas s'étendre à toutes les fonctions fuchsiennes. Cela n'est possible que dans un cas particulier et pour une classe spéciale de ces transcendantes (60). Je veux parler de ces fonctions fuchsiennes qui tirent leur origine de la considération des formes quadratiques ternaires indéfinies et sur lesquelles je reviendrai dans le paragraphe relatif à l'Arithmétique.
Les substitutions linéaires dont les coefficients ne sont plus réels, mais quelconques, peuvent aussi former des groupes discontinus que j'ai appelés kleinéens (14, 95, 67). Pour démontrer l'existence de ces groupes, je rencontrais la m6me difficulté que pour les groupes fuchsiens, et il semblait au premier abord impossible d'appliquer la géométrie non-euclidienne. Dans certains cas particuliers la difficulté était facile à surmonter; mais, dans le cas général, elle subsistait tout entière. J'imaginai alors un artifice qui me permit de me servir de la géométrie non euclidienne, non plus à deux, mais à trois dimensions, et je démontrai aisément l'existence des groupes kleinéens. Je n'avais plus qu'à appliquer les méthodes qui m'avaient réussi une première fois pour trouver une nouvelle catégorie de fonctions tout à fait analogues aux fonctions fuchsiennes. La seule différence digne d'être signalée est celle qui résulte de la forme du domaine à l'intérieur duquel ces fonctions existent. Ce domaine, au lieu d'être un cercle, est limité par une courbe non analytique qui n'a pas de rayon de courbure déterminé.
Dans d'autres cas, ce domaine est limité par une infinité de circonférences. Les fonctions fuchsiennes sont susceptibles d'un autre mode de généralisation : je veux parler des fonctions hyper-fuchsiennes imaginées par M. Picard. Mais, comme elles ne peuvent guère s'appliquer aux équations différentielles proprement dites, je me réserve d'y revenir dans la deuxième Partie, consacrée à la théorie générale des fonctions.
Les résultats déjà obtenus faisaient dès lors pressentir quel intérêt il y aurait à déterminer les coefficients du groupe d'une équation linéaire en fonction des coefficients de l'équation elle-même (33, 35, 68). Ce problème n'était pas nouveau et il avait déjà fait l'objet des travaux de divers mathématiciens allemands, entre autres de MM. Fuchs et Hamburger. J'ai imaginé de nouvelles méthodes de calcul numérique, analogues à celles de ces savants, et j'ai reconnu qu'on pouvait varier ces procédés à l'infini. Mais ces méthodes ne nous apprennent rien, au point de vue de la théorie générale des fonctions, sur les propriétés des transcendantes, dont elles donnent seulement la valeur numérique. Il fallait chercher aussi à résoudre le problème à ce nouveau point de vue. J'ai obtenu dans cette voie divers résultats qui peuvent présenter quelque intérêt. Ainsi les coefficients du groupe considérés comme fonctions de certains coefficients de l'équation (les autres coefficients étant regardés comme constants) en sont des fonctions entières. J'ai étudié également les fonctions inverses qui, dans certains cas, sont uniformes.
Les résultats ainsi obtenus ne donnaient encore qu'une solution bien incomplète du problème que je m'étais proposé, c'est-à-dire l'intégration des équations différentielles linéaires. Les équations que j'ai appelées plus haut fuchsiennes, et qu'on peut intégrer par une simple inversion, ne sont que des cas très particuliers des équations linéaires du second ordre. On ne doit pas s'en étonner si l'on réfléchit un peu à l'analogie avec les fonctions elliptiques. Le procédé de l'inversion ne permet de calculer que les intégrales elliptiques de première espèce. Pour les intégrales de deuxième et troisième espèce, il faut procéder d'une autre manière.
Envisageons, par exemple, l'intégrale de deuxième espèce
u = sum(0...x)(((x^2)*dx)/(sqrt((1 - (x^2))(1- (k^2)*(x^2))))).
Pour l'obtenir, nous considérerons comme équation auxiliaire celle qui donne l'intégrale de première espèce
z = sum(0...x)((dx)/(sqrt((1 - (x^2))(1- (k^2)*(x^2)))));
d'où par inversion
x = sn(z).
Remplaçant x par sn(z), on trouve que u est égal à une fonction uniforme de z, Z(z), qui augmente d'une constante quand z augmente d'une période. On est donc conduit à employer ici un procédé analogue : étant donnée une équation linéaire E d'ordre quelconque, à coefficients algébriques en x, on se sert d'une équation auxiliaire E' du second ordre, et cette équation auxiliair e doit être choisie de telle façon que x soit fonction fuchsienne du rapport z des intégrales de E' et que les intégrales de E soient des fonctions uniformes de z.
Est-il toujours possible de faire ce choix de manière à satisfaire à toutes ces conditions? Telle est la question qui se pose naturellement. Cela revient d'ailleurs à demander si, parmi les équations linéaires qui satisfont à certaines conditions, qu'il est inutile d'énoncer ici, il y a toujours une équation fuchsienne.
Je suis parvenu à démontrer qu'on devait répondre affirmativement à cette question. Je ne puis expliquer ici en quoi consiste la méthode dont nous nous sommes servis d'abord, M. Klein et moi, dans l'étude de divers exemples particuliers; comment M. Klein a cherché à appliquer cette méthode dans le cas général, ni comment j'ai comblé les lacunes qui subsistaient encore dans la démonstration du géomètre allemand, en introduisant une théorie qui a les plus grandes analogies avec celle de la réduction des formes quadratiques (17, 48, 2.5, 26, 68).
Ainsi l'équation auxiliaire E' existera toujours; mais il ne suffit pas de pouvoir démontrer son existence, il faut encore savoir la former. C'est là l'objet de la dernière Partie de mon Mémoire Sur les groupes des équations linéaires. J'ai donné, dans cette dernière Partie, des procédés pour calculer les coefficients de l'équation E', non pas exactement, ce qui est impossible, mais avec une approximation aussi grande que l'on veut.
Si maintenant on considère le rapport z des intégrales de cette équation auxiliaire, x est une fonction fuchsienne de z que j'appelle f(z), et les intégrales de l'équation E sont des fonctions uniformes de z, qui subissent des transformations linéaires lorsque a subit une transformation du groupe, de la même manière que la fonction Z(z) augmente d'une constante quand z augmente d'une période (69). Ces fonctions uniformes jouent pour l'intégration de l'équation E le même rôle que la fonction Z(z) joue pour le calcul des intégrales elliptiques de seconde espèce. C'est pour cette raison que je les ai appelées zêta-fuchsiennes.
Ces fonctions zêta-fuchsiennes sont évidemment susceptibles d'être mises sous la forme du quotient de deux séries ordonnées suivant les puissances croissantes de z. Ces deux séries sont convergentes à l'intérieur du cercle fondamental. Si la fonction f(z) n'existe qu'à l'intérieur du cercle fondamental (ce que nous supposons), la variable z ne peut jamais sortir de ce cercle, en sorte que nos deux séries sont toujours convergentes. D'ailleurs, les coefficients de ces séries se calculent aisément par récurrence. A ce point de vue, on peut donc déjà dire que ces développements nous donnent l'intégration complète de l'équation E, puisqu'ils sont toujours valables au lieu d'être limités à un domaine particulier.
Je ne me suis cependant pas contenté de ce résultat, car il est possible de donner des fonctions zêta-fuchsiennes des développements beaucoup plus satisfaisants pour l'esprit, parce que les termes sont liés les uns aux autres par une loi simple, et que, par conséquent, le développement met en évidence les propriétés caractéristiques de ces fonctions. C'est ainsi que l'expression de sn(z) par les séries d'Eisenstein est beaucoup plus satisfaisante pour l'esprit (quoique moins convergente) que le développement de cette fonction suivant les puissances de z et de (k^2). C'est dans ce but que j'ai exprimé les fonctions zêta-fuchsiennes, par le quotient de deux séries; le dénominateur est une série thêta-fuchsienne et le numérateur est une série à termes rationnels, où l'expression du terme général est fort simple.
Ainsi, il est possible d 'exprimer les intégrales des équations linéaires à coefficients algébriques, à l'aide des transcendantes nouvelles, de la même manière que l'on a exprimé, à l'aide des fonctions abéliennes, les intégrales des différentielles algébriques. D'ailleurs ces dernières intégrales elles-mêmes sont susceptibles d'être obtenues aussi par l'intermédiaire des fonctions fuchsiennes, et l'on en a ainsi une expression nouvelle, entièrement différente de celle où entrent les séries thêta à plusieurs variables.
III. - Intégration des équations linéaires par les fonctions algébriques et abéliennes.
Bien que le problème de l'intégration des équations linéaires soit résolu dans le cas général par l'emploi de nos transcendantes nouvelles, ce résultat laisse subsister tout entier l'intérêt qui s'attache aux cas particuliers où l'intégration peut se faire au moyen de fonctions plus simples, telles que les fonctions algébriques, elliptiques et abéliennes. D'ailleurs les procédés d'intégration par les fonctions algébriques et elliptiques rentrent facilement dans la méthode générale qui comprend ainsi comme cas particuliers les procédés déjà connus. Il en résulte que cette méthode jette quelque lumière sur les difficultés qui se rapportent à l'emploi des procédés particuliers. En ce qui concerne la recherche des cas d'intégrabilité algébrique, le premier problème à résoudre était de former les groupes d'ordre fini contenus dans le groupe linéaire. Ce résultat a été obtenu par M. Jordan il y a quelques années; mais je ne crois pas que ce savant ait démontré qu'à tout groupe d'ordre fini correspond une équation linéaire intégrable algébriquement. L'emploi des fonctions fuchsiennes m'a fait voir aisément (39) qu'à tout groupe d'ordre fini correspond, non pas une, mais une infinité d'équations dont les intégrales sont algébriques. Pénétrant ensuite plus profondément dans la question, j'ai cherché à quelles conditions une fonction algébrique dont on se donne le groupe de Galois satisfait à une équation linéaire d'ordre p. J'ai trouvé que certains déterminants dont les éléments s'expriment tantôt à l'aide des racines de l'unité, tantôt à l'aide des périodes des intégrales abéliennes de première espèce correspondant à la fonction algébrique considérée, devaient être nuls à la fois. D'autre part, on peut, sauf dans certains cas exceptionnels, trouver un système fondamental d'intégrales de première espèce, tel que les périodes normales de l'une quelconque d'entre elles soient des fonctions linéaires à coefficients entiers des périodes normales de la première. Je fus ainsi conduit à exprimer la condition cherchée sous la forme de certaines relations entre les périodes normales des intégrales de première espèce qu'on peut former avec la fonction algébrique considérée.
Au contraire, les procédés d'intégration par les fonctions abéliennes ne rentrent pas dans la méthode générale. On y est conduit en cherchant à généraliser les méthodes d'intégration par les fonctions elliptiques (9). On sait que la théorie des fonctions elliptiques permet de calculer les intégrales des équations linéaires du second ordre dans trois cas entièrement différents :
- 1) Lorsque, les coefficients étant rationnels, il y a trois points singuliers tels que la différence des racines des trois équations déterminantes soit respectivement 1/2, 1/3 et 1/6, ou bien 1/2, 1/4 et 1/4, ou bien encore 1/2, 1/3 et 1/3.
- 2) Lorsque, les coefficients étant rationnels, il y a quatre points singuliers tels que la différence des racines de chaque équation déterminante soit 1/2;
- 3) Lorsque, les coefficients étant doublement périodiques, les intégrales n'offrent d'autre singularité que des pôles.
M. Appell a généralisé le troisième cas en montrant que, lorsque le groupe de l'équation linéaire se réduit à un faisceau, la dérivée logarithmique de certaines intégrales est algébrique et que l'intégration peut s'effectuer par les fonctions abéliennes. J'ai voulu de même généraliser le premier et le second cas.
Je suis arrivé ainsi à une infinité d'équations linéaires du troisième ordre à coefficients algébriques dont les intégrales s'expriment à l'aide des fonctions abéliennes de deux variables. De même, les fonctions abéliennes à p variables permettent d'intégrer une infinité d'équations linéaires d'ordre p+1. J'ai indiqué ensuite succinctement les principales propriétés des groupes de ces équations.
IV. - Equations non linéaires.
Il resterait a faire pour les équations non linéaires ce que j'ai fait pour les équations linéaires, c'est-à-dire trouver des développements des intégrales qui soient toujours convergents. Je n'ai pu y parvenir; j'ai seulement reconnu que l'on peut, d'une infinité de manières, exprimer ces intégrales par des séries qui convergent pour toutes les valeurs réelles de la variable. Voici comment j'ai opéré (23, 76).
Je mets les équations différentielles sous la forme
(dx(1))/(X(1)) = (dx(2))/(X(2)) = ... = (dx(n))/(X(n)),
les X(n) étant des polynômes entiers par rapport aux variables x. Cela est toujours possible. J'introcluis ensuite une variable auxiliaire s définie par l'équation
(dx(1))/(X(1)) = (dx(2))/(X(2)) = ... = (dx(n))/(X(n)) = (ds)/(((X(1))^2) + ((X(2))^2) + ... + ((X(n))^2) + 1).
Je puis alors démontrer que si a est convenablement choisi, les variables x peuvent se développer suivant les puissances croissantes de
(exp(alpha*s) - 1)/(exp(alpha*s) + 1),
et que les développements restent valables pour toutes les valeurs réelles de s.
Si l'on applique ce qui précède au problème des trois corps, on verra que, quand s varie de -infini à +infini, t varie de -infini à +infini, de sorte que les développements restent convergents pour toutes les valeurs réelles du temps. Il n'y aurait d'exception que dans l'hypothèse, assez peu vraisemblable d'ailleurs, où deux corps viendraient se choquer à l'époque t(0), et les développements ne nous apprendraient rien sur ce qui se passerait après l'époque du choc; le problème d'ailleurs ne se pose même pas. Si de plus on suppose que les éléments initiaux aient été choisis de telle sorte que les distances mutuelles restent constamment supérieures à une limite donnée, on peut remplacer la variable auxiliaire s par le temps lui-même et développer suivant les puissances de
(exp(alpha*t) - 1)/(exp(alpha*t) + 1).
Ainsi que je l'ai dit plus haut, je n'ai donné cette solution qu'à titre d'exemple.
Une pareille intégration est d'un caractère bien différent et évidemment beaucoup moins satisfaisante pour l'esprit que l'intégration des équations linéaires par les fonctions fuchsiennes. Aussi y avait-il lieu de se demander si les méthodes qui avaient réussi pour les équations linéaires n'étaient pas applicables à d'autres classes d'équations, quoiqu'elles ne le fussent pas dans le cas général. Un peu de réflexion fait tout de suite comprendre quelle est la différence essentielle entre le cas général et celui des équations linéaires. Les équations linéaires n'ont qu'un nombre fini de points singuliers, tandis que les équations non linéaires en ont en général une infinité. On est donc amené a rechercher s'il n'existe pas d'autres classes d'équations dont les points singuliers soient en nombre fini.
M. Fuchs a publié, dans les Sitzungsberichte de l'Académie de Berlin, un Mémoire où il expose les conditions nécessaires et suffisantes pour qu'une équation différentielle et, en particulier, pour qu'une équation du premier ordre n'ait qu'un nombre fini de points singuliers. On put croire un instant que l'on était sur la voie d'une nouvelle catégorie de transcendantes uniformes et d'une nouvelle classe d'équations intégrables.
Je fus donc amené à faire un examen plus approfondi de la question (47, 70); mais cet examen m'obligea à renoncer à l'espoir que j'avais conçu. Les équations du premier ordre qui satisfont aux conditions de M. Fuchs, ou bien se ramènent à l'équation de Riccati et par elle aux équations linéaires, ou bien sont intégrables par les fonctions elliptiques ou algébriques. On n'est donc jamais conduit a une classe réellement nouvelle d'équations intégrables. Peut-être sera-t-on plus heureux quand on passera aux équations d'ordre supérieur, mais cela est encore très douteux (1).
Quoi qu'il en soit, le résultat de M. Fuchs conserve encore son intérêt, puisqu'il nous fait connaître une catégorie d'équations différentielles intégrables algébriquement. Mais, en tout cas, le problème de l'intégration des équations non linéaires ne peut être regardé comme absolu.
V. - Courbes définies par les équations différentielles.
Alors même qu'on parviendrait à faire pour une équation quelconque ce que j'ai fait pour les équations linéaires, c'est-à-dire a trouver des développements des intégrables valables dans toute l'étendue du plan, ce ne serait pas une raison pour laisser de côté les résultats que l'on peut obtenir par d'autres méthodes, car il peut arriver que ces méthodes nous fassent découvrir certaines particularités que les développements ne mettraient pas immédiatement en évidence. C'est ce qui m'a décidé a me placer à un point de vue nouveau et je ne saurais mieux le faire comprendre qu'en reproduisant ce que j'écrivais au moment où je commentais ces recherches (2):
(l) Depuis que j'ai écrit ces lignes, j'ai reconnu que les équations de M. Fuchs se ramènent aux classes déjà connues d'équations intégrables, même lorsqu'elles sont d'ordre supérieur.
(2) Journal de Liouville, 3ème série, t. VII.
« Il est donc nécessaire d'étudier les fonctions définies par des équations différentielles en elles-mêmes et sans chercher à les ramener à des fonctions plus simples, ainsi qu'on a fait pour les fonctions algébriques, qu'on avait cherché à ramener à des radicaux et qu'on étudie maintenant directement, ainsi qu'on a fait pour les intégrales de différentielles algébriques, qu'on s'est efforcé longtemps d'exprimer en termes finis.
Rechercher quelles sont les propriétés des équations différentielles est donc une question du plus haut intérêt. On a déjà fait un premier pas dans cette voie en étudiant la fonction proposée dans le voisinage d'un des points du plan. II s'agit aujourd'hui d'aller plus loin et d'étudier cette fonction dans toute l'étendue du plan. Dans cette recherche, notre point de départ sera évidemment ce que l'on sait déjà de la fonction étudiée dans une certaine région du plan.
L'étude complète d'une fonction comprend deux parties:
- 1) partie qualitative (pour ainsi dire), ou étude géométrique de la courbe définie par la fonction ;
- 2) partie quantitative, ou calcul numérique des valeurs de la fonction.
Ainsi, par exemple, pour étudier une équation algébrique, on commence par rechercher, à l'aide du théorème de Sturm, quel est le nombre des racines réelles : c'est la partie qualitative; puis on calcule la valeur numérique de ces racines, ce qui constitue l'étude quantitative de l'équation. De même, pour étudier une courbe algébrique, on commence par construire cette courbe, comme on dit dans les cours de Mathématiques spéciales, c'est-à-dire qu'on cherche quelles sont les branches de courbes fermées, les branches infinies, etc. Après cette étude qualitative de la courbe, on peut en déterminer exactement un certain nombre de points.»
C'est naturellement par la partie qualitative qu'on doit aborder la théorie de toute fonction et c'est pourquoi le problème qui se présente en premier lieu est le suivant : construire les courbes définies par des équations différentielles.
Cette étude qualitative, quand elle sera faite complètement, sera de la plus grande utilité pour le calcul numérique de la fonction, et elle y conduira d'autant plus facilement que l'on connaît déjà des séries convergentes qui représentent la fonction cherchée dans une certaine région du plan, et que la principale difficulté qui se présente est de trouver un guide sûr pour passer d'une région où la fonction est représentée par une série à une autre région du plan où elle est exprimable par une série différente (1).
D'ailleurs cette étude qualitative aura par elle-même un intérêt de premier ordre. Diverses questions fort importantes d'Analyse et de Mécanique peuvent en
(1) Ces considérations m'ont effectivement servi de guide dans des recherches relatives au calcul numérique de la fonction (23).
effet s'y ramener. Prenons pour exemple le problème des trois corps : ne peut-on pas se demander si l'un des corps restera toujours dans une certaine région du ciel ou bien s'il pourra s'éloigner indéfiniment; si la distance de deux corps augmentera, ou diminuera a l'infini, ou bien si elle restera comprise entre certaines limites? Ne peut-on pas se poser mille questions de ce genre, qui seront toutes résolues quand on saura construire qualitativement les trajectoires des trois corps? Et, si l'on considère un nombre plus grand de corps, qu'est-ce que la question de l'invariabilité des éléments des planètes, sinon une véritable question de géométrie qualitative, puisque faire voir que le grand axe n'a pas de variations séculaires, c'est montrer qu'il oscille constamment entre certaines limites?
Tel est le vaste champ de découvertes qui s'ouvre devant les géomètres. Je n'ai pas eu la prétention de le parcourir tout entier, mais j'ai voulu du moins en franchir les frontières, et je me suis restreint à un cas très particulier, celui qui se présente d'abord tout naturellement, c'est-à-dire à l'étude des équations différentielles du premier ordre et du premier degré.
Je commençai donc mes recherches (2, 73) par l'étude des courbes définies par les équations différentielles de la forme
(1) dx/X = dy/Y,
où X et Y sont des polynômes entiers en x et y, et je reconnus d'abord que ces courbes pouvaient représenter la forme de courbes fermées ou celle de spirales. Je démontrai également le théorème suivant :
Si une courbe définie pur une équation de la forme (1) n'a pas de point d'arrêt et ne coupe aucune courbe algébrique qu'en un nombre fini de points réels, elle est une courbe fermée.
Pour pousser plus loin l'étude de la forme de ces courbes, j'ai dû commencer par rechercher ce qui se passe dans le voisinage d'un point singulier quelconque. En réalité, le problème était résolu par les travaux antérieurs de MM. Briot et Bouquet et par les miens (Journal de l'Ecole Polytechnique, XLVe Cahier, et Thèse inaugurale), mais j'avais à approprier la solution à mon nouveau but; dans les Mémoires que je viens de citer, et où je me plaçais ail point de vue de la théorie des fonctions, j'attachais une égale importance au réel et à l'imaginaire. Pour mon but nouveau de géométrie qualitative, le réel seul m'intéressait et je devais faire une discussion spéciale qui me conduisit à distinguer quatre sortes de points singuliers (sans parler de points singuliers plus compliqués qui ne se p résentent que dans certains cas particuliers et qui peuvent être regardés comme composés de plusieurs points singuliers simples confondus).
J'ai donné à ces quatre sortes les noms suivants :
- 1) Les cols, par lesquels passent deux courbes définies par l'équation et deux seulement ;
- 2) Les noeuds, où viennent se croiser une infinité de courbes définies par l'équation;
- 3) Les foyers, autour desquels ces courbes tournent en s'en rapprochant sans cesse à la façon d'une spirale logarithmique;
- 4) Les centres, autour desquels ces courbes se présentent sous la forme de cycles fermés s'enveloppant mutuellement et enveloppant le centre. (On ne rencontre les centres que dans des cas très exceptionnels.)
J'ai étudié ensuite la distribution de ces divers points singuliers dans le plan.
J'ai montré ainsi qu'il y en avait toujours (à distance finie ou infinie) et qu'il y avait toujours une relation simple entre le nombre des cols, des noeuds, des foyers et des centres, et que, sur la courbe X = 0, les cols ou les noeuds et foyers se succédaient alternativement.
Ces problèmes résolus, je me suis occupé des contacts que peut avoir une courbe algébrique donnée avec les courbes définies par l'équation (1) et l'ai vu que, dans un très grand nombre de cas, il existe des branches de courbes fermées qui ne touchent en aucun point aucune des courbes qui satisfont à notre équation différentielle. Je les ai appelées cycles sans contact (74).
Il est facile de comprendre l'importance de la détermination des cycles sans contact; on voit aisément en effet qu'une courbe définie par l'équation (1) ne peut rencontrer un pareil cycle en plus d'un point. Si donc on imagine un point mobile décrivant notre courbe, dès qu'il sera sorti d'un cycle sans contact, il n'y pourra plus rentrer. En d'autres termes, si ce point a occupé une fois une position donnée, il ne pourra plus jamais y revenir, ni même revenir dans le voisinage immédiat de cette position. Les coordonnées du point n'oscilleront pas entre certaines limites et ne pourront être représentées par des séries trigonométriques, de sorte que, si l'on voulait appliquer à la trajectoire de ce point mobile le même langage qu'emploient les astronomes pour les orbites des planètes, il faudrait dire que l'orbite de ce point est instable.
Outre les cycles sans contact, il y a un autre genre de courbes fermées qui jouent un rôle capital dans cette théorie : ce sont les cycles limites. J'appelle ainsi les courbes fermées qui satisfont à notre équation différentielle et dont les autres courbes définies par la même équation se rapprochent asymptotiquement sans jamais les atteindre. Cette seconde notion n'est pas moins importante que la première. Supposons en effet que l'on ait tracé un cycle limite; il est clair que le point mobile dont nous parlions plus haut ne pourra jamais le franchir et qu'il restera toujours à l'intérieur de ce cycle, ou toujours à l'extérieur. Il est vrai que les cycles limites sont en général des courbes transcendantes qu'on ne saurait tracer exactement. Mais on peut souvent tracer deux courbes algébriques fermées, concentriques l'une à l'autre, déterminant une sorte d'anneau, de telle façon qu'on peut distinguer dans le plan trois régions, l'intérieur de l'anneau, la région annulaire et l'extérieur de l'anneau. Supposons que l'on ait démontré d'une manière quelconque que le cycle limite se trouve dans la région annulaire ; on sera certain alors que, si notre point mobile est a l'intérieur de l'anneau, il ne pourra jamais aller à l'extérieur de cet anneau. On peut donc, malgré l'instabilité de ce point mobile, assigner des limites supérieures à ses coordonnées.
Je reconnus ensuite qu'on pouvait dans tous les cas sillonner le plan par une infinité de courbes fermées, s'enveloppant mutuellement et rappelant par leur forme et leur disposition les courbes de niveau d'un plan topographique. Pour poursuivre cette comparaison, je dirai que, dans ce plan topographique, les sommets et les fonds seraient représentés par les noeuds et les foyers, et les cols par les points singuliers que j'ai appelés plus haut de ce nom. Parmi ces courbes fermées, les unes sont des cycles sans contact, les autres sont des cycles limites. A part ces cycles limites, les courbes définies par notre équation différentielle sont des spirales se rapprochant asymptotiquement des points singuliers et des cycles limites.
Après avoir démontré que le nombre des cycles limites est fini, sauf dans certains cas exceptionnels, j'ai donné une méthode générale pour déterminer ce nombre et pour tracer des régions annulaires dans lesquelles se trouve un cycle limite, et un seul.
A la fin du mémoire, j'ai donné plusieurs exemples d'applications de cette méthode. Je citerai seulement le dernier de ces exemples, celui de l'équation
dx/(-y + x*(x^2 + y^2 -2*x -3)*(x^2 + y^2 -2*x -8)) = dy/(x + y*(x^2 + y^2 -2*x -3)*(x^2 + y^2 -2*x -8)).
J'ai divisé le plan en quatre régions, limitées par les trois cercles (1)
(2) x^2 + y^2 = 1; x^2 + y^2 = 2*x + 5,5; x^2 + y^2 = 16;
qui s'enveloppent mutuellement.
(1) De telle façon que la première région soit intérieure au premier des cercles (2), la deuxième comprise entre le premier et le deuxième de ces cercles, la troisième comprise entre le deuxième et le troisième, et la quatrième région extérieure au troisième cercle.
De ces quatre régions, la deuxième et la troisième contiennent un cycle limite et n'en contiennent qu'un, les deux autres n'en contiennent pas. Il suit de là que si, à l'origine des temps, notre point mobile est à l'intérieur du premier des cercles (2). il ne pourra jamais sortir du second et que, s'il est à l'intérieur du second, il ne pourra jamais sortir du troisième.
Il y a un cas particulier qui mérite de fixer l'attention, bien qu'il ne se présente que très exceptionnellement: c'est celui où toutes les courbes définies par l'équation (1) sont des courbes fermées qui s'enveloppent mutuellement à la façon des courbes de niveau d'un plan topographique. C'est là le seul cas où, pour employer de nouveau une comparaison empruntée à l'astronomie, le point mobile dont il a été question plus haut a une orbite stable. C'est le seul cas, en effet, où l'on ne puisse pas sillonner le plan de cycles sans contact (75).
Pour que ce cas particulier se présente, il faut une infinité de conditions, et l'on pourrait croire d'abord qu'il est impossible de reconnaître si elles sont toutes remplies à la fois. Cela est, au contraire, le plus souvent très facile, et l'on démontre a priori que ces conditions doivent être toutes satisfaites, dans un certain nombre de cas, et, en particulier, quand on a
dX/dx + dY/dy = 0.
J'ai appliqué ces principes à une équation différentielle rencontrée par Delaunay dans la théorie de la Lune.
J'abordai ensuite (49, 75) l'étude des équations du premier ordre et de degré supérieur de la forme suivante
(3) F(x, y, (dy/dx)) = 0,
F désignant un polynôme entier en x, y et (dy/dx). Pour étudier plus facilement cette équation, j'emploie trois variables auxiliaires ksi, eta, zeta, liées aux variables primitives, de telle façon que x, y et (dy/dx) soient des fonctions rationnelles de ksi, eta et zeta, et je considère ces trois variables comme les coordonnées d'un point dans l'espace. L'équation (3) signifie alors que ce point est situé sur une certaine surface algébrique. J'ai soin de choisir mes nouvelles variables, de telle façon que cette surface n'ait pas de nappes infinies et se réduise à un certain nombre de nappes fermées. J'envisage en particulier une de ces nappes, que j'appelle S. Grâce aux conventions faites, par chaque point non singulier de S passera une courbe définie par l'équation (3) et une seule. Quant aux points singuliers, ils se subdivisent en cols, en foyers, en noeuds et en centres et jouissent des mêmes propriétés que les points que j'ai appelés plus haut de ces noms.
Une notion qui joue ici un rôle capital, c'est le genre de la nappe S. Je dirai que cette nappe est de genre 0, si elle est convexe à la façon d'une sphère; de genre 1, si elle présente un trou à la façon d'un tore; de genre 2, si elle présente deux trous, etc.
J'ai démontré une relation très simple entre le genre de cette nappe et le nombre des cols, des foyers et des noeuds qui s'y trouvent. C'est la généralisation d'une relation dont j'ai parlé plus haut et qui s'applique aux équations du premier ordre et du premier degré.
La suite de la discussion est d'ailleurs tout à fait la même que pour les courbes définies par l'équation (1), c'est-à-dire par une équation du premier degré. La nappe S est sillonnée d'une infinité de courbes fermées, qui sont des cycles sans contact ou des cycles limites; il y a toutefois une différence essentielle sur laquelle je désirerais appeler l'attention. Supposons, par exemple, que la nappe S soit un tore et qu'un cercle méridien de ce tore soit un cycle sans contact; contrairement à ce que nous avons remarqué dans le cas des équations du premier degré, rien ne s'oppose à ce qu'une courbe définie par notre équation différentielle vienne couper ce cercle méridien en plusieurs points et même en une infinité de points. Si cela arrive et qu'un point mobile décrive cette courbe en partant d'une position initiale donnée, il finira toujours par revenir dans une position aussi voisine qu'on le voudra de cette position initiale. On pourra donc dire que ce point mobile décrit une trajectoire stable.
Ainsi la stabilité qui, lorsqu'il s'agissait des équations du premier degré, ne se présentait que dans des cas très particuliers, n'est plus une exception quand il s'agit d'équations du degré supérieur.
D'ailleurs les points, en nombre infini, où le point mobile vient successivement rencontrer le cercle méridien, jouissent d'une propriété arithmétique inattendue.
Appelons mu un certain nombre incommensurable; appelons M(i) le point où le point mobile vient rencontrer pour la (i)ème fois le cercle méridien. Cherchons dans quel ordre circulaire ces points M(i) se rencontrent sur ce cercle. Cet ordre sera le même que celui des nombres mu(i) - E(mu(i)).
Passons maintenant (22,76) aux équations du second ordre, que j'écrirai sous la forme suivante
dx/X = dy/Y = dz/Z,
X, Y et Z désignant des polynômes entiers en x, y et z, et les variables x, y et z étant regardées comme les coordonnées d'un point dans l'espace. Nous pouvons alors étudier les courbes qui satisfont à ces équations et que j'appellerai les courbes C, et nous verrons que par chaque point de l'espace vient passer une courbe C et une seule, si toutefois on excepte les points singuliers, c'est-à-dire les points d'intersection des trois surfaces
X = 0; Y = 0; Z = 0.
L'étude de ces points singuliers s'imposait tout d'abord. Je reconnus qu'il y en a de quatre sortes (sans parler des points singuliers qui ne se rencontrent que très exceptionnellement, par exemple, les centres) :
- 1) Les noeuds, où viennent converger toutes celles des courbes C qui passent assez près du point singulier;
- 2) Les cols, où viennent converger une infinité de ces courbes dont l'ensemble forme une surface et où passe, en outre, une autre courbe satisfaisant à l'équation et non située sur cette surface ;
- 3) Les foyers, où passe une courbe C et une seule, pendant que les autres courbes se rapprochent asymptotiquement du point singulier à la façon des spirales;
- 4) Les cols foyers, par lesquels passe une courbe C et une seule, pendant qu'une infinité d'autres, dont l'ensemble forme une surface, se rapprochent asymptotiquement du point singulier.
J'ai étudié également le cas où les trois surfaces (5) ont une courbe commune qui devient alors une ligne singulière. J'ai reconnu que les différents points d'une ligne singulière ont des propriétés analogues à celles des points singuliers ordinaires dont nous venons de parler.
Dans le cas des équations du premier ordre, nous avons trouvé une relation entre les nombres des points singuliers des diverses espèces. Il n'en existe pas de pareille pour les équations du second ordre. Une analyse approfondie montre qu'il doit y en avoir pour toutes les équations d'ordre impair, et qu'au contraire les équations d'ordre pair n'en possèdent pas.
Néanmoins un assez grand nombre de propriétés des équations du premier ordre s'étendent à celles du second. Les surfaces sans contact sont tout à fait analogues aux cycles sans contact, et l'on peut démontrer, par exemple, qu'à l'intérieur de toute surface sans contact (si elles ne sont pas triplement connexes) il y a toujours des points singuliers.
On a vu, plus haut, que c'est l'étude des points singuliers des équations du premier ordre qui nous a fait connaître les principales propriétés des courbes définies par ces équations; au contraire, la théorie des points singuliers des équations du second ordre ne saurait suffire à elle seule pour nous faire pénétrer aussi profondément dans la connaissance des courbes C. Il faut introduire, en outre, une notion nouvelle qui joue, dans une certaine mesure, le même rôle que les points singuliers. Soient C(0) une courbe fermée quelconque satisfaisant à notre équation, et D un domaine comprenant tous les points suffisamment voisins de C(0); nous pouvons étudier la forme et la disposition générale des courbes C à l'intérieur de ce domaine. On reconnaîtra ainsi, indépendamment d'un grand nombre de cas moins importants, quatre cas principaux, qui sont les suivants:
- 1) On peut faire passer par la courbe C(0) deux surfaces que l'on peut sillonner par une infinité de courbes C satisfaisant aux équations (4).
Les autres courbes C, après être entrées dans le domaine D et s'être rapprochées de C(0), s'en éloignent ensuite et finissent par sortir du domaine. Je n'ai rien à ajouter sur ce premier cas, qui nous apprend peu de chose sur les propriétés de nos courbes.
- 2) On peut construire une surface S présentant une forme annulaire analogue à celle du tore, et à l'intérieur de laquelle se trouve la courbe C(0), de la même façon que le cercle, lieu des centres des cercles méridiens, se trouve à l'intérieur d'un tore.
De plus, cette surface S n'est tangente en aucun point, à aucune des courbes C : c'est une surface sans contact. Considérons un point mobile décrivant une courbe C; dès qu'il sera sorti de la surface S, il n'y pourra plus rentrer; nous avons donc instabilité, et cela semble être ici le cas général.
- 3) On peut construire une surface S analogue à celle dont nous venons de parler; mais elle ne sera pas une surface sans contact, elle sera au contraire sillonnée par une infinité de courbes C.
Alors, si notre point mobile est situé sur la surface S, il y restera toujours; de plus, s'il part d'une position initiale quelconque, il finira toujours par revenir aussi près que l'on veut de cette position. Son orbite est donc stable.
- 4) Dans le quatrième cas enfin, le point mobile peut aller aussi près que l'on veut d'un point quelconque du domaine D, et, s'il part d'une position initiale donnée, il finira toujours par revenir aussi près que l'on veut de cette position.
Dans ce sens, il y a donc stabilité, et la démonstration de cette stabilité serait complète, si l'on savait assigner des limites aux coordonnées du point mobile. Malheureusement, mes méthodes ne me permettent presque jamais de distinguer le troisième cas du quatrième, ni, dans le quatrième, de trouver les limites entre lesquelles les coordonnées du point mobile restent comprises. C'est là une lacune importante que jusqu'ici j'ai vainement essayé de combler.
Ce troisième et ce quatrième cas ne se présentent que si X, Y et Z satisfont à une infinité de conditions, de sorte qu'ils semblent d'abord très exceptionnels. Ils ont néanmoins une grande importance pratique. On peut d'ailleurs démontrer qu'ils se présenteront toujours si le dernier multiplicateur M, défini par l'équation
d(M*X)/dx + d(M*Y)/dy + d(M*Z)/dz = 0,
est toujours uniforme et positif dans le domaine considéré. Or cette circonstance se rencontre précisément dans la plupart des applications,
Pour étendre les résultats précédents aux équations d'ordre supérieur au second, il faut renoncer à la représentation géométrique qui nous a été si commode, à moins d'employer le langage de l'hyper-géométrie à n dimensions. Mais ce langage est si peu familier à la plupart des géomètres qu'on perdrait ainsi les principaux avantages que l'on peut attendre de la représentation en question. Les résultats n'en subsistent pas moins, et l'on retrouve les quatre cas dont nous avons parlé plus haut. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que le troisième et le quatrième cas, c'est-à-dire ceux qui correspondent à la stabilité, se rencontrent précisément dans les équations générales de la Dynamique. Cette circonstance doit nous faire d'autant plus désirer de voir se combler la lacune que j'ai signalée plus haut.
- DEUXIEME PARTIE.
- THEORIE DES FONCTIONS.
VI. - Théorie générale des fonctions d'une variable.
La théorie des fonctions d'une seule variable complexe a fait dans ces derniers temps des progrès considérables, grâce aux travaux de M. Weierstrass et de M. Mittag-Leffler.
Ces fonctions peuvent se répartir en trois classes :
- 1) fonctions uniformes existant dans toute l'étendue du plan;
- 2) fonctions uniformes à espaces lacunaires, c'est-à-dire n'existant pas dans toute l'étendue du plan;
- 3) fonctions non uniformes.
Parmi les fonctions de la première classe, les plus importantes sont les fonctions entières, c'est-à-dire celles qui peuvent se développer suivant les puissances de x, en séries toujours convergentes. M. Weierstrass a fait voir qu'une pareille fonction peut toujours se décomposer en un produit d'une infinité de facteurs primaires. Un facteur primaire de genre n est le produit (1 - x/a)*(exp(P(x))), P(x) étant un polynôme entier de degré n. Une fonction de genre n est une fonction entière dont tous les facteurs primaires sont de genre n ou de genre inférieur.
Cette classification des fonctions entières en genres soulève un grand nombre de problèmes intéressants. J'ai voulu contribuer (86) à la solution de ces problèmes en étudiant la manière dont une fonction de genre n se comporte à l'infini et la rapidité avec laquelle décroissent les coefficients de son développement suivant les puissances de x. Je suis arrivé ainsi aux résultats suivants :
- 1) Si F(x) est une fonction de genre n et si le module de x croît indéfiniment avec un argument tel que exp(alpha*(x^(n+1))) tende vers 0, le produit (F(x))*(exp(alpha*(x^(n+1)))) tend aussi vers 0.
- 2) L'intégrale
sum(0...infini)(exp((x*z)^(n+1))*(F(z))*dz)
représente une fonction entière de 1/x.
- 3) Si A(p) est le coefficient de (x^p) dans le développement de F(x), on a
lim(A(p)*((p!)^(1/(n+1)))) = 0 (pour p = infini).
- 4) Si F(x) est une fonction de genre 0, elle est susceptible d'être représentée par la série d'Abel étudiée par M. Halphen dans le tome X du Bulletin de la Société mathématique de France, et cela quelle que soit la constante beta.
Malheureusement les réciproques de ces propositions ne sont pas vraies. Il est aisé de voir la raison pour laquelle il est impossible de trouver un critère infaillible, donnant les conditions nécessaires et suffisantes pour qu'une fonction soit du genre n. En effet, la classification des fonctions en genres se rattache très étroitement à la théorie de la convergence des séries.
Pour qu'une fonction dont les zéros sont, par ordre de module croissant,
a(1), a(2), ..., a(p),
soit de genre n, la première condition et la plus importante, c'est que la série
1/((a(1))^(n+1)) + 1/((a(2))^(n+1)) + ... + 1/((a(p))^(n+1)) + ...
soit convergente. Or il n'y a point de critère de la convergence d'une série pouvant s'appliquer à tous les cas. C'est pour cela qu'il n'y a pas non plus de critère permettant de reconnaître dans tous les cas si une fonction est du genre n.
Outre les fonctions entières, la première classe comprend :
- 1) les fonctions qui ont des pôles;
- 2) celles qui ont un nombre fini de points singuliers essentiels;
- 3) celles qui en ont un nombre infini parmi lesquels on peut trouver des points singuliers isolés (j'appelle ainsi les points singuliers autour desquels on peut tracer un cercle assez petit pour ne contenir aucun autre point singulier);
- 4) celles qui ont une ligne singulière;
- 5) celles qui, ayant un nombre infini de points singuliers, mais n'ayant pas de lignes singulières, n'ont cependant pas de points singuliers isolés.
(Les Allemands disent alors que les points singuliers forment eine perfecte Menge.)
J'ai donné, pour la première fois (1), un exemple de fonctions de cette dernière catégorie; ce sont les fonctions fuchsiennes qui existent dans toute l'étendue du plan. En appliquant un théorème de M. Picard, on peut voir en effet que ces fonctions ne peuvent avoir de points singuliers isolés.
(1) Fonctions fuchsiennes (passim).
Passons maintenant à la deuxième classe, celle des fonctions à espaces lacunaires signalées pour la première fois par M. Weierstrass. J'ai été conduit par deux voies différentes (99) à m'occuper de ces fonctions. En premier lieu les fonctions fuchsiennes et kleinéennes n'existent en général qu'à l'intérieur d'un cercle ou d'un domaine plus compliqué; elles me fournissaient donc un exemple de fonctions à espaces lacunaires. Les résultats de ma thèse inaugurale me conduisaient également à des fonctions présentant des lacunes. Si l'on veut bien en effet se reporter au paragraphe que j'ai intitulé Généralités sur les équations différentielles et à l'équation (4) de ce paragraphe, on verra que cette équation (4) n'a d'intégrale holomorphe que si le polygone convexe, qui contient tous les points représentatifs des différentes racines d'une certaine équation algébrique, ne contient pas l'origine, Cela ne pourrait pas arriver, si l'intégrale holomorphe de l'équation (4), considérée comme fonction des racines de cette équation a&'- brique, n'était une fonction à espace lacunaire.
Cette remarque m'a fait découvrir toute une classe de fonctions présentant des lacunes. Voici quel est leur mode de génération. On pose
phi(x) = Sigma((A(n))/(x - b(n))),
en supposant que la série Sigma(A(n)), soit absolument convergente et que les points b(n) soient intérieurs à un certain domaine D ou situés sur le contour de ce domaine, et cela de telle façon que, si l'on prend sur ce contour un arc quelconque et aussi petit qu'on voudra, il y ait toujours sur cet arc une infinité de points b(n).
La fonction phi(x) est alors une fonction uniforme admettant le domaine D comme espace lacunaire. Comme exemple particulier, j'ai cité la série
phi(x) = Sigma((u^n + v^m +w^p)/(x - ((m*alpha + n*beta + p*gamma)/(m + n + p)))),
où u, v, w sont des constantes données, de module inférieur à 1, où alpha, beta, gamma sont des constantes imaginaires quelconques et où m, n et p peuvent prendre sous le signe Sigma tous les systèmes de valeurs entières et positives.
La fonction phi(x) a alors pour espace lacunaire le triangle (alpha, beta, gamma).
Il importe de se rendre compte de la véritable nature de ces fonctions à espaces lacunaires. Il arrive souvent que les développements en séries, à termes rationnels par exemple, sont convergents à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de ce domaine et ne divergent que sur le contour même du domaine. Les deux parties du plan où la série converge sont alors complètement séparées par une ligne le long de laquelle le développement cesse d'être valable. Doit-on cependant considérer les deux fonctions représentées par le développement l'intérieur et à l'extérieur du domaine comme le prolongement analytique l'une de l'autre? Plusieurs géomètres étaient autrefois tentés de le croire. M. Weierstrass a montré pour la première fois que leur point de vue était faux, en donnant des exemples de séries qui représentent dans des domaines différents des fonctions manifestement différentes. J'en ai moi-même rencontré un exemple dont je veux ici dire un mot. Certains développements qui représentent à l'intérieur du cercle fondamental une de ces fonctions que j'ai appelées plus haut thêta-fuchsiennes représentent O à l'extérieur de ce cercle.
J'ai voulu donner (34) un argument nouveau à l'appui de la manière de voir de M. Weierstrass. Considérons une fonction F(x) admettant un domaine D comme espace lacunaire, et une autre fonction F(1)(x) n'existant au contraire qu'à l'intérieur de ce domaine et admettant par conséquent tout le reste du plan comme espace lacunaire. Divisons le contour du domaine D en deux arcs A et B. J'ai démontré qu'on pouvait trouver deux fonctions uniformes Phi(x) et Phi(1)(x) existant dans tout le plan et admettant seulement, la première A, la seconde B comme ligne singulière; et cela de telle sorte que
Phi + Phi(1) = F, à l'extérieur de D,
Phi + Phi(1) = F(1), à l'intérieur de D.
Si la fonction F avait un prolongement analytique naturel à l'intérieur de D, ce prolongement devrait être F(1); mais nous avons choisi cette fonction F(1) d'une manière tout à fait arbitraire, en l'assujettissant seulement à n'exister qu'à l'intérieur de D. Il est donc dénué de sens de parler du prolongement naturel d'une fonction à l'intérieur d'un de ses espaces lacunaires. J'avais en même temps ramené l'étude des fonctions à espaces lacunaires à celle des transcendantes uniformes à ligne singulière essentielle.
La théorie des fonctions non uniformes est loin d'être aussi avancée que celle des fonctions uniformes. Quoiqu'on connaisse assez bien la manière d'être de ces fonctions dans le voisinage d'un point donné, quoique l'introduction des surfaces de Riemann ait jeté beaucoup de lumière sur les parties encore obscures de leur théorie, il y a encore bien des progrès à faire avant de connaître leurs principales propriétés. J'étais donc animé du désir de ramener leur étude à celle des transcendantes uniformes. La théorie des fonctions fuchsiennes me rapprochait déjà du but; j'avais démontré, en effet, que si f(x, y) = 0 est l'équation d'une courbe algébrique quelconque, on peut choisir un paramètre z de telle façon que x et y soient des fonctions uniformes de ce paramètre. J'avais ainsi résolu le problème pour les plus simples des fonctions non uniformes, c'est-à-dire pour les fonctions algébriques.
J'étais donc (84) naturellement porté à me demander si cette propriété est particulière aux fonctions algébriques, ou si l'on peut l'étendre à une fonction non uniforme quelconque. J'ai pu répondre à cette question et démontrer le théorème très général suivant :
Soit y une fonction analytique quelconque de x, non uniforme. On peut toujours trouver une variable z, telle que x et y soient fonctions uniformes de z.
Mon point de départ a été la démonstration du principe de Dirichlet donnée par M. Schwarz. Mais ce principe n'aurait pu à lui seul me permettre de triompher des difficultés qui provenaient de la grande généralité du théorème à démontrer.
Il faut d'abord définir la surface de Riemann à une infinité de feuillets dont je cherche à faire, sur une partie du plan, la représentation conforme. Je choisis cette surface de façon qu'elle soit simplement connexe, que tous les points singuliers restent en dehors de la surface proprement dite et se trouvent pour ainsi dire sur sa frontière, et enfin de façon que la fonction y ne puisse prendre deux valeurs différentes en un même point de la surface.
Je découpe une portion finie R de cette surface, et j'en fais sur un cercle la représentation conforme, ce que le théorème de M. Schwarz me permet de faire. Cette représentation se fait à l'aide d'une certaine fonction analytique u. Faisons ensuite croître indéfiniment la région R; nous aurons la représentation conforme d'une portion de plus en plus étendue de notre surface de Riemann. Il me faut alors faire voir que la fonction analytique u dont je parlais plus haut tend vers une limite finie et déterminée. Quand cela est fait, les premières difficultés seules sont vaincues. En effet, il reste à démontrer que la limite de la fonction u est elle-même une fonction analytique. Pour cela, il faut que la fonction analytique u tende uniformément vers sa limite (gleichmässig), ce que je suis parvenu à démontrer.
Ainsi, l'étude des fonctions non uniformes est ramenée, dans tous les cas possibles, a l'étude bien plus facile des fonctions uniformes.
Je rattacherai à ces recherches, relatives aux fonctions d'une variable, les travaux que j'ai consacrés à l'étude des séries de polynômes (32, 82). Et en effet, il y a un fait qui joue un rôle très important dans la théorie des fonctions : c'est que les régions où une fonction quelconque peut être représentée par une série de puissances sont limitées par des cercles. On peut donc supposer qu'on pourra tirer un profit analogue de la connaissance des régions où conviennent des développements d'autre forme.
J'ai cherché, en particulier, les conditions de convergence des séries dont le (n)ième terme est un coefficient constant multiplié par un polynôme entier P(n)(x) de degré n, en supposant qu'il y ait entre un certain nombre de polynômes P(n) consécutifs une relation de récurrence. Les séries ordonnées suivant les polynômes de Legendre n'en sont évidemment que des cas particuliers. J'ai trouvé que les régions où ces séries convergent sont limitées par certaines courbes de convergence et j'ai déterminé ces courbes en remarquant que la série
Sigma(P(n)*(z^n)),
considérée comme fonction de z, satisfait à une équation différentielle linéaire dont les coefficients sont des polynômes entiers en z et en x.
VII. - Théorie générale des fonctions de deux variables.
Il semble d'abord que, pour étudier les fonctions de deux variables, il suffit d'appliquer, sans y rien changer, les principes qui ont servi à établir les propriétés des fonctions d'une seule variable. Il n'en est rien; il y a entre les deux théories des différences essentielles et l'on ne saurait passer de l'une à l'autre par une simple généralisation.
Cette différence apparaît dès que l'on considère les polynômes entiers qui sont décomposables en facteurs s'il n'y a qu'une variable et ne le sont plus dans le cas contraire. Je laisserai de côté pour le moment les difficultés que l'on a éprouvées en voulant généraliser la théorie des résidus de Cauchy, car j'y veux consacrer le paragraphe suivant. J'insisterai seulement sur un exemple qui met bien en évidence les différences dont je viens de parler : c'est l'étude des fonctions méromorphes dans tout le plan, c'est-à-dire des transcendantes qui ne présentent à distance finie d'autres singularités que des infinis.
On sait que M. Weierstrass a démontré que, si une fonction d'une seule variable est méromorphe dans tout le plan, elle peut être regardée comme le quotient de deux fonctions entières. Pour arriver à ce résultat, le célèbre géomètre de Berlin construit une fonction entière qui s'annule pour tous les infinis de la fonction méromorphe donnée. Le produit des deux fonctions, ne devenant plus infini, est une fonction entière. Pour construire la transcendante en question, il faut considérer séparément les différents infinis de la fonction méromorphe donnée.
La méthode de M. Weierstrass parait donc, au premier abord, ne pas pouvoir s'étendre aux fonctions de deux variables, dont les infinis sont non plus des points isolés, mais des multiplicités continues, et ne peuvent par conséquent être envisagés séparément. Aussi les géomètres qui tentaient de généraliser le théorème de M. Weierstrass ont-ils été longtemps arrêtés (31, 66).
J'eus l'idée de tourner la difficulté en généralisant la notion de fonction de deux variables. Soit en effet V + i*W une fonction des variables imaginaires x + i*y et z + i*t. La partie réelle V satisfera à l'équation
(1) Laplacien(V) = (d^2)(V)/d(x^2) + (d^2)(V)/d(y^2) + (d^2)(V)/d(z^2) + (d^2)(V)/d(t^2) = 0,
mais cette condition n'est pas suffisante pour que V soit la partie réelle d'une fonction de nos deux variables. 11 faut en outre que V satisfasse aux relations
(2) (d^2)(V)/d(x^2) + (d^2)(V)/d(y^2) = 0; (d^2)(V)/(dx*dz) + (d^2)(V)/(dy*dt) = 0.
Envisageons maintenant toutes les fonctions V qui satisfont à l'équation (1) sans être assujetties à satisfaire aux équations (2). On pourra alors construire une fonction qui remplira cette unique condition (1) et qui de plus admettra une partie seulement des infinis de la fonction méromorphe donnée sans en admettre d'autres. Cela était impossible au contraire quand cette fonction restait assujettie aux conditions (2).
Pouvant alors considérer séparément les infinis de notre fonction méromorphe, nous n'avons plus qu'à appliquer la méthode même de M. Weierstrass pour construire une fonction exp(V) qui s'annule pour tous les infinis de la fonction méromorphe donnée et telle que V satisfasse à l'équation (1). On peut même en trouver une infinité. Soient en effet V(0) l'une d'elles et G une fonction entière, c'est-à-dire toujours finie, de x, y, z, t, satisfaisant à l'équation Laplacien(G) = 0; toutes les fonctions V(0) + G rempliront, comme la fonction V, elle-même, les conditions énoncées plus haut. Il reste à faire voir que, parmi ces fonctions V(0) + G, il y en a une qui peut être regardée comme la partie réelle d'une fonction de x + i*y et de z + i*t, ce qui veut dire que l'on peut disposer de la fonction entière G, de telle façon que
((d^2)(V(0) + G))/(d(x^2)) + ((d^2)(V(0) + G))/(d(y^2)) = ((d^2)(V(0) + G))/(dx*dz) + (d^2)(V(0) + G)/(dy*dt) = 0.
C'est ce que j'ai fait, démontrant ainsi le théorème suivant :
Si une fonction de deux variables imaginaires est partout méromorphe, elle sera le quotient de deux fonctions entières.
En ce qui concerne les fonctions non uniformes, j'ai contribué à l'étude de leurs propriétés dans le voisinage d'un point donné, par les lemmes que j'ai démontrés au début de ma thèse inaugurale. Supposons qu'une équation
F(z, x(1), x(2), ..., x(n)) = 0,
définissant z comme fonction implicite de x(1), x(2), ..., x(n), soit satisfaite pour le système de valeurs
z = x(1) = x(2) = ... = x(n) = 0,
et que nous étudiions la fonction dans un domaine voisin de ce système de valeurs. Je suppose de plus que dans ce domaine la fonction F soit holomorphe.
On sait depuis longtemps que si dF/dz n'est pas nul, z est fonction holomorphe de x(1), x(2), ..., x(n). J'ai cherché ce qui se passe lorsque dF/dz est nul en même temps que ((d^2)(F))/(d(z^2)), ((d^3)(F))/(d(z^3)), ..., ((d^(m - 1)(F))/(d(z^(m -1)) mais que la (m)ième dérivée n'est pas nulle. J'ai démontré que dans ce cas z satisfait à une équation algébrique de la forme
z^m + B(m - 1)*(z^(m - 1) + B(m - 2)*(z^(m - 2) + ... + B(1)*z + B(0) = 0,
dont les coefficients A sont des fonctions holomorphes des x. J'ai obtenu ensuite un résultat analogue pour le cas où l'on a p fonctions implicites de n variables définies par p équations simultanées.
VIII. - Intégrales multiples.
La théorie qui a le plus contribué à faciliter l'étude des fonctions d'une variable est certainement celle des intégrales prises entre des limites imaginaires. Elle conduit, comme on le sait, à envisager les périodes de ces intégrales et à distinguer les périodes polaires (correspondant aux résidus) des périodes cycliques.
Un des points les plus importants est d'ailleurs l'étude des intégrales abéliennes, c'est-à-dire des intégrales de différentielles algébriques; cette théorie est ordinairement présentée sous une forme géométrique, ce qui a amené à dire, pour abréger, que ces intégrales appartiennent à une courbe algébrique D.
Quand on passe aux fonctions de deux variables, la notion de ces intégrales et de leurs périodes peut se généraliser à deux points de vue différents: par les intégrales de différentielles totales et par les intégrales doubles. Je ne m'étendrai pas beaucoup sur le premier de ces modes de généralisation. 11 ne m'appartient pas, en effet : c'est M. Picard qui en a tiré les premiers et les plus beaux résultats. Je n'ai fait qu'appeler l'attention (51) à la suite de la Note de M. Picard, sur quelques points de détail. Ainsi ce géomètre avait démontré qu'une surface algébrique ne possède d'intégrales abéliennes de différentielles totales de première espèce que dans des cas particuliers.
Je veux dire que, si
f(x, y, z) = 0,
est l'équation d'une surface algébrique définissant z en fonction de x et de y , il n'y aura pas, en général, de différentielle exacte
P*dx + Q*dy,
où P et Q soient rationnels en x, y, z, de telle façon que l'intégrale
sum(P*dx + Q*dy),
reste toujours finie.
Partant de là, j'ai trouvé les conditions pour qu'une surface du quatrième ordre possède de pareilles intégrales. Il faut et il suffit qu'elle soit une surface réglée ou qu'elle se ramène à une surface de révolution par une transformation linéaire. J'ai indiqué également un certain nombre de cas où il n'y a jamais, et d'autres où il y a toujours des intégrales de première espèce.
J'ai reconnu que le théorème d'Abel s'étendait immédiatement aux intégrales de différentielles totales de première espèce; mais il semblait au premier abord qu'il ne serait plus applicable aux surfaces qui ne possèdent pas de pareilles intégrales, c'est-à-dire la grande majorité des surfaces algébriques.
Il n'en était rien. J'ai démontré (52) le théorème suivant :
Si (x(1), y(1), z(1)), (x(2), y(2), z(2)), . . . , (x(q), y(q), z(q)) sont les q points d'intersection d'une surface algébrique S et d'une courbe algébrique C; si (x(1) + dx(1), y(1) + dy(1), z(1) + dz(1)), ... sont les q points d'intersection de cette même surface S avec une courbe C' infiniment peu différente de C, on aura un certain nombre de relations de la forme
X(1)*dx(1) + X(2)*dx(2) +. . . + X(q)*dx(q) = 0,
où X(i) est une fonction rationnelle de x(i), y(i), z(i). Ces relations peuvent être regardées comme la généralisation du théorème d'Abel.
Les difficultés qui s'attachent à l'étude des intégrales doubles et multiples étendues à un domaine imaginaire sont d'une nature différente. Il semble que la théorie des intégrales simples prises entre des limites imaginaires serait d'une exposition beaucoup plus laborieuse si l'on n'avait pour s'y guider une représentation géométrique. On perd ce guide quand on passe aux intégrales doubles; il faudrait alors recourir à la Géométrie à quatre dimensions, ce qui serait une complication plutôt qu'une simplification.
Cet obstacle ne parait pas d'abord très sérieux; cependant il arrêta longtemps les géomètres. M. Picard, à propos des fonctions hyper-fuchsiennes, avait traité une question qui présente quelque analogie avec celle qui nous occupe, mais qui n'est pourtant pas la même; les quantités qu'il a ainsi introduites ne peuvent être en aucune façon regardées comme la généralisation des périodes des intégrales simples. Il importe de ne pas les confondre avec les périodes cycliques que ce même savant a étudiées peu de temps après la publication de ma première Note à ce sujet, et qui se rattache, au contraire, très directement à la théorie que j'ai cherché à fonder.
Je fus donc le premier à étudier méthodiquement cette importante question dans une Note (59) que j'ai eu l'honneur de présenter à l'Académie le 25 janvier 1886 et dont je suis en train de développer les résultats dans un Mémoire qui est actuellement à moitié terminé.
Le premier point était d'imaginer un mode de représentation géométrique sans employer l'espace à quatre dimensions. On peut y arriver par diverses méthodes que je n'exposerai pas ici et dont j'ai fait tour à tour usage. Il faut ensuite donner une définition des intégrales doubles prises dans un domaine imaginaire. Grâce aux modes de représentation dont je viens de parler, on peut donner cette définition sans qu'il subsiste aucune équivoque. Il faut ensuite démontrer le théorème fondamental, analogue à celui de Cauchy, et d'après lequel une intégrale double prise le long d'un contour fermé est nulle en général. Cette démonstration ne présente aucune difficulté. On peut trouver sous une forme simple les conditions d'intégrabilité de différentielles doubles
A*dy*dz + B*dx*dz + C*dx*dy + ...,
qu'il faut d'abord définir sans ambiguïté. Ces conditions présentent presque la même forme que celles qui expriment l'intégrabilité d'une différentielle ordinaire. Seulement certains signes qui sont tous positifs pour les intégrales d'ordre pair, et, en particulier, pour les intégrales doubles, sont, au contraire, alternativement positifs et négatifs quand il s'agit d'intégrales d'ordre impair et en particulier d'intégrales simples. Ces conditions une fois trouvées, le théorème fondamental s'ensuit immédiatement.
II admet cependant des exceptions, comme la proposition correspondante de la théorie de Cauchy, et ce sont ces exceptions qui sont l'origine des périodes des intégrales doubles. Ces périodes se distinguent, comme dans le cas d'une seule variable, en périodes cycliques et en périodes polaires. Je me suis occupé, en particulier, des périodes polaires ou, si l'on veut, des résidus des intégrales doubles. M. Picard a étudié ensuite les périodes cycliques.
J'ai envisagé l'intégrale d'une fonction rationnelle que j'ai écrite sous la forme suivante
sum(sum(((f(x,y))*dx*dy)/((phi(x,y))*psi(x,y))),
en décomposant le dénominateur en facteurs irréductibles, et j'ai reconnu que cette intégrale présente trois sortes de périodes :
- 1) Celles de la première sorte sont égales à 2*i*Pi multiplié par l'une des périodes de première espèce de l'intégrale abélienne
sum((f*dx)/(phi*(d(psi)/dy))),
(rapportée à la courbe algébrique psi = 0).
- 2) Celles de la seconde sorte se rapportent aux divers points d'intersection des deux courbes phi = psi = 0 et sont égales à
+-(4*(Pi^2))*((f(x(0),y(0)))/(Delta(x(0),y(0))),
Delta(x,y) étant le déterminant de phi et de psi par rapport à x et à y; et x, et y, étant les coordonnées du point d'intersection.
- 3) Enfin celles de la troisième sorte se rapportent aux divers points doubles de ces deux courbes et ont une expression analogue.
Mais la théorie serait incomplète si l'on se bornait a ces trois sortes de périodes. Il peut arriver que la fonction sous le signe intégral devienne infinie en divers points du contour d'intégration sans que l'intégrale elle-même cesse d'être finie. Cette circonstance ne pouvait pas se produire dans le cas des intégrales simples, lorsque la fonction à intégrer était rationnelle; il n'en est plus de même ici. D'un autre côté, on ne saurait exclure de parti pris les intégrales de cette sorte; car, autant qu'on en peut juger aujourd'hui, elles doivent jouer un rôle important dans les applications.
Or les intégrales de cette nouvelle sorte ont un caractère bien différent de celui des intégrales à périodes. Celles-ci, en effet, ou bien restent constantes quand on fait varier le chemin d'intégration d'une manière continue, ou bien s'accroissent par sauts brusques; celles-là, au contraire, varient d'une façon continue comme le chemin d'intégration lui-même. C'est là la principale différence entre la théorie nouvelle et celle d e Cauchy.
Ces résultats s'appliquent, "mutatis mutandis", aux transcendantes et, en particulier, aux fonctions uniformes.
Cette théorie nouvelle sera-t-elle aussi féconde que l'ont été les découvertes de Cauchy? Elle est encore trop jeune pour qu'on puisse se prononcer sur ce point. Certainement quelques-uns des résultats qu'on peut obtenir ainsi, et par une généralisation immédiate des méthodes de Cauchy, auraient pu être atteints plus aisément par d'autres voies. Mais on peut espérer qu'il n'en sera pas toujours de même, et déjà je suis sur la voie de propositions réellement nouvelles sur la théorie des fonctions abéliennes.
Après cette revue des travaux que j'ai consacrés à la théorie générale des fonctions, je suis naturellement amené à passer à l'étude de diverses fonctions particulières. J'ai déjà parlé plus haut des fonctions fuchsiennes. Il me reste à résumer mes recherches sur les fonctions elliptiques, sur les fonctions abéliennes et sur les fonctions hyper-fuchsiennes.
IX. - Fonctions elliptiques.
J'ai fait fort peu de chose sur les fonctions elliptiques. Cependant j'ai donné, dans un Mémoire d'Arithmétique (1, 97), une façon d'exprimer ces fonctions à l'aide d'une intégrale définie. On sait que les fonctions doublement périodiques peuvent se décomposer en éléments simples de la forme (sigma'(u - alpha))/(sigma(u - alpha)), ou de la forme
((d^n)/(d(u^n)))((sigma'(u - alpha))/(sigma(u - alpha))).
Il suffit donc d'exprimer par une intégrale définie la fonction
(sigma'(u))/(sigma(u)) = 1/u + Sigma(1/(u - w) + 1/w + u/(w^2)),
où w = 2*mu*omega + 2*(mu')*(omega') et où mu et mu' peuvent prendre tous les systèmes de valeurs entières positives et négatives, excepté mu = mu' = 0. On pourra évidemment décomposer la série du second membre en quatre autres : la première comprenant les termes où mu et mu' sont positifs, la seconde les termes où mu est positif et mu' négatif ou nul, la troisième ceux où mu est négatif ou nul et mu' positif, la quatrième enfin ceux où mu et mu' sont négatifs ou nuls. Cette décomposition est analogue à la décomposition de Pi*cot(x*Pi) en une somme de deux termes dépendant des fonctions eulériennes
Pi*cot(x*Pi) = (Gamma'(x))/(Gamma(x)) - (Gamma'(1 - x))/(Gamma(1 - x)).
Cette généralisation des fonctions eulériennes est analogue, mais non identique à celle qu'a donnée M. Appell.
Il suffit alors d'exprimer, par une intégrale définie, la première de nos séries partielles, car les autres s'y ramènent aisément. On trouve que cette série partielle s'exprime par une intégrale prise par rapport à z entre les limites 0 et +infini, la fonction sous le signe somme étant rationnelle par rapport à z et à diverses exponentielles de la forme exp(lambda*z). Il est donc possible d'exprimer de la même manière toutes les fonctions doublement périodiques.
J'ai été conduit aussi d'une façon incidente à m'occuper des fonctions elliptiques en les considérant comme des cas particuliers des fonctions fuchsiennes (1). J'ai retrouvé ainsi la plupart des formules connues et, en particulier, l'expression dm fonctions à deux périodes par des séries trigonométriques. J'ai été conduit par la même voie à une formule que je crois nouvelle et qui permet d'exprimer les fonctions elliptiques par une série infinie d'une forme particulière.
X. - Fonctions abéliennes.
La théorie des fonctions abéliennes est loin d'être aussi avancée que celle des fonctions elliptiques. Un grand nombre des propriétés de ces dernières transcendantes ne s'étendent pas ou ne s'étendent que difficilement au cas général. On ne doit pas s'en étonner si l'on se rappelle que beaucoup de propriétés des fonctions d'une variable ne sont plus applicables aux fonctions de plusieurs variables. C'est la même difficulté qui nous a occupés au paragraphe VII.
On a été conduit aux fonctions abéliennes par l'étude des intégrales abéliennes, et un des premiers faits que l'on a remarqués est la possibilité de la réduction de ces intégrales. Jacobi en a déjà rencontré quelques exemples; dans des cas assez nombreux, on voit des intégrales appartenant à une courbe de genre p se réduire à des intégrales de genre inférieur à p ou même à des intégrales elliptiques. Mais on est bientôt amené à se placer à un point de vue plus élevé; les fonctions Thêta, qui doivent leur origine aux intégrales abéliennes de première espèce, ne sont qu'un cas particulier des séries Thêta les plus générales. Mais il est aisé de voir qu'à ces transcendantes plus générales appartiennent des intégrales, qui sont, il est vrai, des intégrales de différentielles totales, mais qui peuvent néanmoins être regardées comme la généralisation des intégrales de première espèce. Il est alors naturel d'appliquer à ces intégrales le procédé de la réduction; le problème primitif reçoit une importante extension; mais, par la suppression d'une restriction gênante, il est simplifié et non compliqué; car on peut désormais introduire dans ses raisonnements des fonctions Thêta quelconques, sans avoir à s'inquiéter de leur origine.
(1) Sur les fonctions fuchsiennes (passim).
Les géomètres se sont de longue date préoccupés de ce problème, qui doit nous fournir d'importantes données sur les fonctions algébriques, et qui est un des meilleurs chemins pour pénétrer dans le domaine mystérieux des fonctions abéliennes. Dans ces derniers temps, M. Picard, par une série de brillants travaux, lui a fait faire plusieurs pas importants.
Mes premiers essais dans cet ordre d'idées ne portent que sur un cas particulier. Ainsi que je l'ai expliqué plus haut, dans le paragraphe intitulé : Intégration des équations linéaires par les fonctions algébriques, si l'intégrale générale d'une équation linéaire est algébrique et si, à l'aide de cette intégrale générale, on forme un système d'intégrales abéliennes de première espèce, il y a entre les périodes de ce système un grand nombre de relations intéressantes. J'avais là un moyen (39) de pénétrer plus profondément dans l'étude des fonctions abéliennes, et je résolus d'en profiter. Je choisis comme exemple particulier le système d'intégrales abéliennes que l'on peut former à l'aide de la résolvante de Gallois de l'équation modulaire relative à la transformation du septième ordre.
Je trouvai que les relations qui existent entre les périodes suffisent pour les déterminer complètement. Étant parvenu ainsi à calculer ces périodes, je m'aperçus que, parmi les intégrales abéliennes de ce système (qui est du genre 3) il y en a une infinité qui sont susceptibles d'être réduites aux intégrales elliptiques. C'était là un troisième exemple d'une circonstance remarquable, déjà signalée deux fois par M. Picard.
Mon attention fut de nouveau attirée sur cette question par un Mémoire de Mme Kowalevski, où se trouvaient cités deux théorèmes de M. Weierstrass, sur la réduction des intégrales abéliennes aux intégrales elliptiques. Ces deux théorèmes avaient été communiqués à divers savants par des lettres du professeur de Berlin, mais la démonstration n'en avait pas été publiée. J'ai donné (87) deux démonstrations différentes de ces deux propositions; j'ignore encore si mes méthodes sont identiques à celles de W. Weierstrass. Toutes deux sont empruntées à l'Arithmétique, et l'on ne doit pas s'en étonner, car le problème est en réalité purement arithmétique. La première démonstration se fonde sur la considération des formes bilinéaires. Dans la seconde, j'emploie un procédé particulier de réduction.
Je suppose que dans un système d'intégrales de genre rho, il y en ait mu qui soient réductibles au genre mu. Leurs 2*rho périodes, ou périodes anciennes, s'exprimeront alors à l'aide de 2*mu quantités, qui seront les périodes nouvelles, par des polynômes linéaires à coefficients entiers. On peut donc dresser un Tableau de 4*rho*mu nombres entiers qui caractérise la réduction. Mais ce Tableau peut être écrit d'une infinité de manières; car on peut remplacer, soit le système des périodes anciennes, soit le système des périodes nouvelles par un système équivalent. Le problème est précisément de profiter de cette circonstance pour réduire le Tableau à sa plus simple expression. Dans ma seconde méthode, la réduction se fait par une série d'opérations toutes pareilles entre elles.
Je profitai des avantages de ces deux méthodes pour généraliser les deux théorèmes de M. Weierstrass et les étendre au cas de la réduction des intégrales abéliennes à d'autres intégrales abéliennes.
Le théorème de M. Weierstrass était plus général en un sens que le théorème de M. Picard sur le même sujet; ce dernier ne s'appliquait en effet qu'à la réduction du genre 2 au genre 1 ; le géomètre allemand avait étudié la réduction d'un genre rho quelconque au genre 1. D'autre part, le théorème de M. Picard contenait plus que celui de M. Weierstrass, car la réduction y était poussée plus loin.
Serait-il possible de trouver une proposition qui contint à la fois celle de M. Weierstrass et celle de M. Picard, c'est-à-dire de pousser dans le cas général la réduction aussi loin que ce dernier analyste? L'application de ma seconde méthode m'a fait reconnaitre (61, 83) que cela peut se faire sans difficulté.
Le même procédé me permit en même temps d'étudier le cas général (réduction d'un genre rho quelconque, non plus au genre 1, mais à un genre mu également quelconque) et de pousser la réduction beaucoup plus loin que je ne l'avais fait dans mon premier travail. Le théorème auquel je fus ainsi conduit contient, comme cas particulier, toutes les propositions antérieurement découvertes et résume ainsi toute la théorie.
Un cas particulier bien digne d'intérêt est celui où une infinité d'intégrales d'un même système se réduisent aux intégrales elliptiques. M. Picard en avait déjà rencontré deux exemples, et il semblait probable que, dans un système d'intégrales de genre rho, il ne pouvait y avoir plus de rho intégrales réductibles sans qu'il y en eût une infinité. J'ai démontré (49, 83) qu'il en était effectivement ainsi et j'ai trouvé en même temps les relations fort simples qui unissent entre elles les intégrales réductibles.
Les méthodes que je viens d'exposer permettent une classification rationnelle des cas de réduction. Mais cette classification, à côté d'incontestables avantages, présente un inconvénient grave : elle ne distingue pas du cas général les cas particuliers où les intégrales abéliennes à réduire appartiennent à une courbe algébrique. Ces derniers ne présentent pas d'intérêt spécial au point de vue de la théorie des fonctions abéliennes; mais ils en ont un fort grand, au contraire, si l'on se propose pour but l'étude (les fonctions algébriques. Il importait donc de trouver une classification nouvelle, ne portant que sur ces cas particuliers et laissant de côté tous les autres. J'ai indiqué (58) un moyen d'arriver à ce résultat par l'étude de la transformation des fonctions fuchsiennes; mais je n'ai pas eu le temps d'approfondir cette théorie.
L'étude systématique des fonctions abéliennes devait naturellement commencer par l'examen des cas de réduction, la suite de cet exposé le fera suffisamment comprendre ; mais ce n'était qu'un premier pas, et bien d'autres problèmes restaient à résoudre.
On vient de voir que les fonctions Thêta, définies à l'aide des intégrales abéliennes de première espèce, ne sont que des cas très particuliers des séries Thêta les plus générales. On peut donc concevoir une infinité de fonctions de n variables, admettant 2n systèmes de périodes et ne rentrant pas dans la catégorie spécialement étudiée par Riemann. Ces fonctions peuvent-elles être toujours regardées comme le quotient de deux fonctions Thêta? Riemann était parvenu à le démontrer; mais il n'a jamais publié sa démonstration. M. Weierstrass a retrouvé le même résultat, mais il n'a pas publié non plus la méthode dont il s'est servi.
Abordant l'étude de ces fonctions, que je n'assujettissais qu'à la condition d'être périodiques (11), je reconnus qu'on pouvait toujours les tirer des fonctions abéliennes ordinaires, obtenues par la méthode d'inversion de Jacobi, en appliquant le procédé de la réduction des intégrales abéliennes.
Dans ces conditions, nous devions naturellement songer, M. Picard et moi, à unir nos efforts pour retrouver le résultat de Riemann. Nous reconnûmes (40) qu'il devait y avoir entre les périodes les mêmes relations que dans le cas particulier des fonctions nées de l'inversion des intégrales abéliennes. II était aisé d'en conclure que toutes les fonctions à n variables et à 2n périodes s'expriment par le moyen des séries Thêta.
L'existence de ces fonctions périodiques, en face desquelles le procédé de l'inversion est impuissant, fait mieux ressortir la nécessité où nous nous trouvons d'établir la théorie des fonctions abéliennes en partant des séries Thêta elles-mêmes.
On sait qu'il est possible de fonder sur l'étude directe des fonctions Thêta à une seule variable toute la théorie des fonctions elliptiques; le point de départ est ce fait que l'équation
Thêta(x) = 0,
n'a qu'une seule racine à l'intérieur du parallélogramme des périodes. De là l'importance du problème suivant, dont la solution (85, 11) doit évidemment précéder toute étude directe des séries Thêta à plusieurs variables : Combien les équations simultanées
(1) Thêta(x(1) a(1), x(2) - a(2), ..., x(n) - a(n)) = Thêta(x(1) - b(1), x(2) - b(2), ..., x(n) - b(n)) = ... = Thêta(x(1) - l(1), x(2) - l(2), ..., x(n) - l(n)) = 0,
où les a, les b, ..., les l sont des constantes données, ont-elles de solutions distinctes?
A l'aide d'une formule de M. Kronecker, j'ai pu démontrer que ce nombre est constant et indépendant des périodes, ainsi que des constantes a, b, ..., l. Il me fut facile ensuite, en envisageant le cas particulier où la fonction Thêta se réduit à un produit de n fonctions thêta elliptiques, de démontrer que ce nombre est précisément 1.2.3...n.
J'appliquai aussi la même méthode à des équations analogues aux équations (1), mais plus compliquées, et je trouvai le nombre des solutions distinctes qu'elles doivent avoir.
Mais il y a plus; dans le cas des fonctions elliptiques, on trouve aisément la valeur de la racine de l'équation
Thêta(x) = 0.
Si l'on a affaire à des équations analogues, mais plus compliquées, on peut encore trouver la somme des racines.
Revenant aux fonctions abéliennes et aux équations (1) , on peut alors se demander (54, 83) s'il est possible de trouver la somme des valeurs de x(1), celle des valeurs de x(2), etc., qui satisfont à ces équations. Ce problème est plus compliqué que le précédent, dans lequel le nombre cherché était une constante; cette circonstance permettait de se restreindre à un cas particulier, et l'on était ainsi immédiatement ramené aux fonctions elliptiques. Il n'en est plus de même ici; les nombres cherchés ne sont plus des constantes, mais des fonctions des périodes.
Toutefois le problème est immédiatement résolu quand on est ramené aux fonctions elliptiques, c'est-à-dire quand on se trouve dans un des cas de réduction étudiés plus haut. Quand, dans le système d'intégrales abéliennes de genre n qui correspondent aux fonctions Thêta envisagées, il y a n intégrales distinctes réductibles aux intégrales elliptiques, il est aisé devoir que les fonctions Thêta abéliennes s'expriment très simplement à l'aide de fonctions thêta elliptiques. On peut alors, par l'application du théorème d'Abel généralisé (cf. VIII) résoudre complètement le problème qui nous occupe.
Le système des périodes d'une fonction Thêta quelconque diffère toujours infiniment peu d'un système de périodes correspondant à un cas de réduction. C'est là une circonstance qui donnera, je n'en doute pas, la clef de bien des problèmes. Elle nous donne en particulier la solution que nous cherchons.
Nous connaissons la somme cherchée des valeurs de x toutes les fois que nous nous trouvons dans un cas de réduction. Or cette somme doit être une fonction continue des périodes ; nous la connaîtrons donc dans tous les cas possibles. C'est ainsi que, si l'on connaît une fonction continue de x pour toutes les valeurs commensurables de la variable, on la connaîtra également pour toutes les valeurs incommensurables.
On peut encore se placer à un autre point de vue pour étudier les zéros des fonctions Thêta. Considérons une fonction Thêta de deux variables Thêta(x,y). Soient (alpha,beta), (gamma,delta) deux périodes de cette fonction. Écrivons l'équation où t et u sont des nombres assujettis à rester réels et compris entre 0 et 1. Cette équation ainsi interprétée admettra un certain nombre de solutions. Je serai conduit, par d.es considérations qui ne sauraient trouver place ici, à les distinguer en deux espèces. Soient alors N(1), le nombre des solutions de la première espèce, T(1) la somme des valeurs correspondantes de t , U(1) celle des valeurs de u. Soient N(2), T(2), et U(2), les quantités analogues en ce qui concerne les solutions de la seconde espèce. On peut se proposer de déterminer les nombres N(1) - N(2), T(1) - T(2), U(1) - U(2).
Je suis parvenu par une méthode assez simple (54) à déterminer N(1) - N(2). On obtient ainsi divers renseignements importants au sujet du nombre total des solutions N(1) + N(2). Ce nombre est en effet toujours supérieur à N(1) - N(2) et il est de même parité.
On peut arriver au même résultat par l'emploi des intégrales doubles prises entre des limites imaginaires. J'ai lieu d'espérer de plus que la mème considération pourra conduire à la valeur de T(1) - T(2) et de U(1) - U(2).
XI. - Fonctions hyper-fuchsiennes.
Les fonctions fuchsiennes sont des fonctions uniformes d'une variable, inaltérées par certaines substitutions linéaires. On est naturellement conduit à se poser le problème suivant : Former des fonctions uniformes de deux variables, qui demeurent inaltérées par certaines substitutions linéaires. C'est, comme on sait, ce que M. Picard a fait avec un plein succès par l'invention des fonctions hyper-fuchsiennes.
Le premier problème à résoudre était évidemment de trouver les groupes discontinus contenus dans le groupe linéaire à deux variables. M. Picard est parvenu à en former un grand nombre par des considérations arithmétiques. J'ai moi-même (24) démontré l'existence de deux classes de ces groupes. La première classe comprend les substitutions semblables des formes quadratiques ternaires indéfinies quand les coefficients de ces formes et de ces substitution s sont des entiers complexes. La seconde classe ne diffère pas essentiellement des groupes fuchsiens. Si z désigne en effet une variable imaginaire
z = ksi + i*eta,
et si l'on pose
x = (2*ksi)/(1 + ksi^2 + eta^2); y = (2*eta)/(1 + ksi^2 + eta^2);
à tout groupe fuchsien appliqué à z et admettant pour cercle fondamental correspondra un groupe discontinu appliqué aux deux variables x et y. Ce groupe est discontinu lorsque x et y sont imaginaires, ou bien réels, mais de telle façon que
x^2 + y^2 < 1;
il n'est plus proprement discontinu si x et y sont réels et si
x^2 + y^2 > 1;
C'est cette circonstance qui explique ce fait remarquable : qu'il est impossible d'imposer à une forme quadratique binaire indéfinie des conditions de réduction, telles que chaque classe contienne une réduite unique.
Mais les groupes de cette nature sont beaucoup moins importants que les groupes hyper-fuchsiens proprement dits. J'appelle ainsi ceux qui n'altèrent pas l'hyper-sphère
x*x(0) + y*y(0) = 1.
(Je désigne ici par x(0) et y(0) les quantités imaginaires conjuguées de x et de y.)
Cette hypersphère joue dans cette théorie tout à fait le même rôle que le cercle fondamental dans la théorie des fonctions fuchsiennes.
J'ai voulu contribuer à l'étude de ces groupes et j'ai commencé par m'occuper des substitutions elles-mèmes. J'ai reconnu (44) que la classification en substitutions elliptiques, paraboliques et hyperboliques s'étendait aux substitutions hyper-fuchsiennes.
La classification des groupes fuchsiens en familles est également applicable aux groupes hyper-fuchsiens. Si nous laissons de côté les familles mixtes, nous distinguerons les groupes de la première famille qui contiennent des substitutions elliptiques, ceux de la deuxième famille qui n'en contiennent pas d'elliptiques, mais en contiennent de paraboliques, ceux de la troisième famille qui n'en admettent que d'hyperboliques.
Tous les groupes antérieurement découverts par M. Picard appartenant à la seconde famille, je signalai alors l'existence de toute une catégorie de groupes de la troisième famille et des fonctions hyper-fuchsiennes correspondantes que plusieurs propriétés importantes distinguaient des fonctions déjà connues. On se trouve ici en présence des mêmes difficultés que dans le problème de la formation des groupes fuchsiens. Il faut d'abord former un groupe tel que la fonction correspondante soit uniforme dans le voisinage de chaque point. Il faut ensuite reconnaître si ce groupe est effectivement discontinu. La première difficulté, bien que très grande, est d'ordre purement algébrique. La seconde exige, pour être résolue, l'emploi de considérations étrangères à l'Algèbre. On peut l'éviter tant que l'on se borne aux groupes de la deuxième et de la troisième famille; il est nécessaire de l'aborder au contraire si l'on veut étudier les groupes de la première famille.
Je l'avais résolue, dans le cas des groupes fuchsiens, par l'emploi de la pseudo-géométrie de Lobatchevski; j'avais reconnu en effet que certaines quantités (analogues à ce que Lobatchevski aurait appelé longueur ou surface) étaient des invariants par rapport aux substitutions d'un groupe fuchsien quelconque.
Je me suis donc demandé si les substitutions hyper-fuchsiennes admettaient de semblables invariants (43). J'ai reconnu qu'il en était ainsi; par conséquent tout groupe, tel que la fonction correspondante soit uniforme dans le voisinage de chaque point, sera discontinu.
La recherche des groupes hyper-fuchsiens est donc ramenée à un pur problème d'Algèbre; mais ce problème reste extrêmement difficile et il n'a été résolu par M. Picard que dans un cas particulier.
- TROISIÈME PARTIE.
- ALGEBRE ET ARITHMETIQUE.
XII. - Algèbre.
C'est par un problème d'Arithmétique que j'ai été conduit à m'occuper d'Algèbre. La théorie des formes arithmétiques et des substitutions linéaires à coefficients entiers appliqués à ces formes est en effet intimement liée à l'étude algébrique de ces mêmes formes et des substitutions linéaires à coefficients quelconques qu'elles peuvent subir.
C'est ainsi que j'ai été amené, à deux reprises différentes, à rechercher quelles sont les formes algébriques qui ne sont pas altérées par une substitution linéaire donnée et quels sont les groupes continus formés par ces substitutions. Après avoir classé (3,79) les substitutions linéaires en quatre catégories jouissant de propriétés différentes, j'ai cherché quelles étaient les formes cubiques ternaires et quaternaires qui sont reproduites par une substitution linéaire donnée et par un faisceau de substitutions, c'est-à-dire par un groupe de substitutions permutables deux à deux. J'ai résolu également le problème inverse, c'est-à-dire que j'ai déterminé les substitutions qui reproduisent une forme cubique ternaire donnée, ce qui m'était nécessaire pour le but arithmétique que j'avais en vue.
Il restait à trouver les formes cubiques quaternaires qui ne sont pas altérées par diverses substitutions linéaires non permutables entre elles. J'y suis arrivé par une méthode qui est fondée sur l'emploi des "crochets de Jacobi" et dont M. Sophus Lie a fait usage dans des problèmes analogues. La méthode n'était d'ailleurs pas restreinte aux formes cubiques quaternaires et permettait de trouver quelles sont les surfaces qui ne sont pas altérées par deux transformations homologiques non permutables.
Depuis, j'ai étendu ces résultats (38) au cas général de la façon suivante. Ayant indiqué la manière de former les groupes continus contenus dans le groupe linéaire à n variables, j'ai étudié les formes homogènes par rapport à ces variables qui ne sont pas altérées par les substitutions d'un de ces groupes et j'ai reconnu que ces formes satisfont à un certain nombre d'équations aux dérivées partielles formant un "système complet". Les plus simples des groupes continus en question jouissent de quelques propriétés que je vais énoncer succinctement.
Si l'on forme le déterminant des coefficients d'une substitution linéaire à n variables, qu'on ajoute + S à chacun des termes de la diagonale principale, et qu'on égale à 0 le déterminant ainsi obtenu, on a une certaine équation en S de degré n.
Un groupe continu contient toujours une infinité de faisceaux; on démontre que, s'il y a dans le groupe une substitution admettant une certaine équation en S, il y aura dans tous les faisceaux du groupe une substitution admettant cette même équation en S.
Parmi les groupes continus dont je viens de parler, les plus intéressants sont ceux qui donnent naissance à un système de nombres complexes à multiplication non commutative (comme sont, par exemple, les quaternions). J'ai démontré que toutes les équations en S des substitutions de ces groupes ont des racines multiples.
Je suis revenu depuis sur ces groupes particuliers (48). Les recherches de M. Sylvester sur les matrices avaient de nouveau attiré l'attention des savants sur les nombres complexes. On pouvait se demander s'il en existait d'autres que ces matrices et leurs combinaisons. J'ai montré qu'il y en avait encore d'autres classes parmi lesquelles j'ai signalé une classe de "ternions".
Je rattacherai à ces études algébriques une Note (41) où j'énonce un résultat analogue à un important théorème de M. Laguerre. Soit une équation algébrique ayant p racines positives; j'ai démontré qu'on pouvait toujours en multiplier le premier membre par un polynôme choisi de telle sorte que le produit n'ait que p variations. Parmi tous les polynômes qui satisfont à cette condition, il y en a évidemment un dont le degré est minimum; mais je n'ai pu le trouver que dans des cas particuliers.
XIII. - Algèbre de l'infini.
J'ai été conduit par diverses considérations à une généralisation de la théorie des déterminants et des procédés par lesquels on résout n équations linéaires à n inconnues.
Dans certaines questions d'Analyse on est conduit à envisager un système de relations que l'on peut regarder comme une infinité d'équations linéaires à une infinité d'inconnues.
Soit un système de nombres donnés formant un tableau infini à double entrée. Je désignerai le terme général de ce tableau par la notation
a(n,p) (n,p = 1, 2, ..., infini).
Le problème à résoudre consiste à dé terminer une infinité de nombres
x(1), x(2), ..., x(n), ...,
de telle façon que les séries
S(p) = Sigma(n = 1...infini)(a(n,p)*x(n)) (p = 1, 2, ..., infini),
soient absolument convergentes et aient pour somme 0.
Ces équations linéaires, que l'on peut écrire
Sigma(n)(a(n,p)*x(n)) = 0,
se rencontrent en particulier dans les circonstances suivantes :
- 1) Quand on cherche le quotient de deux séries trigonométriques;
- 2) Quand, ayant à intégrer une équation différentielle linéaire dont les coefficients sont des séries trigonométriques, on cherche à y satisfaire par une autre série trigonométrique.
Ce dernier problème se rencontre souvent en Mécanique céleste. Jusqu'à ces derniers temps, on ne s'était pas préoccupé de savoir à quelles conditions les règles ordinaires du calcul pouvaient être appliquées à de semblables équations. Cependant deux savants, ayant rencontré ce même problème dans d&x ordres de recherches très différents, n'ont pas hésité à employer les règles de l'Algèbre ordinaire.
L'un d'eux est M. Appell, qui est arrivé à des équations de la forme que nous étudions en cherchant à développer les fonctions elliptiques en séries trigonométriques. Les traitant d'après les règles du fini, il est parvenu à des formules qui concordent avec les résultats bien connus où conduisent les autres méthodes. D'un autre côté, M. Hill, en voulant déterminer le mouvement du périgée de la Lune, a appliqué aussi au problème qui nous occupe les procédés ordinaires de l'Algèbre. Cependant, le nombre auquel il arrive diffère très peu du nombre observé, et la faible divergence qui subsiste provient simplement de l'inclinaison de l'orbite que M. Hill avait négligée.
La hardiesse de M. Appell et celle de M. Hill avaient donc été également heureuses; mais elles n'étaient justifiées que par le succès. Néanmoins ce succès lui-même devait faire désirer une étude rationnelle de la question.
C'est cette étude que j'ai entreprise dans deux courtes Notes insérées au Bulletin de la Société mathématique de France (88, 90). Je suis parvenu à démontrer rigoureusement que les équations considérées par MM. Appell et Hill admettent effectivement les solutions trouvées par ces auteurs. Mais elles en admettent en même temps une infinité d'autres; elles ne suffisent donc pas pour déterminer les inconnues. M. Appell, de même que M. Hill, cherchait à calculer les coefficients d'une série. Or ces coefficients ne devaient pas seulement satisfaire aux équations envisagées, ils devaient encore être tels que la série fût convergente. Or, parmi les solutions en nombre infini qui admettent ces équations, il se trouve qu'une seule remplit cette seconde condition, et c'est précisément celle des auteurs que je viens de citer.
C'est cette circonstance qui explique le succès obtenu par ces deux savants géomètres; leur méthode est maintenant à l'abri de toute objection; mais il est aisé de voir que les considérations qu'ils ont invoquées ne suffisaient pas pour la justifier.
Je vais maintenant parler des procédés qui m'ont fait parvenir à ces résultats. J'ai commencé par m'occuper du cas particulier où
a(n,p) = ((a(n))^(p)),
et j'ai reconnu que la solution du problème dépendait de la décomposition de la fonction méromorphe
1/(f(z)),
en fractions simples, en appelant f(z) la fonction entière transcendante qui admet pour zéros les nombres a(n).
J'ai reconnu également qu'on peut faire usage de considérations analogues dans le cas général.
Enfin, j'ai rencontré un fait réellement inattendu et tout à fait particulier à cette théorie. Les égalités à traiter
Sigma(a(n,p)*x(n)) = 0,
qui sont en nombre infini, peuvent être remplacées par une infinité d'inégalités. Il suffit, en effet, pour que les nombres x(n) satisfassent à ces équations, que certaines séries qui en dépendent soient absolument convergentes.
Dans l'étude de cette question, on est naturellement conduit à considérer des déterminants d'ordre infini. A cet effet, on écrira le tableau à double entrée des quantités a(n,p) on formera un déterminant avec les n premières li gnes et les n premières colonnes de ce tableau, et l'on fera croître ainsi n indéfiniment. Il convient de supposer
a(n,n) = 1.
On doit alors se demander à quelle condition un pareil déterminant converge.
J'ai trouvé pour ces déterminants une règle de convergence qui présente la plus grande analogie avec la règle relative aux produits infinis.
XIV. - Arithmétique.
Mes recherches arithmétiques ont exclusivement porté sur la théorie des formes. Je vais commencer par exposer les résultats que j'ai obtenus au sujet des formes quadratiques.
On sait (78) qu'on représente la forme quadratique définie
a*(x^2) + 2*b*x*y + c*(y^2), D = b^2 - a*c < 0,
par un réseau de parallélogrammes dont les sommets ont pour coordonnées
x*(sqrt(a)) + y*(b/(sqrt(a))), y*(sqrt(-D/a)),
ou bien encore
a*x + b*y, y*(sqrt(-D)).
Ce mode de représentation ne peut pas s'étendre aux formes indéfinies. Je représente alors la forme quadratique par le réseau dont les sommets ont pour coordonnées
a*x + b*y, y,
mode de représentation qui s'applique à la fois aux formes définies et indéfinies. Je reconnus d'abord que les réseaux de parallélogrammes jouissent de propriétés analogues à celles des nombres, et j'ai esquissé une arithmétique des réseaux où l'on trouve des théories analogues à celles de la divisibilité, des plus grands communs diviseurs et des plus petits communs multiples et même des nombres premiers.
Ma manière de représenter les formes indéfinies me conduit à une définition nouvelle de la réduction de ces formes. L'unique condition de réduction, c'est que les coefficients extrêmes doivent être de signe contraire. Avec cette définition, la réduction continuelle d'une forme indéfinie est susceptible d'une interprétation géométrique très simple. Je représente une forme par un certain triangle T qui n'est autre, d'ailleurs, que le triangle fondamental de notre réseau de parallélogrammes. Si la forme est réduite, des deux droites y = +-x*(sqrt( D)), l'une traverse le triangle T, l'autre lui reste extérieure. Achevons le parallélogramme dont notre triangle est la moitié et partageons-le de nouveau en deux triangles en menant la seconde diagonale; de ces deux nouveaux triangles, un, et un seulement, sera traversé par l'une des droites y = +-x*(sqrt(D)). Ce triangle représentera la réduite contiguë à celle que représentait le triangle T. En poursuivant indéfiniment de la sorte, on trouve une série de triangles qui représentent la réduction continuelle de la. forme envisagée.
0n peut, au lieu des droites y = +-x*(sqrt(D)), considérer deux droites quelconques passant par l'origine. On trouve ainsi, en appliquant les mêmes procédés à ces deux droites, une représentation géométrique des réduites successives d'une fraction continue. On est naturellement conduit à une généralisation immédiate. Passons, en effet, du plan à l'espace, remplaçons le réseau par un assemblage à la Bravais et, au lieu de deux droites, faisons-en passer trois par l'origine. Les mêmes considérations seront applicables, et l'on sera ainsi amené à une généralisation des fractions continues, à laquelle j'ai consacré une Note (50), mais qui, malheureusement, ne donne pas une approximation très rapide.
Il me reste, pour terminer l'analyse de mon Mémoire sur les formes quadratiques (78), à signaler deux résultats :
Je retrouve, en poursuivant l'étude de cette représentation géométrique, les lois de la composition des formes démontrées par Gauss.
Enfin, je termine ce Mémoire par l'étude des nombres idéaux, qui ont pour origine les formes quadratiques binaires.
On sait que, lorsqu'on fait subir à une forme algébrique des substitutions linéaires quelconques, certaines fonctions des coefficients demeurent inaltérées : ce sont les invariants. En dehors de ces invariants algébriques, dont l'étude a été poussée très loin, il y a, ainsi que je l'ai démontré (1, 97), d'autres fonctions des coefficients qui sont altérées quand on applique à la forme une substitution à coefficients fractionnaires ou incommensurables, mais qui se reproduisent au contraire quand on lui fait subir une substitution à coefficients entiers.
Ce sont les invariants arithmétiques. Les formes linéaires binaires qui n'ont pas d'invariants algébriques ont, au con traire, des invariants arithmétiques dont l'étude se rattache à la théorie des fonctions elliptiques et à celle des fonctions modulaires et des fonctions fuchsiennes. Ces invariants peuvent être utilisés pour la solution des deux problèmes suivants :
- 1) Trouver le plus petit nombre représenté par une forme quadratique binaire indéfinie ;
- 2) Reconnaître si deux formes quadratiques binaires indéfinies sont équivalentes.
A cet effet, on décompose chacune de ces formes en deux facteurs linéaires et l'on exprime en fonction des invariants de ces Facteurs les coefficients de la substitution qui permet de passer d'une forme à l'autre, à supposer qu'elles soient équivalentes. Il est aisé ensuite de voir si les coefficients ainsi obtenus sont entiers et s'ils permettent effectivement de passer d'une forme à l'autre. Dans le cas où il n'en serait pas ainsi, on serait certain qu'il n'y aurait,pas équivalence.
Les formes quadratiques binaires définies ou indéfinies possèdent également des invariants arithmétiques dont j'ai étudié les propriétés. Pour que deux formes soient équivalentes, il faut et il suffit que tous leurs invariants soient égaux. Toutefois, pour reconnaître rapidement l'équivalence, il est préférable de décomposer chaque forme en deux facteurs linéaires et d'envisager les invariants de ce système de formes linéaires.
Tous ces invariants sont susceptibles d'être exprimés :
- 1) par des intégrales définies;
- 2) par des séries.
L'un des problèmes les plus importants qui se posent au sujet des formes quadratiques ternaires indéfinies est l'étude des propriétés des groupes discontinus formés par les a substitutions semblables », c'est-à-dire par les substitutions linéaires qui n'altèrent pas ces formes (98, 60). Soit F(x, y , z) une forme quadratique indéfinie. On peut choisir la constante K de telle façon que F(x, y, z) = K représente un hyperboloïde à deux nappes. Les substitutions semblables changeront alors un point de cet hyperboloïde en un autre point de cette même nappe, de sorte que, le groupe étant discontinu, l'hyperboloïde se trouvera partagé en une infinité de polygones curvilignes, dont les côtés seront des sections diamétrales de la surface. Les substitutions semblables changeront ces polygones les uns dans les autres. Faisons maintenant une perspective en plaçant l'oeil en un ombilic de la surface et prenant pour plan du Tableau une section circulaire. Une nappe de l'hyperboloïde se projettera suivant un cercle, et les polygones que nous avons tracés sur cette nappe se projetteront suivant des polygones curvilignes, limités par des arcs de cercle reproduisant identiquement la figure dont nous avons parlé (p. 19 et suivantes), à propos de la théorie des groupes fuchsiens. Ainsi, l'étude des groupes de substitutions semblables des formes quadratiques est ramenée A celle des groupes fuchsiens, ce qui est un rapprochement inattendu entre deux théories très différentes et une application nouvelle de la Géométrie non euclidienne.
Après avoir signalé un certain nombre de propriétés de ces groupes fuchsiens particuliers, j'ai abordé une question un peu différente.
Les substitutions semblables sont celles qui reproduisent une forme quadratique et qui en même temps appartiennent au groupe G des substitutions à coefficients entiers. On peut rechercher alors les substitutions qui reproduisent la forme quadratique et qui en même temps appartiennent à un autre groupe, par exemple à un sous-groupe du groupe G. Cela nous permet en même temps de généraliser la théorie de l'équivalence des formes et de leur réduction. On obtient aisément des groupes de ces substitutions semblables généralisées et l'on reconnaît que ce sont encore des groupes fuchsiens. En réfléchissant ensuite aux relations de ces divers groupes fuchsiens, j'ai démontré que les fonctions fuchsiennes correspondantes jouissent d'une propriété analogue au théorème d'addition des fonctions elliptiques, ce qui n'est pas vrai des fonctions fuchsiennes les plus générales.
Passons maintenant aux formes d'ordre supérieur au second (80). Le premier problème à résoudre est la réduction de ces formes et l'étude des conditions de leur équivalence. La solution a été trouvée par M. Hermite; bien que le savant géomètre n'ait parlé que des formes binaires et des formes quadratiques, sa méthode s'applique, sans qu'on ait rien à y changer, à une forme tout à fait quelconque. C'est ainsi que M. Jordan, étendant à un cas très général un théorème de M. Hermite, a démontré que, toutes les fois que le discriminant n'est pas nul, toutes les formes qui ont mêmes invariants algébriques se répartissent en un nombre fini de classes. J'ai moi-même généralisé le théorème de M. Jordan, en montrant qu'il subsiste, pourvu que certains invariants ne soient pas tous nuls à la fois.
J'ai cherché ensuite à appliquer la méthode générale aux formes cubiques ternaires que j'avais déjà étudiées au point de vue algébrique dans un Mémoire précédent. Je suis arrivé à trouver les limites supérieures des coefficients d'une réduite dont les invariants sont donnés, pourvu que le discriminant ne soit pas nul. Le nombre des classes est alors limité et, dans chaque classe, il n'y a qu'une réduite.
Lorsque la forme égalée à zéro représente une courbe de quatrième classe, le discriminant est nul et le nombre des classes est infini, mais chacune d'elles ne contient qu'une réduite. Si la courbe est de troisième classe, le nombre des classes est infini et chacune d'elles contient un nombre fini de réduites formant une chaîne limitée a ses deux extrémités. Si la courbe se décompose en une conique et une droite qui la coupe, le nombre des classes est tantôt fini et tantôt infini ; de plus, la chaîne fermée par les réduites d'une même classe est, tantôt limitée comme dans le cas précédent, tantôt illimitée de telle façon que les mêmes réduites s'y reproduisent périodiquement. Si enfin la droite est tangente à la conique, les réduites ne forment plus une chaîne, mais un réseau.
J'ai ensuite appliqué la même méthode, non plus à une forme unique, mais à un système de formes, et j'ai choisi comme exemple le système d'une forme quadratique ternaire et d'une forme (4,81) linéaire dont j'ai étudié la réduction simultanée. La réduction continuelle d'un pareil système de formes est tout à fait analogue à celle d'une forme unique. Elle peut servir également à déterminer les substitutions semblables du système. Ces substitutions semblables existent toujours; mais, ayant voulu, dans un exemple particulier, calculer les coefficients de la plus simple d'entre elles, j'ai trouvé des nombres entiers de plus de huit chiffres.
Les lois de la réduction d'une forme quelconque étant connues, il est facile de reconnaître si deux formes sont équivalentes; mais ce n'est là qu'un premier pas.
Le principal problème à résoudre, c'est de rechercher si un nombre donné peut être représenté par une forme donnée. Je me suis occupé spécialement de la représentation par une forme binaire (7,89). Égalant la forme binaire à 0, on en tire pour le rapport x/y une certaine valeur. Avec cette valeur, je forme un système de nombres complexes et d'idéaux. Le problème de la représentation des nombres par les formes se ramène à la recherche des idéaux de norme donnée. J'ai donné, en me fondant sur les mêmes principes que dans mon Mémoire intitulé Sur un mode nouveau de représentation géométrique des formes quadratiques, la manière de former tous les idéaux de norme N, de former tous les idéaux premiers et leurs puissances, de multiplier deux idéaux, de décomposer un idéal en facteurs premiers, etc. Pour cela j'envisage une certaine congruence, que je décompose en facteurs irréductibles. A chacun de ces facteurs irréductibles correspond un idéal.
On trouve toutes les représentations d'un nombre donné quand on connaît tous les idéaux dont la norme est le nombre donné, mais tous ces idéaux ne donnent pas naissance à une représentation du nombre. Il importerait donc de savoir distinguer a priori quels sont les idéaux qui conduiront à une pareille représentation. Tout ce que j'ai pu faire dans ce sens a été de montrer qu'ils devaient tous se trouver parmi les idéaux auxquels correspond un facteur irréductible linéaire de la congruence dont j'ai parlé plus haut (et par conséquent une racine réelle de cette congruence).
Dans deux Notes que j'ai eu l'honneur de présenter à l'Académie les 9 et 16 janvier 1882, j'ai cherché quelle était la véritable signification de la notion de genre définie par Gauss pour les formes quadratiques binaires et étendue par Eisenstein aux formes quadratiques ternaires, et je suis arrivé à en donner les définitions suivantes :
- 1) Deux formes sont équivalentes suivant le module n, si l'on peut appliquer à la première de ces formes une substitution à coefficients entiers, telle que les coefficients de la transformée ainsi obtenue ne diffèrent de ceux de la seconde forme que par des multiples de n;
- 2) Deux formes sont de même genre lorsqu'elles sont équivalentes suivant un module quelconque.
Il est clair que cette définition peut s'appliquer à des formes tout à fait quelconques auxquelles j'ai étendu également la définition de l'ordre. J'ai appliqué ces principes aux formes quadratiques quaternaires et cubiques binaires.
- QUATRIEME PARTIE.
- MECANIQUE CELESTE.
J'ai hésité un instant à classer sous cette rubrique les travaux que je vais analyser. En effet, la Mécanique céleste n'a d'ordinaire pour objet que les cas que l'on rencontre réellement dans la nature. Au contraire, ceux que j'ai étudiés sont plus simples que les cas naturels, et je les ai choisis pour pouvoir les traiter plus complètement. Cependant, les résultats que j'ai obtenus sont de nature à jeter quelque lumière sur les problèmes plus compliqués de l'Astronomie réelle, à l'égard desquels ils peuvent quelquefois jouer le rôle de première approximation.
C'est dans cet esprit que je me suis occupé des deux principales parties de la Mécanique céleste, je veux dire du problème des n corps, et de l'équilibre d'une masse fluide soumise à diverses influences.
XV. - Problème des n corps.
On ne peut résoudre le problème des n corps que par approximations successives, et la première idée qui s'est présentée a consisté à développer les coordonnées des astres en séries ordonnées suivant les puissances des masses. C'est sur cette idée qu'est fondée toute la Mécanique céleste ancienne. Mais quels que soient les services qu'aient rendus autrefois ces anciens procédés et qu'ils soient capables de rendre encore, on n'a pas tardé à s'apercevoir de leur insuffisance et de leur impuissance à donner une approximation indéfinie. Dans les développements auxquels ils conduisent, on voit en effet le temps entrer non seulement sous les signes sinus et cosinus, mais en dehors de tout signe trigonométrique.
Ce fait suffit pour démontrer que le champ, où les anciennes m6tliodes conservent leur efficacité, quelque étendu qu'il puisse être, est certainement limité.
C'est ce qui explique les efforts qu'ont faits les géomètres pour remplacer les séries anciennes par des développements purement trigonométriques. Dans ces derniers temps, on a proposé deux méthodes remarquables qui paraissent a tteindre complètement ce but. La première est celle de M. Gyldén, qui est fondée sur l'emploi des fonctions elliptiques; la seconde est celle de M. Lindstedt, dont je me suis surtout occupé.
Dans cette dernière méthode, un artifice ingénieux permet à chaque approximation de faire disparaître les termes séculaires qui peuvent s'être introduits. II est aisé de voir que cet artifice réussira toujours s'il n'y a qu'un terme à faire disparaître; mais il n'en serait plus de même s'il s'était introduit à la fois deux termes séculaires. Il est facile de vérifier d'ailleurs que, dans les premières approximations, on n'a à se débarrasser que d'un seul terme; mais on peut se demander s'il doit en être toujours ainsi. Un examen superficiel pourrait faire croire le contraire, et même M. Lindstedt était disposé à penser que sa méthode ne réussirait que s'il n'y avait entre les arguments aucune relation linéaire.
Je suis parvenu à démontrer que le terme séculaire qui peut apparaître à chaque approximation est toujours unique et que, par conséquent, la méthode de M. Lindstedt est toujours applicable (96). Pour cela, j'ai eu recours à un théorème qui semblait ne se rapporter en aucune façon à la question, c'est-à-dire au théorème de Green. La méthode de M. Lindstedt permet donc d'exprimer les coordonnées des astres par des séries purement trigonométriques qui satisfont formellement aux équations de leur mouvement.
Il reste à savoir si ces séries sont convergentes. J'ai donc été amené pour contribuer à la solution de celte question à étudier les conditions de convergence des séries trigonométriques (42,92). J'ai reconnu ainsi deux faits principaux :
- 1) Si une pareille série est absolument convergente pour certaines valeurs du temps, elle l'est éternellement; il n'en est plus de même quand la convergence n'est plus absolue.
- 2) Une même fonction ne peut pas être représentée par deux séries différentes absolument convergentes.
Je n'ai pu résoudre, de façon à me mettre à l'abri de toute objection, la question de la convergence des séries particulières de M. Lindstedt; cependant, j'ai tout lieu de penser que ces séries ne convergent pas absolument, mais que, en ordonnant convenablement les termes, on peut les rendre semi-convergentes. La convergence pourrait alors ne subsister que pendant un intervalle de temps limité.
On croit d'ordinaire qu'une fonction représentée par une série trigonométrique absolument convergente ne peut croître au delà de toute limite. C'est même cette croyance qui sert de fondement aux démonstrations anciennes de la stabilité du système solaire et qui, depuis, a conduit les astronomes à faire tant d'efforts pour faire rentrer le temps sous les signes sinus et cosinu s. Cette croyance est erronée; j'ai montré (30,92) qu'une pareille fonction devient aussi grande que l'on veut si la convergence n'est pas uniforme. Mais il y a deux manières de croître au delà de toute limite : une fonction peut "tendre vers l'infini". Il arrive alors qu'elle finit par dépasser une quantité quelconque, si grande qu'elle soit, pour rester ensuite constamment supérieure à cette quantité. Une fonction peut encore subir une infinité d'oscillations successives, de façon que l'amplitude des oscillations croisse indéfiniment. J'ai montré (57) que les deux cas peuvent se présenter, en ce qui concerne la somme d'une série purement trigonométrique. En résumé, quand même on arriverait à représenter les coordonnées des astres par des séries trigonométriques convergentes, on n'aurait pas démontré la stabilité du système solaire.
J'ai lieu de croire que, si ce problème de la stabilité peut jamais être résolu, ce sera par des considérations analogues à celles que j'ai développées dans le paragraphe V de cette Notice; mais la solution me parait encore très éloignée. Pour que la stabilité soit complète, il y a deux conditions à remplir : il faut d'abord que les distances mutuelles des astres restent inférieures à certaines limites; il faut ensuite que le système solaire, partant d'un certain état initial, finisse toujours par revenir, sinon à cet état initial lui-même, du moins à un état qui en diffère aussi peu que l'on veut. Tout ce que j'ai pu faire, c'est de démontrer que la première condition entraîne la seconde. C'est là une conséquence immédiate des résultats exposés dans le paragraphe V (76).
D'après ce qui précède, il semble qu'il soit impossible en général d'exprimer les distances mutuelles des astres par des séries purement trigonométriques convergentes. Mais il est des cas particuliers où les séries auxquelles on est conduit ne contiennent qu'un seul argument et où leur convergence est évidente.
En effet, j'ai démontré (37,91) que, dans le problème des trois corps, on peut choisir les éléments initiaux du mouvement, de telle façon que les distances mutuelles des trois masses soient des fonctions périodiques du temps. On est ainsi amené à une solution particulière du problème, que l'on peut appeler périodique.
Ces solutions périodiques sont de trois sortes : dans les unes, les inclinaisons sont nulles et les excentricités très petites; dans d'autres, les inclinaisons sont nulles et les excentricités finies; dans d'autres, enfin, les inclinaisons sont finies et les excentricités très petites.
Il est infiniment peu probable que ces solutions si particulières se rencontrent dans la nature; mais il est aisé de voir que l'on peut s'en servir pour étudier les autres intégrales du même problème. En considérant les trajectoires des trois corps dans une solution périodique comme une orbite intermédiaire et en rapportant leurs positions véritables aux positions qu'ils occuperaient sur cette orbite intermédiaire, on est amené à une méthode nouvelle d'approximations successives qui nous révèle diverses propriétés des intégrales générales du problème des trois corps.
Cette méthode est applicable toutes les fois que les excentricités et les inclinaisons sont très petites. Mais un récent mémoire de M. Tisserand semble indiquer qu'elle serait particulièrement avantageuse dans l'étude du mouvement d'Hypérion.
XVI. - Équilibre d'une masse fluide.
Je me suis occupé également d'une autre question de Mécanique céleste que l'on peut énoncer ainsi :
Une masse fluide homogène ou hétérogène est animée d'un mouvement de rotation autour d'un certain axe. De plus, ses molécules s'attirent d'après la loi de Newton. Quelles sont les formes d'équilibre qu'elle peut affecter?
C'est là un problème qui a beaucoup occupé les géomètres depuis plus d'un siècle et demi, et dont l'importance se comprend sans peine.
Dans le cas de l'homogénéité, auquel nous nous restreindrons, deux solutions étaient depuis longtemps connues : l'ellipsoïde de révolution et l'ellipsoïde à trois axes inégaux de Jacobi. Mais les conditions de stabilité de l'équilibre n'avaient pas été étudiées.
On ignorait s'il y avait d'autres formes possibles quand M. Mathiessen et, après lui, Sir W. Thomson, annoncèrent l'existence de figures annulaires d'équilibre. Mais la démonstration donnée par ces deux savants n'était pas parfaitement rigoureuse; d'ailleurs, M. Mathiessen supposait a priori que la section différait très peu d'une ellipse. J'ai montré (62) que cette hypothèse, légitime quand la section de l'anneau est très petite, est erronée dans le cas général, ce qui rend très douteuse l'existence de certains anneaux très aplatis que le savant de Rostock avait appelés anneaux beta.
J'ai donc cru nécessaire de faire une étude plus approfondie de ces figures (53,93,94). J'ai mis à l'abri de toute objection la démonstration de leur existence et montré comment on peut en déterminer les principaux éléments avec une approximation indéfinie.
Pour la détermination de ces éléments, j'ai fait usage d'une méthode que Mme Kowalevski avait déjà employée dans son Mémoire sur l'anneau de Saturne et qui est fondée sur le développement des périodes d'une fonction elliptique en séries ordonnées suivant les puissances croissantes du module.
Il convient d'observer que ces anneaux sont des figures d'équilibre instable. Dans un Mémoire plus étendu (71), j'ai repris la même question, en développant
les résultats obtenus dans deux Notes antérieures (51). Une première difficulté se présentait sur ma route. Quand il s'agit d'intégrer de simples équations différentielles, la méthode des approximations successives est parfaitement justifiée, parce que l'existence de l'intégrale a été tout d'abord rigoureusement démontrée. Il n'en est plus de même dans le problème actuel qui est beaucoup plus compliqué; il peut rester au sujet de la légitimité de cette méthode quelques doutes qu'il s'agissait d'abord de dissiper. Pour démontrer rigoureusement l'existence des diverses solutions du problème, j'ai employé un procédé tout à fait analogue à celui dont j'avais fait usage dans mes recherches sur les solutions périodiques du problème des trois corps et ou je prends pour point de départ un théorème de M. Kronecker.
On reconnait d'abord que les diverses figures d'équilibre d'une masse fluide forment des séries linéaires; dans une même série, ces figures dépendent d'un paramètre variable. Telles sont la série des ellipsoïdes de révolution et celle des ellipsoïdes de Jacobi. Mais il peut arriver qu'une même figure appartienne à la fois à deux séries différentes. C'est alors une figure d'équilibre de bifurcation. A chaque figure est attachée une suite infinie de coefficients, que j'appelle coefficients de stabilité, parce que la condition de la stabilité, c'est qu'ils soient tous positifs. Quand un de ces coefficients s'annule, c'est que la figure correspondante est de bifurcation.
Ainsi, si en suivant une série de figures d'équilibre on voit s'annuler un des coefficients de stabilité, on saura qu'il existe une autre série de formes d'équilibre à laquelle appartient la figure de bifurcation.
Un autre résultat, c'est que les deux séries linéaires dont cette figure fait partie échangent leur stabilité. Si, en suivant l'une des séries, on ne rencontre que des équilibres stables jusqu'à la figure de bifurcation, on n'y trouvera plus ensuite que des figures instables. Les figures stables appartiendront à l'autre série.
Ces principes, appliqués à divers problèmes déjà traités par Laplace, m'ont permis d'en compléter la solution.
Pour trouver les formes d'équilibre d'une masse fluide en rotation qui diffèrent peu d'un ellipsoïde, il faut rechercher si, parmi les ellipsoïdes de révolution et ceux de Jacobi, il y a des figures de bifurcation. Pour cela il faut calculer les coefficients de stabilité de ces ellipsoïdes. On trouve que ces coefficients dépendent des fonctions de Lamé.
J'ai donc dû faire de ces fonctions une étude approfondie. J'ai démontré d'une manière nouvelle que ces polynômes ont toutes leurs racines réelles et j'ai étudié la manière dont ces racines se répartissent.
En égalant à 0 les divers coefficients de stabilité, on obtient des équations qui sont transcendantes, mais qui peuvent néanmoins se discuter d'une manière complète. Cette discussion montre que, parmi les ellipsoïdes de révolution, comme parmi les ellipsoïdes de Jacobi, il y a une infinité de figures de bifurcation.
Il résulte de là qu'il y a d'autres formes d'équilibre que les ellipsoïdes et les anneaux. Ces figures nouvelles sont en nombre infini; elles sont convexes et ont toutes un plan de symétrie. Quelques-unes n'en ont qu'un; d'autres sont de révolution; d'autres enfin ont plusieurs plans de symétrie passant par l'axe. Il restait à étudier les conditions de stabilité de l'équilibre. J'ai distingué, B l'exemple de Sir W. Thomson, la stabilité séculaire, qui subsiste lorsqu'on tient compte de la viscosité, et la stabilité ordinaire, qui n'a lieu que lorsqu'on néglige cette résistance. En ce qui concerne la première de ces stabilités, j'ai montré qu'elle appartient aux ellipsoïdes de révolution, moins aplatis que celui qui est en même temps un ellipsoïde de Jacobi, et que les ellipsoïdes de Jacobi, qui satisfont à une certaine condition, en jouissent également. Les autres ellipsoïdes sont instables et il en est de même des figures annulaires. Quant aux autres figures nouvelles que j'ai découvertes, elles sont toutes instables, à l'exception d'une d'entre elles qui est pour ainsi dire piriforme.
J'ai donné aussi une méthode pour déterminer les conditions de la stabilité ordinaire, mais je n'en ai fait qu'une application partielle qui permet, toutefois, de reconnaître que cette stabilité peut subsister quand la stabilité séculaire a cessé.
Je ne puis d'ailleurs mieux résumer tous ces résultats qu'en faisant l'hypothèse suivante :
Imaginons une masse fluide se contractant par refroidissement, mais assez lentement pour rester homogène et pour que la rotation soit la même dans toutes ses parties. D'abord très voisine d'une sphère, la figure de cette masse deviendra un ellipsoïde de révolution qui s'aplatira de plus en plus; puis, à un certain moment, se transformera en un ellipsoïde à trois axes inégaux. Plus tard, la figure cessera d'être ellipsoïdale et deviendra piriforme, jusqu'à ce qu'enfin la masse, se creusant de plus en plus dans sa partie médiane, se scinde en deux corps distincts et inégaux.
Il est inutile d'ajouter que l'hypothèse qui précède n'est qu'une fiction et qu'il serait illusoire d'en vouloir tirer des conséquences cosmogoniques. Dans un de ces Mémoires (93), j'ai montré qu'aucune forme d'équilibre stable n'est possible si la vitesse de rotation dépasse une certaine limite. On peut faire de ce principe une application aux anneaux de Sat urne. Clerk Maxwell a démontré que ces anneaux ne peuvent être solides et que, s'ils sont fluides, leur densité ne peut dépasser les 3/100 de celle de la planète. D'autre part (95), je démontre que, si les anneaux sont fluides, ils ne peuvent être stables que si leur densité est supérieure au seizième de celle de Saturne. L'analyse semble donc confirmer l'hypothèse de M. Trouvelot, qui considère les anneaux comme formés d'une multitude de satellites extrêmement petits et ne croit pas pouvoir expliquer autrement certaines apparences observées.
- 14 octobre 1886.
- TITRES DIVERS.
- Entré à l'Ecole Polytechnique, le 1O octobre 1873.
- Ingénieur des Mines, le 1er avril 1879.
- Docteur ès sciences, le 1er août 1879.
- Chargé du Cours d'Analyse à la Faculté des Sciences de Caen, du 1er décembre 1879 au 29 octobre 1881.
- Maître de conférences d'Analyse à la Faculté des Sciences de Paris, du 9 octobre 1884 au 16 mars 1885.
- Chargé du Cours de Mécanique physique et expérimentale à la Faculté des Sciences de Paris, du 16 mars 1885 au 1er novembre 1886.
- Professeur de Physique mathématique et Calcul des probabilités à la Faculté des Sciences de Paris, depuis le 1er novembre 1886.
- Répétiteur d'Analyse à l'Ecole Polytechnique, depuis le 6 novembre 1883.
- Lauréat de l'Institut (prix Poncelet), en 1855.
- Présenté par la Section de Géométrie :
- En cinquième ligne, en 1881,
- En quatrième ligne, en 1884,
- En troisième ligne, en 1883,
- En deuxième ligne, en 1886.