Notice sur la vie et les œuvres de Platon


Traduction par Émile Chambry.
GF-Flammarion (p. 7-28).


La vie

Platon naquit à Athènes en l’an ~ 428- ~ 427 dans le dème de Collytos. D’après Diogène Laërce, son père Ariston descendait de Codros. Sa mère Périctionè, sœur de Charmide et cousine germaine de Critias, le tyran, descendait de Dropidès, que Diogène Laërce donne comme un frère de Solon. Platon avait deux frères aînés, Adimante et Glaucon, et une sœur, Potonè, qui fut la mère de Speusippe. Son père Ariston dut mourir de bonne heure ; car sa mère se remaria avec son oncle Pyrilampe, dont elle eut un fils, Antiphon. Quand Platon mourut, il ne restait plus de la famille qu’un enfant, Adimante, qui était sans doute le petit-fils de son frère. Platon l’institua son héritier, et nous le retrouvons membre de l’Académie sous Xénocrate ; la famille de Platon s’éteignit probablement avec lui ; car on n’en entend plus parler.

La coutume voulait qu’un enfant portât le nom de son grand-père, et Platon aurait dû s’appeler comme lui Aristoclès. Pourquoi lui donna-t-on le nom de Platon, d’ailleurs commun à cette époque ? Diogène Laërce rapporte qu’il lui fut donné par son maître de gymnastique à cause de sa taille ; mais d’autres l’expliquent par d’autres raisons. La famille possédait un domaine près de Képhisia, sur le Céphise, où l’enfant apprit sans doute à aimer le calme des champs, mais il dut passer la plus grande partie de son enfance à la ville pour les besoins de son éducation. Elle fut très soignée, comme il convenait à un enfant de haute naissance. Il apprit d’abord à honorer les dieux et à observer les rites de la religion, comme on le faisait dans toute bonne maison d’Athènes, mais sans mysticisme, ni superstition d’aucune sorte. Il gardera toute sa vie ce respect de la religion et l’imposera dans ses Lois. Outre la gymnastique et la musique, qui faisaient le fond de l’éducation athénienne, on prétend qu’il étudia aussi le dessin et la peinture. Il fut initié à la philosophie par un disciple d’Héraclite, Cratyle, dont il a donné le nom à un de ses traités. Il avait de grandes dispositions pour la poésie. Témoin des succès d’Euripide et d’Agathon, il composa lui aussi des tragédies, des poèmes lyriques et des dithyrambes.

Vers l’âge de vingt ans, il rencontra Socrate. Il brûla, dit-on, ses tragédies et s’attacha dès lors à la philosophie. Socrate s’était dévoué à enseigner la vertu à ses concitoyens : c’est par la réforme des individus qu’il voulait procurer le bonheur à la cité. Ce fut aussi le but que s’assigna Platon, car, à l’exemple de son cousin Critias et de son oncle Charmide, il songeait à se lancer dans la carrière politique ; mais les excès des Trente lui firent horreur. Quand Thrasybule eut rétabli la constitution démocratique, il se sentit de nouveau, quoique plus mollement, pressé de se mêler des affaires de l’État. La condamnation de Socrate (~ 399) l’en dégoûta. Il attendit en vain une amélioration des mœurs politiques ; enfin, voyant que le mal était incurable, il renonça à prendre part aux affaires ; mais le perfectionnement de la cité n’en demeura pas moins sa grande préoccupation, et il travailla plus que jamais à préparer par ses ouvrages un état de choses où les philosophes, devenus les précepteurs et les gouverneurs de l’humanité, mettraient fin aux maux dont elle est accablée.

Il était malade lorsque Socrate but la ciguë, et il ne put assister à ses derniers moments. Après la mort de son maître, il se retira à Mégare, près d’Euclide et de Terpsion, comme lui disciples de Socrate. Il dut ensuite revenir à Athènes et servir, comme ses frères, dans la cavalerie. Il prit, dit-on, part aux campagnes de ~ 395 et de ~ 394, dans la guerre dite de Corinthe. Il n’a jamais parlé de ses services militaires, mais il a toujours préconisé les exercices militaires pour développer la vigueur.

Le désir de s’instruire le poussa à voyager. Vers ~ 390, il se rendit en Égypte, emmenant une cargaison d’huile pour payer son voyage. Il y vit des arts et des coutumes qui n’avaient pas varié depuis des milliers d’années. C’est peut-être au spectacle de cette civilisation fidèle aux antiques traditions qu’il en vint à penser que les hommes peuvent être heureux en demeurant attachés à une forme immuable de vie, que la musique et la poésie n’ont pas besoin de créations nouvelles, qu’il suffit de trouver la meilleure constitution et qu’on peut forcer les peuples à s’y tenir.

D’Égypte, il se rendit à Cyrène, où il se mit à l’école du mathématicien Théodore, dont il devait faire un des interlocuteurs du Théétète. De Cyrène, il passa en Italie, où il se lia d’amitié avec les Pythagoriciens Philolaos, Archytas et Timée. Il n’est pas sûr que ce soit à eux qu’il ait pris sa croyance à la migration des âmes ; mais il leur doit l’idée de l’éternité de l’âme, qui devait devenir la pierre angulaire de sa philosophie, car elle lui fournit la solution du problème de la connaissance. Il approfondit aussi parmi eux ses connaissances en arithmétique, en astronomie et en musique.

D’Italie, il se rendit en Sicile. Il vit Catane et l’Etna. À Syracuse, il assista aux farces populaires et acheta le livre de Sophron, auteur de farces en prose. Il fut reçu à la cour de Denys comme un étranger de distinction et il gagna à la philosophie Dion, beau-frère du tyran. Mais il ne s’accorda pas longtemps avec Denys, qui le renvoya sur un vaisseau en partance pour Égine, alors ennemie d’Athènes. Si, comme on le rapporte, il le livra au Lacédémonien Pollis, c’était le livrer à l’ennemi. Heureusement il y avait alors à Égine un Cyrénéen, Annikéris, qui reconnut Platon et le racheta pour vingt mines. Platon revint à Athènes, vraisemblablement en ~ 388. Il avait quarante ans.

La guerre durait encore ; mais elle allait se terminer l’année suivante par la paix d’Antalkidas. À ce moment, Euripide était mort et n’avait pas eu de successeur digne de lui. Aristophane venait de faire jouer son dernier drame, remanié, le Ploutos, et le théâtre comique ne devait retrouver son éclat qu’avec Ménandre. Mais si les grands poètes faisaient défaut, la prose jetait alors un vif éclat avec Lysias, qui écrivait des plaidoyers et en avait même composé un pour Socrate, et Isocrate, qui avait fondé une école de rhétorique. Deux disciples de Socrate, Eschine et Antisthène, qui tous deux avaient défendu le maître, tenaient école et publiaient des écrits goûtés du public. Platon, lui aussi, se mit à enseigner ; mais au lieu de le faire en causant, comme son maître, en tous lieux et avec tout le monde, il fonda une sorte d’école à l’image des sociétés pythagoriciennes. Il acheta un petit terrain dans le voisinage du gymnase d’Académos, près de Colone, le village natal de Sophocle. De là le nom d’Académie qui fut donné à l’école de Platon. Ses disciples formaient une réunion d’amis, dont le président était choisi par les jeunes et dont les membres payaient sans doute une cotisation.

Nous ne savons rien des vingt années de la vie de Platon qui s’écoulèrent entre son retour à Athènes et son rappel en Sicile. On ne rencontre même dans ses œuvres aucune allusion aux événements contemporains, à la reconstitution de l’empire maritime d’Athènes, aux succès de Thèbes avec Épaminondas, à la décadence de Sparte. Denys l’Ancien étant mort en ~ 368, Dion, qui comptait gouverner l’esprit de son successeur, Denys le jeune, appela Platon à son aide. Il rêvait de transformer la tyrannie en royauté constitutionnelle, où la loi et la liberté régneraient ensemble. Son appel surprit Platon en plein travail ; mais le désir de jouer un rôle politique et d’appliquer son système l’entraîna. Il se mit en route en ~ 366, laissant à Eudoxe la direction de son école. Il gagna en passant l’amitié d’Archytas, mathématicien philosophe qui gouvernait Tarente. Mais quand il arriva à Syracuse, la situation avait changé. Il fut brillamment reçu par Denys, mais mal vu des partisans de la tyrannie et en particulier de Philistos, qui était rentré à Syracuse après la mort de Denys l’Ancien. En outre, Denys, s’étant aperçu que Dion voulait le tenir en tutelle, le bannit de Syracuse. Tandis que Dion s’en allait vivre à Athènes, Denys retenait Platon, sous prétexte de recevoir ses leçons, pendant tout l’hiver. Enfin quand la mer redevint navigable, au printemps de l’année ~ 365, il l’autorisa à partir sous promesse de revenir avec Dion. Ils se séparèrent amicalement, d’autant mieux que Platon avait ménagé à Denys l’alliance d’Archytas de Tarente.

De retour à Athènes, Platon y trouva Dion qui menait une vie fastueuse. Il reprit son enseignement. Cependant Denys avait pris goût à la philosophie. Il avait appelé à sa cour deux disciples de Socrate, Eschine et Aristippe de Cyrène, et il désirait revoir Platon. Au printemps de ~ 361, un vaisseau de guerre vint au Pirée. Il était commandé par un envoyé du tyran, porteur de lettres d’Archytas et de Denys, où Archytas lui garantissait sa sûreté personnelle, et Denys lui faisait entrevoir le rappel de Dion pour l’année suivante. Platon se rendit à leurs instantes prières et partit avec son neveu Speusippe. De nouveaux déboires l’attendaient : il ne put convaincre Denys de la nécessité de changer de vie. Denys mit l’embargo sur les biens de Dion. Platon voulut partir ; le tyran le retint, et il fallut l’intervention d’Archytas pour qu’il pût quitter Syracuse, au printemps de ~ 360. Il se rencontra avec Dion à Olympie. On sait comment celui-ci, apprenant que Denys lui avait pris sa femme pour la donner à un autre, marcha contre lui en ~ 357, s’empara de Syracuse et fut tué en ~ 353. Platon lui survécut cinq ans. Il mourut en ~ 347-346, au milieu d’un repas de noces, dit-on. Son neveu Speusippe lui succéda. Parmi les disciples de Platon, les plus illustres quittèrent l’école. Aristote et Xénocrate se rendirent chez Hermias d’Atarnée, Héraclide resta d’abord à Athènes, puis alla fonder une école dans sa patrie, Héraclée. Après la mort de Speusippe, Xénocrate prit la direction de l’Académie, qui devait subsister jusqu’en 529 de notre ère, année où Justinien la fit fermer.

Les œuvres

La collection des œuvres de Platon comprend trente-cinq dialogues, plus un recueil de lettres, des définitions et six petits dialogues apocryphes : Axiochos, de la Justice, de la Vertu, Démodocos, Sisyphe, Eryxias. Au lieu de ranger les trente-cinq dialogues admis pour authentiques dans l’ordre où ils furent publiés, les Anciens les avaient classés artificiellement. Platon lui-même avait groupé exceptionnellement le Théétète, le Sophiste et le Politique, avec l’intention d’y adjoindre le Philosophe, qui est resté à l’état de projet, et aussi la République, le Timée, le Critias et un dialogue qu’il n’écrivit pas. C’est apparemment sur ces groupes de trois ou de quatre qu’on se fonda pour le classement des œuvres de Platon. Au dire de Diogène Laërce, Aristophane de Byzance avait établi les cinq trilogies suivantes : 1. République, Timée, Critias ; 2. Sophiste, Politique, Cratyle ; 3. Lois, Minos, Épinomis ; 4. Théétète, Euthyphron, Apologie ; 5. Criton, Phédon, Lettres. Il avait divisé le reste par livres et l’avait cité sans ordre. Derkylidas, au temps de César, et Thrasylle, contemporain de Tibère, adoptèrent au contraire le classement par tétralogies, qui rappelait à la fois les deux groupes de quatre qu’avait conçus Platon et les tétralogies tragiques (trois tragédies, plus un drame satirique). L’ordre de Thrasylle est celui que nous présentent nos manuscrits, et qu’ont reproduit les éditeurs jusqu’à nos jours.

On divisait aussi les dialogues d’une autre manière. « Le dialogue a deux formes, nous dit Diogène Laërce ; il est diégétique (sous forme d’exposition) ou zététique (sous forme de recherche). La première se divise en deux genres : théorique ou pratique. Le théorique se subdivise à son tour en deux espèces : métaphysiquerationnelle ; le pratique aussi se subdivise en deux espèces : morale et politique. Le dialogue zététique peut avoir, lui aussi, deux formes différentes : il peut être gymnique (d’exercice) et agonistique (de combat). Le genre gymnique se subdivise en maïeutique (qui accouche les esprits) et en peirastique (qui éprouve, qui sonde). L’agonistique se subdivise également en deux espèces : l’endicrique (démonstrative) et l’anatreptique (réfutative). Nos manuscrits et nos éditions ont conservé ces indications. Ils portent aussi, avec le nom propre qui désigne le dialogue, un sous-titre qui en indique le contenu. »

Les modernes se sont demandé si les ouvrages attribués à Platon sont tous authentiques. Déjà quelques Anciens tenaient pour suspects le second Alcibiade, l’Hippias mineur, les Rivaux, l’Épinomis, sans parler des six dialogues apocryphes. Au xixe siècle une vague de scepticisme, mise en branle par le savant allemand Ast, s’est étendue à plus de la moitié des dialogues, et l’on a été jusqu’à rejeter l’Euthydème, le Ménon, le Cratyle, le Philèbe et tout le groupe formé du Sophiste, du Politique et du Parménide. Toutes ces athétèses sont parties d’un principe arbitraire, c’est-à-dire de l’idée que l’on se formait de Platon d’après certains dialogues jugés authentiques. On repoussait tout ce qui ne cadrait pas avec cette idée. Comme cette idée variait suivant l’esprit qui l’avait formée et suivant le point de vue où chacun se plaçait, les athétèses variaient aussi. Cette méthode toute subjective a fait son temps : l’on est revenu à des idées plus saines. On admet fort bien que Platon ait pu varier, que son génie ne soit pas éclos tout d’un coup, et qu’il ait pu avoir comme les autres ses défaillances Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/14 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/15 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/16 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/17 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/18 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/19 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/20 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/21 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/22 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/23 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/24 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/25 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/26 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/27 Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/28 quand le sujet s’élève et qu’on se hausse jusqu’au monde Intelligible. D’ailleurs Platon se sert d’ordinaire des mots les plus communs, même pour exposer les idées les plus neuves, et il n’y a guère que le mot idée auquel il ait attri­bué un sens nouveau. C’est une qualité de plus parmi toutes celles qui forment l’éminente supériorité de cet incomparable artiste.