Notice sur l’Album de Villard de Honnecourt architecte du XIIIe siècle/8


VIII

OBJETS D’AMEUBLEMENT


Les objets que j’ai réunis dans le présent chapitre, étaient tous destinés à la garniture de l’église. L’archéologie s’en emparera avec avidité ; car depuis le temps qu’on fait la revue des anciens mobiliers religieux, on n’a rien signalé, si ce n’est des portes et des armoires, qui remonte au-delà de 1300. La connaissance de formes qu’on n’aurait jamais devinées, résultera des dessins, malheureusement trop peu nombreux sur cette matière, de Villard de Honnecourt. J’ai fait reproduire les principaux par la gravure, pour n’avoir pas à me perdre dans des explications sans fin.

1. Cage d’horloge (fol. 6 v.). — Voyez notre pl. X, fig. 3. La dimension du dessin original est de 22 centimètres. On lit à côté, d’une encre pâle comme celle de la figure :C’est li masons d’on orologe. « C’est la maison (cage) d’une horloge » ; et au-dessous, de la même plume et de la même encre que la dédicace du manuscrit :Ki celt faire le maizon d’une ierloge vers ent ci une que jo vi une fois. Li prmierz estages de desos est quarès a iiij. peignonciaus. Li estages deseure est à viij. peniaux, et puis covertic ; et puis iiij. peignonciaus ; entre ij. peignons j. espasse wit. Li estages tos deseure s’est quarès à iij. peignonciaus et li combles à viij. costés. Ves aluec le portrait. Voici la traduction :« Qui veut faire la cage d’une horloge, en voici une que je vis une fois. Le premier étage par bas est carré à quatre pignons. L’étage au-dessus est à huit pans ; et puis (vient) une toiture ; et puis quatre pignons avec un espace vide entre deux. L’étage de tout en haut est carré, à quatre pignons, et le comble a huit côtés. Voyez le dessin ci-contre. »

Cette description si confuse et si incomplète, ne fournit aucun mot nouveau au dictionnaire de l’ancienne langue industrielle. Nous avons déjà rencontré covertic. Peniaus est la même chose que panneaux, pignonceau est un diminutif peu intéressant de pignon.

Quant à la cage elle-même, ce devait être une construction en bois. Rien n’en marque les dimensions. L’horloge de la cathédrale de Beauvais qui est postérieure de plus de cent ans, forme un édicule d’environ 5 mètres de haut. Il est tout doré et peint.

2. Lutrin d’église ( fol. 7 r.). — Voyez la pl. X, fig. 2. Le dessin original a 226 millim. De hauteur. Il est accompagné de cette légende :Ki velt faire i. letris por sus lire evangille, ves ent ci le meltor manière que jo sace. Premiers a par tierre iij. sarpens ; et puis une ais à iij. compas deseure, et par deseure iij. sarpens d’autre manière et colonbes de la hauteur des sarpens. Et par deseure i. triangle. Après vous vees bien de confaite manière li letris est. Ves ent ci le portrait. En mi liu des iij. colonbes doit avoir une verge qui porte le pumiel sor li aile siet.

« Qui veut faire un lutrin pour lire l’évangile dessus, en voici le meilleur modèle à ma connaissance. D’abord il y a par terre trois serpents et puis un ais à trois traits de compas sur les serpents ; et par-dessus l’ais trois serpents dans l’autre sens, avec colonnes de la hauteur des serpents. Au-dessus est un triangle. Après, vous voyez assez quelle est la belle disposition du lutrin. Au milieu des trois colonnes, il doit y avoir une tige pour porter le pommeau sur lequel est posé l’aigle. »

Nouvel exemple de la pauvreté de la langue du XIIIe siècle pour exprimer les détails de l’architecture et de l’ornementation. Il est évident d’après cela, que les ouvriers faisaient quantité de choses pour lesquelles ils n’avaient pas de nom. Des six lignes de vieux français rapportées ci-dessus, il n’y a rien à tirer, sinon, que tous ces fantastiques reptiles à deux pattes que nous croyons devoir distinguer en dragons, chimères, salamandres, étaient pour Villard de Honnecourt et ses contemporains des serpents. Il appelle à trois compas, les contours pour l’expression desquels nous avons forgé le mot trilobé.

Voir ci-dessus, p. 251, le mécanisme proposé pour faire mouvoir la tête de l’aigle pendant la lecture de l’évangile.

3. Croix monumentale (fol. 8 r.). — Pièce de sculpture à mettre probablement dans une chapelle ou derrière un maître-autel. Elle est ainsi composée. Une colonne courte et massive, à base attique et montée sur un socle, porte à son sommet, au lieu de chapiteau, deux immenses volutes en feuillage qui s’écartent comme les branches d’un γ. Sur la volute de gauche est placée une statue de la Vierge éplorée ; sur celle de droite une statue de saint Jean. Entre ces deux personnages, dans l’axe de la colonne, un crucifix tout à fait conforme à celui qu’on a décrit ci-dessus, p. 283. Les figures sont de la grandeur du fût de la colonne, et le monument dans son ensemble offre d’assez belles proportions. Au-dessus du dessin sont moulés en lettre onciales les mots IHC + XPC, et ceux-ci, qui sont probablement des inscriptions grecques mal rendues par notre architecte :AGLA (du côté de la Vierge), IOThE (du côté de saint Jean). Lisez :ΑΓΙΑ (ΜΗΤΗΡ) et ΙΩΑΝΝΗΣ.

4. Deux modèles de sièges en bois ou stalles (fol. 27 v.). — Voir une réduction de ces dessins. Il y a pour légende, entre les deux figures :Vesci une legière poupée d’uns estaus à j. entreclos à tote le clef ; « Voici une l »gère poupée d’une stalle à cloison avec la clef. » Cette courte explication offre bien de la difficulté. D’abord on ne sait auquel des deux modèles elle s’applique. Le morceau de sculpture signalé ci-dessus, p. 281, n’est rien autre chose que l’exécution en grand de la fig. 2, et nous avons vu qu’il avait pour légende :« Si vous voulez bien ouvrer à une bonne poupée pour une stalle, tenez-vous à celle-ci. » Poupée serait-il d’après cela la pièce de sculpture, c’est-à-dire le double enroulement faisant cloison sur les côtés de la stalle ?Mais le mot entreclos, semble plutôt convenir pour cet objet. D’ailleurs poupée, à en juger par les analogues de basse latinité, pulpa, polpa, polpedum, etc., qu’on trouve dans Du Cange, doit impliquer une forme renflée, comme serait celle du culot, sur lequel naissent les deux enroulements de la fig. 2. De cette façon la fig. 1 aurait aussi une poupée, savoir le chou de feuillage qui naît sur sa membrure extérieure. Dès lors, l’explication de Villard de Honnecourt convient mieux à cette fig. 1 qu’à l’autre, parce qu’elle seule présente un objet auquel puisse s’appliquer le terme de clef contenu dans la même explication. C’est la cheville qui adhère aux montants de derrière et qui rendait mobile le siège de la stalle. Aussi bien, legière poupée, d’après l’acceptation la plus fréquente de l’adjectif léger dans notre ancienne langue, signifie poupée facile à faire ; et cela qualifie bien le pommeau sculpté de la fig. 1, mis en opposition avec celui de la fig. 2.
5. Esconce ou lanterne à mettre les cierges (fol. 17 v.). — Voyez la fig. 3, qui reproduit le dessin de cet objet fréquemment cité dans les textes (Absconsa dans Du Cange). C’était, à proprement parler, un étui aéré dans lequel pouvait brûler un cierge. Légende :Vesci une esconce qui bone est à mones por lor candelles porter argans. Faire le poez se vous savés torner ; « Voici une esconce qui est bonne à moines pour porter leurs cierges allumés. Vous pouvez la faire si vous savez tourner. » Ainsi l’esconce se faisait au tour, et elle était surtout d’usage dans les couvents où les religieux avaient à traverser de nuit les cloîtres et les cours avec leurs cierges allumés.

6. Chaufferette à mains et siphon. — Ces ustensiles, qui faisaient aussi partie de l’ameublement religieux, ont été décrits au chapitre de la mécanique. Voyez ci-dessus, p. 251 et 253.