Notice sur Sabtai Datelo

Notice sur Sabtai Datelo, médecin, astronome et cabaliste du x.e siècle ; tirée d’un manuscrit hébreu de la Bibliothèque royale de Paris.

S’il est vrai, comme l’a dit un savant[1], que la vie des hommes de lettres est dans leurs ouvrages, leur histoire doit naturellement disparaître avec leurs productions. C'est en effet ce qui est arrivé à Sabtai Datelo. Célébré par les savans espagnols, français et allemands pendant plus de trois siècles, son nom se perdit avec ses livres dans les persécutions que les Israélites, ses co-religionnaires, essuyèrent pendant les siècles suivants. C'est en vain que les biographes les plus habiles ont cherché l’époque et le lieu de sa naissance, l’un et l’autre sont toujours restés ignorés. J'avoue que c’était une tâche assez pénible à remplir, et il m’aurait été également difficile et même presque impossible de fixer le temps de ce savant et d’en déterminer la patrie, si je n’avais fait une heureuse découverte dans un des manuscrits hébreux de la Bibliothèque royale de Paris[2], où j’ai trouvé le fragment d’un de ses ouvrages astronomiques intitulé ספר חבמוני Livre des Sages, déjà cité par Salomon ben Isaac, dit Raschy, dans son commentaire sur le Talmud de Babylone, traité עירובין, pag. 56, a.

Voici comment il raconte lui-même dans la préface les circonstances de sa vie :

אני שבתי בר אברהם המכּונה דטלו הרופא בעזרת אל חי לעד הנותן הכמה ותבונה ׃ בקשתי עשות ספרים הרבה ונתתי את לבי לדדוש ולתור בחכמא על אשר נרמו עונות והנלתה עיר אורים ארץ מולדתי על ידי חיל ישמעאלים בשני בשבת בשעת רביעית יום כדוכב מאדים בתשעח ימים לירח תמוז בשנת ערבעת אלפים ושש מאות ושמנים והמש לבריאת עולם בשנת אחר עשר למחזור רמז ונהרנו עשרה רבנים חכמים וצריקים וכרוניהם לברכה · אלו הן : רבי חסדאי בר חננאל הנדול הצדיק קרובינו פרוב לזקני הנקרא רבי יוסף · ורבי אמנון ורבי אוריאל רב שלי הצדיק זל ורבי מנחם ורבי חיים ורבי צדוק ורבי משה ורבי דוד ורבי ירמיהו ורבי אוריאל וזקנים חסידים ראשי הקהל ומנהיני הרורות ותמידים רבים זכרונם לברכה לחיי עולם הבא אמן ·

ואני שבתי נפרדתי בטרנטו מממון אבותי
בן שתים עשרה שנה והגלה את אבותי זל ואת קרובי פולתימו ובארץ אפריקי ואני נשארתי בארצות שתחת רומיים וגו ·

C’est-à-dire : « Moi Sabtai, fils d’Abraham, surnommé Datelo le médecin, par l’aide du Dieu vivant qui donne la science et la connaissance, j’ai toujours cherché à trouver des paroles agréables, et me suis avisé de faire plusieurs ouvrages. Toute mon application a été de chercher et de fureter dans la sagesse. Malheureusement et par nos péchés, il arriva que la ville d’Ourem[3], lieu de ma naissance, fut prise par l’armée des Ismaélites (Maures), le lundi à quatre heures, jour de la constellation de Mars, le 9 du mois Tamuz (juillet) l’an 4685 de la création du monde (925 de l’ère vulgaire), la 11.e année du cycle 247, dans laquelle furent massacrés dix des plus savans et des plus pieux rabbins, de glorieuse mémoire, dont voici les noms : Rabbi Chasdai, fils d’Hananel, notre grand et juste ami, parent de notre grand père, qui s’appelait Joseph, rabbi Amnon, rabbi Uriel, notre docte maître, rabbi Ménachem, rabbi Chija, rabbi Zadak, rabbi Moïse, rabbi David, rabbi Jérémie et rabbi Uriel, avec plusieurs vieillards chefs de la synagogue, et un grand nombre de disciples : que leurs mémoires soient en bénédiction ! Amen.

Et moi Sabtai, je me séparai du bien de mes pères ; et me réfugiai à Taranto[4], dès l’age de douze ans. Mes ancêtres et mes proches furent menés captifs à Polédimo (ou Polérimo)[5] et en Afrique, et moi je restai sur les terres de la domination des Romains, &c. »

On découvre aisément par cette préface que notre Sabtai Datelo vivait l’an 4685 de la création, 925 de l’ère vulgaire, et qu’il était âgé pour lors de douze ans. Il raconte ensuite dans la même préface qu’il a voyagé dans tous les endroits où il a cru qu’il trouverait des savans pour apprendre la médecine et l’astronomie ; qu’il trouva enfin à Babylone[6] un savant astronome et astrologue nommé Bagrat בגרט, qui lui enseigna ces sciences, et qu’il composa ensuite son פירוש על ברייתא דשמואל ou commentaire sur le Bâraitha de Samuel, chef de l’académie de Nahardea, dans le iii.e siècle, surnommé ירחנאה, le lunatique ou l’astronome. Cet ouvrage est également inédit : Joseph Kara nous en a conservé quelques fragmens dans son סירוש המקרא[7] commentaire sur l’Écriture Sainte ; Job, ix, 9, et xxvi, 7.

Un troisième ouvrage de notre écrivain, qui porte le titre de ספר המזלות Livre de l’astrologie, est cité par le même auteur, ibid., XXVI, 15. Mais outre ces trois ouvrages, notre Sabtai a fait encore d’autres livres ; l’un, qu’il a intitulé תבנית הבשכן Construction du Tabernacle, est un livre cabalistique dont Botriel nous a conservé des fragmens[8], et l’autre explique le ספר יצירח Livre de la Création, cité plusieurs fois par Éléazar de Garmiza, dans son commentaire sur le même ouvrage[9] et dont un fragment se trouve aussi dans la Bibliothèque royale[10]. J’ignore l’année de la mort de Sabtai Datelo.

  1. M. Duclos.
  2. Ancien fonds, n.o 263.
  3. Ville de Portugal dans l’Estramadoure, située au sommet d’une montagne, à 4 I. E. de Leira ; avec un château.
  4. Ancienne et forte ville de la province d’Otrante, dans le royaume de Naples.
  5. Ce nom, qui paraît avoir été altéré par les copistes, est, je crois, celui de la ville de Palerme, capitale de la Sicile, qui était alors au pouvoir des Arabes, et le séjour des émirs, qui gouvernaient l’île pour les Aglabites, qui résidaient en Afrique.
  6. Il veut sans doute parler de Bagdad.
  7. Manuscrits de la Bibliothèque royale, fond de la Sorbonne, n.o 139, et ancien fond, n.o 83.
  8. Voy. Moïse Botriel, commentaire sur le ספר יצירח Mantoue, 1562, in-4.o chap. 1, misna viii, pag. 43.
  9. Chap. i, p. 87 et chap. ix, p. 93, in-4.o édit. de Mantoue.
  10. Mss. hébreux, ancien fond, n.o 365.