Notice sur Marceline (O. C. Élisa Mercœur)

Œuvres complètes d’Élisa MercœurMadame Veuve Mercœur2 (p. 195-201).


NOTICE
SUR MARCELINE.


Élisa eut toujours une grande vénération pour le sublime dévouement des sœurs de charité ; aussi lorsqu’elle parlait de ces vierges hospitalières, elle disait que c’étaient des anges que Dieu faisait asseoir au chevet du moribond. Elle s’était persuadée que les vœux de ces saintes filles devaient être perpétuels ; elle n’apprit le contraire que lorsque mademoiselle Joséphine d’Abrantès reparut dans le monde.

Nous la rencontrions souvent dans les salons de sa mère. Sa présence leur prêtait un nouveau charme. Élisa se plaisait à l’entendre, à lire dans cette âme si épurée d’orgueil, si modeste dans sa supériorité, qu’on eût dit qu’elle devait plus de reconnaissance aux malheureux à qui elle avait prodigué ses soins, qu’ils ne lui en étaient eux-mêmes redevables. Oh ! combien elle regrettait de ne pouvoir reprendre ses charitables et pieuses occupations, et de s’être vue forcée, pour conserver la vie, de renoncer à la profession que son cœur avait choisie. Dix années de veilles et de fatigues passées dans les hôpitaux n’avaient pu manquer d’altérer sa santé naturellement délicate. Mademoiselle d’Abrantès se trompa long-temps sur le courage qui l’animait ; elle prenait la force de l’âme pour celle du corps ; mais quoique l’âme ne perdît rien de sa vigueur, il lui fallut cependant céder, car le corps devint faible.

Ce fut à peu près à l’époque dont je parle, que parurent et la Comtesse de Villequier, d’Élisa, et le Journal des jeunes Personnes. Le docteur Alibert, qui faisait un grand cas du talent de ma pauvre enfant, sachant par expérience que le nom que l’on redit le plus est celui que l’on oublie le moins, pensa qu’il serait bien que le nouveau Journal répétât celui de l’auteur de la Comtesse de Villequier. Deux fois, mais en vain, il avait écrit à Élisa pour l’engager à passer chez M. Duplessis [1], qui se trouverait fort heureux, lui disait-il, que mademoiselle Mercœur voulût bien contribuer au succès de son entreprise. Une troisième lettre suivit de près les deux autres : elle était grondeuse ; la voici :

« Que faites-vous donc, ma chère enfant ? pourquoi rester ainsi chez vous ? Comment ! Soumet vient de m’apprendre que vous n’êtes point encore allée chez M. Duplessis ! Mais à quoi pensez-vous donc ? Je ne vous comprends pas ; car enfin, vous devriez savoir, ma chère petite, que qui a besoin de feu en cherche. Je m’afflige réellement pour vous de voir que dans votre position vous négligiez ainsi les occasions de gagner de l’argent. »

« Non, me dit tristement Élisa ; non, je ne néglige pas les occasions de gagner de l’argent ; mais il me répugne, à moi, de colporter mes pensées chez un éditeur, comme le commis-marchand colporte chez le riche des ballots d’étoffes pour les étaler à ses yeux. Ah ! si M. Alibert pouvait sentir quelle douleur cause à l’âme l’amour-propre blessé, il me pardonnerait, j’en suis sûre ! Mais non, il ne connaîtra jamais une telle souffrance, lui qui, riche de fortune comme de talens et de réputation, se verra toujours prévenu. Tu conviendras pourtant, maman, que si M. Duplessis était bien désireux que je travaillasse pour son journal, il viendrait m’en prier lui-même ; ainsi, je n’irai point m’offrir. » Puis, réfléchissant que ce serait faire une sottise au bon M. Alibert qui lui donnait chaque jour de nouvelles preuves do l’intérêt qu’il lui portait, et qui ne la grondait que parce qu’il la voulait heureuse, elle me dit en me tendant la main : M. Alibert a raison, j’ai tort… oui… grand tort… Car, comme il le dit fort bien, qui a besoin de feu en cherche… Allons demain je me mettrai en campagne ; tu viendras avec moi, n’est-ce pas, maman ? ta présence me rendra forte, et puis je me dirai : c’est pour ma mère !

Je serais tentée de croire que Dieu fut touché de sa résignation, car au moment où nous nous disposions à aller chez M. Duplessis, il se présenta à la maison. Après nous avoir fait connaître le sujet de sa visite, il dit à Élisa combien il était important qu’un journal spécialement destiné à être lu par les jeunes personnes, ne contînt que des principes de la plus saine morale, et que, certain que la source où mademoiselle Mercœur avait puisé la Comtesse de Villequier ne devait point être tarie, il venait la prier, au nom de ses jeunes abonnées, de vouloir bien y puiser de nouveau.

— J’ai eu bien des fois la pensée d’écrire sur l’utilité des sœurs de charité, dit Élisa ; l’une d’elles [2] a souvent posé devant moi sans s’en douter ; et je crois pouvoir répondre de la ressemblance [3]. D’ailleurs, ajouta-t-elle, lorsque l’âme n’a pas d’imperfections à cacher, l’ensemble des perfections devient peu difficile à saisir.

Trois jours après, Marceline subissait l’examen sans lequel on ne pouvait être admis. Lorsque nous fûmes chez M. Duplessis pour savoir l’arrêt porté contre elle, il dit à Élisa en lui montrant un abbé qui lisait attentivement (c’était son fils) : Voilà votre juge, mademoiselle ; je puis vous assurer qu’il vous est on ne peut plus favorable. Maintenant, il me reste à compter les lignes pour vous en remettre le prix, et chaque fois que vous voudrez bien consacrer quelques-unes de vos belles pensées à nos jeunes lectrices, écrivez-moi, et je m’empresserai d’aller chercher le trésor que vous leur aurez destiné.

Élisa eut beaucoup à se louer de M. Duplessis ; il serait à désirer que tous les auteurs rencontrassent des éditeurs semblables.

Veuve Mercœur,
Née Adélaïde Aumand.
  1. C’est le nom du propriétaire du Journal des jeunes Personnes.
  2. Elle voulait parler de mademoiselle d’Abrantès.
  3. Élisa voulait dédier le portrait au modèle, mais elle fut obligée d’y renoncer ; on lui dit que le journal n’était pas assez volumineux pour admettre des dédicaces. En mettant après le titre : dédié à mademoiselle Joséphine d’Abrantès, j’ai satisfait à un des désirs de ma fille.