Notice nécrologique sur M. Minard, inspecteur général des ponts et chaussées, en retraite


N° 15


NOTICE NÉCROLOGIQUE


Sur M. Minard, inspecteur général des ponts et chaussées,
en retraite
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Par M. V. Chevallier, inspecteur général des ponts et chaussées.

Au milieu de nos désastres, que de vieillards n’ont pu résister aux angoisses du présent, aux menaces de l’avenir ! C’est ainsi que paraît avoir succombé, après plusieurs jours de maladie seulement et dans la plénitude de ses facultés intellectuelles, un éminent ingénieur qui allait atteindre quatre-vingt-dix ans et que la mort semblait avoir oublié. Sédentaire à Paris depuis vingt deux ans, M. Minard, redoutant le bombardement qu’il prévoyait, était parti pour Bordeaux le 11 septembre 1870, et au bout de six semaines il était emporté par un accès de fièvre.

Dans le cours de sa longue carrière d’ingénieur, il avait eu la bonne fortune de prendre part à presque toutes les grandes questions de travaux publics qui ont signalé notre siècle ; et pendant ses vingt années de retraite, toujours au courant des sciences techniques et économiques, il s’était appliqué à en vulgariser les résultats les plus saillants.

M. Charles-Joseph Minard était né à Dijon le 27 mars 1781 ; il assista donc aux derniers jours de l’ancien régime, et il en conservait un profond souvenir. Son père, greffier de la maréchaussée et receveur du collége de Dijon, chercha de bonne heure à développer en lui le goût des études pratiques. Il lui avait fait apprendre à quatre ans à lire et à écrire, et à six ans il le conduisait à un cours élémentaire d’anatomie professé par le docteur Chaussier et qui intéressait vivement l’enfant. Puis le jeune Minard fut envoyé au collége de Dijon, où, après avoir achevé de bonne heure sa quatrième, se sentant peu de penchant pour le latin et la littérature, il se livra avec ardeur à l’étude des sciences physiques et mathématiques et surtout de leurs applications ; et il aimait à raconter comment à treize ans, dans son zèle tout patriotique, il avait voulu extraire le salpêtre de la terre de sa cave, et avec quelle émotion il avait aperçu les premiers filaments du sel cristallisé.

C’est au collége de Dijon qu’il contracta avec deux de ses condisciples, MM. Désormes et Clément, une amitié très-vive qui ne fit qu’augmenter avec le temps. Les trois jeunes élèves se livraient pendant les heures de loisir à des entretiens philosophiques sur les connaissances humaines, et M. Minard a dû certainement à cet enseignement mutuel du premier âge le plein développement de son esprit éminemment observateur et pratique.

À quinze ans et demi, il était reçu à l’école Polytechnique, création encore récente à laquelle avaient contribué plusieurs de ses compatriotes, et il y trouva des études qui étaient en rapport avec ses goûts, et des professeurs, entr’autres Lagrange et Fourrier, qui firent sur lui une profonde impression. Il en sortit pour aller à l’École des ponts et chaussées.

Cette école se ressentait encore de sa première organisation, où elle devait former des élèves qui ne savaient en y entrant qu’un peu de calcul et de dessin.

Le corps des conducteurs, aujourd’hui si fortement constitué, ne prêtait aux ingénieurs qu’un concours très-restreint ; et les élèves, dans leurs missions annuelles, devaient presque exclusivement se familiariser avec les opérations de nivellement, les levers de plans et la pratique du calcul.

C’est ainsi que M. Minard dut d’abord coopérer aux nivellements relatifs au tracé du canal de Saint-Quentin.

Puis il commença les études du canal de Charleroi à Bruxelles ; et pour jauger les ruisseaux qui devaient alimenter le canal, il entreprit des expériences, qu’il a publiées plus tard, sur l’écoulement de l’eau par des orifices à mince paroi.

Ses études intelligentes avaient été si bien appréciées, qu’il fut chargé, comme ingénieur ordinaire, sous les ordres de l’inspecteur général Gauthey, de terminer à Paris le projet complet du canal de Charleroi, projet que le conseil des ponts et chaussées approuva en 1804, mais qui ne fut exécuté qu’en 1827 par le gouvernement Belge avec très-peu de changements.

C’est pendant son séjour à Paris qu’il connut Montgolfier aîné, ami de Désormes et de Clément, quoique bien plus âgé qu’eux ; tous quatre ils se réunissaient presque tous les dimanches, et M. Minard avait conservé une grande admiration pour l’esprit original et inventif de Montgolfier, pour sa conversation éminemment instructive, et pour son habileté à calculer de tête et à donner à toutes les idées théoriques des formes pratiques.

Envoyé provisoirement à Angers en 1805 pour un service d’arrondissement, il fut désigné en novembre 1806 pour le port militaire de Rochefort, où des sujets variés d’études et d’applications allaient compléter son éducation technique.

Déjà un de ses anciens camarades de l’École polytechnique, Hubert, nommé plus tard correspondant de l’Institut, résidait à Rochefort comme officier du génie maritime. Hubert faisait de la science pratique. C’était aussi la tendance de M. Minard ; et les mêmes goûts établirent entre eux de solides relations.

À peine arrivé, M. Minard, pressentant le rôle important que le fer allait jouer dans les grands travaux publics, voulut connaître à fond le travail de la forge, et il apprit dans les ateliers du port le métier de forgeron ; et longtemps après, inspecteur de l’École des ponts et chaussées, il demandait qu’on fît au moins connaître pratiquement aux élèves les opérations que subit le fer, en exécutant sous leurs yeux les principales manipulations de fonte, de forge et d’ajustage.

M. Minard, dans le port de Rochefort, put donner libre carrière à son activité : il y construisit les portes busquées des nouvelles formes, le magasin aux huiles, l’atelier de sculpture, et le magasin aux bordages avec charpente en bois et fer ; et chacune de ses études et de ses constructions portait le cachet de son esprit observateur et judicieux.

C’est pour le magasin aux bordages, en 1809, qu’il employa des forçats comme ouvriers avec autant de succès que d’économie, idée féconde qui plus tard à Toulon a reçu de M. Bernard les plus heureux développements.

Mais ses travaux étaient terminés, ses projets ajournés : et M. Minard sollicita de nouvelles occasions de déployer son activité.

En septembre 1810 il était envoyé, sous les ordres de l’ingénieur en chef Boitard, à Anvers d’abord, puis presque immédiatement à Flessingue. Dans ce dernier port, les Anglais venaient de détruire les bajoyers de l’écluse et les revêtements en bois du bassin à flot ; et il s’agissait de réparer le bassin et de donner à l’écluse plus de largeur et de profondeur pour qu’elle pût livrer passage aux plus grands vaisseaux de l’époque.

Un batardeau isola les travaux de la mer, mais il fallait épuiser l’écluse et le bassin. Les vis d’Archimède, même avec les perfectionnements qu’elles ont reçus en Hollande, eussent été trop lentes, trop encombrantes et trop coûteuses. M. Minard songea à employer des pompes mues par une machine à vapeur. Une première application de ce système avait été faite dans l’empire français aux travaux de Cherbourg, la seconde allait se faire dans l’île lointaine de Walcheren, et elle réussit parfaitement grâce aux ingénieuses dispositions que sut prendre M. Minard.

Tout en reconstruisant les quais du bassin, il s’occupait activement des modifications délicates et hardies que l’écluse allait subir.

Le radier avait été primitivement formé, suivant la pratique hollandaise, de pilotis noyés sur 2 mètres d’épaisseur dans une maçonnerie de briques, et recouverts d’un grillage général avec deux planchers. Un plancher fut supprimé ; une cunette fut réservée au milieu du haut radier pour laisser passer la quille d’un vaisseau de ligne, et les portes ne s’appuyèrent contre le busc que par une butée de 0m.15 ; on gagna ainsi 1m.19 de profondeur. Enfin les bajoyers reconstruits en retraite sur leur première position donnèrent à l’écluse 17m.54 de largeur sur toute la hauteur, tandis que précédemment cette largeur était de 14m.51 dans le bas, de 16m.13 dans le haut.

L’écluse ainsi refaite fut livrée en 1812 à la navigation et remise en 1815 au gouvernement Hollandais ; après deux fortes réparations au radier, en 1834 et 1841, elle fonctionna jusqu’en 1847. Mais à cette dernière époque on s’aperçut que le radier se soulevait sous la pression de l’eau ; les dragues à main employées à dévaser le plancher avaient arraché le mailletage et permis l’invasion des vers tarets. Le radier fut alors reconstruit en maçonnerie sous la forme bien connue d’une voûte renversée, mais avec une perte de plus de 0m.20 sur la profondeur primitive.

Toujours est-il que les travaux exécutés par M. Minard si habilement et si rapidement, dans des circonstances très-difficiles, ont largement contribué pendant trente cinq ans à agrandir le rôle du port militaire de Flessingue.

Ces travaux toutefois, M. Minard ne put les achever complètement ; de violents accès de fièvre le forcèrent de quitter Flessingue ; il y laissa le projet du grand magasin qui reçoit les agrès des vaisseaux désarmés.

Au commencement de 1813, après quelques mois de repos, il fut envoyé à Anvers, où il commença une forme destinée aux vaisseaux de guerre ; en même temps il était promu à la 1re classe de son grade.

La fondation de cette forme le mit en prise avec de graves difficultés, et il a raconté dans les Annales des ponts et chaussées comment, malgré une surveillance incessante, les fouilles furent un jour inopinément envahies par une grande irruption de sable et d’eau. Cependant les principales difficultés avaient été heureusement surmontées ; et les maçonneries intérieures s’élevaient jusqu’à la deuxième banquette. Mais après 1815 le gouvernement des Pays-Bas, sans doute à l’instigation de l’Angleterre, combla tous les travaux, et c’est sur leur emplacement que s’élève un des bâtiments de l’entrepôt.

Enfermé dans la ville d’Anvers assiégée, M. Minard a toujours conservé une vive impression de quelques épisodes sanglants du bombardement, et ce sont ces souvenirs qui l’ont fait quitter Paris l’an dernier à l’approche des Prussiens.

Quand Anvers fut évacué, M. Minard fut rendu au service des ponts et chaussées : et se trouvant sans destination, il employa ses loisirs forcés à faire, avec son ami Désormes, des expériences en grand sur la résistance à l’extension du bois, du fer, de la fonte, de l’acier, du cuivre rouge, du métal de canon, etc. Les principaux résultats en ont été consignés par Navier dans ses leçons sur la résistance des matériaux (2e édition), et par Poncelet dans son introduction à la mécanique industrielle.

Comme aujourd’hui, la guerre avait détruit beaucoup de ponts : M. Minard fut chargé en janvier 1815 de rétablir les communications à Trilport ; et sous les ordres de l’ingénieur en chef Eustache, il jeta lestement sur la Marne un pont provisoire en charpente, qui fut ensuite remplacé par un pont en maçonnerie.

Appelé au service municipal de Paris à la fin de 1815, il s’y appliqua avec zèle ; il voulut notamment améliorer l’approvisionnement du pavage, et il dressa un projet complet de canal et de chemin de fer pour amener à Paris les pavés de la vallée de l’Yvette et les eaux de cette petite rivière. Ce remarquable projet, fruit de longues recherches et de sérieuses méditations, que M. Minard fit imprimer en 1826, avait été approuvé par le conseil des ponts et chaussées le 10 septembre 1822 ; mais les finances obérées de la ville ne permirent pas de le mettre à exécution.

C’est pendant ce séjour à Paris, en 1821, que dans un mémoire imprimé il réfuta une théorie publiée par un savant ingénieur en chef, lequel croyait avoir trouvé un moyen nouveau de diminuer la quantité d’eau que les bateaux dépensent au passage des écluses, et prétendait de plus que, par une certaine combinaison de la hauteur de leur chute avec le tirant des bateaux, on peut rendre cette dépense nulle et même faire remonter l’eau dans les biefs.

M. Minard, que les travaux attiraient et dont les excellents services avaient fixé l’attention de l’administration, fut envoyé en septembre 1822 à Chalons-sur-Saône, comme ingénieur en chef du canal du Centre.

Il venait d’épouser la deuxième fille de M. Désormes dont la fille aînée avait épousé M. Clément, et aux liens de l’amitié s’ajoutèrent les liens de la famille.

Au canal du Centre, il fit de nombreux et importants étanchements, divers aqueducs et 59 paires de portes d’écluses.

Le canal perdait beaucoup, surtout à Vertempierre ; il proposa, pour l’étancher, des maçonneries et des chapes en mortier hydraulique qui réussirent parfaitement et ont été imitées depuis dans plusieurs autres canaux. Les chapes surtout, recouvertes de terre, ont été généralement adoptées, parce qu’elles sont économiques et durables et qu’elles ne modifient pas le profil du canal.

Au milieu de ces délicates opérations un coup terrible vint le frapper ; un fils qui entrait dans sa deuxième année lui fut enlevé en quelques heures par une de ces maladies impitoyables qui déciment les enfants.

Grâce à la bienveillance paternelle de l’administration, qui voulut faire diversion à sa douleur, M. Minard fut envoyé sur le canal de Saint-Quentin où, comme au canal du Centre, des pertes considérables rendaient la navigation intermittente ; et les mêmes procédés eurent les mêmes succès.

Le canal de Saint-Quentin reçut entre ses mains d’autres améliorations importantes ; M. Minard y construisit de nombreux ouvrages d’art, et il acheva la rigole du Noirieux qui a un souterrain de 10 kilomètres, des voûtes sur 5 kilomètres, et qui dût être étanchée sur 2 kilomètres.

Tous les travaux de parachèvement furent exécutés pour le compte des concessionnaires du canal, MM. Honoré frères, qui s’étaient naturellement adressés pour terminer les travaux à l’ingénieur qui les avait si habilement commencés : et l’administration, après avoir nommé M. Minard ingénieur en chef de première classe, l’avait autorisé en juin 1827 à prendre un congé.

Cette mission brillamment accomplie, il demanda à rentrer au service de l’État, et le 1er novembre 1830 il était nommé inspecteur de l’école des ponts et chaussées dont Prony était depuis bien longtemps le directeur ; peu de temps après il recevait la croix de la Légion d’Honneur.

Les vieux cours, insuffisants, avaient été rajeunis par d’habiles professeurs, Brisson, Navier, Coriolis, Duleau, Dufrénoy, etc. ; et, en 1832, Duleau qui professait tous les cours de construction ayant été emporté par le choléra, Bernard fut chargé des routes et ponts et des travaux maritimes, et Minard de la navigation intérieure.

De plus, M. Minard, pour combler une lacune de l’enseignement, dut donner aux élèves des notions sur les chemins de fer.

Pour les canaux et les rivières, il avait recueilli, soit dans les leçons de ses prédécesseurs, soit dans les souvenirs de sa propre expérience, tous les éléments d’un cours très-intéressant et essentiellement pratique.

Pour les chemins de fer, il ne trouvait en France que des documents très-imparfaits, et les chemins en quelque sorte ébauchés de Saint-Étienne, de Roanne et quelques autres : il alla en Angleterre, à ses frais, rechercher les renseignements qui lui faisaient défaut. Il visita tous les chemins de fer qui étaient alors en activité ou en construction, non-seulement ceux qui depuis longtemps desservaient les houillères, mais surtout ceux qui venaient d’être livrés à la circulation des voyageurs et des marchandises, et particulièrement le chemin de Liverpool à Manchester où Robert Stephenson, dans un concours célèbre, avait si brillamment inauguré le règne de la locomotive.

De tous ces documents méthodiquement classés et analysés, il fit le sujet de leçons très-substantielles, où près de vingt ans plus tard un de ses successeurs dans le professorat, M. Maniel, déclarait avoir trouvé un précieux canevas. Du reste ses leçons, d’abord autographiées pour ses élèves, furent imprimées, puis presque immédiatement traduites en allemand, après avoir eu en Belgique, au moment même de leur apparition, les honneurs de la contrefaçon.

Outre ce voyage en Angleterre, M. Minard en accomplit encore cinq autres, pareillement à ses frais, en France et à l’étranger, pendant les vacances successives de l’école, recueillant des documents non-seulement pour le cours de chemins de fer, mais encore pour le cours de navigation intérieure qu’il continuait de professer, et pour le cours de travaux maritimes qu’il professa plus tard.

Ces deux cours importants furent imprimés en 1841 et 1846 ; et, comme le cours de chemins de fer, ils parurent presque simultanément à Bruxelles en contrefaçon.

Si ce dernier écrit, qui date du vrai début des chemins de fer, ne peut être considéré que comme une ébauche, les deux autres au contraire exposent des principes nettement établis, ainsi que des exemples qui, pour être quelquefois peu nombreux, n’en sont pas moins parfaitement analysés et discutés ; et plus d’un chapitre conserve encore tout l’intérêt de l’actualité.

Mais les doubles fonctions de professeur et d’inspecteur de l’école devenaient trop lourdes pour M. Minard, et dès 1835 il demanda à abandonner les dernières et à se livrer exclusivement aux cours de navigation et de chemins de fer, qui exigeaient constamment de laborieuses recherches pour embrasser tous les faits nouveaux.

Ce n’est qu’en 1836 que l’administration fit droit à sa demande, tout en lui donnant de plus le cours de travaux maritimes que Bernard avait été obligé d’abandonner.

En 1839, elle voulut utiliser plus complètement ses études approfondies et sa grande expérience ; et elle le nomma inspecteur divisionnaire. Mais elle lui fit continuer ses leçons si bien appréciées ; et ce ne fut que sur ses insistantes demandes qu’il obtint enfin en 1842 de résigner ses fatigantes fonctions de professeur, qu’il avait exercées avec tant de succès pendant dix années.

Presque en même temps qu’il était nommé inspecteur, il recevait la croix d’officier de la Légion d’honneur.

Au Conseil général des ponts et chaussées une nouvelle carrière s’ouvrait devant lui.

C’était l’époque où il s’agissait de déterminer en France les grandes artères de chemins de fer. Limites des déclivités, limites des rayons des courbes, conditions techniques et commerciales des tracés, tout était à fixer.

Grâce aux perfectionnements successifs des locomotives, on a pu augmenter les limites supérieures des déclivités ; diminuer les limites inférieures des rayons des courbes.

Mais les vraies conditions d’intérêt général qui doivent présider à un tracé sont restées les mêmes, et si elles ont été d’abord fortement controversées, on peut dire qu’elles se sont affirmées de plus en plus.

Dans deux mémoires très-remarquables publiés en 1842 et 1843, M. Minard montra combien il importait pour l’exploitation fructueuse des grandes lignes de songer moins aux stations extrêmes qu’aux populations intermédiaires.

Il posa en principe que les voyageurs des grandes distances ne suffiraient pas généralement à couvrir les dépenses, qu’il fallait songer surtout aux petites distances où les voyageurs bien plus nombreux sont finalement plus productifs ; et que par conséquent les tracés devaient tendre à desservir le mieux possible les localités intermédiaires, même au prix d’un certain allongement de parcours. Il appuya par tous les exemples connus alors la très-grande importance de ce qu’il appelle le parcours partiel ; en 1846, il arrivait aux mêmes conclusions en comparant la circulation internationale entre la Belgique et la Prusse avec la circulation locale dans chaque pays ; et tous les faits subséquents n’ont fait que confirmer la justesse de ses appréciations.

Je l’ai entendu maintes fois regretter de n’avoir pas pu faire prévaloir son opinion dans certains tracés qui du reste n’avaient été adoptés qu’à une faible majorité ; et comme Dijonnais il se plaignait surtout que le chemin de fer de Bourgogne ne desservit pas mieux les riches vignobles de la Côte-d’Or.

Il fut chargé d’abord pendant deux ans et demi de la neuvième inspection qui comprenait la Haute-Garonne, cinq départements voisins, le canal du Midi et quelques ports de la Méditerranée.

M. Minard avait eu depuis sa plus tendre enfance une santé frêle et délicate, qui ne se soutint que par une vie sobre et régulière, et qui résista ainsi aux attaques du temps. En 1822 il avait eu un muscle lésé à la jambe droite, en 1826 une foulure à la même jambe ; ces accidents compliqués de rhumatismes de plus en plus intenses lui interdirent les longues marches, et les courses qu’il pouvait faire à pied ont été toujours en diminuant.

Les tournées lointaines du midi, surtout à cette époque, étaient trop fatigantes pour lui ; aussi malgré l’intérêt que lui présentaient certains travaux de la neuvième inspection, il accepta avec empressement en mai 1841, la quinzième inspection, bien moins éloignée de Paris, d’un parcours moins pénible, et qui comprenait cinq départements seulement, la Loire de Roanne à Orléans, l’Allier et les canaux du Berri, du Nivernais et du Centre : toutefois, en 1844 et 1845, il obtint en raison de sa santé plus délabrée d’être dispensé de faire ses tournées. Mais si les forces corporelles lui faisaient défaut, les facultés intellectuelles, développées et mûries par l’âge, conservaient toute leur vigueur ; et en 1846, le ministre des travaux publics, M. Dumon, et le sous-secrétaire d’État, M. Legrand, qui avaient pu apprécier M. Minard, proposèrent au roi Louis-Philippe de porter de six à sept le nombre des inspecteurs généraux, formant la partie permanente du conseil des ponts et chaussées, et de prendre pour nouveau membre un ingénieur versé à la fois dans les deux grandes questions du jour (les ports maritimes et les chemins de fer), déclarant que le choix devait alors se porter naturellement sur M. Minard.

Les termes du rapport au roi sont trop flatteurs pour ne pas être cités textuellement.

« M. Minard, était-il dit, est sans contestation le membre du conseil qui a le plus approfondi, soit comme ingénieur, soit comme professeur à l’École des ponts et chaussées, la théorie et la pratique des travaux à la mer. Aucun membre ne s’est occupé avec plus d’intérêt des problèmes des chemins de fer au point de vue de l’économie politique. Ses écrits sur ces deux branches de connaissances jouissent d’une réputation méritée. »

C’est dans ces conditions si honorables que M. Minard devint membre permanent du conseil des ponts et chaussées où, comme inspecteur divisionnaire, il ne siégeait qu’une partie de chaque année ; et il allait dorénavant prendre part à la discussion de toutes les questions importantes.

De vastes projets étaient déjà passés sous ses yeux, d’autres allaient encore occuper les délibérations du conseil.

C’est ainsi que comme membre temporaire ou permanent il a eu à examiner et à discuter tous les grands tracés de chemins de fer, tous les projets de nos principaux ports de l’Océan et de la Méditerranée, et toutes les améliorations proposées pour nos rivières maritimes ; et à toutes ces questions si graves, il fournit le tribut de son expérience et de ses lumières.

Dans la plupart des grandes discussions techniques, M. Minard avait vu combien il importait pour une bonne solution de faire intervenir les saines notions de l’économie politique. En 1831, pendant son passage à l’École des ponts et chaussées, il avait proposé la création d’une chaire pour l’enseignement de cette science, et il s’était demandé alors comment celui qui serait chargé de ce cours devrait en faire l’application aux travaux publics. Depuis longtemps il avait médité et discuté ces matières, il avait lu les principaux économistes, et en 1831 il rédigea les notions qui lui semblaient indispensables aux ingénieurs. Il soumit alors son mémoire au célèbre Jean-Baptiste Say, qui lui écrivit une lettre flatteuse : mais il ne le publia pas, se bornant à faire à l’occasion l’application de ses idées. Enfin en 1850, de plus en plus pénétré des principes qui le guidaient, il se décida à faire insérer dans les Annales des ponts et chaussées ses notions élémentaires d’économie politique appliquée aux travaux publics ; et ce mémoire à la fois concis et substantiel lui valut de nombreuses félicitations.

Si l’on songe aux travaux difficiles exécutés par M. Minard dans les ports militaires et sur les canaux, aux services importants qu’il a rendus comme professeur et comme membre du conseil des ponts et chaussées, son avancement paraîtra peut-être un peu lent pour l’époque où il vivait. C’est que M. Minard ne savait pas se faire valoir, et c’est seulement vers la fin de sa carrière, quand de nombreux et brillants services réclamaient hautement pour lui, que de justes récompenses sont venues l’atteindre. Je viens de dire comment en 1846 une nouvelle place d’inspecteur général avait été créée pour lui ; et en 1849 il recevait dans la Légion d’honneur le cordon de commandeur.

Mais un décret de 1848 avait fixé à soixante-dix ans, pour les inspecteurs généraux, la limite de leur carrière active, et le 27 mars 1851, M. Minard, pendant qu’il dînait en famille, reçut sans émotion le décret qui le mettait à la retraite à dater du même jour.

Seulement il fut maintenu comme membre de la commission des Annales des ponts et chaussées, commission dont il faisait partie depuis la fondation de ce recueil en 1831.

Ceux qui le connaissaient et savaient l’apprécier, regrettèrent certainement son départ au moment où, dans toute la maturité de son expérience et de son jugement, il pouvait encore apporter à la discussion des affaires importantes un concours si actif et si éclairé. Ses collègues se rappelaient que trois jours avant sa retraite, il combattait, avec une lucidité parfaite et une grande autorité, le prolongement immédiat des digues de la basse Seine en aval de Quillebeuf.

La règle de la limite d’âge, aveugle et impitoyable comme la mort, venait de retrancher brusquement du corps des ponts et chaussées un de ses membres les plus éminents.

Cependant pour M. Minard la retraite, bien loin de ressembler à la mort, fut comme une seconde existence, et cette dernière période de sa vie n’a pas été la moins remplie.

Heureux de sa liberté, il allait pouvoir désormais se livrer exclusivement à certaines études projetées ou commencées depuis longtemps, et toujours interrompues ou contrariées par les devoirs de son service.

Une fois cependant, cédant à des amis qu’il avait à l’Académie des sciences, il abandonna sa vie si tranquille et si bien occupée pour aller solliciter de nouveau le titre d’académicien libre ; car déjà en 1850 il avait échoué, et quoique porté le premier sur la liste de présentation, il n’avait eu que douze voix.

En 1852, il se présenta encore et subit un nouvel échec. Il renonça alors à toute autre tentative, regrettant les fatigues de ses démarches, mais satisfait d’avoir vu de près les savants de notre époque ; et dorénavant il ne quitta plus sa vie indépendante et les études de son choix.

Toutefois, il ne se contenta pas de jouir en avare des connaissances variées qu’il avait acquises et qu’il augmentait encore.

Avant sa retraite, il avait publié ses traités de construction, ses mémoires si remarqués sur le parcours partiel et quelques notices techniques insérées dans nos Annales. Après sa retraite, il a fait paraître une longue série de recherches aussi intéressantes que variées, que la mort seule a interrompues.

Parmi ses études de prédilection, je citerai surtout ses cartes figuratives et ses tableaux graphiques, dont il a vulgarisé l’emploi, et auxquels il attachait une importance bien méritée ; car aux colonnes arides et compliquées des résultats statistiques, dont l’analyse et la discussion exigent toujours une grande tension d’esprit, il a substitué des images mathématiquement proportionnées, que le premier coup d’œil embrasse et saisit sans fatigue, et qui manifestent immédiatement des conséquences naturelles ou des rapprochements inattendus.

Pleinement convaincu de l’utilité de ces applications, il en a revendiqué avec une certaine fierté la conception originale dans deux brochures, l’une de 1865 sur les tableaux graphiques et les cartes figuratives, l’autre de 1869 sur la statistique.

Depuis son premier tableau graphique de 1844 et sa première carte figurative de 1845, que de sujets variés il a traités ainsi !

Circulation des voyageurs sur les routes et les chemins de fer. — Circulation des marchandises en général, et en particulier des houilles, des céréales et des vins sur les voies d’eau et de fer. — Tonnages des ports de mer de France, d’Europe et du globe. — Consommation des viandes de boucherie à Paris. — Marchandises passant en transit par la France. — Importation du coton brut en Europe, avant, pendant et après la guerre de la sécession aux États-Unis, etc.

Il y a une dizaine d’années, on pouvait voir à l’exposition de peinture le portrait en pied du ministre des travaux publics dans son cabinet, et près de lui étaient représentées les cartes figuratives de M. Minard relatives au commerce de la France.

Grâce en effet aux divers ministres des travaux publics, ainsi qu’à M. de Franqueville, directeur général des ponts et chaussées et des chemins de fer, M. Minard a toujours reçu de l’administration de puissants encouragements pour ses cartes éminemment utiles.

Il a su encore appliquer ce mode de représentation graphique à des questions entièrement différentes, qui se présentent alors sous un point de vue tout original, par exemple :

Recherche du meilleur emplacement pour l’administration centrale des postes à Paris. — Densité des populations dans les diverses provinces d’Espagne (chaque province est couverte de hachures parallèles dont l’espacement est proportionnel à la population). — Diffusion des langues primitives dans l’ancien monde, d’après M. Alfred Maury. — Comparaison de deux campagnes, l’une de Charlemagne en 791, l’autre de Napoléon Ier en 1805, d’après M. Amédée Thierry.

Enfin, dans une de ses dernières cartes, à la fin de 1869, comme par un pressentiment des épouvantables catastrophes qui allaient bouleverser la France, il faisait ressortir les pertes d’hommes qu’avaient causées deux grands capitaines, Annibal et Napoléon Ier, l’un dans son expédition à travers l’Espagne, la Gaule et l’Italie, l’autre dans la fatale campagne de Russie. Les armées dans leur marche sont représentées comme des courants qui, larges d’abord, vont successivement en s’amincissant. L’armée d’Annibal se réduit ainsi de 96 000 hommes à 26 000, et notre grande armée de 422 000 combattants à 10 000 seulement. L’aspect en est saisissant ; et, surtout aujourd’hui, il inspire d’amères réflexions sur ce que coûtent à l’humanité les folies des conquérants et la soif impitoyable de la gloire militaire.

Quelques cartes ont été accompagnées de textes explicatifs séparés : telles sont ses cartes, 1o du mouvement dés céréales en 1853 et 1857, 2o de la production de la houille en Europe et de l’exportation de la houille anglaise, 3o de la circulation des voyageurs sur les chemins de fer d’Europe.

De même, en août 1867, il discutait dans une brochure les tableaux graphiques où il a représenté les résultats principaux du libre échange entre la France et l’Angleterre, et, libre échangiste, il a été heureux de faire ressortir les avantages recueillis par les deux pays.

M. Minard a encore cherché dans des mémoires spéciaux à approfondir plusieurs questions techniques dont il sentait toute l’importance.

La décomposition de certains mortiers hydrauliques par l’eau de mer fait l’objet de plusieurs articles publiés séparément ou dans les Annales des ponts et chaussées. M. Minard combat les essais de laboratoire proposés par Vicat, en insistant sur l’impossibilité de condenser l’action du temps et de réunir dans une cuve toutes les circonstances naturelles ; il ne reconnaît pour sanctionner de nouveaux produits que de longues expériences en mer libre, et c’est encore aujourd’hui la seule voie certaine.

En 1856, deux notes de la chronique des Annales appelaient l’attention des ingénieurs sur les affouillements qui s’étaient produits dans les crues récentes en amont des ponts et qui en avaient entraîné la ruine. M. Minard, dans un mémoire publié à la même époque, rappela qu’il avait signalé ce fait en 1841 dans son Cours de navigation intérieure ; il cita, comme ayant nettement professé la même doctrine avant lui, Smeaton en 1778, Mercadier en 1788. Puis, par de nombreux exemples que confirment les faits nouveaux, il prouve que la chute prochaine et immédiate des ponts dans les crues est due aux affouillements qui se produisent alors en amont des piles et quelquefois des culées.

La baie de Seine a été aussi le sujet de plusieurs mémoires. Il examinait en février 1856 l’avenir nautique du Havre, et en avril 1859 l’influence que pourrait avoir sur ce port l’endiguement de la Seine jusqu’à Honfleur. Enfin, en novembre 1864, en traitant la question des embouchures des rivières navigables, il joignait à de nouvelles études sur la Seine l’histoire des travaux faits aux embouchures du Rhône et de l’Adour.

En décembre 1869, il publiait ses recherches sur les grandes constructions de quelques anciens peuples, recherches où il a développé autant de patience que d’érudition. Après avoir décrit ces grands ouvrages au point de vue technique, il les considère au point de vue philosophique, ne voyant dans les pyramides de l’Égypte et du Mexique, ou dans les immenses murs de Babylone, que l’orgueil fastueux et l’égoïsme inhumain de leurs fondateurs, mais admirant les longues routes construites au Pérou sous l’administration paternelle des Incas, et surtout, en raison de son utilité publique, la gigantesque muraille de la Chine qui a si longtemps protégé ce vaste empire contre l’invasion des Tartares.

Enfin il laisse deux mémoires auxquels il mettait la dernière main.

L’un, relatif aux études actuelles de la jeunesse, contient des idées de réforme que nos derniers malheurs justifient pleinement.

L’autre expose l’histoire très-intéressante et très-instructive du canal de Saint-Quentin, où il a fait ses premiers et ses derniers travaux.

Pendant sa retraite, mettant à profit la souplesse de son esprit et l’étendue de ses connaissances, il a su charmer par des occupations variées les loisirs qu’il se donnait.

Tant que ses forces le lui permirent, il alla exploiter les richesses de nos bibliothèques, et il suivit avec autant d’assiduité que d’intérêt certains cours publics, notamment ceux de paléontologie et de physiologie.

Il lisait ardemment ou se faisait lire les publications les plus importantes relatives à notre histoire contemporaine, annotant certains passages pour les rectifier ou les modifier ; car depuis la première république il s’était successivement trouvé en relations avec plusieurs personnages importants, et sa puissante mémoire lui rappelait une foule d’anecdotes intéressantes qu’il racontait avec autant d’esprit que d’à-propos.

Ce n’est pas tout : tantôt il écrivait les souvenirs de sa jeunesse, tantôt il s’occupait de métaphysique et de philosophie ; tantôt enfin il rédigeait ses idées sur la musique et les musiciens de son temps, se consolant ainsi, lui qui avait toujours cultivé la musique avec passion, d’être forcé par les infirmités de l’âge de renoncer à cette jouissance.

M. Minard écrivait sans prétention, ne songeant qu’à réunir la concision et la clarté, et se souciant peu de quelques négligences de style pourvu que sa pensée fût nettement exprimée.

Comme professeur, il avait les mêmes qualités et savait s’emparer de l’attention de ses auditeurs. Les élèves qu’il a formés pendant ses dix années de professorat se rappellent certainement ses leçons excellentes et substantielles et ses efforts incessants pour maintenir ses cours au niveau de la science.

M. Minard, d’un sens très-droit, d’une ténacité insurmontable pour toute opinion qui lui paraissait juste, n’a jamais transigé avec ses convictions, ne cherchant dans les discussions importantes, notamment pour les tracés de nos grandes lignes de fer, que ce qu’il croyait être l’intérêt général, sans se préoccuper de froisser quelques intérêts particuliers.

Si cette rigidité de principes et cette inflexibilité de caractère ont excité contre lui quelques animosités dont il n’a pu que s’honorer, il a su, par ses solides qualités, se faire et se conserver de vrais amis ; plusieurs dataient de son enfance et de sa jeunesse, et il a eu la douleur de les voir successivement disparaître.

Dans ses dernières années, les infirmités corporelles augmentaient ; il se déplaçait de plus en plus difficilement, mais il travaillait toujours avec la même ardeur. Il recevait volontiers ceux qui venaient le voir, et il les retenait par le charme de sa conversation. Sa mémoire étonnante, son intelligence toujours aussi vive, ses habitudes régulières, sa vie sobre, les soins dont sa famille l’entourait, tout éloignait l’idée d’une fin prochaine. Mais devant les progrès de l’armée prussienne son imagination s’exalta ; et après quelques hésitations il se décida subitement, le dimanche 11 septembre 1870, à quitter Paris, ses livres, ses papiers, ses richesses intellectuelles et le cabinet de travail qu’il occupait depuis vingt-cinq ans. S’appuyant sur des béquilles, au milieu de cette foule de femmes, d’enfants et de vieillards qui fuyaient comme lui, il partit pour Bordeaux avec une partie de sa famille, n’emportant qu’un léger bagage et quelques études commencées. Il supporta très-bien les fatigues d’un voyage de nuit, et à peine installé à Bordeaux, sans autres ressources que sa mémoire, il se remit au travail ; mais six semaines après son arrivée, aussi fortement effrayé du présent que de l’avenir, il était pris pendant trois jours d’une fièvre irrésistible, et le 24 octobre il rendait l’âme, plein de reconnaissance envers Dieu, suivant ses expressions, pour la portion de bonheur qui lui avait été départie sur cette terre.

Sa compagne dévouée, un de ses gendres et sa plus jeune fille ont eu la triste consolation d’adoucir l’amertume de ses derniers moments. Son autre fille et son autre gendre (l’auteur de cette notice), enfermés dans Paris pendant le siège, n’ont connu qu’après l’armistice la perte cruelle qu’ils avaient faite trois mois avant.

N’ayant pu rendre à M. Minard les derniers devoirs, j’ai voulu du moins être l’historien fidèle et impartial d’une vie si exemplaire et si bien remplie. Puissé-je avoir fait pleinement connaître l’homme droit et juste qui laisse des regrets ineffaçables à sa famille et à ses amis, le savant infatigable qui a consacré sa longue existence à se rendre utile, et l’ingénieur éminent qui a contribué à illustrer le corps des ponts et chaussées !