Notice historique sur les ouvrages et la vie de Cuvier


NOTICE

HISTORIQUE

SUR LES OUVRAGES ET LA VIE

DE

M. LE B.ON CUVIER,

PAR G.L. DUVERNOY, D. M. P.

CHEVALIER DE L’ORDRE ROYAL DE LA LÉGION D’HONNEUR, DOYEN DE LA FACULTÉ DES SCIENCES DE L’ACADÉMIE DE STRASBOURG, PROFESSEUR D’HISTOIRE NATURELLE À CETTE FACULTÉ ET PROFESSEUR AGRÉGÉ À CELLE DE MÉDECINE, CORRESPONDANT DE L’ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES DE L’INSTITUT DE FRANCE, ETC.


M. Cuvier était un de ces hommes qui n’apparaissent que de
loin en loin, et qui font époque dans le siècle où ils vivent.
(Rapport de M. le B.on Thénard, à la Chambre
des Pairs. Moniteur du 21 Avril 1833.)




PARIS,

Chez F. G. LEVRAULT, rue de la Harpe, n.° 81 ;

STRASBOURG, même maison, rue des Juifs, n.° 33.

1833




AVERTISSEMENT.






LA Notice suivante a été lue les 15 et 16 Novembre 1832, comme introduction au cours de zoologie que l’auteur fait à la Faculté des sciences de l’Académie de Strasbourg.

Cette circonstance explique à la fois le plan qu’il a adopté et la forme qu’il lui a donnée. On la jugera peut-être trop étendue pour un Discours et pas assez détaillée pour une Notice sur un homme d’une aussi grande illustration.

L’auteur a cherché à suppléer à ce dernier défaut par des notes, dans lesquelles les lecteurs aimeront à trouver, il l’espère du moins, quelques détails qui n’ont pu entrer dans le texte, sur les principales circonstances de la vie de M. Cuvier et sur ses publications.

Le Conseil municipal de Montbéliard, ville natale de M. Cuvier, ayant décidé qu’il y serait élevé, par souscription, un monument à sa mémoire, l’auteur de cette Notice a conçu le projet d’y contribuer en la publiant au profit de ce monument.

Oserait-il se flatter que le sentiment qui lui a inspiré cette pensée, obtiendra quelque indulgence, si dans l’exécution de cet opuscule, il était resté au-dessous du sujet que sa position actuelle, ses anciennes relations avec M. Cuvier, l’inviolable attachement qu’il lui a voué pendant sa vie, et qu’il conserve à sa mémoire, lui ont fait un devoir de traiter ?















MESSIEURS,


Déjà plusieurs fois, en commençant mes enseignemens, je me suis plu à vous raconter les progrès récens de l’histoire naturelle, à vous entretenir de l’émulation qui se manifeste journellement parmi les savans, pour en reculer les limites, à vous énumérer la quantité de plus en plus surprenante d’êtres inconnus, que leurs recherches découvrent dans toutes les parties du monde. Vous paraissiez écouter mes récits avec quelque intérêt et partager l’extrême satisfaction que donnent à l’homme avide d’instruction, ces conquêtes sur la nature, qui lui en révèlent à la fois la fécondité et l’harmonie.

Aujourd’hui je viens, le cœur plein d’affliction, vous parler d’une perte immense que la France, que le monde savant déplorent : Cuvier n’est plus ! Le législateur de la science, celui, qui en régularisait tous les progrès ; celui, auquel elle était redevable de ses plus belles conquêtes ; celui, qui en interprétait les lois avec tant de génie, a cessé de prononcer ses oracles. Je n’aurai plus le bonheur de vous les transmettre, après les avoir entendus de sa bouche d’or. Je ne pourrai plus vous dire de sa part ses plus intimes pensées, ses jugemens à la fois si justes et si impartiaux sur les travaux des naturalistes ; soit qu’ayant vécu dans des temps plus ou moins éloignés, ils aient trouvé dans leur historien l’interprète fidèle de la postérité ; soit qu’étant ses contemporains, ils aient redoublé d’efforts pour tenter, mais vainement, de marcher d’un pas égal, par une autre route, vers le même but que ce géant de la science ; soit qu’ils aient suivi la direction qu’il leur traçait, comme un astre salutaire, répandant autour de lui la plus vive lumière. Pourrais-je mieux faire que de consacrer nos premières réunions à vous montrer ce génie extraordinaire dans ses différentes phases, à le suivre dans ses développemens successifs ; que de vous faire connaître ses importans travaux, que de vous mettre à même de juger des immenses progrès qu’ils ont fait faire à l’histoire naturelle ? Ce sera vous dire dans quel état il nous a légué cette belle science, dont le vaste domaine vous appartiendra, si les œuvres du grand homme, comme une sorte de talisman, y dirigent sans cesse votre marche.

George-Léopold-Chrétien-Fréderic-Dagobert Cuvier[1] naquit à Montbéliard, le 23 Août 1769. Ses historiens ne manqueront pas de remarquer que Napoléon Bonaparte était venu au monde la même année, le même mois, huit jours seulement avant lui.

Ces deux grands hommes, que le temps ne reproduira qu’après des siècles, avaient au plus haut degré, non-seulement le génie de la carrière dans laquelle ils sont entrés ; mais ce prodigieux développement des facultés intellectuelles, qui peut embrasser, sans effort, toutes les connaissances humaines. Tous deux étaient doués d’une activité extraordinaire, d’une persévérance inébranlable dans les déterminations une fois prises, d’une volonté d’exécution que rien ne pouvait arrêter.

Le premier, entraîné dans la carrière des armes par ses dispositions naturelles et par les circonstances, après avoir sauvé la France de l’anarchie, l’a fatiguée d’efforts inouïs pour conquérir une gloire passagère.

L’autre, poussé par un instinct irrésistible vers l’étude de la nature, sans rester étranger à aucune branche importante des connaissances humaines, est devenu le législateur, le génie protecteur de l’histoire naturelle.

M. Cuvier tenait, par ses parens, aux plus anciennes, aux plus honorables familles de la principauté de Montbéliard. Cette principauté faisait partie de l’empire germanique, quoique enclavée entre deux provinces de France, la Franche-Comté et l’Alsace, lorsqu’elle fut occupée par les troupes françaises, au mois d’Octobre 1793, et cédée régulièrement à la France par un traité de paix, conclu trois années plus tard, entre son ancien souverain, le duc de Würtemberg et le gouvernement français.

Le père de M. Cuvier avait servi comme officier, durant quarante ans, dans l’un des régimens suisses qui étaient à la solde de la France, et s’était distingué par sa valeur dans les guerres de Hanovre et de sept ans. Retiré de ce service avec la croix de chevalier de l’ordre du mérite militaire, qui remplaçait pour les Protestans la croix de Saint-Louis, et jouissant d’une modique pension, qui formait cependant la plus grande part de son revenu, il en fut même privé pendant la tourmente révolutionnaire. Au commencement de cette tourmente, lorsqu’elle ne faisait encore que menacer la paisible contrée qu’il habitait, ce militaire expérimenté fut chargé par son souverain du commandement de l’artillerie du château de Montbéliard.

M. Cuvier était proche parent de l’un des généraux les plus distingués des guerres de la révolution et de l’empire, le général comte Walther : leurs mères étaient sœurs, nées D.lles Châtel, à Montbéliard. Élevé dans cette ville, autour du foyer domestique, jusqu’à l’âge d’environ quinze ans, il manifesta, dès ses plus jeunes années, une facilité de conception très-remarquable, une ardeur pour s’instruire, qui alarmait la plus tendre des mères, toujours en sollicitude pour l’existence de son enfant, dont la santé était en apparence très-délicate.

À quatre ans il savait lire : à quatorze ans et demi il avait terminé toutes les études classiques, après avoir occupé presque toujours la première place dans chacune des classes qu’il venait de traverser. Ces études comprenaient non-seulement les langues anciennes, mais encore l’histoire, la géographie, l’arithmétique, l’algèbre, la géométrie, et même la levée des plans. Je possède le plan d’un verger extrêmement net, levé et dessiné par le jeune Cuvier, en 1784 (a).

Il était destiné à la théologie, comme la plupart des jeunes gens du pays de Montbéliard, qui, nés de parens peu fortunés, annonçaient de l’intelligence dans leurs études classiques ; parce qu’un des souverains du Würtemberg avait fondé pour eux, au séminaire de Tubingue, un certain nombre de bourses ; que les études qu’ils y faisaient pouvaient être extrêmement fortes, et les mettaient en état de suivre, non-seulement la vocation de pasteur évangélique, s’ils s’y sentaient portés, mais encore la carrière de l’enseignement public ou particulier, ou même toute autre carrière qui exigeait, en premier lieu, une instruction solide dans les langues anciennes, les langues orientales, la philosophie, les lettres et l’histoire.

Le recteur ou le chef du gymnase de Montbéliard, qui en tenait alors la classe supérieure, changea la destinée du jeune Cuvier, en jugeant moins bonne qu’à l’ordinaire sa dernière composition pour les places ; il ne lui donna que la troisième, tandis que le jeune collégien avait la conscience d’avoir mérité, comme à l’ordinaire, la première. Cette erreur, si c’en était une, tirait à conséquence, parce que chaque élève du gymnase destiné à la théologie, était désigné à son tour pour une cure vacante, d’après le rang qu’il avait dans sa classe au moment de son départ pour le séminaire de Tubingue ; elle décida le jeune Cuvier à abandonner cette carrière, et ses parens à profiter d’une occasion qui s’offrait à eux pour lui en donner une autre. J’ai entendu plusieurs fois de la bouche de M. Cuvier que cette circonstance avait été la source de son bonheur.

Ce génie précoce, que la vue d’un Gessner avec des planches enluminées, qui faisait partie de la bibliothèque du gymnase de Montbéliard, avait électrisé, en révélant en lui le naturaliste ; qui avait déjà lu deux fois Buffon d’un bout à l’autre à l’âge de quinze ans (b), qui en avait copié une partie des figures ; qui en portait presque toujours un volume dans sa poche, lui donnant la préférence pour en occuper, même en classe, tous ses instans de loisir ; fut recommandé à la princesse royale de Würtemberg, petite-nièce du grand Fréderic et grand’mère de l’empereur Alexandre, qui résidait alors dans le château de Montbéliard. On lui fit hommage des dessins du jeune collégien, en lui parlant de cette intelligence extraordinaire, l’espoir de ses parens. Cette princesse le présenta à son beau-frère, le duc régnant Charles de Würtemberg, arrivé depuis peu à Montbéliard, auquel il plut beaucoup, qui fut enchanté de ses réponses et de ses dessins, et le prit dès-lors sous sa protection particulière, en lui accordant une bourse dans son académie de Stuttgart.

Ce prince venait de donner plus d’extension à une école militaire qu’il avait d’abord établie dans son château de la Solitude. Érigé à Stuttgart sur le plus vaste plan, cet établissement, unique dans son genre, et qui portait le nom d’académie, recevait comme internes des jeunes gens de tout âge, élevés aux frais de l’État ou payant pension. Il admettait aussi des externes. Les élèves internes étaient soumis à une discipline militaire, portaient l’uniforme de cadets, étaient sous les ordres d’un colonel et d’un major, qui exerçaient, à la vérité, sur ces jeunes gens un pouvoir tout paternel. Les dortoirs, les réfectoires, les salles d’études et d’instruction, avaient été construits pour cet usage, sinon avec luxe, du moins avec élégance et dans le double but de l’utilité et de la salubrité. De grandes cours pour les exercices, un vaste jardin, dans lequel chaque élève avait une part à lui, qu’il cultivait selon son goût, ne laissaient rien à désirer sous ce dernier rapport.

On pouvait y recevoir successivement toute l’instruction primaire et celle des colléges ou des gymnases les mieux organisés. Après les études classiques les plus fortes, sous des maîtres distingués, qui parlaient avec élégance et savaient interpréter avec une science profonde les langues d’Homère et de Cicéron, on passait aux études philosophiques, qui duraient deux années, et dans lesquelles on comprenait non-seulement la science de l’entendement humain, mais encore les sciences naturelles et les hautes mathématiques.

Ainsi préparé, on était libre d’y choisir une étude spéciale, c’est-à-dire, le commerce, l’aménagement des forêts, dont les Allemands ont fait depuis long-temps une science à part, sous le nom de Forstwissenschaft, la science des finances et de l’administration, que cette nation si instruite désigne sous le nom de Cameral-Wissenschaft, l’art militaire, la médecine, le droit ; la théologie seule était exceptée de cet enseignement universel ; car les beaux-arts, la peinture, la gravure, la sculpture, l’architecture, la musique, la danse, même, en faisaient partie, dans le but de former, non de simplets amateurs, mais des maîtres qui pouvaient en faire leur état.

C’est dans cet établissement si remarquable, où M. Cuvier a succédé à Schiller, où tant de professeurs célèbres d’Allemagne ou de publicistes distingués ont été élevés, que le jeune Cuvier se perfectionna dans les langues anciennes, fit les meilleures études en philosophie, s’appliqua à la métaphysique, et put apprendre à analyser sur lui-même les facultés de l’entendement humain, dans un degré d’étendue le plus extraordinaire dont une créature humaine ait pu être douée. C’est là qu’il a dû sentir se développer en lui ce génie universel, qui saisissait avec tant de rectitude et de haute sagacité, les généralités, la partie philosophique de toutes les sciences. C’est là aussi que son goût pour l’histoire naturelle, qui s’était manifesté à Montbéliard à la vue des planches de Gessner et à la lecture de Buffon, s’est agrandi par les leçons de Kerner et les conseils de son condisciple M. Kielmeyer (c) ; c’est là qu’il choisit pour étude spéciale la science du droit, dont la connaissance, aussi étendue qu’approfondie, a fait depuis au conseil d’État l’étonnement et l’admiration de ceux qui pensaient que le savoir immense du grand naturaliste, devait suffire pour absorber toutes ses facultés intellectuelles, quelque extraordinaires qu’elles parussent.

Tous les enseignemens de l’académie de Stuttgart se faisaient en allemand. M. Cuvier, dont la langue maternelle était le français, se familiarisa si promptement avec la première de ces langues, qu’il fut non-seulement à même, au bout de très-peu de temps, d’acquérir toutes les connaissances que ses maîtres lui transmettaient ; mais encore d’en rendre compte en allemand et de se distinguer aux examens semestriels, de manière à mériter la croix de chevalier, qu’obtenait celui qui avait dans quatre de ces examens consécutifs, sur toutes les parties enseignées dans les classes supérieures ou dans l’une des deux divisions de philosophie, mérité la première place.

Immédiatement après avoir terminé ses études de la manière la plus brillante, en 1788, Cuvier passa quelques semaines dans sa ville natale, qu’il n’a plus revue depuis, et partit pour le château de Fiquinville, en Basse-Normandie, où il alla remplacer un de ses amis[2], comme gouverneur du fils de M. le comte d’Héricy.

Le voisinage de la mer, les loisirs dont M. Cuvier savait profiter, lui donnèrent l’occasion de se livrer dans sa nouvelle position à son goût pour l’histoire naturelle. Il entra dès-lors en correspondance avec le comte de Lacépède, auquel il fit connaître, entre autres, une nouvelle espèce de raie, que ce célèbre écrivain lui à dédiée. C’est en Normandie que M. Cuvier fit ses premières dissections des animaux appelés alors à sang blanc, et les premières observations fondamentales qui lui ont servi à réformer la science.

Son talent remarquable pour le dessin, la grande habileté qu’il avait dans cet art, lui donnèrent la facilité de figurer le grand nombre d’objets naturels qu’il eut l’occasion d’observer ; de les graver pour toujours dans sa mémoire, d’en retenir les caractères distinctifs et de pouvoir les comparer ; c’était le seul moyen de remplacer les collections. Il a servi de fondement à tous les ouvrages systématiques que M. Cuvier a publiés, et il a beaucoup contribué à l’effet magique de ses leçons, où des esquisses parfaites, exécutées à la craie avec une rapidité surprenante, donnaient un entraînement irrésistible à ses démonstrations orales.

Un heureux hasard lui fit rencontrer à Valmont, petite ville située dans le voisinage du château de Fiquinville, M. Tessier, le doyen d’âge actuel des membres de l’académie des sciences, que ses articles d’agriculture, publiés dans l’Encyclopédie méthodique, avaient déjà rendu célèbre. Il fuyait les persécutions auxquelles, dans ces temps de douloureuse mémoire, la vertu n’était que trop souvent exposée, et il avait pris, pour s’y soustraire, l’emploi de médecin militaire.

Je viens de trouver une perle dans le fumier de la Normandie, écrivait alors à son ami Parmentier, de la bouche duquel je tiens cette anecdote, le savant agriculteur qui avait deviné, à la première entrevue avec M. Cuvier, les germes du grand naturaliste. M. Tessier le mit en rapport avec le voyageur Olivier, avec les savans Lamétherie, Lacépède, Millin de Grandmaison et surtout avec le jeune Geoffroy, déjà professeur au Jardin des plantes, qui contribuèrent à le faire venir à Paris, dans les premiers mois de 1795, lorsque la tourmente révolutionnaire commençait à s’apaiser. Nommé d’abord membre de la Commission des arts, par l’entremise de Millin, ensuite professeur d’histoire naturelle aux écoles centrales, il obtint un peu plus tard, par les soins de M. Geoffroy et le concours de MM. de Lacépède et de Jussieu, la suppléance de Mertrud, alors professeur d’anatomie comparée au Jardin des plantes.

C’est en Décembre 1795 que M. Cuvier ouvrit son premier cours de cette science, par un discours qui fut imprimé dans l’un des deux seuls journaux scientifiques et littéraires français qui parussent alors, le Magasin encyclopédique.

Peu de temps après, il fit partie de la première organisation de l’Institut, comme membre de la classe des sciences physiques et mathématiques.

Quelques conversations avec des savans dignes de l’apprécier, quelques mémoires lus à la Société d’histoire naturelle de Paris, avaient suffi dans ces temps historiques, où l’orage de la révolution commençait à se calmer, où l’ordre social renaissait peu à peu, où presque tous les établissemens scientifiques étaient à créer, pour placer M. Cuvier dans une position digne de lui, la plus propre à montrer toute l’étendue, toute la puissance de son génie.

Aussi les premiers pas qu’il fit dans la carrière qu’il a tant illustrée, furent-ils des pas de géant.

Son discours d’ouverture du cours d’anatomie comparée annonce, de prime abord, le génie qui créera la science, qui en coordonnera les faits épars et les classera dans l’ordre le plus philosophique.

Après avoir parlé des sources où il puisera son enseignement, des travaux de ses prédécesseurs, voici comment il s’exprime sur l’état de l’anatomie comparée à cette mémorable époque : « La plupart de ces travaux, il est vrai, sont isolés, sans suite, sans vues comparatives. Peu de sujets ont été épuisés : l’un voulait éclaircir la structure de quelque partie du corps humain ; l’autre faire admirer quelque mécanisme curieux ; un troisième se bornait à chercher dans l’organisation interne des caractères distinctifs des espèces ; mais dans quelque vue que ces faits aient été recueillis, ils n’en sont pas moins précieux et utiles pour celui qui veut réduire toute la science en système. » Ainsi ce génie de vingt-six ans, dès son début dans la carrière, s’aperçoit que la science de l’anatomie comparée est à créer, qu’il n’y a encore que des faits épars dans les ouvrages des Perrault, des Duverney, des Hunter, des Monro, des Daubenton, des Duvernoy de l’académie de Saint-Pétersbourg, des Pallas ; mais que leur disposition systématique peut seule constituer la science. Il discute plus loin dans quel ordre il les exposera, s’il choisira la méthode zoologique et l’ordre des classes, ou la méthode physiologique, en prenant chaque organe à part, et en parcourant successivement toutes les classes où il existe, afin de découvrir les diverses modifications que cet organe y reçoit ? Il se décide pour la dernière méthode, parce qu’elle permet les comparaisons, qu’elle est essentiellement physiologique, et qu’on doit regarder, ce sont ses expressions, la physiologie ou l’explication des machines animales, comme la partie essentielle, le vrai but de la zoologie.

« Cependant, ajoute-t-il, nous ne nous priverons pas entièrement de ce que l’ordre des classes et des genres peut avoir d’avantageux. Avant d’entrer dans le détail des organes, nous considérerons leur ensemble, le système harmonique que forme leur réunion ; c’est-à-dire, que nous traiterons de l’économie animale considérée en grand. Immédiatement après, nous examinerons les différentes combinaisons selon lesquelles ces organes sont répartis ; c’est-à-dire, que nous vous donnerons des idées précises des classes naturelles qui divisent le règne animal. Ce ne sera que lorsque nous serons munis de ces connaissances générales, que nous pourrons avancer dans la connaissance approfondie de chaque organe et des changemens qu’il peut éprouver sans être altéré dans sa nature. »

Je me suis servi à dessein des paroles même du jeune professeur, parce qu’elles renferment l’exposé simple de l’œuvre du génie, du plan créateur de la science qu’il conçut pour son premier cours, plan qui a été une mine féconde de découvertes importantes et la source de toutes les propositions générales qu’il a été possible de déduire des faits ainsi coordonnés et qui ont constitué la science sur des fondemens inébranlables.

Dès ce moment, M. Cuvier commença dans l’ordre physiologique les collections d’anatomie du musée, et cet immense cabinet du Jardin des plantes, qui fait l’admiration des étrangers par l’arrangement qui y règne et la multiplicité des préparations, tellement, qu’on ne pourrait lui comparer aucune autre collection en ce genre (d).

C’est dans cette source abondante de faits et de science que M. Cuvier et ses collaborateurs ont puisé, sous sa direction, pour composer l’ouvrage fondamental des Leçons d’anatomie comparée, dont les deux premiers volumes parurent en 1800, et les trois autres en 1805.

Cet ouvrage fait époque dans l’histoire de la science de l’organisation animale. Aucun, jusque-là, ne l’avait embrassée dans son ensemble. Le petit essai publié par Monro, les élémens de Blumenbach, qui ne comprennent que quelques-uns des traits les plus saillans de l’organisation ; le système anatomique de Vicq-d’Azyr, ouvrage que la mort prématurée de l’auteur avait laissé très-incomplet, et dans lequel les faits sont exposés d’après des classes du règne animal, et ne sont, pour la plupart, que compilés d’autres auteurs, étaient restés bien loin du but. Cuvier seul venait de l’atteindre glorieusement. Aussi l’ouvrage des Leçons d’anatomie comparée fut-il désigné par le jury des prix décennaux pour un des grands prix de physique qui devaient être décernés en 1810.

Les considérations préliminaires sur l’économie animale, qui forment le commencement du premier volume, firent l’admiration de tous les savans par la clarté, la profondeur et l’ordre philosophique des idées et des faits qui y sont exposés ; elles ne sont cependant qu’un développement du plan énoncé dans quelques lignes que je viens de vous lire du Discours d’ouverture du premier cours de M. Cuvier ; mais ces lignes comprennent à la fois le germe de la méthode naturelle et de la seule bonne méthode de comparaison de l’organisation des animaux. C’est qu’une idée-mère une fois conçue par le génie, devient bientôt l’origine et le fondement de tout un système de science.

Après trente-deux ans de progrès et de découvertes de détails, ces principes généraux de la science n’ont rien perdu de leur fraîcheur, de leur solidité. L’auteur a revu, dans les dernières semaines de sa vie, tout le premier volume de cet ouvrage, pour la nouvelle édition qu’il en préparait, à laquelle il avait bien voulu m’associer de nouveau, après vingt-sept ans d’intervalle (e). Il sera extrêmement intéressant de lire les additions qu’il y aura faites, plutôt pour combattre l’application trop générale, exagérée conséquemment, de certains principes philosophiques et pour limiter cette application dans les bornes de l’observation, que pour modifier ou pour changer ce qui ne pourrait l’être sans s’écarter de la vérité.

Si l’anatomie comparée dut à M. Cuvier sa première existence comme science, la zoologie proprement dite ne lui eut pas de moindres obligations par les réformes fondamentales qu’il y introduisit. Jusques à M. Cuvier, le système artificiel de Linné prévalait dans les ouvrages des zoologistes. La formation des groupes qu’on appelle classe, ordre, genre, avait lieu d’après quelques rapports saillans de l’organisation extérieure, et nullement d’après la considération de toute la structure organique. Quand les caractères étaient très-importans, qu’ils influaient sur tout l’ensemble de l’organisme, ces groupes se trouvaient naturels ; mais cette circonstance heureuse, qui ne pouvait être que fortuite, parce que le génie de M. Cuvier n’avait point encore signalé le principe de la subordination des caractères, était loin d’être générale. Ainsi, dans la dernière édition de Linné, par Gmelin, la classe des insectes, qui n’ont point de circulation dans un système de vaisseaux clos, renfermait encore celle des crustacés, qui en ont une bien complète, et celle des arachnides dont une partie du moins possède de même des organes de circulation et de respiration circonscrits. Celle des vers était un véritable chaos, que Bruguières, à la vérité, avait un peu débrouillé dans l’Encyclopédie méthodique, en rapprochant mieux les annelides, qu’il confondait cependant encore avec les intestinaux, et en établissant, quoique d’une manière incomplète, la classe des échinodermes.[3]

Pallas, bien avant Bruguières, encore fort jeune et presque en commençant sa carrière, fit voir dans ses Miscellanea, qu’il publia à la Haye en 1766, que pour la classe des vers la présence ou l’absence d’une coquille ne peut donner la première base de leur distribution, mais que l’on doit d’abord consulter l’analogie de leur structure.[4]

« Certainement, dit M. Cuvier, dans l’éloge de Pallas, le naturaliste, dont le premier coup d’œil était si perçant, aurait débrouillé le chaos où gisaient pêle-mêle les animaux sans vertèbres, s’il eût continué à s’en occuper avec la même suite ; mais lorsqu’il publia ses idées, elles n’étaient pas encore entièrement mûres[5] (f), et il ne revint même jamais sur ce sujet…

Une révolution nécessaire, ajoute le digne historien de Pallas, était réservée pour d’autres temps, tant les conquêtes de l’esprit sont sujettes comme les autres à être arrêtées par le moindre hasard.[6]»

C’est près de six lustres plus tard que le jeune Cuvier opéra cette révolution, à laquelle celle qui venait d’avoir lieu en politique avait peut-être préparé son esprit, en lui faisant mieux sentir le besoin de l’ordre dans la science comme dans la société, et en lui donnant la hardiesse de suivre les inspirations de son génie, pour devenir le réformateur de la zoologie. Il excita l’étonnement et l’admiration des naturalistes français, lorsqu’il leur fit connaître dans une suite de mémoires qu’il lut, en partie, à la Société d’histoire naturelle de Paris, durant le cours de l’année 1795, les principes sur lesquels devaient être fondées les divisions naturelles des êtres en général et des animaux en particulier. On y voit dès ce moment l’intention d’appliquer aux classifications zoologiques le calcul des différens degrés d’importance des caractères, dont les zoologistes n’avaient eu jusque-là aucune idée. Les botanistes, à la vérité, les avaient entrevus. Bernard de Jussieu, en créant les familles des plantes, en avait eu le sentiment, et M. A.L. de Jussieu, son neveu, les avait mis en pratique dans un ouvrage de botanique dont toutes les branches de l’histoire naturelle devaient bientôt sentir l’heureuse influence[7]. Ainsi la méthode naturelle, si heureusement employée à la classification des végétaux par deux illustres botanistes français, poussa le génie de M. Cuvier à rechercher et à découvrir les principes de cette méthode applicables à la zoologie. Nous sommes d’autant plus fondés à le penser, que le jeune Cuvier avait approfondi, en botanique, les caractères des familles naturelles, et qu’il avait dessiné ceux d’un grand nombre de genres de ces familles, dans son exemplaire du Genera plantarum de Jussieu, dans lequel il avait fait intercaler des feuillets blancs à cet usage. Nous avons vu ce précieux exemplaire dans la bibliothèque de l’un de nos plus célèbres géomètres, auquel les sciences naturelles sont familières, et qui a long-temps vécu dans la plus grande intimité avec notre grand naturaliste. C’est dans un mémoire sur une nouvelle classification des mammifères, qu’il publia en commun avec M. Geoffroy, son cadet de deux années, qu’on trouve les premiers essais de la méthode naturelle appliquée à cette classe, et les principes généraux qu’on doit suivre en zoologie pour parvenir à ranger, d’après cette méthode, tout le règne animal. Ces principes sont aussi simples que lumineux. Le premier, le plus fondamental peut-être, que Linnœus déjà avait établi, mais qu’il avait oublié quelquefois dans la pratique, « est que les genres doivent fournir les caractères et non les caractères déterminer les genres[8]. En généralisant ce principe, en l’appliquant aux ordres et aux classes, en ne perdant jamais de vue qu’un genre doit être fondé sur la grande majorité des rapports, et que les ordres ne doivent contenir que les genres qui ne diffèrent que par des rapports d’un degré inférieur, on arrivera sûrement à la découverte des groupes naturels de différens degrés. » Le second de ces principes est celui de la subordination des caractères, c’est-à-dire, la classification de ceux-ci en caractères primaires, secondaires, etc., suivant qu’ils sont tirés d’organes jouant dans la vie un rôle plus ou moins important, selon qu’ils ont conséquemment plus ou moins de valeur pour indiquer la totalité des vrais rapports naturels.

« Si nous considérons les divers organes d’un animal », lit-on plus bas, dans ce mémoire important pour l’histoire de la science, « nous en trouverons qui constituent son existence, considérée isolément ; d’autres qui la mettent en relation avec les autres êtres. Il est aisé de voir que ces derniers organes doivent céder aux premiers ; car l’animal est d’abord, et puis il sent et agit : or, l’existence, la vie de l’animal, dépend premièrement de la génération, qui la lui donne, et ensuite du mouvement réglé de ses fluides, qui la maintient. La génération et la circulation doivent donc fournir les caractères primaires et indicateurs du premier ordre[9], ceux qui constituent les classes. »

Sans vouloir faire la part de ce qui appartient à chacun des auteurs de ce premier essai, nous observerons que l’esprit généralisateur, dont les études philosophiques, enseignées avec une grande profondeur à l’académie de Stuttgart, avait développé le germe dans le jeune Cuvier, ne s’y montre pas moins, d’une manière remarquable, que dans ses écrits fondamentaux.

Vingt-un jours plus tard, le 10 Mai 1795, il lut à la même Société d’histoire naturelle un autre mémoire du plus haut intérêt, sur une nouvelle distribution en six classes des animaux à sang blanc, appelés ensuite sans vertèbres, fondée sur la connaissance de leur structure interne. Ce mémoire renversait de fond en comble les idées reçues jusque-là sur deux des grandes divisions du règne animal qui formaient les insectes et les vers de Linné. M. Cuvier y fait voir, comme dans le précédent, un esprit de classification très-supérieur, saisissant les rapports des êtres avec une admirable sagacité, et les exposant avec clarté. Tous ses travaux postérieurs, sur cette partie de l’histoire naturelle, n’ont été que des développemens de ce premier travail, qui fut imprimé dans la Décade philosophique.[10]

Dans un troisième mémoire, qu’il communiqua également à la même Société, le 30 du mois de Mai, Cuvier traite de la structure des mollusques et de leur division en ordres[11], et continue le développement et l’application des principes établis dans les mémoires précédens sur les rapports naturels des animaux, sur les caractères indicateurs de ces rapports, sur leur subordination les uns aux autres, et sur leur constance, qui diminue à mesure qu’ils baissent de rang. Ce mémoire, qui renferme une connaissance remarquable de la structure interne de la généralité des mollusques, dans lequel M. Cuvier révèle pour la première fois au monde savant un grand nombre de traits de cette organisation que ses dissections lui avaient fait découvrir, suppose des recherches multipliées, qui avaient exigé beaucoup de temps et de loisir, et le voisinage de la mer ; qu’il avait faites conséquemment avant son arrivée à Paris, lorsqu’il était abandonné aux seules ressources de son génie, dans sa retraite de Normandie.

Telle a été l’origine et la nature des immenses services que M. Cuvier a rendus à la partie systématique de l’histoire naturelle, en introduisant dans les classifications zoologiques la méthode de l’ensemble des rapports ; en distribuant, en un mot, le règne animal comme Bernard de Jussieu et son neveu, M. A. L. de Jussieu, avaient classé le règne végétal.

M. Cuvier publia, en 1798, sous le titre de Tableaux de l’histoire naturelle des animaux, le premier exemple de cette distribution, telle que son génie l’avait conçue.

Les tableaux annexés en 1800, au premier volume des Leçons d’anatomie comparée, tableaux qu’il dressa avec M. Duméril, introduisirent quelques améliorations à ce premier travail. Il reçut, en 1802, une autre rectification essentielle, par l’établissement de la classe des vers à sang rouge. Cette rectification fut encore la suite des recherches anatomiques de M. Cuvier et de la découverte qu’il avait faite, déjà en 1798, de l’existence d’un sang rouge et des principaux vaisseaux sanguins dans les sangsues ; découverte qu’il étendit bientôt aux autres animaux de cette classe.

La plus importante amélioration dans sa méthode de classification, fut celle qu’il établit en 1812, par le rapprochement des classes qui composent le règne animal en quatre embranchemens principaux, représentant chacun un type ou un plan général, d’après lequel auraient été formés tous les animaux qu’il comprend. Avant cette nouvelle et grande vue, le règne animal était divisé en deux séries, celle des vertébrés et celle des animaux sans vertèbres. Mais ce dernier caractère étant négatif, n’avait, par cela même, aucune influence sur la composition organique de la seconde série ; il en résultait qu’elle était formée de plusieurs groupes d’animaux aussi différens entre eux que de la première série, et qu’on ne pouvait établir aucune proposition générale, commune à tous ces avertébroses, ainsi que les nommait M.Duchesne dès 1795.[12] Après de longues méditations sur cette difficulté, qui tenait à l’imperfection de la méthode, M. Cuvier finit par découvrir « qu’il existe quatre formes principales, quatre plans généraux, d’après lesquels tous les animaux semblent avoir été modelés, et dont les divisions ultérieures, de quelques noms que les naturalistes les aient décorées, ne sont que des modifications assez légères, fondées sur le développement ou l’addition de certaines parties, mais qui ne changent rien à l’essence du plan. Réfléchissant ensuite sur les organes principaux qui ont déterminé cette ressemblance entre les animaux de chaque forme, il y trouva promptement, ce sont ses expressions, une raison de cette ressemblance. Le système nerveux est le même dans chaque forme ; or, le système nerveux est au fond tout l’animal. Les autres systèmes ne sont là que pour le servir ou l’entretenir ; il n’est donc pas étonnant que ce soit d’après lui qu’ils se règlent.[13] » Une expérience de dix-sept années, les jugemens fréquens qui en avaient été le résultat journalier, avaient conduit M. Cuvier à ces grandes considérations, et à réformer, en quelque sorte, les principes de classification établis dans les premiers mémoires qu’il publia sur cette matière en 1795. M. Cuvier reconnaît d’ailleurs que M. Virey avait eu, au sujet de l’influence qu’exerce le système nerveux sur la composition de l’organisme et sur la forme des animaux, des idées analogues à celles que nous venons d’exposer.[14]

Sa nouvelle répartition du règne animal se réduisait à ces mots : les animaux vertébrés tous ensemble, les animaux articulés tous ensemble, forment des groupes, lesquels n’équivalent en importance qu’aux mollusques et aux zoophytes. « Mais on ne saurait croire, dit M. Cuvier, en terminant son mémoire, à quel point ce changement, si léger en apparence, dans les méthodes reçues, donne de facilité et de netteté aux propositions de l’anatomie comparée. C’est l’expérience que j’en ai faite depuis plusieurs années, qui m’a engagé à adopter cette distribution dans l’ouvrage que je vais bientôt publier sur le règne animal. »

Ce fut seulement en 1817 qu’eut lieu cette publication, sous le titre suivant : Le Règne animal distribué d’après son organisation, pour servir de base à l’histoire naturelle des aninaux et d’introduction à l’anatomie comparée.[15]

Une seconde et dernière édition de cet important ouvrage a paru en cinq volumes en 1829 et 1830.

Nous venons de voir que si M. Cuvier n’a pas été le créateur de la science pour l’histoire naturelle systématique comme pour l’anatomie comparée, il l’a pourtant réformée à un tel point, il en a tellement précisé les bases, posé les fondemens, déterminé les principes ; il les a appliqués avec tant de génie aux classifications qu’il a établies, qu’on doit regarder comme non moins essentiels les services qu’il a rendus à cette partie de l’histoire des animaux. On peut même affirmer qu’elle n’a été constituée définitivement comme science que par la méthode naturelle, c’est-à-dire, celle de l’ensemble des rapports.

Cette méthode, une fois adoptée comme principe, comme fondement de la zoolegie, est devenue la source féconde de toutes les découvertes qui ont illustré de nos jours, et qui éclaireront jusque dans la postérité la plus reculée, la connaissance des animaux.

En effet, dès l’instant où la tâche du naturaliste ne s’est plus bornée à quelques phrases caractéristiques, écrites le plus souvent en mauvais latin, pour inscrire les êtres dans le catalogue de ce qu’on appelait le système de la nature ; dès le moment où il a dû chercher, où il s’est efforcé d’apprécier au plus juste tous les rapports de formes, d’organisation, de fonctions, de mœurs, que les animaux ont entre eux, et de les ranger d’après ces rapports ; l’anatomie comparée est devenue une science indispensable au zoologiste. La connaissance des organes l’a conduit à l’explication de leurs usages par l’étude des liaisons de l’organisation avec les mœurs.

Bientôt il ne s’est plus contenté de comparer un même organe dans tous les animaux où il existe, et d’observer les modifications qu’il éprouve, depuis son état de plus grande simplicité jusqu’à sa plus grande complication. Il l’a découvert dans son état rudimentaire, et l’a suivi jusque dans son plus grand développement possible. Cette dernière considération l’a conduit à déterminer la constance de certains plans de composition organique et à retrouver dans les organes rudimentaires les traces indélébiles d’un même plan.

La nécessité de chercher, de saisir tous les rapports et de classer les êtres d’après l’ensemble de ces rapports une fois sentie, a élevé de plus en plus ses études et ses méditations vers un but philosophique. C’est dès ce moment qu’il a étendu ses recherches et ses comparaisons à la composition des parties, à celle de tout l’ensemble des organismes ; qu’il a cherché à déterminer les parties analogues dans les différens organismes ; celles qu’il serait possible et juste de comparer, malgré les différences apparentes qu’entraînent leurs changemens de position et d’usages ; et, pour multiplier de plus en plus les points de comparaison, afin de mieux assurer ses jugemens, il ne s’est plus contenté d’observer les organismes tout formés ; il les a, pour ainsi dire, épiés à l’instant de leur formation apparente ou réelle, et il a observé avec soin les différences de composition organique qu’ils présentent aux différentes époques de la vie. Enfin, il a comparé les formations ou les compositions normales avec les formations ou les compositions abnormales.

Toutes ces études, sans vouloir juger ici le mérite plus ou moins éminent de ceux qui s’y sont livrés, sans prétendre apprécier en ce moment les services plus ou moins importans qu’ils ont rendus à la science, ont été la conséquence nécessaire de l’adoption pour la classification des êtres organisés, de la méthode naturelle ou de celle qui s’efforce de les distribuer d’après l’ensemble de leurs rapports. C’est une vérité pour la zoologie comme pour la botanique : tous les progrès rapides que l’une et l’autre science ont faits de nos jours dans leurs parties systématique, physiologique et philosophique, datent, dans tous les pays, de l’époque où l’on y a reçu et adopté la méthode de l’ensemble des rapports, dite naturelle, créée pour tout le règne animal par M. G. Cuvier.

Mais l’ouvrage fondamental dont nous venons de citer la dernière édition, ne se recommande pas seulement par le mérite d’une classification établie sur des principes philosophiques. C’est une œuvre de génie où le naturaliste consommé se montre dans tous les détails, et qui se distingue aussi bien par la netteté du style, que par la perfection des descriptions, lesquelles ne renferment pas un mot inutile, et qui ne comprennent que les caractères distinctifs les plus saillans, les plus faciles à saisir.

Les rapports des animaux y sont justement appréciés dans des groupes gradués qui indiquent la valeur de ces rapports. À la vérité, cette perfection dans l’arrangement méthodique, qui se rapproche autant que possible de la nature, est plutôt faite pour le maître qui a l’habitude d’en être l’interprète, que pour l’élève qui commence à en étudier les merveilles. D’ailleurs M. Cuvier ne voulait pas qu’on attachât à l’arrangement systématique et surtout aux classifications de détail plus de valeur qu’ils n’en méritent. Voici à cet égard les principes lumineux qu’il a publiés en 1828, après trente-deux ans d’expérience et de méditations sur cet important sujet.[16]

« Que l’on n’imagine donc point que, parce que nous placerons un genre ou une famille avant une autre, nous les considérons précisément comme plus parfaits, comme supérieurs à cette autre dans le système des êtres. Celui-là seulement pourrait avoir cette prétention, qui poursuivrait le projet chimérique de ranger les êtres sur une seule ligne, et c’est un projet auquel nous avons depuis long-temps renoncé. Plus nous avons fait de progrès dans l’étude de la nature, plus nous nous sommes convaincus que cette idée est l’une des plus fausses que l’on ait jamais eue en histoire naturelle, plus nous avons reconnu qu’il est nécessaire de considérer chaque être, chaque groupe d’êtres en lui-même, et dans le rôle qu’il joue par ses propriétés et son organisation, de ne faire abstraction d’aucun de ses rapports, d’aucun des liens qui le rattachent soit aux êtres les plus voisins, soit à ceux qui en sont plus éloignés.

« Une fois placé dans ce point de vue, les difficultés s’évanouissent, tout s’arrange comme de soi-même pour le naturaliste. Nos méthodes systématiques n’envisagent que les rapports les plus prochains ; elles ne veulent placer un être qu’entre deux autres, et elles se trouvent sans cesse en défaut. La véritable méthode voit chaque être au milieu de tous les autres ; elle montre toutes les irradiations par lesquelles il s’enchaîne plus ou moins étroitement dans cet immense réseau qui constitue la nature organisée, et c’est elle seulement qui nous donne de cette nature des idées grandes, vraies et dignes d’elle et de son auteur ; mais dix et vingt rayons souvent ne suffiraient pas pour exprimer ces innombrables rapports. »

Ces lignes admirables font connaître les dernières vues du législateur de la science, sur la règle qu’on doit suivre dans l’appréciation des méthodes de classification ou dans leur établissement.

Ajoutons, enfin, que jusqu’à M. Cuvier la langue élémentaire de l’histoire naturelle était le latin, et qu’avant lui aucun ouvrage, surtout en français, n’en contenait les élémens d’une manière complète ; c’est lui qui, le premier, a rendu la science vulgaire, en publiant dans cette langue des modèles parfaits de son emploi, pour indiquer d’une manière élégante, quoique très-concise, les caractères distinctifs des animaux.

Nous venons de voir notre grand naturaliste constituer l’anatomie comparée dès le début de son enseignement, et poser les principes de la méthode naturelle appliquée à la zoologie. La suite de ses travaux, dans l’une et l’autre de ces parties, durant le long espace de trente-sept ans, n’a été qu’un développement, qu’une application continuelle de ces principes, que son génie avait pressentis à l’instant même où il mesura pour la première fois, du coup d’œil de l’aigle, la carrière qu’il devait tant illustrer.

C’est encore à lui qu’était réservée la gloire de créer la science des Restes fossiles organiques, qui a pris depuis peu de temps, grâce à l’impulsion qu’il a donnée, un accroissement si extraordinaire, et dont les découvertes jettent un si grand jour sur l’histoire des révolutions de notre planète et des apparitions de la vie sur les différens points de sa surface.

Dans cette partie des sciences naturelles, qui est si pleine d’intérêt, le génie créateur de Cuvier se montre avec éclat comme dans les précédentes ; il mesure, d’un premier regard, l’étendue possible de la science, il en apprécie l’importance, il en saisit les rapports, et prévoit les lumières qu’elle répandra sur la théorie de la terre.

Un mémoire qu’il lut à l’Institut, en Mars 1796, sur les espèces d’éléphans, vivantes et fossiles, renferme déjà l’idée qu’aucune espèce de ces animaux fossiles, dont les ossemens sont si abondans dans le Nord, n’existerait plus aujourd’hui, ni dans la zone torride, ni ailleurs. Qu’il est probable que ces ossemens ont appartenu à des êtres d’un monde antérieur au nôtre, à des êtres détruits par quelque révolution de ce globe ; êtres dont ceux qui existent aujourd’hui ont rempli la place, pour se voir peut-être un jour également détruits et remplacés par d’autres.

Déterminer les espèces, les genres et les classes de ces espèces fossiles, sur quelques débris d’ossemens qui leur ont appartenu ; rapporter toutes les découvertes qui en avaient été faites jusque-là ; indiquer avec exactitude les localités où ces débris avaient été trouvés, la nature des terrains dans lesquels ils étaient enfouis, telle était la tâche que Cuvier s’était imposée dès les dernières années du siècle passé, et dont il publia un prospectus éloquent, qu’il adressa à tous les savans, pour les inviter à l’aider dans cette grande entreprise, pour leur en faire sentir l’importance et pour les engager à lui communiquer les découvertes qu’ils auraient pu faire ; découvertes qu’il leur promettait de consigner fidèlement dans son livre (g).

Cette tâche[17] l’obligeait de parcourir une route où l’on n’avait encore hasardé que quelques pas. « Antiquaire d’une espèce nouvelle, nous dit-il en commençant son Discours sur les révolutions du globe, il me fallut apprendre à la fois à restaurer ces monumens des révolutions passées et à en déchiffrer le sens ; j’eus à recueillir et à rapprocher dans leur ordre primitif les fragmens dont ils se composent ; à reconstruire les êtres antiques auxquels ces fragmens appartenaient ; à les reproduire avec leurs proportions et leurs caractères ; à les comparer, enfin, à ceux qui vivent aujourd’hui à la surface du globe, art presque inconnu, et qui supposait une science à peine effleurée auparavant, celle des lois qui président aux coexistences des formes des diverses parties des corps organisés. »

Cette portion essentielle de ses nombreux travaux était, si je ne me trompe, celle à laquelle M. Cuvier attachait le plus d’importance. Aussi lui a-t-il consacré une grande partie de sa vie. La première occasion qu’il eut de s’y livrer, fut celle où il chercha à déterminer les espèces d’éléphans vivantes et fossiles.

Dès-lors il ne la perdit plus de vue. En Septembre 1798 (le 6 Vendémiaire de l’an 7), lorsque ce mémoire fut imprimé pour la première fois dans le tome II du Recueil de l’Institut, deux ans après sa communication à ce corps savant, il ajoutait, comme post-scriptum, qu’après beaucoup de recherches il avait déterminé quatre nouvelles espèces de mammifères fossiles conservées dans les cabinets de Paris ou trouvées dans les carrières à plâtre de Montmartre.

Un manœuvre intelligent, avait été employé à ces carrières, reçut de M. Cuvier la commission, qui devint pour lui très-lucrative, de recueillir les ossemens que l’on y découvrait presque journellement.

J’ai été souvent témoin de la générosité avec laquelle M. Cuvier les lui payait ; je l’ai vu dépenser avec joie des sommes considérables pour augmenter cette collection, dont il a fait plus tard hommage au Musée du Jardin des plantes, lorsqu’elle eut acquis le plus haut prix par ses publications. Ces ossemens étaient souvent brisés ; ce n’étaient que des fragmens, des portions de phalanges de grands os, de mâchoires, de crânes, des dents isolées ; et cependant, à force d’études, de comparaisons avec les nombreux squelettes dont le cabinet d’anatomie du Jardin s’enrichissait journellement par ses soins, et par le zèle infatigable de son aide-anatomiste Rousseau, Cuvier parvint à caractériser d’une manière bien évidente un grand nombre d’espèces perdues, dont les analogues n’existent plus en vie, et même appartiennent à des genres plus ou moins étrangers à la création actuelle.

Chaque fois qu’il venait de lire un nouveau mémoire à l’Institut sur une récente détermination de ces curieux ossemens d’un autre monde, il trouvait des collègues incrédules, qui, ne connaissant pas les lois de l’organisation, la coexistence nécessaire de certaines formes, ne comprenaient pas qu’il fût possible de rétablir un animal avec des fragmens d’os épars dans les couches d’un même terrain. Peu de jours après une séance dans laquelle on lui avait plus particulièrement adressé cette objection, il eut la satisfaction de recevoir un squelette entier de ce méme animal qu’il avait refait avec des débris, et de pouvoir démontrer, dans la nature, l’être que la science avait si bien restauré.[18]

Avant de prévoir qu’il trouverait l’occasion de publier ses découvertes successives au moyen des Annales du Muséum, dans un moment où les frais des planches nécessaires auraient été trop forts pour ses faibles revenus, M. Cuvier s’était déterminé, non-seulement à dessiner lui-même les ossemens qu’il voulait faire connaître, mais encore à en graver les planches. Ces planches précieuses sont comprises, pour la plupart, parmi celles du tome III de la dernière édition.[19]

Cette édition, en cinq tomes in-4.°, dont deux sont divisés chacun en deux parties, ce qui porte l’ouvrage à sept volumes, a paru de 1821 à 1824 : c’est la seule où M. Cuvier ait pu coordonner son travail. La première, qui date de 1812, n’était que la simple réunion en quatre tomes des mémoires qu’il avait insérés successivement depuis 1803 dans les Annales du Muséum.

L’immense travail des Recherches sur les ossemens fossiles se compose, entre autres, des descriptions ostéologiques les plus détaillées, les plus complètes, de beaucoup d’espèces et de la plupart des genres vivans de mammifères et de quadrupèdes ovipares. Je l’ai vu commencer par une monographie du daman cette longue et pénible tâche, en 1803, à son retour d’un voyage qu’il fit dans le Midi, comme inspecteur général de l’Université, pour l’organisation des premiers lycées.

Beaucoup de figures, dessinées avec une grande perfection, en partie par M. Cuvier lui-même, en plus grande partie par M. Laurillard, servent à donner à ce travail toute l’évidence que des descriptions écrites d’un style clair et simple pouvaient comporter encore.

La plus complète collection de squelettes qui existe au monde, à laquelle les voyageurs français et étrangers avaient contribué à l’envi, en envoyant des contrées les plus éloignées, soit les ossemens qui devaient les composer, soit les animaux eux-mêmes, fut réunie en peu d’années pour fournir les matériaux ahondans de ces descriptions.

M. Cuvier sut y comprendre tout ce qu’elles devaient contenir d’important. On y trouve des tables de la longueur de chaque os, à la manière de Daubenton, qui sont d’un grand secours pour la détermination des espèces. Les formes comparées des têtes y sont indiquées sous tous les aspects, pour la distinction des genres et des familles, que rendent encore plus facile et plus sûre les descriptions les plus circonstanciées des formes et de la composition des dents et des mâchoires.

Les membres y sont de même décrits avec détail, quant à leur composition et à la figure des plus petits os qui en font partie. Celle surtout des facettes articulaires s’y trouve indiquée avec le soin le plus scrupuleux, parce qu’elles déterminent les espèces de mouvemens qu’exécute chaque os d’un seul membre et la totalité des mouvemens de tout le membre.

Les actions des animaux étant elles-mêmes en rapport intime avec leur instinct et leur régime carnassier, végétal ou mélangé, on n’aura pas de peine à saisir la vérité de cette connexion d’organes et de fonctions, qui fait qu’on peut déterminer, avec un organe connu, la plupart des autres coexistans avec lui ; qui permet de conjecturer du moins, et qui donne souvent la certitude, que telle phalange isolée, que telle forme de dents a dû appartenir à un animal d’une classe, d’un ordre, d’une famille, d’un genre même plus ou moins rapproché de certain genre bien connu, dont l’histoire ne laisse rien à désirer.

Ces monographies réunissent à la fois les meilleures descriptions systématiques, et la critique la plus judicieuse et la plus savante pour la distinction des espèces vivantes et leur classification d’après la méthode naturelle.

Elles sont encore physiologiques, c’est-à-dire, qu’elles servent très-bien à l’explication des fonctions auxquelles participent toutes les parties du squelette. On peut affirmer qu’elles ont fait faire de grands progrès à l’anatomie et à la physiologie comparées. Celles en particulier des dents de l’éléphant, donnent sur la composition de ces dents et leur accroissement des détails physiologiques nouveaux, applicables au développement des dents en général.

Enfin, elles renferment des vues philosophiques sur la composition de la tête des différentes classes des animaux vertébrés et la détermination comparée de leurs os, dans lesquelles les travaux de Spix, de Bojanus, de MM. Meckel, Ocken et Geoffroy Saint-Hilaire sont rapportés avec fidélité et appréciés avec cette supériorité de jugement que M. Cuvier mettait dans tous ses écrits.

C’est d’un point de départ aussi bien arrêté, d’une base aussi solide, aussi bien établie, qu’il est parti pour déterminer les espèces perdues.

La dernière édition que nous analysons, dont nous cherchons à vous donner une idée générale, bien incomplète sans doute, comprend entre autres la restauration, je devrais dire la résurrection de cent vingt espèces de mammifères, que la Providence a montrées au génie de M. Cuvier, qu’il a pu nommer, auxquelles il a de nouveau assigné leur rang dans l’ensemble des êtres ; comme un autre Adam, devant les yeux duquel le Créateur se serait plu de nouveau à faire passer les œuvres de sa puissance[20]. Ces espèces détruites appartiennent à tous les ordres, excepté à celui des quadrumanes, dont aucune espèce n’a été découverte jusqu’ici à l’état fossile d’une manière incontestable.

Toutes les localités où l’on a trouvé leurs débris, tous les ouvrages où ils ont été décrits ou seulement indiqués, tous les cabinets où ils sont conservés, et dont M. Cuvier a visité lui-même une partie en Hollande, en Allemagne, en Angleterre et en Italie, y sont rapportés fidèlement avec une remarquable érudition.

Ainsi rien n’a été épargné, pas même le travail capable d’exercer la plus grande patience, pour rendre cet ouvrage le répertoire le plus complet de la science, telle du moins qu’elle avait été constituée par le grand homme, au moment où ce chef-d’œuvre parut.

L’observation exacte des terrains de différente nature, dans lesquels on rencontre les fossiles organiques, celle de la position relative de ces terrains, leur situation horizontale ou inclinée, leurs rapports avec les terrains dits primitifs, conduisit M. Cuvier à classer les fossiles organiques d’après les temps et la nature du milieu où ils avaient vécu, et à déterminer ceux d’une même époque et les révolutions correspondantes de la surface du globe qui les avaient enfouis.

Afin d’acquérir par lui-même l’expérience nécessaire sur les rapports des êtres organiques avec les terrains dans lesquels ils sont conservés, il résolut d’observer et de décrire ces terrains dans une localité circonscrite, celle des environs de Paris, et d’y étudier sur les lieux le grand phénomène des bouleversemens de notre globe. M. Cuvier s’associa, pour cette œuvre, avec son savant ami, M. Alexandre Brongniart. Ils firent ensemble nombre de voyages et les observations importantes pour la Description géologique des environs de Paris, qui fut rédigée par ce dernier et insérée dans le tome II de l’ouvrage que nous analysons (deuxième édition).

Ces recherches particulières eurent pour principal résultat géologique, de signaler au-dessus de la craie, deux étages de terrains d’eau douce, séparés par un dépôt marin, dont l’étage supérieur est encore recouvert par un dépôt de cette nature : preuve irréfragable de plusieurs irruptions et retraites alternatives de la mer dans ce bassin des environs de Paris, depuis l’époque seulement où la craie y avait été déposée. C’était un fait tout nouveau en géologie et l’une des plus grandes découvertes qui aient été faites depuis long-temps dans cette science, que l’existence bien constatée de certains terrains de sédiment, déposés dans l’eau douce ; elle frappa tout à coup, comme un trait de lumière, le génie observateur de M. Cuvier, au milieu d’une course qu’il faisait avec M. Brongniart et M. Laurillard dans les environs de Fontainebleau. « Brongniart ! s’écria-t-il avec l’enthousiasme qu’excitait naturellement le sentiment d’un aussi important aperçu, j’ai trouvé le nœud de l’affaire ! Et quel est-il, lui demanda M. Brongniart ? C’est qu’il y a des terrains marins et des terrains d’eau douce. » La science a dès-lors admis ces terrains d’origine si différente, que des observations postérieures ont retrouvés dans beaucoup d’autres localités.

Il est on ne peut pas plus intéressant de voir comment après cinq à six lustres de recherches non interrompues, de travaux pénibles, d’études approfondies et de méditations, M. Cuvier résume, dans son beau Discours sur les révolutions du globe, les faits qui les constatent, les grands phénomènes qui les rendent indubitables.[21]

« Je pense donc[22], y est-il dit, avec MM. Deluc et Dolomieu, que, s’il y a quelque chose de constaté en géologie, c’est que la surface de notre globe a été victime d’une grande et subite révolution, dont la date ne peut remonter beaucoup au-delà de cinq à six mille ans ; que cette révolution a enfoncé et fait disparaître les pays qu’habitaient auparavant les hommes et les espèces des animaux aujourd’hui les plus connus ; qu’elle a au contraire mis à sec le fond de la dernière eau, et en a formé les pays aujourd’hui habités… ; mais ces pays, que la dernière révolution a mis à sec, avaient déjà été habités auparavant, sinon par des hommes, du moins par des animaux terrestres ; par conséquent, une révolution précédente, au moins, les avait mis sous les eaux ; et, si l’on peut en juger par les différens ordres d’animaux dont on y trouve des dépouilles, ils avaient peut-être subi jusqu’à deux ou trois irruptions de la mer.

« Et ces irruptions, ces retraites répétées, n’ont pas toutes été lentes, ne se sont point faites par degrés.[23] La plupart des catastrophes qui les ont amenées, ont été subites ; et cela est surtout facile à prouver pour la dernière de toutes, celle dont les traces sont le plus à découvert ; elle a laissé encore dans les pays du Nord des cadavres de grands quadrupèdes, que la glace a saisis et qui se sont conservés jusqu’à nos jours avec leur peau, leur poil et leur chair. S’ils n’eussent été gelés aussitôt que tués, la putréfaction les aurait décomposés. Or, cette gelée éternelle n’a pu s’emparer des lieux où ces animaux vivaient, que par la même cause qui les a détruits : cette cause a donc été subite comme son effet. »

Les idées de M. Cuvier sur les âges relatifs[24] des couches appartenant aux terrains de sédiment, étendues aux différentes chaînes de montagnes, ont conduit, si je ne me trompe, au système qui prévaut en ce moment parmi les géologues, sur les soulèvemens successifs de ces chaînes ; système que M. Élie de Beaumont a développé avec tant de sagacité, et auquel tous les faits observés jusqu’ici viennent concorder.

On voit en effet, déjà dans l’édition de 1812 du livre que nous analysons, que l’on peut conclure de ce que toutes ces couches des terrains de dépôt ayant dû se former dans la position horizontale, les plus anciennes sont celles qui ont été plus ou moins dérangées de cette position, plus ou moins relevées vers la ligne verticale par une catastrophe ; et que les plus récentes sont au contraire les couches horizontales, occupant les flancs des premières ; parce qu’ayant conservé leur situation originelle, il est évident qu’elles n’ont pu se former qu’après la révolution qui a changé la position des couches inclinées, qu’elles recouvrent plus ou moins, et sur lesquelles elles s’appuient (h).

Une des questions les plus importantes, traitées dans ce grand travail dont je cherche à vous donner une esquisse, était celle de l’altération des formes animales. Il s’agissait de décider si les formes de beaucoup d’animaux perdus, qui diffèrent tant de celles des animaux vivans, indiquaient réellement des espèces et surtout des genres distincts des genres et des espèces encore existans, ou si le temps n’avait fait que modifier les formes primitives pour arriver aux formes actuelles.[25]

L’examen de cette question devait répondre à ceux qui croient à l’altération indéfinie des formes dans les corps organisés, et qui pensent qu’avec des siècles et des habitudes, toutes les espèces pourraient se changer les unes dans les autres ou résulter d’une seule d’entre elles.

Quelque extraordinaire, quelque incompréhensible que paraisse ce singulier système, qui ôterait toute base à la science, laquelle se fonde en définitive sur la détermination possible des espèces et sur leur durée, Cuvier commence par chercher à le réfuter sérieusement, et le détruit par une seule objection ; celle qu’on est loin de trouver généralement les modifications intermédiaires entre un animal de l’ancien monde et celui du monde actuel dont il se rapproche le plus. Il donne une définition de l’espèce, prouve la constance de certaines conditions de forme qui la caractérise, et présente le tableau des variations qu’elle peut subir et qui constituent les races ; il démontre enfin, par un examen scrupuleux des squelettes de momies, que les animaux qui vivaient en Égypte il y a deux à trois mille ans, comparés à ceux qui respirent de nos jours sur ce sol classique, n’ont éprouvé, pendant près de trente siècles, aucun changement important dans leurs formes ; qu’il n’y a pas même eu parmi les animaux sauvages une altération appréciable dans leur squelette, qui puisse caractériser seulement une race ou une variété.

« Il n’y a donc, dans les faits connus, rien qui puisse appuyer, le moins du monde, l’opinion que ces genres nouveaux que j’ai découverts[26] (je me sers de ses propres paroles) ou établis parmi les fossiles, non plus que ceux qui l’ont été par d’autres naturalistes, les paléothériums, les anoplothériums, les mégalonix, les mastodontes, les ptérodactyles, les ichtyosaures, etc., aient pu être les souches de quelques-uns des animaux d’au]ourd’hui, lesquels n’en différeraient que par l’influence du temps et du climat.

« Au reste, lorsque je soutiens, ajoute-t-il plus bas, que les bancs pierreux contiennent les os de plusieurs genres, et les couches meubles ceux de plusieurs espèces qui n’existent plus, je ne prétends pas qu’il ait fallu une création nouvelle pour produire les espèces aujourd’hui existantes ; je dis seulement qu’elles n’existaient pas dans les lieux où on les voit à présent, et qu’elles ont dû y venir d’ailleurs.[27]

Supposons, par exemple, qu’une grande irruption de la mer couvre d’un amas de sable ou d’autres débris le continent de la Nouvelle-Hollande ; elle y enfouira les cadavres des kanguroos, des phascolomes, des dasyures, des péramèles, des phalangers volans, des échidnés et des ornithorynques, et elle détruira entièrement les espèces de tous ces genres, puisqu’aucun d’eux n’existe maintenant en d’autres pays.

« Que cette même révolution mette à sec les petits détroits multipliés qui séparent la Nouvelle-Hollande du continent de l’Asie, elle ouvrira un chemin aux éléphans, aux rhinocéros, aux buffles, aux chevaux, aux chameaux, aux tigres, et à tous les autres quadrupèdes asiatiques, qui viendront peupler une terre où ils auront été auparavant inconnus.

Qu’ensuite un naturaliste, après avoir bien étudié toute cette nature virante, s’avise de fouiller le sol sur lequel elle vit, il y trouvera des restes d’êtres tout différens.

Ce que la Nouvelle-Hollande serait dans la supposition que nous venons de faire, l’Europe, la Sibérie, une grande partie de l’Amérique, le sont effectivement, et peut-être trouvera-t-on un jour, quand on examinera les autres contrées et la Nouvelle-Hollande elle-même, qu’elles ont toutes éprouvé des révolutions semblables, je dirais presque des échanges mutuels de productions ; car, poussons la supposition plus loin, après ce transport des animaux asiatiques dans la Nouvelle-Hollande, admettons une seconde révolution, qui détruise l’Asie, leur patrie primitive ; ceux qui les observeraient dans la Nouvelle-Hollande, leur seconde patrie, seraient tout aussi embarrassés de savoir d’où ils seraient venus, qu’on peut l’être maintenant pour trouver l’origine des nôtres. »

Je me suis arrêté à dessein, à cause de l’importance de la matière, du vif intérêt qu’elle excite, de la perfection avec laquelle elle a été envisagée sous toutes les faces par mon illustre maître, à ses travaux sur les ossemens fossiles et la géologie. Cependant il était loin de se flatter, en terminant son ouvrage, que cet ouvrage fixerait la science qu’il venait réellement de créer ; il prévoyait au contraire, dès ce moment, que l’émulation générale, excitée parmi les savans par une publication d’un si haut intérêt, porterait ses fruits. Cette pensée est bien clairement exprimée dans les dernières lignes du dernier tome.

« Je ne doute pas que, dans quelques années peut-être, l’ouvrage que je termine aujourd’hui et auquel j’ai consacré tant de travail, ne sera qu’un léger aperçu, qu’un premier coup d’œil, jeté sur ces immenses créations des anciens temps.[28] »

Plus bas il ajoute[29] : « Je vais désormais consacrer ce qui me restera de temps et de forces à publier des recherches déjà faites sur l’histoire des poissons ; mais surtout à terminer mon Traité général d’anatomie comparée. »

Telle était l’inconcevable force de tête de Cuvier, qu’à peine avait-il achevé un travail de longue haleine, il en commençait un autre, qui devait exiger des efforts non moins persévérans. Architecte aussi infatigable qu’ingénieux, marquant toujours de l’empreinte de son génie les édifices à la construction desquels il présidait, après avoir terminé un monument qu’il pouvait dire, comme Horace, plus durable que l’airain, œre perennius, il concevait immédiatement le plan d’un autre édifice, et mettait à l’ériger, une constante, une inépuisable activité.

Les recherches sur les ossemens fossiles ne comprenaient proprement que les mammifères et les quadrupèdes ovipares. Les poissons, dont les empreintes, dont les squelettes sont conservés, en très-grand nombre, dans les roches de différente nature, exigigeaient un travail à part. Mais un des élémens de ce travail, une des conditions préliminaires, était d’abord une détermination, aussi complète que possible, des espèces vivantes. Telle a été la première pensée qui a présidé à la grande entreprise scientifique d’une histoire naturelle complète des poissons vivans, que Cuvier ne tarda pas à annoncer au monde savant dans un Prospectus plein d’intérêt, où il décrit les limites de la science au moment où il entreprend de les étendre, et dans lequel il expose les ressources qu’il possède pour cela, et celles qu’il espère obtenir.

M. Valenciennes, actuellement professeur des mollusques au Muséum de Paris, fut choisi par M. Cuvier pour l’aider dans les détails innombrables d’une tâche aussi longue que pénible, que ce grand homme laisse malheureusement inachevée. Sans déprécier l’élève le moins du monde, on peut déplorer qu’un tel maître ne continue pas avec lui un ouvrage qui, comme tous ceux de M. Cuvier, est marqué au coin de l’invention et de la perfection.

Le simple titre, qui est strictement vrai, peut en faire saisir à la fois le plan et toute l’importance : c’est une Histoire naturelle des poissons, contenant plus de cinq mille espèces de ces animaux, décrites d’après nature et distribuées conformément à leurs rapports, avec des observations sur leur anatomie et des recherches critiques sur leur nomenclature ancienne et moderne.[30]

Cet ouvrage doit comprendre les descriptions de plus de cinq mille espèces. Artédi, le premier auteur qui ait publié un système ichtyologique, n’en avait déterminé que trois cents espèces, et Linnœus, quatre cent soixante-dix-sept. Gmeiin, à la vérité, avait porté ce nombre dans son édition du Systema naturœ de Linnœus, qu’il acheva à Gœttingue au mois de Mars 1788, à huit cents espèces apparentes, je dis apparentes à cause des double-emplois qu’on y rencontre fréquemment, Bloch, à douze cents, et Lacépêde, à quinze cents, tout au plus. On voit d’abord combien, sous le rapport des espèces décrites, l’ouvrage entrepris par M. Cuvier, a fait faire de progrès à la science.

Les descriptions y sont prises sur la nature même. Une espèce de chacun des plus petits groupes, la plus intéressante ou la plus facile à se procurer, s’y trouve décrite dans le plus grand détail, toujours d’après un plan uniforme[31]. Ce premier tableau sert de point de comparaison aux caractéristiques plus simples et très-succinctes des autres espèces du même groupe.

Plus on aura l’occasion de lire ces descriptions et de les comparer à la nature, plus on sera émerveillé de leur clarté, de leur justesse, de leur scrupuleuse exactitude, de la patience qu’il a fallu pour peindre aussi bien tous ces détails dans un langage pur, simple, précis, élégant, et de la facilité qu’ils donnent pour arriver à la connaissance des espèces.

La distribution méthodique, d’après l’ensemble des rapports, devait sans doute y contribuer beaucoup. M. Cuvier avait déjà fait l’heureux essai de sa méthode dans la première édition du Règne animal, publiée en 1817.

Il ne s’agissait plus que de le perfectionner dans tous les détails du système ichtyologique le plus complet possible, en multipliant les observations sur l’organisation intérieure et extérieure de ces animaux.

Enfin, un ouvrage tel que l’Histoire naturelle des poissons, devait présenter avec exactitude les noms que chaque espèce, lorsqu’elle n’est pas nouvelle, porte dans les ouvrages qui en parlent, en remontant même, lorsque cela était possible, jusqu’aux auteurs les plus anciens. Cette nomenclature des différentes époques et des différens auteurs, cette synonymie si difficile, quoique indispensable pour rapporter exactement à chaque espèce ce qui a été publié de son histoire, de ses mœurs, de ses usages, est peut-être la partie la plus précieuse des travaux de M. Cuvier sur les poissons. Il fallait à la fois son jugement exquis, son expérience et sa science pour débrouiller ce chaos.

Dès 1788 et 1789, c’est-à-dire, à peine âgé de vingt ans, Cuvier avait déjà décrit et dessiné de sa main, ce sont ses expressions[32], presque tous les poissons de la Manche.

En 1803, en 1809 et 1810, et en 1813, il avait eu l’occasion d’observer à Marseille, à Gênes et dans plusieurs endroits des côtes d’Italie, ceux de la Méditerranée.

Il faut voir ensuite dans le Prospectus dont nous avons parlé, les ressources multipliées que les auteurs ont eues à leur disposition ; ressources qui se sont infiniment augmentées par la communication de ce Prospectus à tous les savans, qui prirent aussitôt qu’ils le connurent, sans distinction de nation, sans rivaiité aucune, le plus grand intérêt à cette nouvelle publication de celui qu’ils regardaient, d’un commun accord, comme leur maître.

De même que l’annonce si éloquente que M. Cuvier leur avait faite, plus de vingt ans auparavant, de ses travaux sur les ossemens fossiles, de ses premières découvertes et de ses projets de publications sur ce sujet, si nouveau à cette époque, les avait électrisés en faveur de ces travaux, et avait fait affluer de toutes parts au Jardin des plantes, les fossiles trouvés partiellement dans toutes les parties du monde, ou, tout au moins, des modèles ou des dessins de ces objets : ainsi le Prospectus de l’histoire naturelle des poissons et les livraisons successives de cet ouvrage, ont excité parmi les voyageurs de tous les pays, quelque-fois même parmi ceux étrangers à la science, et parmi les savans de toutes les contrées, une volonté unanime de faire part au grand régulateur de la science, de tout ce qui pouvait l’intéresser. Sa demeure devint, pour une collection de poissons, comme pour les fossiles, un sanctuaire où les offrandes arrivaient de toutes les parties du monde. Rien ne met plus en évidence, à notre avis, la puissance du génie de M. Cuvier, et la justice qu’il rendait à tous les savans, sur la part respective qu’ils avaient eue au progrès de la science, que cet empressement à lui communiquer les collections qu’ils avaient faites au péril de leur vie, avant même qu’ils eussent eu le temps de les publier.[33]

Les travaux par lesquels M. Cuvier a constitué, 1.° l’Anatomie comparée, et 2.° l’Histoire des fossiles organiques comme sciences, et établi les véritables rapports de la première avec l’histoire naturelle, et ceux de la seconde avec la géologie ; 3.° ceux auxquels il s’est livré pour trouver les vrais principes d’une bonne méthode naturelle, et pour les appliquer à toute la zoologie, d’abord dans son Tableau élémentaire de l’histoire naturelle des animaux, plus tard dans les deux éditions successives du Règne animal ; enfin, 4.° son Histoire naturelle des poissons (i), forment quatre œuvres très-considérables, dont une seule aurait suffi pour remplir avec distinction sa vie scientifique et pour fonder à juste titre la réputation d’un autre savant.

Nous sommes loin cependant d’avoir seulement indiqué tous les services que ce grand homme a rendus aux sciences naturelles, tous les progrès qu’il leur a fait faire et tous les matériaux qu’il avait préparés dans ce but, objet de ses continuels efforts.

Ainsi en Anatomie comparée, durant les trente-sept années de sa carrière scientifique, ses aides (k) ou des collaborateurs de son choix, ou lui-même, ont fait une foule de dissections et de préparations, qui sont conservés dans l’immense cabinet du Jardin des plantes, où ces préparations, qui démontrent souvent une découverte importante, y forment, ainsi que nous l’avons déjà dit, une première publication de cette découverte.

Le catalogue de ce cabinet, ainsi que beaucoup de dessins, exécutés par Cuvier lui-même ou par M. Laurillard (l), dont la plupart sont encore dans ses portefeuilles, prouveront, quand ils auront été mis au jour par ce dernier, suivant la volonté testamentaire de notre illustre maître, combien il avait réuni de matériaux pour cette grande anatomie des animaux, dont la publication définitive, objet de ses vœux continuels, restait cependant constamment en projet, comme la dernière œuvre qui devait couronner la vie scientifique la plus active, la plus remplie, qu’il soit possible de concevoir. J’en trouve des traces remarquables dans plusieurs de ses lettres.

En Juillet 1809 il m’écrivait en m’annonçant ma nomination à la place de professeur adjoint à la faculté des sciences de Paris.[34]

« … Les cours ne commenceront qu’au mois de Janvier ; mais il vous faut au moins ce temps-là pour vous bien préparer ; d’ailleurs nous nous préparerons en même temps à notre grand ouvrage, qui, au fond, sera la même chose que votre cours. »

Au mois d’octobre 1809 je recevais, de Gênes, cette réponse[35] :

« Je vous remercie des détails que vous me donnez sur la myologie du phoque. Rien ne vous empêchera d’en publier un extrait pour vous les assurer ; cela n’empêchera pas cette partie de notre ouvrage de rester intéressante, lorsqu’elle reparaîtra avec plus de détails et dans tous ses rapports avec la myologie générale. Dites à M. Rousseau que nous avons déjà beaucoup de squelettes de poissons et que nous en aurons bien davantage quand le temps sera meilleur. C’est M. Laurillard qui fait tout ; je n’ai pas encore eu une minute pour m’occuper d’autre chose que de mes fonctions[36] ; mais nous espérons que la Toscane nous offrira moins de difficultés que Gênes, où il n’y a que pénurie et mauvaise volonté. »

Le 31 Décembre 1809 il m’adressait, de Florence, entre autres, ces lignes[37] :

« Vous me faites grand plaisir en travaillant à la myologie, ’et en faisant garder des préparations. C’est ainsi que nous rendrons notre ouvrage supérieur. »

« … Je ne perds point nos ouvrages de vue dans mon voyage, et partout je prends des notes et je fais dessiner M. Laurillard ; mais tous ces cabinets-ci ont bien peu de choses intéressantes, quoiqu’ils soient célèbres, parce qu’on ne connaît pas encore celui du Jardin des plantes comme il mérite de l’être. »

Le 23 Septembre 1810[38] il m’écrivait de Paris à Montbéliard, où une maladie m’avait forcé de retourner, encore plus de détails sur le plan de ce grand ouvrage d’anatomie :

« Je me prépare à me livrer incessamment tout entier au travail auquel vous aviez promis de vous associer. Mes fossiles sont terminés et vont bientôt paraître. Toutes mes corvées sont finies… Je n’ai plus rien à faire que mon grand ouvrage, et j’ai déjà travaillé au premier volume, qui sera le nouveau tableau du Règne animal. Il serait nécessaire de préparer les matériaux des volumes suivans, pendant que j’achèverai la rédaction de celui-là…

« … Au reste, mon plan de travail est celui-ci : faire beaucoup de monographies, et les réserver pour matériaux de la rédaction définitive. Ainsi nous employerons tout cet hiver à des monographies myologiques ; viendraient ensuite les névrologiques, etc. Comme je veux tout réduire en aphorismes et propositions générales, il n’y a pas d’autre moyen. Pour l’ostéologie j’ai encore beaucoup multiplié les squelettes et les préparations. »

Aux travaux anatomiques de M. Cuvier, à ces monographies qu’il regardait comme des matériaux de son grand ouvrage, se rapportent les mémoires sur les mollusques, qui ont paru successivement dans les Annales du Muséum, et dont l’ensemble, publié séparément en 1817, forme un gros volume in-4.° Cet ouvrage, non moins remarquable, non moins original que tous ceux dont nous avons parlé précédemment, par le grand nombre de découvertes qu’il renferme sur l’anatomie, la physiologie et l’histoire naturelle proprement dite de ces animaux, est accompagné de trente-cinq planches gravées, pour la plupart, par les meilleurs artistes[39], d’après de très-beaux dessins, qui ont tous été exécutés par M. Cuvier lui-même, et qui se composent d’excellentes figures de ces mollusques ou de leur organisation intérieure.

L’auteur commence chacune de ces monographies anatomiques par des considérations générales sur l’histoire naturelle proprement dite, et les rapports d’ordre, de famille ou de genre, qu’il a découverts dans l’animal sujet de chacun de ces mémoires. Il justifie par ces détails, dont la très-grande partie sont entièrement nouveaux, la révolution qu’il avait opérée, presque en commençant sa carrière scientifique, dans la classification des animaux sans vertèbres, en assignant aux mollusques, à cause de leur organisation déjà très-compliquée, un rang plus élevé qu’on ne l’avait fait avant lui ; en établissant leurs divisions principales sur des bases toutes nouvelles, et en constituant un certain nombre de genres nouveaux que tous les naturalistes se sont empressés d’adopter.

Pour faire ces anatomies, d’après lesquelles M. Cuvier a décrit et dessiné dans des figures d’une netteté parfaite les organes les plus déliés de ces animaux, il avait imaginé un procédé qui lui a été d’un grand secours, et dont l’emploi a puissamment servi aux progrès de la science, non-seulement en facilitant ses propres recherches, mais encore celles des anatomistes de France ou d’autres pays qui ont eu l’avantage de le voir travailler. Ce procédé consiste non-seulement à placer l’objet dans l’eau, lorsqu’il est petit, comme le faisaient les anthropotomistes pour mettre en évidence l’organisation intime des membranes de l’œil, mais encore à l’y déployer, à développer ses parties, en les étendant et en les fixant à mesure, avec des épingles, sur une plaque de cire. On ne saurait croire la facilité que donne un moyen aussi simple pour pénétrer dans l’organisation des petits animaux ! On ne saurait calculer de combien de découvertes importantes sur l’organisation intime de ces petits êtres il a été la source !

M. Cuvier faisait grand cas, à bon droit, de ses travaux sur les mollusques, dont il se proposait aussi de publier une nouvelle édition, considérablement augmentée, suivant ce qu’il m’en a dit plusieurs fois, en 1830.

En Janvier 1803, il m’écrivait de Marseille :

« Je travaille jour et nuit à l’anatomie ; j’enverrai bientôt celle de la Laplysie, toute refaite à neuf, et l’une des plus belles que j’aye encore faites. »

C’était une carrière presque nouvelle lorsqu’il la commença, du moins pour les mollusques gastéropodes, dont on ne connaissait guère que l’anatomie de la limace et du colimaçon, faites par Swammerdam et Lister. Poli, à la vérité, avait publié un magnifique ouvrage sur beaucoup de bivalves ou de mollusques acéphales de la Méditerranée ; mais cet ouvrage n’était pas encore parvenu en France, lorsque M. Cuvier fit, de son côté, ses belles découvertes sur l’organisation des animaux sans vertèbres en général et sur celle des mollusques en particulier. Poli, d’ailleurs, avait entièrement négligé les mollusques gastéropodes.

Les annales et les mémoires du muséum, les annales des sciences naturelles ou d’autres journaux scientifiques antérieurs à ceux-ci, renferment encore beaucoup de mémoires de M. Cuvier sur différentes parties de l’anatomie et de la physiologie des animaux ou de leur histoire naturelle, auxquels le plan de cette Notice m’empéche de m’arrêter en ce moment.

Il y en a deux cependant que je ne puis passer sous silence, à cause de leur importance physiologique.

Dans l’un M. Cuvier cherche à expliquer la voix et le chant des oiseaux, par les circonstances d’organisation que présentent leur larynx inférieur, leur trachée-artère, etc. Ce sujet piquant, dans lequel il y avait moyen d’appliquer les lois de la physique, pour expliquer une des fonctions par lesquelles la vie de certains oiseaux se fait le plus remarquer, avait à peine été effleuré par Hérissant et Vicq-d’Azyr. M. Cuvier le traita avec la supériorité de vue et l’exactitude d’observation qu’il mettait dans tous ses ouvrages. Je trouve dans une de ses lettres à feu Hermann, que ce fut son premier travail en arrivant à Paris[40]. Il le communiqua à la Société d’histoire naturelle de cette ville, et le fit imprimer dans le tome II du Magasin encyclopédique, sous le titre de Memoire sur le larynx inférieur des oiseaux. Trois années plus tard, M. Cuvier reprit cet intéressant sujet sur l’Organe de la voix dans les oiseaux, et lut ce nouveau travail à l’Institut national de France. L’introduction rappelait que les physiologistes n’étaient pas d’accord pour expliquer le mécanisme de la voix humaine ; que les uns le comparaient à un instrument à vent, et les autres, à un instrument à corde. Aussitôt après cette lecture, un des anatomistes les plus célèbres de l’époque, prit la parole pour dire que c’était à tort que M. Cuvier croyait la question indécise, qu’on était convenu généralement de regarder l’organe de la voix comme un instrument à vent.

Vous vous trompez, s’écria tout aussitôt un autre anatomiste non moins célèbre, l’organe de la voix est un instrument à corde ! Cette seconde assertion fit sourire l’assemblée, qui comprit que M. Cuvier avait dit vrai.

Dans le second de ces mémoires, il traite de la manière dont se fait la nutrition dans les insectes. Ce travail important, où l’observation de l’organisation la plus intime de ces animaux met en évidence un mode de nutrition tout particulier, qui confirme la séparation de ces animaux en une classe à part, fait comprendre, entre autres, la disposition singulière des organes de respiration, dont ils sont pourvus, et son véritable but. Ici les molécules nutritives, séparées parle canal alimentaire, ne sont pas versées immédiatement dans un système de vaisseaux clos et conduits dans un organe de respiration circonscrit, pour y subir l’action de l’élément ambiant, et cette modification si importante, par laquelle il semble que les animaux puisent dans la respiration le principe de leur vie. Ce n’est plus le fluide nourricier qui va chercher l’air ; mais c’est ce dernier qui, pénétrant par des canaux, qu’on appelle trachées, élégamment ramifiés dans toutes les parties des insectes, se porte à la rencontre des molécules nutritives qui leur tiennent lieu de sang, pour les modifier et les rendre propres au soutien de l’existence.

C’est, nous n’en doutons pas, dans cet intéressant travail que M. Cuvier a puisé, en partie, ses grandes idées sur les rapports de la circulation avec la respiration, et sur la quantité de respiration dont les différentes classes d’animaux sont pourvues, laquelle est toujours en rapport direct avec leur force musculaire et la quantité de mouvemens qu’ils ont la faculté de dépenser dans un temps donné.[41]

Je dois faire mention ici d’une grande entreprise à laquelle M. Cuvier prit, dans l’origine, une part active, celle du Dictionnaire des sciences naturelles, publié par la maison Levrault.

Il donna encore à cette entreprise la première impulsion, en rédigeant un Prospectus plein d’intérêt, dans lequel il expose rapidement l’histoire de la science, son état actuel, son utilité et l’apropos d’un pareil ouvrage, ainsi que les précautions prises par les auteurs pour que l’exécution réponde aux besoins de l’époque.

Je ne puis résister au plaisir d’en extraire la première partie, où se trouve un parallèle éloquent entre Linné et Buffon, précédé d’une exposition des services rendus aux sciences par les sages préceptes, par la manière de philosopher de Bacon, qui a toujours été celle de M. Cuvier, parce qu’elle était conforme à la sévérité, à l’extrême justesse de son raisonnement.

« Cependant l’histoire naturelle ne serait peut-être pas arrivée sitôt à la brillante destinée que ces sages préceptes lui préparaient, si deux des plus grands hommes qui aient illustré le dernier siècle n’avaient concouru, malgré l’opposition de leurs vues et de leurs caractères, ou plutôt à cause de cette opposition même, à lui donner des accroissemens aussi subits qu’étendus.

« Linnæus et Buffon semblent en effet avoir possédé, chacun dans son genre, des qualités telles qu’il était impossible que le même homme les réunit, et dont l’ensemble était cependant nécessaire pour donner à l’étude de la nature une impulsion aussi rapide.

« Tous deux passionnés pour leur science et pour la gloire, tous deux infatigables dans le travail, tous deux d’une sensibilité vive, d’une imagination forte, d’un esprit transcendant, ils arrivèrent tous deux dans la carrière, armés des ressources d’une érudition profonde ; mais chacun s’y traça une route diffférente, suivant la direction particulière de son génie, Linnæus saisissait avec finesse les traits distinctifs des êtres ; Buffon en embrassait d’un coup d’œil les rapports les plus éloignés. Linnæus, exact et précis, se créait une langue à part pour rendre ses idées dans toute leur rigueur ; Buffon, abondant et fécond, usait de toutes les ressources de la sienne pour développer l’étendue de ses conceptions. Personne mieux que Linnæus ne fit jamais sentir les beautés de détail dont le créateur enrichit avec profusion tout ce qu’il a fait naître : personne mieux que Buffon ne peignit jamais la majesté de la création et la grandeur imposante des lois auxquelles elle est assujettie. Le premier, effrayé du chaos où l’incurie de ses prédécesseurs avait laissé l’histoire de la nature, sut, par des méthodes simples et par des définitions courtes et claires, mettre de l’ordre dans cet immense labyrinthe, et rendre facile la connaissance des êtres particuliers ; le second, rebuté de la sécheresse d’écrivains qui pour la plupart s’étaient contentés d’être exacts, sut nous intéresser à ces êtres particuliers par les prestiges de son langaga harmonieux et poétique : quelquefois, fatigué de l’étude pénible de Linnæus, on vient se reposer avec Buffon ; mais toujours, lorsqu’on a été délicieusement ému par ses tableaux enchanteurs, on veut revenir à Linnæus, pour classer avec ordre ces charmantes images, dont on craint de ne conserver qu’un souvenir confus ; et ce n’est pas sans doute le moindre mérite de ces deux écrivains, que d’inspirer continuellement le désir de revenir de l’un à l’autre, quoique cette alternative semble prouver et prouve en effet qu’il leur manque quelque chose à chacun.

« Malheureusement, comme il n’est que trop ordinaire, les imitateurs de Buffon et de Linnæus ont saisi précisément les parties défectueuses de la manière propre à chacun de leurs maîtres, et ce qui n’était en ceux-ci qu’une ombre légère dans un tableau magnifique, est devenu le caractère principal des productions de leurs disciples respectifs. Les uns n’ont pris de Linnæus que ses phrases sèches et néologiques, et n’ont point fait attention que lui-même ne regardait son système que comme l’échafaudage d’un édifice bien autrement important, et que, dans les histoires particulières que ses nombreux travaux lui ont permis d’écrire, il n’a rien négligé de ce qui tenait à l’existence de l’être qu’il décrivait. Les autres n’ont admiré dans Buffon que ses vues générales et son style pompeux, sans remarquer qu’il ne plaçait ces brillans ofnemens que sur des faits recueillis par la plus judicieuse critique, et que même cette nomenclature qu’ils font profession de mépriser est toujours établie par lui avec une grande érudition, et sur les discussions les plus soignées et les plus ingénieuses. »

Ne pourra-t-on pas dire, après un tel jugement, que celui qui appréciait aussi bien ces deux grands hommes, qui retrouvait avec tant de bonheur dans l’un, ce qui manquait à l’autre, avait su les réunir dans ses écrits ? Ou plutôt, que son génie portait en lui-même une originalité dans laquelle on ne trouvait rien d’incomplet, rien de défectueux, rien qui fît sentir ce vide de méthode d’un côté, ou de vues générales de l’autre ?

M. Cuvier se chargea des articles de Zoologie générale, d’Anatomie et de Physiologie. Il a rédigé en outre, pour les cinq premiers volumes, qui ont paru de 1804 à 1806, les articles concernant les mollusques nus et les annelides.

Nous signalerons particulièrement ici ceux d’anatomie et de physiologie, pour l’extrême clarté de leur rédaction, faite dans le but de montrer et de faire comprendre la science admirable de l’organisation et de la vie aux gens du monde, auxquels s’adressait aussi un pareil ouvrage, afin de répandre de plus en plus la connaissance des sciences naturelles.[42]

Au mot Animal, entre autres, on pourra lire un de ces chef—d’œuvres d’exposition simple, claire et précise, et cependant rempli de vues profondes, dans lequel se trouve l’idée ingénieuse « que les plantes ne paraissent différer entre elles qu’à peu près autant que les animaux d’une seule classe diffèrent entre eux ; et que si l’on voulait donner la même valeur aux divisions du même rang dans les deux règnes, il ne faudrait peut-être faire qu’une classe de plantes et la subdiviser de suite en ordres. »

M. Cuvier s’intéressait beaucoup au succès de l’utile entreprise dont nous parlons, comme on le verra par l’extrait ci-joint d’une lettre qu’il m’écrivait de Fréjus à la fin de 1802[43]. Je la rapporterai presque en entier, parce qu’elle contient des particularités remarquables sur sa vie, et qu’il s’y explique clairement sur la manière dont les genres de mollusques de Linné et ceux de Lamarck devaient être adoptés ou modifiés : ce sont des principes, d’ailleurs, qu’il a appliqués à chaque page de ses ouvrages systématiques.

« Mon cher ami, il y a bien long-temps que je cherche à répondre à votre lettre… ; mais je n’ai pas encore trouvé un moment pour écrire à tête reposée… Enfin me voilà obligé de m’arrêter dans une assez vilaine ville, quoique très antique, pour y attendre mon collègue, qui vient par mer, et qui a, en ce moment, le vent aussi contraire qu’il soit possible. Pour moi, j’ai mieux aimé m’exposer au danger du cheval qu’à ceux de la navigation, et l’événement prouve que je n’ai pas mal calculé, puisque j’en suis quitte pour être à demi roué par vingt-deux lieues de poste que j’ai faites hier à franc étrier. Heureusement c’est du bras gauche qu’on tient la bride, autrement je serais hors d’état d’écrire, tant il est perclus. On ne se fait pas d’idée des chemins de ce pays-ci. Autant vaudrait voyager dans les montagnes Bleues ou dans ces Apalaches que M. C… vante tant. Mais revenons à votre affaire. Il faut sans doute que vous vous chargiez des zoophytes comme des mollusques. Gardez-vous, cependant, de prendre pour modèle les articles qu’a faits M. J… Examinez tout au plus ceux que j’ai faits pour les vers, notamment amphitrite, amphinome, arénicole, etc. Quant aux genres, je crois que, pour les coquilles, vous pouvez grouper ensemble un certain nombre des genres de Larmarck, en les traitant sous le nom des genres de Linné ou des miens, auxquels ils se rapportent, et en les regardant comme des sous-divisions ; mais il y en a quelques-uns qu’on sera obligé de traiter à part. Vous ne pouvez en général regarder comme sous-division que ceux auxquels le caractère générique de Linné ou le mien convient. Alors les caractères de Lamarck doivent ètre considérés comme servant à distribuer les espèces trop nombreuses pour la commodité des recherches ; mais il y a aussi dans Lamarck des genres qui ne peuvent aller sous aucun de ceux de Linné, quoique Linné en ait quelquefois rangé les espèces sous ses genres, en faisant entorse à ses caractères.

« C’est à la connaissance que vous prendrez des choses, en les étudiant, à vous diriger ; il serait impossible de vous fixer d’autres règles générales. Au reste, quelques défauts de distribution ne feront rien si tous les noms sont à leur place alphabétique, avec de bons renvois.

« À ce propos, je vous prie de mettre dans les lettres A et B, les noms en A et B des vers intestinaux, en renvoyant toujours au mot intestin (ver). J’imagine que mon frère m’a envoyé à Marseille les mots que je dois faire pour la lettre B[44] : c’est une occupation qui pourra remplir beaucoup de mes momens perdus. Pour les mollusques nus, je me propose de les faire tous ; envoyez-moi les mots à mesure. J’en ai l’histoire extérieure et intérieure complète dans la tête, et je serais fâché qu’elle ne fût pas écrite au moins en abrégé, s’il devait m’arriver malheur. J’en consignerai les détails dans les Annales. Dites à M. Geoffroy que j’en ai vu le second numéro à Draguignan, chez le préfet du Var. Ces Messieurs n’espéraient peut-être pas parvenir sitôt dans la montagne. Je vous suis bien obligé de tous les sentimens que vous me témoignez. Croyez que je ne connais de plaisir que celui d’en faire ; la seule manière dont j’aime qu’on le reconnaisse, c’est en me marquant qu’on en a. Adieu. »

M. Cuvier, n’ayant encore que vingt-six ans et demi, avait été nommé membre de l’Institut, peu après la première organisation de ce corps savant, au commencement de 1796.[45]

Dans cette organisation, les secrétaires de la classe des sciences physiques et mathématiques, à laquelle il appartenait, étaient élus tous les deux ans. Il fut choisi pour cet emploi à la troisième élection, qui eut lieu en 1800, et remplissait cette place, lorsque, dans la même année, Bonaparte, devenu premier consul, en fut fait président. Il s’établit, dès ce moment, d’intéressantes relations entre ces deux grands hommes, qui les honoraient l’un et l’autre. Dans une nouvelle organisation de l’Institut, on nomma pour la même classe deux secrétaires perpétuels, c’est-à-dire, à vie. M. Cuvier fut encore élu par ses collègues à l’une de ces places honorables, quoique éloigné de Paris et très-occupé, comme Inspecteur général des études, de la première organisation des lycées dans le midi de la France ; c’était en 1802.

Ainsi, M. Cuvier a rempli, pendant trente-deux ans, les fonctions d’historien d’un des premiers corps savans du monde. Seules, elles auraient pu, sans sa miraculeuse activité, sans la facilité extraordinaire de rédaction dont il était doué, absorber tous ses instans.

Vous pourrez en juger par l’exposé rapide du travail qu’elles exigeaient.

Il fallait assister régulièrement tous les lundis à la séance de la classe, devenue sous la restauration l’Académie des sciences, et en rédiger le procès-verbal, alternativement avec le secrétaire pour la section des sciences mathématiques ; ils devaient tenir note des memhres chargés des rapports, de l’ordre des lectures, et les indiquer au Président. La tâche principale de M. Cuvier était de suivre les progrès des sciences physiques, ceux particulièrement qui étaient dus aux membres de la classe ou aux travaux communiqués à cette société par des savans étrangers. Il fallait, chaque année, en rendre un compte succinct, quoique aussi complet que fidèle, dans la séance publique de l’Académie ; enfin, il devait lire, dans cette même séance publique, les Éloges historiques des Académiciens morts depuis peu.

Ces différens devoirs ne le dispensaient pas de ceux qu’il avait à remplir comme membre de la classe, et conséquemment de beaucoup de rapports sur des mémoires présentés à cette société savante, sur lesquels son devoir l’obligeait de porter un jugement avec connaissance de cause.

L’Analyse de la partie physique des travaux de l’Académie des sciences, que M. Cuvier a rédigée pour les trente premières années de ce siècle, fera l’un des plus beaux monumens de sa gloire.

C’est un exposé d’une admirable clarté des principaux progrès que les membres de l’Institut ou les savans étrangers qui lui ont communiqué leurs travaux, et sur lesquels cette société savante a entendu des rapports, ont fait faire aux sciences physiques.

Voici l’ordre dans lequel ces progrès sont exposés, et les divisions adoptées généralement dans ces analyses annuelles. Leur simple énoncé donnera une idée de l’importance et de l’étendue de cette Histoire, du plus haut intérêt.

Elle comprend :

1.° La météorologie et la physique générale ; 2.° la chimie et la physique proprement dite, lorsque l’explication des faits, dont elle s’occupe, n’exige point le calcul ; 3.° la minéralogie et la géologie ; 4.° la physique végétale et la botanique ; 5.° l’anatomie et la physiologie ; 6.° la zoologie ; 7.° les voyages, lorsqu’ils concernent l’avancement des sciences naturelles ; 8.° la médecine et la chirurgie ; 9.° l’art vétérinaire ; 10.°l’agriculture.

Voulez-vous avoir une idée juste des principales découvertes faites dans l’une ou l’autre de ces sciences pendant l’espace de temps que M. Cuvier a eu la charge d’en être l’historien ? Cherchez-la dans ses Analyses.

Tel auteur a dû parfois être surpris des termes simples dans lesquels on pouvait exprimer ses travaux et les progrès réels qu’ils avaient fait faire à la science ; tel autre n’a pu s’empêcher d’admirer la lucidité avec laquelle ses propres conceptions étaient présentées dans ces courtes analyses. Il a dû trouver dans plus d’une circonstance, que le meilleur des filtres, pour rendre ses idées transparentes, était l’esprit de M. Cuvier ; il a pu, dans plusieurs cas, après cette opération faite avec une aussi grande sagacité, découvrir dans ses travaux ce qu’il n’y avait pas vu, ou bien n’y plus voir ce qu’il croyait y avoir trouvé.

En général, ces analyses ont un caractère de justice et d’indépendance très-remarquable. On dirait qu’elles sont faites par un historien d’un temps bien éloigné, qui raconte avec la plus sage impartialité les événemens de la science dans l’ordre de leur liaison.

Ses récits ont le même caractère d’impartialité alors même qu’il parle de ses propres découvertes, ou qu’il rapporte des opinions contraires aux siennes et qu’il n’adopte pas, mais qu’il ne doit pas se permettre de juger au moment où son devoir l’appelle à en faire la simple histoire à ses savans confrères.

Ainsi, après avoir rendu compte d’un mémoire un peu singulier contre l’existence de l’Instinct[46], communiqué à la classe par un de ses membres, et après avoir expliqué, d’une part les difficultés que l’auteur combat, et de l’autre, celles dans lesquelles il s’engage, M. Cuvier ajoute : « On verra aisément par notre exposé, que nous ne jugeons pas ces diffcultés de même force ; mais nous avouerons que nous n’avons peut-être pas l’impartialité nécessaire pour tenir entre elles une balance égale ; et comme nous n’avons aucun droit d’en porter un jugement, nous engageons nos lecteurs à les revoir eux-mêmes dans le Mémoire de M Dupont. »

Il est curieux de lire dans ces analyses l’énoncé simple et réservé des travaux importans ide M. Cuvier, des résultats de ses constans efforts pour avancer la science de la nature.

Cette réserve, cette impartialité d’historien, se font encore remarquer lorsqu’il rend compte (Analyse de 1830) des débats qui eurent lieu dans le sein de l’Académie entre lui et son ancien ami, M. Geoffroy Saint-Hilaire, sur le plus ou moins d’étendue du plan de composition des animaux.

Il s’agissait de décider si les grandes différences de formes et d’organisation sur lesquelles sont fondées les classifications, ne sont qu’apparentes ? Ou du moins si les animaux vertébrés, les mollusques, les animaux articulés, les zoophytes, dont les caractères différentiels sont si tranchés, si positifs, si faciles à démontrer et à exprimer, n’auraient pas entre eux des ressemblances bien plus importantes, qu’on pourrait saisir en s’élevant, s’il est possible, à des considérations encore plus générales que celles qui s’arrêtent à ces différences si évidentes et si palpables ? Autrement, si la variété infinie de composition organique apparente que présentent les animaux selon leurs besoins, selon les manifestations si multipliées de leur vie, ne peut être ramenée, comme l’avait fait M. Cuvier dès 1812, qu’à quatre types ou plans principaux ? ou, s’il est possible de démontrer pour des groupes plus généraux du Règne animal, pour les vertébrés et les mollusques, par exemple, ou pour ces deux groupes et les animaux articulés, ou même pour tout le Règne animal, un seul plan de composition organique ? M. Cuvier ne le pensait pas. Mais il rendait justice aux efforts de ceux qui, poursuivant ce qu’il regardait, à bon droit, comme une chimère, découvraient des rapports inaperçus jusqu’à eux, et enrichissaient la science de faits nouveaux. Il se rappelait bien que les nombreux essais des premiers chimistes pour trouver la pierre philosophale, avaient été l’occasion de découvertes utiles aux progrès de la chimie.

M. Cuvier, en fondant l’anatomie comparée sur la comparaison des organes, remplissant une même fonction, lui avait imprimé une tendance toute physiologique.

De même, en considérant l’ensemble des différences et des ressemblances organiques dans les groupes de tous les degrés de la méthode naturelle établie par lui, il avait donné aux recherches anatomiques un autre emploi, celui de perfectionner l’histoire naturelle systématique, qui s’occupe plus particulièrement de la classification des êtres.

Lorsque ces recherches, enfin, ont eu pour direction principale de découvrir dans l’innombrable variété de formes et de parties des animaux, celles qui sont identiques et qu’il est possible de comparer justement entre elles, indépendamment des fonctions qu’elles remplissent, elles ont eu pour but de pénétrer les rapports intimes qui existent dans la composition organique des animaux qui ont été formés sur un même plan. On conçoit que ce dernier genre d’investigation conduit celui qui s’y livre aux considérations les plus générales sur l’origine et la formation des êtres. C’est une des parties philosophiques de la science, à laquelle les travaux de MM. Geoffroy Saint-Hilaire et Savigny, en France, ont donné une grande impulsion. J’ai vu M. Meckel commencer à la cultiver dès 1804, dans le laboratoire de M. Cuvier, par ses recherches si intéressantes sur les différences que présentent les viscères des fœtus de différens âges ; recherches qu’il a continuées en Allemagne avec un grand succès. Bojanus, Spix et MM. Ocken, Hérold, Burdach, Bœr, Rathke, van der Hœven, Muller, etc., ont encore beaucoup contribué par leurs écrits, à donner à cette étude particulière la vogue qu’elle a acquise dans ces derniers temps.

M. Cuvier était loin de la négliger ; les différences d’organisation n’étaient souvent pour lui que des modifications d’un même plan ; et ce plan, qui pouvait se vanter de posséder toute sa puissance intellectuelle pour le mieux saisir ; d’avoir acquis plus d’expérience et de science pour en découvrir tous les détails ; d’être doué, comme lui, pour en pénétrer avec justesse toutes les lois les plus cachées, de ce regard du génie, le plus perçant à la fois et le plus étendu ? Mais, il faut le dire, il ne se livrait à ces considérations générales qu’avec une grande réserve, et toujours en s’attachant à l’observation la plus sévère et la plus incontestable. La constitution de son esprit, dans lequel un jugement exquis était le modérateur sévère de l’imagination, retenait chez lui, dans de justes bornes, la force des aperçus, en lui inspirant la crainte continuelle de transformer une science toute positive en une science spéculative. C’était, suivant M. Cuvier, la plus grande erreur qu’on pût commettre dans la manière de traiter les sciences d’observations et l’histoire naturelle en particulier ; erreur qu’on avait généralement abandonnée, depuis Bacon, au grand avantage de ces sciences, et dans laquelle on ne pouvait retomber, qu’en arrêtant leurs progrès ; erreur que le grand homme a signalée dans tous ses écrits, et contre laquelle il n’a cessé de prémunir la jeunesse dans ses lumineux enseignemens ; erreur, enfin, qui pouvait jeter les naturalistes dans des divagations sans but et sans issue.

Quel avantage, en effet, la science aurait-elle pu tirer à chercher, par exemple, dans la tête, une représentation de la totalité du corps, d’après l’opinion si singulière et conforme aux principes de la métaphysique idéaliste et panthéistique, dite philosophie de la nature, que chaque partie, chaque partie de partie, doit toujours représenter le tout ? A-t-on avancé l’histoire naturelle le moins du monde, lorsque, se laissant entraîner à son imagination, on a vu dans le crâne, pris séparément, la tête de la tête ; dans le nez, le thorax ou la poitrine de la tête ; dans les mâchoires, des bras et des jambes.[47]

M. Cuvier connaissait les limites de cette partie philosophique de l’histoire naturelle, au-delà desquelles on tombe dans le vague des régions de la métaphysique. Sa profonde sagesse n’a jamais dépassé ces limites dans les nombreux rapports que son génie lui a fait découvrir chaque fois qu’il a dirigé son attention sur quelque point de la science qui en recélait de réels.

Nous voyons, par exemple, dans l’analyse des travaux de la classe des sciences physiques et mathématiques pour l’année 1812, que l’auteur, « adoptant les vues de M. Geoffroy, ce sont ses expressions, sur l’identité de composition de la tête des vertébrés ovipares avec celle des fœtus des mammifères, a cherché à déterminer d’une manière constante, à quel os de la tête des mammifères répond chaque groupe d’os de la tête des différens ovipares, et il croit y être parvenu en joignant à l’analyse du fœtus des premiers, la considération de la position et de la fonction des os ; c’est-à-dire, en examinant quels organes ils garantissent, à quels nerfs et à quels vaisseaux ils donnent passage, et à quels muscles ils fournissent des attaches.[48] »

On lit, de même, dans le compte que M. Cuvier rend à l’Académie, en 1814, d’un mémoire qu’il avait lu cette année sur la composition de la bouche des poissons, qu’il y retrouve, au fond, toutes les pièces qui appartiennent à celle des mammifères. Il parle dans cette même analyse des beaux travaux de M. Savigny sur l’analogie de composition qui existe entre la bouche des insectes suceurs et celle des insectes broyeurs, et il reconnaît que la nature, dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, se borne à rapetisser certaines parties et à en développer d’autres, et parvient à des effets entièrement opposés, par ces simples changemens dans les proportions ; en sorte, ajoute-t-il, que la structure de cette nombreuse classe d’animaux, offre dans cette partie importante de son organisation, une uniformité plus satisfaisante qu’on ne l’avait cru jusqu’à présent.

Une autre fois, après avoir parlé des rapprochemens établis par MM. Geoffroy et Latreille, entre l’embranchement des vertébrés et celui des animaux articulés ; « Il nous serait facile, ajoute-t-il, de rapporter encore un grand nombre de manières d’envisager ces rapports, si, ne nous bornant point, comme nous le devons, à rendre compte des mémoires présentés à l’académie, nous pouvions donner aussi des extraits des ouvrages publiés par les naturalistes français ou étrangers qui se sont livrés aux spéculations de ce genre, surtout en Allemagne, où elles ont été fort en vogue pendant quelque temps ; mais l’espace qui nous est accordé ne nous permettant pas ces excursions, nous nous bornerons à faire remarquer que, dussent plusieurs de ces essais manquer encore leur but, la science aura toujours à se féliciter de ce grand mouvement imprimé aux esprits. Sur cette route, quelque hasardeuse qu’elle soit, les observations les plus précieuses se recueillent, les rapports les plus délicats se saisissent, et quand, en définitive, on découvrirait que les vertébrés et les insectes ne se ressemblent pas autant qu’on l’avait cru, il n’en sera pas moins vrai que l’on sera arrivé à connaître beaucoup mieux les uns et les autres.[49] »

Outre ces analyses annuelles, M. Cuvier eut dans ce genre, en 1808, une tâche extraordinaire. « Tous mes travaux sont presque arrêtés, m’écrivait-il à cette époque, par un ouvrage que l’Empereur a demandé à la classe et qui m’est revenu, pour la plus grande partie, comme secrétaire ; c’est une histoire de la marche et des progrès de l’esprit humain depuis 1789. Vous jugez à quel point la besogne est compliquée pour les sciences naturelles ; aussi ai-je déjà fait près d’un volume, et je suis loin d’être au bout : mais cette histoire est si riche, il y a un si bel ensemble de découvertes, que j’ai fini par y prendre intérêt et par y travailler avec plaisir. J’espère que ce sera un morceau marquant d’histoire littéraire et philosophique. Je tàche surtout d’y indiquer les véritables vues qui doivent diriger les recherches ultérieures.[50] »

Nous devons mentionner à la suite de ces différens écrits historiques, trois Discours remarquables, qu’il composa pour être lus en 1816, 1824 et 1826, dans la séance publique annuelle des quatre Académies.

Le premier a pour titre : Réflexions sur la marche actuelle des sciences et sur leurs rapports avec la société. Le second traite de l’État de l’histoire naturelle et de ses accroissemens depuis la paix maritime. Le troisième expose les Principaux changemens éprouvés par les théories chimiques et une partie des nouveaux services rendus par la chimie à la société.

Ce sont autant d’exemples du talent extraordinaire de M. Cuvier, comme écrivain en général, et comme historien en particulier. Fragmens éloquens de littérature et de science, ils témoignent du goût exquis de l’auteur, autant que de son profond savoir et de la facilité de son esprit à généraliser ses idées.

C’est encore le jugement que porteront de cette tête si forte, les personnes qui seront à même d’apprécier les éloges historiques des académiciens ou d’autres savans, qu’il a lus successivement, d’abord à la Société philomatique, ensuite à l’Institut, durant les trente-sept années de sa carrière scientifique. Ces éloges, qui ont été réunis dans une édition en trois volumes in-8.°, appartiennent essentiellement à l’histoire des sciences physiques. Chacun d’eux donne une idée des travaux auxquels s’était voué l’académicien qui en fait le sujet, de l’état où se trouvait, au commencement de sa carrière, la science qu’il a plus particulièrement cultivée, et des progrès qu’il lui a fait faire. Cette esquisse attache par les lumières que l’auteur y répand, parce que la science s’y trouve mise à portée de tous les lecteurs et qu’elle y est exposée dans un style aussi simple qu’élégant. Avec un pareil guide on est initié, sans s’en douter, dans les sciences qu’on ne connaissait pas auparavant ; et pour celui qui, les ayant apprises, croyait les bien savoir, il est tout étonné d’arriver, sous les auspices de M. Cuvier, à une hauteur de doctrine d’où il découvre un horizon nouveau, qui le surprend et l’enchante.

À l’époque où M. Cuvier lut ses premiers éloges, on avait assez généralement adopté, dans de pareils écrits, le style élevé, souvent ampoulé, qu’on reproche aux ouvrages de Thomas et de l’abbé Raynal. L’exaltation des passions, durant la révolution, se faisait trop souvent sentir dans la littérature. M. Cuvier fut un des premiers écrivains de cette époque qui sut éviter cet écueil, et il montra par la sagesse de son style, comme par celle de ses idées, son excellent esprit, son goût pour le beau comme pour le bien.

Ces travaux multipliés, ces nombreuses publications sur des objets si variés, exécutés d’après des plans si différens, qui auraient rempli plusieurs vies de savans ordinaire, n’ont été, à bien des époques de celle de M. Cuvier, qu’une occupation accessoire.

Entré, dès 1795, dans la carrière de l’enseignement, il a professé à l’école centrale du Panthéon les Élémens de l'histoire naturelle ; au Jardin des plantes, l’Anatomie comparée ; au Collége de France, l’Histoire naturelle philosophique ; des parties choisies de cette belle science de la nature au Lycée ou à l’Athénée des arts, devant l’élite de la société de Paris, la même qui, peu de temps auparavant, accourait aux leçons de littérature de La harpe. M. Cuvier s’est montré dans tous ces différens enseignemens au moins aussi parfait que dans ses écrits.

Au Jardin des plantes, ses leçons sur l’anatomie comparée attiraient, dans un immense amphithéâtre, l’auditoire le plus nombreux. Toutes les oreilles étaient attentives, pour entendre les oracles qu’il prononçait sur l’organisation et ses lois. L’esprit était saisi des merveilles qu’il en racontait d’une voix forte, sonore, pénétrant dans toutes les directions jusqu’à la dernière limite de ce vaste local. Son élocution facile, exprimant d’une manière aussi simple que claire, ce que la conception la plus rapide à la fois et la plus juste, avait pénétré, répandait la lumière dans toutes les intelligences. Là, de nombreuses préparations des machines organiques qui composent la collection d’anatomie comparée du Jardin, exposées successivement aux regards des auditeurs, contribuaient à rendre plus lumineuses ses démonstrations orales. Tous ces moyens d’intuition étaient encore multipliés merveilleusement par les esquisses que M. Cuvier traçait avec une inconcevable habileté, sans interrompre, pour ainsi dire, le fil de son discours. Cette dernière expression semble avoir été imaginée pour peindre exactement, chacune de ses leçons ; c’était, en effet, un discours suivi, quoique improvisé sur de courtes notes, dans lequel toutes les idées étaient déroulées dans l’ordre le plus parfait, sans l’ombre d’hésitation, sans la moindre redite, en employant toujours le terme le plus propre, sans recherche et sans jamais viser à produire d’autre effet que celui d’instruire. Mais les merveilles de l’organisation, si bien mises en évidence par le génie, donnaient à ses instructions un intérêt, excitaient souvent parmi ses nombreux auditeurs un enthousiasme, qui se ranime encore après plus de trente ans dans celui qui a eu le bonheur de les entendre, et qui voudrait, mais vainement, le faire partager à ceux qui en ont été privés.

Au Collége de France, l’interprète de la nature, tantôt en expliquait les lois dans un cours philosophique, qui comprenait les généralités les plus élevées de l’histoire naturelle proprement dite ; tantôt déroulait le tableau de la marche progressive de toutes les sciences physiques, depuis la naissance des sociétés jusqu’au temps actuel. C’est surtout dans ce dernier cours, que M. Cuvier se montre un génie universel, qui se plaît, dans ses méditations, à passer en revue toutes les connaissances humaines ; qui les analyse, les classe, remonte à leurs sources, les suit partout où elles se répandent, signale leurs progrès, juge avec une profonde sagacité ceux qui en sont les promoteurs, montre les routes où l’on s’égare, ne fait grâce à aucune erreur et consacre tous ses efforts, consume pour ainsi dire sa vie à dire et à faire aimer la vérité.

Sa dernière leçon, prononcée le Mardi 8 Mai de cette année, avait quelque chose de solennel et de mélancolique, qui semblait annoncer que c’était pour la dernière fois que l’esprit sublime d’un tel maître se révélait à ses disciples.

Il reprenait ce jour-là son cours sur l’histoire des sciences naturelles, qu’il avait interrompu pendant l’époque des plus grands ravages du choléra.

Permettez-moi de vous lire ici ce qu’a écrit de cette leçon un de ses auditeurs les plus distingués par son savoir et ses sentimens, l’une des personnes dont l’esprit élevé pouvait le mieux comprendre la hauteur des pensées de ce grand maître.

« Après avoir résumé, » c’est l’historien de cette sublime leçon qui parle, « ce qu’il avait dit jusque-là pour rendre compte des efforts tentés par les différentes écoles philosophiques pour expliquer le monde de phénomènes qui nous entoure, après s’être élevé avec la force et la vivacité d’une sainte indignation contre cette hérésie en histoire naturelle, qui veut ramener tout, dans ce vaste univers, à une pensée isolée et systématique, et faire des progrès du moment un temps d’arrêt et un obstacle pour l’avenir ; M. Cuvier avait indiqué ce qui lui restait à dire pour vider les deux grandes questions de l’évolution et de l’épigénèse, et pour développer ensuite sa propre manière d’envisager l’étude de la création : étude sublime, dont la mission est de ramener l’intelligence humaine, qui n’envisage et ne comprend les choses qu’une à une, et qui les méconnaît en les assujettissant à des systèmes étroits, pour la ramener, dis-je, à cette Intelligence Suprême, qui les comprend, les vivifie toutes et leur donne leur individualité parfaite, parce qu’elle ne laisse manquer à aucune d’elles les conditions spéciales et nécessaires à son existence ; à cette Intelligence, enfin, qui révèle tout et que tout révèle, qui renferme tout et que tout renferme ! »

« Il y avait dans cette dernière partie de la leçon un calme et une justesse de perception, une révélation franche de la vue intime et complète de l’observateur religieux, rappelant involontairement le livre qui parle de la création à tout le genre humain, la Genèse. Ce rapport, plutôt évité que cherché, qui ne se trouvait pas dans les mots, mais dans les idées, parut se faire jour tout à coup, lorsque le professeur prononça ces paroles : Chaque être renferme en lui-même, dans une variété infinie et une prédisposition admirable, tout ce qui lui est nécessaire, chaque être est parfait et viable, selon son ordre, son espèce et son individualité.

« Nulle part formulée, il y avait dans cette leçon une omniprésence de la cause suprême. La plus haute mission de la science, sa position finale, y était clairement indiquée. On touchait par l’examen du monde visible au monde invisible, et partout l’examen de la créature indiquait la présence du Créateur. »

Messieurs, cet exposé des services que M. Cuvier a rendus aux sciences naturelles par les œuvres de son génie et par son enseignement inimitable, est sans doute bien insuffisant pour vous en donner une idée complète.

Ces travaux, cependant, quelque grands, quelque multipliés, quelque utiles qu’ils aient été, sont loin d’avoir absorbé toute l’activité de l’homme extraordinaire dont nous esquissons la vie.

Destiné plus particulièrement, par les études spéciales du Droit et de la science de l’administration et des finances, à la carrière administrative, il est arrivé successivement et malgré les changemens si fréquens dans notre Gouvernement, aux emplois les plus élevés.

Nommé par Bonaparte, en 1802, l’un des six Inspecteurs généraux chargés d’organiser les lycées, il devint plus tard, en 1808, conseiller de l’université impériale, et fut chargé, en 1809 et 1810, d’organiser les Académies des pays italiens réunis alors à l’empire.

En 1811, il eut pour mission d’inspecter l’état de l’instruction publique en Hollande et dans les nouveaux départemens de la Basse-Allemagne.

En 1813, il fut envoyé à Rome pour y faire de même une enquête sur les établissemens d’instruction publique de l’État de l’Église, réuni récemment à l’empire français, et pour proposer les moyens de mettre leur organisation en harmonie avec celle de la grande Université de France. Son titre de protestant ne nuisit en rien au succès de sa mission, tant son caractère élevé le mettait au-dessus de l’esprit de parti, tant sa loyauté et le sentiment de justice universelle qui l’animait, commandait l’estime et la confiance !

Ce fut pendant cette inspection, qui n’a pas été une des moindres singularités de ces temps si rapprochés de nous et cependant si fabuleux, que l’Empereur le nomma Maître des requêtes en son Conseil d’État.

Ces différentes missions et le choix d’un homme tel que M. Cuvier pour les remplir, attestent à la fois la sollicitude du Gouvernement qui les donnait, et le désir qu’il avait qu’elles fussent aussi fécondes que possible en heureux résultats.

Les rapports que M. Cuvier fit en 1809 et 1810[51] conjointement avec ses deux collègues, MM. de Coiffier et de Balbe, sur les établissemens d’instruction publique des départemens au-delà des Alpes, sont des documens précieux dans lesquels le but utile de la mission extraordinaire confiée à ces messieurs, est manifesté à chaque page. M. Cuvier se chargea de toute la rédaction, aussi bien de la partie concernant les séminaires, que de tout ce qui avait rapport à l’histoire des établissemens d’instruction de tout genre, à ceux en particulier des Facultés et des Académies savantes ou littéraires, de leur matériel, de leur personnel et de leur organisation ancienne, de leur état actuel, des dommages qu’ils avaient soufferts par les changemens de gouvernement, des maux à réparer, des améliorations à y introduire.

Ce résultat de ses recherches et de ses observations sur les universités de Gênes, de Parme, de Pise, de Sienne, de Florence et de Turin, est du plus haut intérêt. La pensée dominante de M. Cuvier dans cette honorable mission, pensée qui anime tous ses rapports, a été de respecter tout ce que ces établissemens renfermaient d’utile, et de signaler même les usages qu’il pourrait être bon d’introduire dans l’ancienne France.

« En effet, dit-il[52]", en parlant des universités de la Toscane, qui aurait le courage de toucher légèrement à des institutions fondées et soutenues par tant de grands hommes ? Et quand on songe que l’enseignement du Droit civil a été établi en Toscane par Irnerius et par Barthole ; que la médecine y a possédé Vidius, Columbus, Fallope, Mercurialis et Redi ; que Galilée y a montré la physique ; Micheli, Césalpin, la botanique ; que le Dante, Pétrarque, Machiavel et Guichardin, sont sortis de ces écoles ; que ses grands artistes, ses hommes d’État, les princes, enfin, étaient aussi versés dans les lettres que ses littérateurs de profession, n’est-on pas enclin au respect plutôt qu’à la critique, et ne redoute-t-on pas par-dessus tout de proposer une réforme téméraire ? »

L’esprit de sagesse et la grande pénétration de M. Cuvier pour discerner ce qui conviendrait le mieux aux habitudes et aux localités, ou pour fonder et organiser avec les germes de la durée, forme le caractère le plus saillant de ces rapports ; ils sont d’ailleurs écrits avec une indépendance remarquable, et ils renferment un exposé franc et consciencieux des maux que la guerre ou des administrateurs mal avisés avaient causés à ces établissemens.

La mission que M. Cuvier remplit en Hollande, en 1811, et dans la Basse-Allemagne et les villes hanséatiques, lui fournit l’occasion de signaler au grand-maître et à la France, ces écoles primaires si parfaites, qui font du peuple hollandais un peuple instruit et moral, attaché à tous ses devoirs (m).

À son retour de ce voyage, où il avait trouvé beaucoup d’établissements à louer, il eut le plaisir de revoir la ville de Stuttgart, vers laquelle la reconnaissance, les souvenirs de sa jeunesse et l’espoir de revoir les amis qu’il avait laissés dans ce pays de science et de probité, l’avaient dirigé. Il se rendit de là à Strasbourg, où il s’occupa de plusieurs améliorations, dont l’Académie de cette ville avait besoin, et reçut avec le bonheur que donnent les souvenirs du foyer domestique et les affections de famille, une députation de sa ville natale.

Un homme comme M. Cuvier, qui avait rendu de si éminens services à l’administration, était devenu indispensable à tout gouvernement comprenant bien ses véritables intérêts. Aussi la restauration s’empressa-t-elle de mettre à profit son savoir et son expérience dans la direction de l’université ; sans toutefois avoir assez d’indépendance de préjugés, pour le nommer grand-maître, et pour se persuader que le génie de l’administrateur qu’il avait montré en tant d’occasions, lui ferait voir partout, à l’exemple de la Providence, le bien général à faire, sans distinction de nuances dans les opinions ou dans les rites religieux.

Il eut cependant, sous Louis XVIII, pendant plusieurs années, la présidence de la Commission de l’instruction publique ; et, lorsqu’on rétablit la charge de grand-maître de l’université, il conserva la place éminente de chancelier, la seconde de la hiérarchie universitaire, avec la direction de toutes les Facultés du royaume.

Il remplissait en outre les fonctions de grand-maître d’une manière indépendante pour les Facultés de théologie protestante depuis 1822, qu’un évêque avait été mis à la tête de l’université.

En 1827, il fut encore chargé de l’administration des cultes non catholiques au ministère de l’intérieur.

La nomination de Maître des requêtes au Conseil d’État, qu’il reçut en 1813, pendant qu’il était à Rome, occupé de l’inspection et de l’organisation des établissemens d’instruction publique, fut l’effet d’une résolution personnelle de Napoléon. L’Empereur avait acquis par lui-même quelque connaissance des travaux administratifs auxquels M. Cuvier s’était livré comme Conseiller de l’université ; et il en avait été de plus informé avec bienveillance par le grand-maître Fontanes (n).

Une mission tout-à-fait étrange, qu’il reçut vers la fin de cette même année, est du moins une preuve du cas que l’Empereur faisait de la fermeté de son caractère.

Il l’adjoignit comme Maître des requêtes au Commissaire impérial extraordinaire, qui avait la tâche difficile alors, d’aller prendre toutes les mesures de défense du territoire contre l’invasion de l’ennemi. Il devait s’efforcer de pénétrer jusqu’à Mayence. L’entrée des armées alliées l’obligea de s’arrêter à Metz et de rétrograder (o).

La catastrophe de 1814 arriva au moment où M. Cuvier allait être nommé Conseiller d’État par l’empereur : mais ce ne fut pour lui qu’un retard de quelques mois.

Louis XVIII lui conféra cette dignité en Septembre de cette même année.

Dès-lors il a eu une très-grande part à l’administration intérieure, autant qu’elle ressort du comité de l’intérieur du Conseil d’État. Nommé, en 1819, président de ce comité, il a conservé cette place éminente jusqu’à sa mort, malgré les vicissitudes des ministères.

Dans cette carrière administrative, qui a été parfois politique M. Cuvier, quoi qu’en ait dit l’esprit de parti, n’a pas moins montré la prééminence de son savoir, la sagesse de son jugement, sa profonde sagacité et la hauteur de ses vues, que dans sa carrière scientifique.

Ce n’est pas ici le lieu de développer cette proposition, par les détails du bien qu’il a fait et du mal qu’il a empêché dans des temps difficiles.[53]

Je dirai seulement que peu de personnes ont réuni, comme lui, dans le caractère et dans l’esprit, autant de qualités pour conduire une grande administration, l’activité, l’ordre, l’intelligence, le savoir, et par-dessus tout, cette volonté ferme, cette pureté d’intention, ce désintéressement parfait qu’on rencontre si rarement dans des temps de révolution.

Ces qualités supérieures qu’on admirait en lui et qu’il a toujours si utilement employées dans tous les corps dont il faisait partie, dans toutes les institutions qu’il était appelé à soutenir, se sont montrées avec éclat là même où, pour ainsi dire, il n’a fait que passer ; et dans le peu de séances auxquelles il a assisté à la Chambre des Pairs[54], on a pu, tout d’abord, apprécier la force d’intelligence et la justesse d’esprit dont il a fait preuve en traitant différentes questions de gouvernement et de législation (p).

Ces sortes de questions, à la vérité, avaient été, déjà à Stuttgart, l’objet de ses études de destination : et depuis 1813, qu’il a fait partie du Conseil d’État, d’abord en qualité de Maître des requêtes, peu de temps après comme Membre de ce Conseil, et dès 1819, comme Président de section, il avait acquis une expérience des affaires qui, jointe à sa science et à sa supériorité intellectuelle, l’avaient rendu la lumière de ce Conseil. Habitué à présider la section de l’intérieur, il en dirigeait, il en résumait les débats avec une connaissance des lois, de la législation historique et des règlemens administratifs, et une économie de temps, qui ont fait dire depuis, à plusieurs des personnes les mieux à même d’en juger, que l’absence de M. Cuvier du Conseil d’État, était une calamité publique.

Il a laissé dans l’administration supérieure de l'université tant de traces de son inconcevable activité, que son absence aussi ne peut manquer d’y produire un vide sensible, que les supériorités en tout genre qui en font partie, me permettront de signaler.

En effet, depuis la création de l’Université, il n’a cessé de la servir de tour son pouvoir dans toutes les circonstances, sous tous les régimes et à travers mille difficultés ; et, l’année dernière encore, nous l’avons vu défendre à la Chambre des Députés l’organisation actuelle de l’instruction publique avec une éloquence qui entraîna tous les suffrages.

Au surplus, ce triomphe de la parole n’était pas nouveau pour lui ; appelé, en 1816, comme Conseiller d’État, à soutenir devant les Chambres la loi des élections, il y improvisa deux des plus beaux discours qui aient jamais été tenus à la tribune française ; et si, en 1820, il s’est décidé, à défendre la nouvelle loi que proposait le Gouvernement, c’est qu’il fut convaincu, d’un côté, que les choix de plusieurs départemens étaient hostiles à la monarchie, et de l’autre, que la nouvelle loi laissait encore, comme il l’a dit à la tribune, une part suffisante à l’élément démocratique. On a vu, en effet, que les manœuvres employées sous le ministère Villèle, pour empêcher l’expression libre, franche et loyale des colléges électoraux, avaient pu seules rendre nulles, pour quelques années, les prévisions de ce génie universel. Je dis, pour quelques années, puisque ces mêmes manœuvres sont devenues plus tard inutiles pour contraindre la volonté nationale, et qu’elles n’ont pu arrêter la chute de ce ministère.

M. Cuvier n’était pas plus un homme de parti en politique que dans les sciences ; son génie lui faisait voir de trop haut les débats politiques ; et, de ce point de vue élevé, les passions des hommes se rapetissaient si fort à ses yeux, qu’il répugnait d’y prendre couleur.

Le seul sentiment qui l’anima, qui domina toutes ses opinions, tous ses jugemens, était celui de la justice universelle et de l’ordre. Cet ordre, si nécessaire au bonheur commun, aux améliorations progressives de l’état social, il le comprenait dans une juste distribution des travaux et des pouvoirs selon les facultés, et dans une ferme direction de la machine gouvernementale pour le plus grand bonheur de tous. Mais son jugement exquis, si fort d’expérience et de science, était souvent blessé des faux jugemens et de l’inexpérience qui se chargeait de cette direction ; et bien plus encore de celle qui voulait en déterminer la marche avec une courte vue, aussi peu capable d’apprécier la force qui devait l’imprimer, que de découvrir la route à parcourir et les obstacles qui pouvaient s’y rencontrer.

Les hommes supérieurs, qui voient les affaires humaines sous toutes les faces, lorsque le vulgaire ne peut en découvrir qu’une faible partie ; qui calculent leurs actions réciproques de manière à en prévoir les résultats ; qui sentent en eux-mêmes une force puissante et salutaire pour la bonne direction de ces affaires, ont aussi de la tendance à s’en charger. Doit-on leur reprocher ce noble zèle, si la tâche est bien faite et s’ils l’accomplissent avec un généreux dévouement ?

Une des fonctions administratives les plus importantes que M. Cuvier avait acceptées dans les dernières années de sa vie, était sans doute la direction des cultes non catholiques.

L’administration en était d’autant plus difficile qu’il trouvait moins d’appui dans les lois ou les réglemens, qui manquent pour une direction régulière et ferme, et permet à ceux qui en sont chargés d’y mettre plus d’arbitraire. Cependant, nous n’hésiterons pas à l’affirmer, M. Cuvier s’est montré supérieur dans cette partie, comme dans toutes les autres, par son activité, son amour de l’ordre, sa probité sévère et sa force de volonté. Sans doute, le bien qu’il a pu faire est loin encore d’égaler celui qu’il méditait et dont il pouvait espérer la réalisation successive sous un règne où la pensée du bien public est la pensée dominante, où toutes les améliorations possibles sont le but des constans efforts du Gouvernement. Combien il est à regretter que ses vues inspirées par l’esprit d’ordre et de justice, par le profond sentiment moral dont il était pénétré, et par la connaissance des hommes et de tous les moyens qui peuvent les conduire au bien et donner à leurs pensées de l’élévation, à leurs sentimens de la pureté, à leurs actions de la moralité ; que ses vues, dis-je, la mort ne lui ait pas permis de les réaliser !

Peut-être serait-il parvenu à empêcher qu’un arbre de vie ne péchàt quelquefois par les racines ; peut-être son génie administratif aurait-il trouvé les moyens d’organiser la société religieuse, dont il avait la suprême direction, sur des bases solides, par des réglemens en rapport avec les lumières et la liberté civile et politique dont nous jouissons. S’il était parvenu à résoudre ce problème difficile, il aurait rendu à la France protestante le service le plus signalé qu’elle puisse jamais attendre de ceux qui sont chargés à la fois de ses intérêts, comme société religieuse, et de ceux de l’État.

Je ne m’arrêterai pas davantage à vous démontrer que M. Cuvier n’a pas été moins étonnant dans sa carrière administrative que dans la carrière des sciences. On ne peut se lasser d’admirer cette inconcevable activité, cette force d’attention extraordinaire qu’exigeaient tant d’affaires diverses, qu’il ne remettait jamais au lendemain ; tant de rapports avec une foule d’administrés (q) ; tant d’intérêts qu’il savait ménager avec justice, de manière à ne s’attirer que des témoignages de reconnaissance, dans des temps difficiles, où les prétentions de l’amour-propre s’élèvent souvent au-delà du possible.

Si je suis entré dans quelques détails à cet égard, si je me suis écarté un instant de mon but principal, celui de vous montrer l’homme de génie travaillant aux progrès des sciences, c’est pour que vous le connaissiez tout entier, pour que vous puissiez vous persuader que tous les instans de sa vie ont eu leur utile emploi ; que le temps a été pour lui un trésor, dont il n’a pas perdu la moindre valeur ; c’est pour vous donner, enfin, un exemple frappant de tout le travail dont on peut remplir son existence, lorsqu’on veut constamment, comme M. Cuvier ne manguer à aucun de ses devoirs, quelque nombreux qu’ils soient.

Suivons-le encore un instant, pour nous en convaincre davantage, dans sa vie privée, dans ses habitudes de famille, où il gagnait à être observé, où son activité perpétuelle, sa facilité extrême de rédaction, sa mémoire prodigieuse, l’universalité de ses connaissances, son jugement exquis, le vif intérêt de sa conversation, grandissaient de plus en plus l’homme extraordinaire aux yeux de celui qui avait le bonheur d’en approcher.

Jamais on ne le rencontrait oisif ; jamais, pendant la veille, il ne reposait son esprit ; seulement il le délassait en changeant d’objet. Pendant ses courses assez fréquentes en ville, ou durant ses voyages, il lisait, il rédigeait même dans sa voiture, où il avait fait poser une lanterne et où il écrivait toujours sur la main, comme dans son cabinet.

Aucun auteur n’a fait autant de livres originaux en y employant aussi peu de temps.

Il se levait entre huit et neuf heures du matin, travaillait une demi-heure, une heure au plus avant son déjeûné, pendant lequel il parcourait deux ou trois journaux, sans perdre un mot de la conversation des personnes qui l’entouraient ; il recevait celles qui avaient à lui parler, et sortait, au plus tard, à 11 heures, soit pour le Conseil d’État, les Mardi, Jeudi et Samedi ; soit pour celui de l’Université, les Mercredi et Vendredi. Le Lundi, jour de séance de l’Institut, il avait sa matinée jusqu’à midi ou une heure. Il ne revenait ordinairement de ces différentes Assemblées que pour le dîner ; mais s’il lui restait un quart d’heure seulement de libre, il en profitait pour reprendre une rédaction interrompue dès la veille, sur un objet scientifique. Cette facilité de travail et de diriger toute la force de son attention, d’un quart d’heure à l’autre, sur des sujets si divers, est une des circonstances que j’ai le plus admirées dans les hautes qualités de son esprit.

Il dînait de 6 à 7. Lorsqu’il ne sortait pas, il se retirait immédiatement dans son cabinet pour y travailler jusqu’à 10 ou 11 heures ; de 11 à minuit il se faisait faire une lecture littéraire ou historique.

Ainsi M. Cuvier n’avait que le Dimanche pour suivre la méme occupation pendant toute une journée, et l’on ne saurait dire tout ce qu’il a produit de livres, de mémoires, de rapports, de notices historiques, durant ce jour qui pour tant d’autres est un jour de paresse ou de dissipation, et qu’il avait plus particulièrement consacré à révéler au monde les merveilles de la création.

En 1830, m’étant aperçu de l’ardeur avec laquelle il se livrait au travail quand il avait ainsi le loisir de rester toute une journée dans son cabinet, je lui exprimai mes craintes sur les funestes effets que pouvait produire sur sa santé ce travail excessif. Jusqu’à présent, lui dis-je, j’ai cru que la science avait beaucoup perdu par le temps que vous lui avez dérobé pour vos fonctions administratives ; maintenant je suis convaincu qu’elles ont été pour vous une salutaire distraction. C’est précisément ce que disait l’Empereur, en me nommant Maître des requêtes au Conseil d’État, me répondit mon illustre ami.

Quant à la manière dont il rédigeait ses ouvrages, on sera étonné d’apprendre qu’il les a tous écrits de sa main, et que sa rédaction, une fois qu’il avait réfléchi à ce qu’il voulait écrire, allait aussi vite que si on la lui eût dictée. Il ne la copiait jamais ; faisait très-peu de corrections, mais souvent des additions, qu’il intercalait en marge de son manuscrit, écrit constamment à mi-marge, afin de se réserver cette facilité des additions.

La plupart des savans font des extraits des divers ouvrages dans lesquels un sujet semblable ou analogue à celui qui est l’objet de leur travail a été traité, afin de rappeler l’état de la science et de rendre justice aux travaux de ceux qui se sont occupés de la même matière. La mémoire de M. Cuvier n’avait pas besoin de ce secours ; il ne gardait aucune note, ne faisait aucun extrait de ses lectures, excepté pour son Règne animal, dont il possédait un exemplaire relié, avec des feuillets blancs, qui lui servaient à faire les additions que les découvertes journalières rendaient indispensables et qu’il y consignait pour une nouvelle édition.

Quand il préparait un mémoire sur un travail quelconque, il ouvrait tous les ouvrages qui traitaient du même sujet, les étalait sur les tables de son cabinet, comparait les passages concernant la matière en discussion et les figures qui s’y rapportaient. Un coup d’œil, pour ainsi dire, lui suffisait pour classer ce qu’il avait vu, d’après le plan de son travail, qu’il rédigeait immédiatement.

Sa mémoire était telle qu’il n’avait, pour ainsi dire, rien oublié de ses nombreuses lectures. Il m’a dit plusieurs fois qu’il savait mieux l’histoire que l’histoire naturelle. En effet, je l’ai entendu souvent raconter les plus petits détails d’un point d’histoire en apparence peu important. Il connaissait même très bien le blason, et pouvait indiquer les noms des personnages les plus marquans des principales familles historiques de l’Europe, avec les circonstances les plus intéressantes de leur vie, et dire conséquemment tout ce qui avait rendu ces familles célèbres.

Personne n’expliquait mieux que lui l’esprit des différentes législations. Voilà pourquoi il a rendu de si éminens services au Conseil d’État. Ici la mémoire et le jugement formaient l’épée à deux tranchants de sa puissante parole. Le jugement ! personne ne l’a jamais eu plus juste, plus pénétrant que lui et n’a montré une manière de raisonner plus sévère. C’est ce jugement exquis, cette manière claire et lucide, avec laquelle il concevait les vérités d’une science quelconque ou de toute autre partie dépendante de nos facultés intellectuelles, qui a fait le grand mérite de ses travaux, et qui rendait sa conversation si attrayante, quand on avait le rare bonheur de l’entendre causer ; car cette étonnante conception donnait, dans ses discours comme dans ses écrits, aux sciences les plus abstraites, une clarté qui charmait ses auditeurs ou ses lecteurs, et faisait comprendre les points les difficiles de ces sciences, même à ceux qui n’y étaient pas du tout initiés.

Il a toujours rendu pleine justiee à ses contemporains, même à ses contradicteurs les plus déclarés.

Les jeunes gens recevaient de lui le meilleur accueil, les plus grands encouragemens, l’abandon le plus généreux de ses collections ; source inépuisable de travaux utiles à la science. Aussi quels vifs regrets ceux qui étaient entrés depuis peu dans la carrière, comme ceux qui en avaient déjà parcouru, sous ses auspices, une partie importante, quel sentiment vif de reconnaissance et de vénération n’ont-ils pas montrés au moment de sa mort !

Il comptait parmi ses élèves la plupart des savans des deux mondes qui cultivent les sciences naturelles. Il y en a peu qui ne soient fiers de ce titre et qui n’aient profité d’une occasion de publication pour le reconnaître en la lui dédiant.

La maison de M. Cuvier était le rendez-vous des étrangers distingués par leur science ou leurs talens. Il les recevait dans ses salons, avec cette politesse franche, aisée, sans contrainte, caractère des mœurs françaises, qui égalise tous les rangs, pour laisser à l’esprit de conversation toute liberté de se mettre en évidence, et aux originalités piquantes, l’occasion de se faire valoir. Jamais il ne cherchait à y montrer la prééminence de son génie. C’était l’hôte cosmopolite, qui s’efforçait de faire croire aux savans de tous les pays qu’ils étaient dans un lieu consacré à leur confraternité.

Ce grand homme avait le moral aussi parfait, aussi élevé, que son intelligence était étendue. Son inépuisable charité, son désintéressement, les sacrifices sans nombre qu’il a faits pour la science, ont consumé annuellement presque tous ses revenus, au point que sa succession se réduit à bien peu de chose, à part son immense bibliothèque. Aurait-il aussi bien analysé les sources de la charité, de cet amour pur et désintéressé pour ses semblables, s’il n’en eut pas trouvé en lui-même le sentiment profondément enraciné par la pratique de toute sa vie ? Lisez les admirables pages qu’il a prononcées à l’Académie française sur le prix de vertu, fondé par M. de Montyon, et voyez comme son cœur inspire bien son esprit pour dévoiler la pensée du noble fondateur de ce prix, contre lequel la critique, qui n’épargne rien, avait aussi voulu s’élever.[55] « Tout nous « porte à croire, dit M. Cuvier, que ce n’était pas seulement dans ses rapports avec ceux auxquels il destinait ses prix, que M. de Montyon considérait sa fondation. Toujours délicat dans sa philanthropie, peut-être, sans vouloir le dire, avait-il autant en vue les classes élevées qu’il appelait à embellir cette fête de leur présence, que les êtres pauvres et vertueux qui devaient en paraître les objets principaux ; et pourquoi, en effet, l’idée ne lui serait-elle pas venue de faire pratiquer le culte de la vertu pour inspirer la vertu ? La Divinité, n’a aucun besoin de nos hommages, nous commande cependant de l’honorer, parce que nous ne pouvons nous approcher d’elle par la pensée, sans devenir plus purs. N’en serait-il pas de même de la vertu, de cette céleste empreinte de la Divinité ? et pourrions-nous célébrer si solennellement des actions vertueuses sans nous sentir plus vertueux nous-mêmes ? On a dit le vice contagieux ; la vertu ne serait-elle pas communicative ; et comme un air pur et vif rend souvent l’énergie au corps à demi asphyxié par des miasmes pestilentiels, n’existerait-il point une atmosphère morale, propre à ranimer la vie de l’ame ?

« Une autre intention que nous pouvons tout aussi raisonnablement supposer au noble fondateur, c’est celle de convertir ces hommes assez malheureux pour ne pas croixe à la vertu.

« Au milieu des cours où il vécut, et dans des temps qui, en multipliant les chances de l’ambition, avaient fait descendre les vices qu’elle enfante jusque dans les rangs les plus humbles, cet homme, si éminemment bon, dut voir avec peine se répandre de plus en plus ces funestes doctrines, qui font d’un froid amour-propre le mobile unique des actions humaines. Semblable à ce philosophe qui marchait pour prouver le mouvement, il a voulu montrer tout ce qu’il y a parmi les hommes de vertus désintéressées. En effet, qui pourra désormais jeter les yeux sur nos annales, et y voir tant de malheureux se priver d’une chétive subsistance pour élever des orphelins qui leur sont étrangers, tant de vieux domestiques, épuisant ce qui leur reste de forces pour soutenir des maîtres devenus indigens et infirmes, tant de pauvres ouvriers hasardant leur vie dans le péril d’autrui, tant de femmes faibles et malades bravant la mort pour lui arracher quelques victimes, et cela tous les jours, tous les instans de la vie, avec une persévérance qui ne se dément jamais ? Qui, pourra, dis-je, apprendre tant de beaux traits, et ne pas s’écrier que ces désolantes théories ne sont que d’horribles paradoxes, et que cet amour de nos semblables, ce plaisir de leurs plaisirs, cette souffrance de leurs souffrances, que la religion met au premier rang des vertus chrétiennes, est aussi le premier des penchans que la nature imprime en nous. C’est l’instinct du cœur, comme l’abstraction et la parole sont l’instinct de l’esprit. On l’appelle humanité, et avec grande raison ; car c’est le caractère moral de l’espèce humaine, et il ne lui est pas moins inhérent que ses caractères physiques. »

La vertu, qui seule peut donner à l’humanité sa vie la plus parfaite, et dont le nom est devenu, dans notre langue, synonyme de toute espèce de force salutaire, a-t-elle été jamais peinte sous des couleurs plus vraies que dans ces admirables pages !

Si la supériorité intellectuelle de M. Cuvier, secondée par les circonstances les plus favorables de l’époque où il a vécu, a mis sa carrière scientifique à l’abri des revers qui n’épargnent pas toujours celui veut y persister malgré des obstacles en tout genre ; si ce grand homme a joui d’un bonheur inaltérable comme auteur, en ne recueillant de toutes parts, pour ses immortels travaux, que de justes éloges, que les suffrages unanimes de ses contemporains ; sa vie domestique, qui devait être, par le choix qu’il avait fait d’une épouse accomplie, la source de ses plus douces, de ses plus pures jouissances, n’a pu s’écouler dans ce bonheur sans mélange ; elle n’a pu être exempte des vicissitudes inséparables de la faible humanité.

M. Cuvier, dans le choix qu’il fit d’une épouse (r), montra qu’il n’y avait pas moins de pénétration dans les sympathies de son cœur, que de sagacité dans ses jugemens. Il avait uni son sort, vers la fin de 1803, à la veuve de M. Duvaucel, fermier général, mort sur l’échafaud en 1794[56]. Elle avait pour toute richesse, elle pouvait montrer, comme Cornélie, pour tout ornement, ses quatre enfans ; mais, durant une union de près de trente années, les nobles qualités de son esprit et de son cœur ont fait tout à la fois l’orgueil et la félicité de son époux.

Madame Cuvier a été pour lui comme une Providence visible, qu’on me permette cette expression, dont les soins de tous les instans avaient constamment pour but d’éloigner tout ce qui dans le tourbillon de la vie aurait pu lui ôter sa liberté de penser et troubler les conceptions de son génie.

Elle n’a profité de la position élevée à laquelle M. Cuvier était arrivé successivement par ses propres forces, des rapports sociaux qui en étaient résultés, de l’influence que lui donnaient son nom et ses places, que pour lui rappeler mille occasions de faire le bien. Le cœur de son mari y était sans doute toujours porté, mais il en aurait été souvent distrait par la multiplicité des affaires, sans celle qui n’hésitait jamais d’employer le crédit de son illustre époux, quand il s’agissait d’encouragemens à donner, d’injustices à réparer, de malheureux à soulager.

Le bonheur d’une union si parfaite ne pouvait être troublé que par des afflictions communes à tous deux, et lorsque la malheureuse mère, frappée dans ses plus chères affections, s’est sentie vaincue par la douleur, sa fille chérie, Mademoiselle Duvaucel, appréciant à son exemple les nobles et attachantes qualités de son beau-père ; l’aimant et l’admirant comme il méritait de l’être par son cœur et par son génie, s’est dévouée, à son tour, pour répandre sur les jours du grand homme le bonheur qui pouvait luire encore sur les dernières années de sa carrière, après les pertes les plus douloureuses.

Quatre enfans ont été les fruits d’un mariage aussi parfaitement assorti. L’aîné, qui était un garçon, né en 1804, ne vécut que deux mois. Un autre fils était parvenu à l’âge de sept ans : il montrait une intelligence très-remarquable, avec cette activité d’esprit si surprenante, qui a toujours distingué son illustre père, et qui pouvait faire espérer qu’un tel père revivrait dans son enfant. Ce fils lui fut encore enlevé en 1813 par une fièvre cérébrale.

L’année précédente, une fille charmante était morte à l’âge de quatre ans. Il restait une sœur aînée, dont la naissance datait de 1805 : c’était la seule espérance de cette famille si cruellement éprouvée. On avait vu se manifester dans celle-ci, se développer successivement avec les années tous les dons du cœur et de l’esprit, toutes les grâces du corps, qui semblaient réaliser en elle l’idéal d’un ange. Son cœur avait une pureté de sentiment que fortifiait encore sa croyance religieuse, comme chrétienne, aussi profonde qu’éclairée.

Ses parens étaient sur le point de l’unir avec une personne de son choix.

Au milieu des préparatifs de ce mariage, une maladie grave la saisit et l’enlève en Septembre 1827. Quelques semaines suffisent pour détruire tout le bonheur dont cet ange était la source.

Je ne parlerai pas ici de la douleur qu’en éprouva, qu’en ressentira jusqu’au dernier soupir, son inconsolable mère. Après avoir perdu l’aîné des fils de son premier mariage, dans la campagne de Portugal, sous Junot ; après avoir appris, non sans en éprouver les plus cuisans déchiremens, la perte du second, mort dans l’Inde, au milieu de ses entreprises généreuses pour l’avancement de l’histoire naturelle ; après avoir vu périr successivement de maladie trois des quatre enfans dont le Ciel avait béni son second mariage ; après avoir élevé la fille accomplie qui lui restait de cette union, jusqu’à l’âge de près de vingts-deux ans, cette mère de douleur semblait avoir comblé la mesure des afflictions domestiques, lorsque la mort couvrit d’un crèpe funèbre la place où l’illusion d’un bonheur qui s’échappe pour toujours, avait préparé le lit nuptial. Cependant deux enfans, et des enfans dignes d’une telle mère, lui restaient de son premier mariage ; et les tendres soins qu’elle avait la longue et douce habitude de donner à son époux, pouvaient l’attacher encore à l’existence ; mais pour lui, le présent était d’autant plus déchirant, que l’avenir ne lui laissait aucun espoir de remplacer de telles pertes.

C’est dans ces momens de cruelle affliction que la science fut pour M. Cuvier l’ancre de salut ; elle détourna ses regards des désastres de sa famille et du spectacle de deuil l’entourait. Elle seule, au milieu de ses occupations administratives, pouvait satisfaire aux besoins de son esprit et ne pas laisser trop de prise à des souvenirs douloureux. Aussi lui paya-t-il avec usure la dette de la reconnaissance.

L’important travail de la dernière édition du Règne animal date de cette triste époque, ainsi que celui de l’Histoire des poissons. Dans le court intervalle de quatre ans et huit mois, pendant lequel son utile existence a marché rapidement, depuis la mort de sa fille chérie jusqu’à son dernier terme, M. Cuvier a publié trois des cinq volumes du Règne animal ; les deux autres, concernant les crustacés, les arachnides et les insectes, ayant été confiés, comme pour la première édition, à son digne collaborateur, le célèbre Latreille.

Il a fait, avec M. Valenciennes, neuf volumes de l’Histoire des poissons et laissé beaucoup de matériaux tout prêts pour la publication de ceux qui suivront.

Je ne parle pas des mémoires particuliers qui ont été imprimés dans les recueils scientifiques ; des rapports nombreux que M. Cuvier a lus à l’Académie des sciences ; des éloges des académiciens qu’il a prononcés chaque année ; des notes qu’il a ajoutées à une édition de Pline ; de ses cours au collége de France, sur l’Histoire des sciences naturelles, dont la rédaction définitive aurait produit, par les vues philosophiques, par la sagesse et la profondeur des jugemens qu’elle eut mises au jour, un des ouvrages les plus remarquables de l’auteur.

Beaucoup d’autres travaux étaient préparés. Il rassemblait, pour ainsi dire, chaque jour des matériaux nombreux pour des supplémens à ses Recherches sur les ossemens fossiles.

Ceux pour la continuation de sa grande Histoire naturelle des poissons se multipliaient en avançant cette histoire, et faisaient prévoir la nécessité de lui donner un développement de plus en plus considérable.

Il pensait à une nouvelle édition de ses Mémoires sur les mollusques, que des matériaux prêts à être mis en œuvre auraient rendue très-importante.

Il devait enfin travailler à sa grande Anatomie comparée, pour laquelle il avait fait exécuter de nombreux dessins et des préparations anatomiques bien plus nombreuses encore, qui, exposées d’avance au public dans le Musée d’anatomie comparée du Jardin des plantes, ont déjà servi à plusieurs publications indiscrètes, dont la source n’a pas été révélée.[57]

En attendant le moment propice pour la publication de ce grand ouvrage, il devait s’occuper d’une nouvelle édition des Leçons d’anatomie comparée, à laquelle il m’avait assigné une part honorable, qui serait devenue définitivement ma propriété scientifique. Peu de semaines lui suffirent pour faire au premier volume de cet ouvrage toutes les additions qui devaient les mettre au courant de la science ; mais ce travail, qui a été sa dernière pensée, paraît avoir épuisé ses forces, parce qu’il s’y est peut-être livré avec trop de suite, au moment où le choléra lui faisait craindre de sortir le soir et d’aller chercher, dans la société, les délassemens nécessaires aux travaux de la journée.

Le Mardi 8 Mai il avait repris son cours au collège de France. Sa leçon, ainsi que nous l’avons déjà exprimé, avait été sublime ; il en avait été moins fatigué que de coutume, et rien ne pouvait faire prévoir, ce jour-là, la catastrophe qui devait commencer le lendemain. Il ressentit, en s’éveillant, un peu d’engourdissement dans le bras droit ; ce qui ne l’empêcha pas d’aller au Conseil d’État, remplir, comme tous les jours de sa vie, la tâche de la journée. À l’heure du dîner, cet engourdissement du bras avait beaucoup augmenté ; en même temps il se manifesta une difficulté d’avaler, qui lui fit penseri aussitôt au danger qui le menaçait.

Au bout de peu de jours, la paralysie du bras et du pharynx gagna successivement les autres membres et s’étendit enfin aux organes de la respiration, et le dimanche 13 Mai, à dix heures moins un quart du soir, ce grand homme rendit, sans effort, le dernier soupir, après avoir conservé jusqu’au moment suprême toutes les facultés de son esprit et de son cœur, après avoir vu s’approcher l’heure fatale avec calme et une entière résignation aux décrets de la Providence, dont il avait toute sa vie reconnu, adoré la sagesse dans les œuvres de la création (s).

Ce n’est pas ici le lieu de parler des déchiremens d’une famille qui savait apprécier un tel chef, et le chérissait comme il méritait de l’être. On peut aisément comprendre l’accablement dans lequel sa mort a plongé l’épouse inconsolable, frappée déjà de tant de coups ; la fille dévouée, qui mettait tout son bonheur à surveiller avec sa mère une aussi précieuse vie ; le digne frère, dont l’ame élevée comprend si bien l’étendue d’une telle perte ; le modeste collaborateur de M. Cuvier, l’excellent M. Laurillard, dont l’existence, attachée pendant trente ans à celle de son maître et de son ami, semble n’avoir plus de lien sur cette terre ; enfin le neveu du grand homme, seul héritier d’un nom dont la double illustration devient pour lui, dès ce moment, un grand devoir, auquel il consacrera sa vie.

Je ne vous peindrai pas la profonde douleur où cette mort a plongé des amis dévoués, qui en seront émus jusqu’au dernier soupir. Elle servirait cependant à vous faire connaître, jusqu’à quel point M. Cuvier se faisait chérir de ceux qui avaient le bonheur de vivre dans son intimité. Mais, quand une perte comme la sienne excite des regrets universels, quand elle est ressentie dans le monde civilisé tout entier, ne me reprocheriez-vous pas de détourner vos regards de ce grand tableau, pour les arrêter sur le spectacle de ces deuils particuliers, trop restreints pour celui qui appartenait à l’humanité toute entière. C’est d’ailleurs la vie du savant que j’ai cherché à vous faire apprécier dans tout le cours de mon récit ; c’est elle surtout qui doit être ici l’objet de nos regrets.

Combien cette vie si active, si productive et si parfaitement remplie, pouvait encore être utile, si elle se fût prolongée de dix ans !

Une dernière édition du Règne animal, comprenant les caractères et la synonymie de toutes les espèces connues, aurait fixé pour long-temps la zoologie sur des bases solides ; tandis que l’absence du législateur, du régulateur de la science, va la livrer de nouveau à l’anarchie. Cette belle science de la nature, qu’on nous pardonne cette crainte, sera de plus en plus surchargée de noms, de divisions, de méthodes diverses, et peut-être la verrons-nous rentrer dans le chaos dont M. Cuvier l’avait fait sortir par ses constans efforts, par ses immenses travaux, comme par l’élévation de ses vues et la justesse des rapports saisis par son génie (t).

Il aurait toujours eu la principale part à cette belle et très-importante entreprise de l’Histoire naturelle des poissons, ouvrage parfait, qui servira dorénavant de modèle pour tous les travaux du même genre et qu’il pouvait achever, en peu d’années, avec la coopération si utile de M. Valenciennes.

Les nombreux matériaux rassemblés avec tant de persévérance depuis près de trente ans dans le Musée d’anatomie comparée, pour le grand ouvrage dont le plan ne sortait pas de la pensée de M. Cuvier, et dont l’exécution était presque le dernier but de sa vie, auraient été mis en œuvre par lui et par des collaborateurs de son choix, pénétrés de son esprit d’observation pour bien voir, dirigés dans les raisonnemens par sa logique sévère, inspirés dans les vues générales par ce véritable génie de la science.

Enfin il aurait couronné ses travaux par cette Histoire des sciences physiques, sujet de ses cours au collége de France et qu’il y traitait avec une supériorité de vue, une clarté dans l’exposition, une impartialité si remarquable, même lorsqu’il s’agissait d’apprécier les découvertes et les systèmes de ses contemporains !

Comment ne pas déplorer que cette grande activité d’esprit, que ce génie sublime qui grandissait chaque jour par le travail, n’ait pas eu le temps de réaliser ainsi toutes ses conceptions !

Dans les beaux-arts, dans cette partie des lettres dont ils ne sont que l’expression, la fraîcheur de la jeunesse, la vivacité de l’imagination, secondent mieux les créations du génie, que l’expérience et les années ; celles-ci les dépouillent trop souvent de ce qu’ils ont d’idéal et par conséquent de presque tout leur charme.

Il n’en est pas de même dans les sciences naturelles. La raison, ce jugement des jugemens sur les réalités de l’univers, sur les existences et les lois qui les régissent, ne s’y forme que par l’expérience ; comme dans la vie sociale, où elle n’est que la connaissance et la règle de ce qui est bien pour les individus et pour la société.

L’homme supérieur, comme tous les autres hommes, est sous l’empire de cette nécessité. Mais combien cette expérience nécessaire lui profite plus dans ses observations qu’à celui dont les regards, moins pénétrans, ne peuvent embrasser qu’une partie de la surface des objets, que quelques-uns de leurs rapports les plus évidens. Chaque jour de nouvelles observations sont l’occasion de nouvelles comparaisons, desquelles il déduit ses jugemens. L’expérience du lendemain fortifie l’expérience de la veille. Ces jugemens de chaque jour, de chaque semaine, de chaque année, finissent par donner à la raison, quand elle est, comme chez M. Cuvier, le produit des facultés intellectuelles les plus parfaites, une justesse de vue, une perspicacité pour pénétrer les lois de l’univers ; qui paraît au vulgaire une sorte de divination.

Comment ne pas déplorer à jamais que ce grand homme, dont la santé toujours bonne, dont l’organisation si saine et si bien conservée pouvait faire espérer la plus longue vie, ait été arrêté inopinément dans sa course !

Encore à la force de l’âge, parvenu à l’apogée de ce pouvoir de perceptions et de vues élevées que lui donnaient quarante années d’observations, d’expériences et de comparaisons non interrompues sur la création et ses lois, combien de vérités importantes n’aurait-il pas découvertes, si le monde eût pu l’entendre dix ans encore !

Mais il semble qu’au gré de la Providence, le développement progressif de l’humanité serait trop rapide, si les hommes de génie prolongeaient assez leur existence pour dévoiler aux hommes dans un âge, ce ne doit être connu que dans un des âges suivans.

Tel a été, Messieurs, l’homme extraordinaire, dont l’existence marque l’époque la plus brillante de la science que je dois vous enseigner.

Nous vous l’avons montré dans sa première jeunesse, occupant ses momens de loisir par la lecture de Buffon ; commençant à développer à Montbéliard des facultés intellectuelles extraordinaires ; trouvant à Stuttgart, dans l’établissement d’instruction le plus vaste, tous les moyens d’acquérir les élémens des connaissances en tout genre que le feu de son génie devait embrasser un jour ; s’y livrant plus particulièrement aux études spéciales du Droit et de l’administration ; y prenant, comme accessoires, les premières notions scientifiques de l’histoire naturelle.

Nous l’avons suivi de là, sur les bords de l’Océan, dont il a, durant six ou sept années, observé les productions, pour découvrir, au milieu des tranquilles méditations de la retraite, les principes qui ont régénéré l’histoire naturelle.

Nous l’avons vu révéler ces principes au monde savant dès son entrée dans la carrière des sciences, et en faire aussitôt une application lumineuse à la classification des animaux et à l’étude de leur organisation.

Nous vous l’avons montré ensuite marquant chaque année de sa vie par de nombreuses et importantes publications, par un enseignement non moins remarquable, par la création d’un immense Musée d’anatomie comparée, le plus complet qui existe au monde.

Sa carrière administrative a sans doute été moins brillante, parce que les lois et les réglemens existans y déterminaient sa marche et n’y permettaient pas, comme dans les sciences, les créations du génie. Mais l’homme judicieux par excellence, l’homme prévoyant, l’homme d’expérience, l’homme actif, l’homme ferme, remplissant tous ses devoirs, n’en négligeant aucun, les accomplissant tous les jours de sa vie avec une scrupuleuse exactitude et une rare perfection, trouvant dans une rapide journée assez d’instans pour achever les nombreux travaux qu’elle amenait, ne paraîtra pas moins admirable dans cette carrière à celui qui l’y aura suivi sans prévention et avec un jugement dégagé des entraves de l’esprit de parti.

Le peu de traits que je vous ai donnés de sa vie privée vous ont mis à même d’étudier encore l’homme de génie dans son intérieur, toujours actif, rédigeant en peu d’heures, comme par inspiration et sans effort, ces nombreux écrits, dont la clarté, l’évidence des aperçus, la sévère logique, la pureté de style, forment le caractère dominant.

Nous avons vu les savans de tous les pays visiter la demeure de M. Cuvier comme le sanctuaire de la science. Tout y était arrangé dans le but de s’y livrer, sans perte d’un seul moment, aux travaux scientifiques. Une bibliothèque (u) très-nombreuse en tapissait tous les murs, et s’y trouvait distribuée de manière que chaque chambre en renfermait une partie distincte avec tous les moyens d’y faire, sans peine, toutes les recherches désirables. Une d’elles était plus particulièrement employée comme cabinet de travail. C’est là que j’aurais dû vous introduire, pour vous montrer ce génie universel, occupé sans relâche, dans les instans qu’il pouvait consacrer à la science, d’ajouter aux découvertes de la veille, les découvertes du lendemain.

Vous y auriez vu l’administrateur recevoir avec bienveillance, mais aussi avec une grande économie de temps, toutes les personnes qui avaient des demandes à lui faire, et qui trouvaient constamment sa porte ouverte.

J’aurais dû vous montrer encore dans M. Cuvier le littérateur, l’homme de goût, l’homme du monde, conversant dans les cercles où il pouvait être apprécié, où il trouvait des rapports d’esprit et de pensées, avec une supériorité qui faisait l’étonnement et l’admiration de ceux avaient le bonheur de l’entendre.

J’aurais dû vous parler de l’heureux académicien, qui regardait comme un des beaux fleurons de sa couronne, d’avoir été, comme Buffon, un des savans, choisis par l’Académie française pour consacrer, dans son sein, l’alliance des sciences et des lettres. « Passionné, nous dit-il dans son Discours de réception[58], pour les sciences et pour les lettres, convaincu que leur alliance a touours été l’une des sources de leur gloire, dans les rêves que mon amour pour elles inspirait à ma jeunesse, je ne m’étais jamais flatté d’un bonheur qui égalât celui d’être appelé un jour à resserrer leurs nœuds. »

J’aurais voulu à cette occasion vous signaler tous les morceaux d’éloquence, toutes les nobles pensées, toute la vérité et l’indépendance des jugemens qui distinguent les écrits où M. Cuvier a consacré cette alliance heureuse de la science et de la littérature[59], et qui les recommanderont à la dernière postérité.

J’aurais dû vous faire connaître la réponse qu’il fit à M. de Lamartine, lors de sa réception à l’Académie française ; morceau purement littéraire, qui vous aurait prouvé jusqu’à quel point M. Cuvier était pénétré de ce sentiment du beau et du sublime dont les œuvres du poète fournissent tant d’exemples, et avec quel goût, quelle délicatesse d’expression il pouvait rendre ses pensées.

Nous vous avons montré l’homme moral, l’époux heureux, l’excellent père de famille, dont les jouissances, hélas ! bien passagères, n’ont servi qu’à lui faire éprouver de plus cuisans regrets !

Je le vois encore sourire avec un bonheur indicible à sa fille chérie, lorsqu’assise à table à ses côtés, elle charmait par ses récits, par sa conversation, que l’esprit et le sentiment animaient tour à tour, les heures de ses repas, les seules, à peu près, où son cœur de père pouvait se livrer à ces délassemens si doux.

C’est dans ces momens de liberté et d’abandon que le grand homme aimait à se rappeler les souvenirs de sa jeunesse ; souvenirs étonnans par les détails les plus circonstanciés sur notre commune patrie ; souvenirs du cœur qui manifestaient à la fois son attachement inaltérable pour ses parens, pour ses amis, pour la ville heureuse qui l’a vu naître, et pour l’établissement si remarquable où il avait reçu le complément de son éducation.

Je terminerai ici, Messieurs, ce simple récit sur l’homme de génie que je me proposais surtout de vous faire connaître comme le législateur de l’histoire naturelle.

Le monde savant a été profondément ému de sa perte, parce que de toutes les parties de la terre civilisée le nom de M. Cuvier avait été proclamé, d’une voix unanime, comme le premier parmi ceux des pères de la science ; parce que le grand homme en était le principal arbitre, qu’on le considérait partout comme celui qui a le plus contribué aux progrès rapides qu’elle a faits de nos jours et dont les travaux auront la plus heureuse influence sur les progrès qu’elle fera dorénavant.

Ses destinées en dépendront encore pendant de longues années, j’en ai l’intime conviction, et je ne crains pas d’être démenti par la postérité qui vient de commencer sur sa tombe.

Oserai-je espérer que cette sorte d’introduction à la lecture de ses ouvrages vous inspirera la volonté de les lire et de les méditer ? J’en fais le vœu dans l’espoir qu’en profitant de la science qu’ils renferment, vous apprendrez surtout à vous bien pénétrer de la sagesse des principes qui en font la base.

Puisse enfin ce grand exemple d’un emploi aussi parfait du temps, d’une vie aussi bien remplie que celle de M. Cuvier, diriger constamment vos pensées vers un modèle aussi accompli !






NOTES ADDITIONNELLES.




La forme de la Notice qu’on vient de lire, les bornes qu’elle devait avoir, le temps et le lieu que j’avais choisis pour en faire une première lecture, ne m’ayant pas permis de lui donner tout le développement dont elle était susceptible, j’ajouterai dans les notes suivantes les renseignemens sur la vie et les ouvrages de M. Cuvier, qui n’ont pu faire partie du texte de cette Notice.




Notes a et b (page 4 et 6).


Enfance et première jeunesse de M. Cuvier ; séjour à Montbéliard jusqu’à l’âge de quatorze ans huit mois et demi.


Il reçut les premières notions de dessin de son cousin-germain M. Werner, architecte de la ville et grand-père du peintre d’histoire naturelle, auquel nous devons, entre autres, les belles planches de l’Histoire naturelle des mammifères de MM. Geoffroy Saint-Hilaire et Frédéric Cuvier.

M. Cuvier père, duquel M. G. Cuvier tenait probablement le talent du dessin, occupait ses momens de loisir à représenter en relief, avec du carton, des monumens d’architecture, qu’il imitait admirablement dans tous leurs détails, en conservant soigneusement les proportions de leurs parties. Il jouissait en outre d’une excellente mémoire des dates. Son fils avait ses formes et sa forte constitution ; mais celle-ci ne s’est montrée telle ches M. G. Cuvier que lorsqu’il eut atteint l’âge viril.

À quatorze ans il avait organisé, parmi ses camarades de classe, une petite académie, dont il était le président, et dans laquelle, déjà, il obtenait, sur les jeunes membres qui la composaient, l’ascendant de cette supériorité d’intelligence et de cette force de volonté qui lui ont valu partout la première place dans le reste de sa carrière.

On ne lira pas sans intérêt le récit suivant, tout-à-fait dramatique, sur cette époque si intéressante de la vie d’un grand homme, dans laquelle se montrèrent les germes de toutes les éminentes qualités qui l’ont si fort distingué. Je le dois à l’un de ses camarades de classe, qui est en même temps son proche parent.

Quelques souvenir qui me sont restés de l’enfance et de la première jeunesse de M. G. Cuvier.

Si ma mémoire ne me trompe, c’est de 1775 à 1776 que j’ai commencé à connaître M. Cuvier. Il pouvait avoir six ans et j’en avais à peu près huit. On le citait dès-lors comme un enfant d’une intelligence, d’une application et d’un savoir peu communs. Je ne tardai pas à avoir occasion de me convaincre qu’il n’était point au-dessous de sa renommée. Il vint passer quelques jours à B…, chez mon père, avec sa mère et M.lle B… Nous étions tout ébahis, mon frère et moi, de l’entendre lire et déclamer des vers, comme l’aurait fait un homme de vingt ans ; de voir la netteté et la beauté de son écriture ; son habileté à dessiner ; son adresse à découper à jour du papier ou des cartes, etc. Dans cette dernière partie il n’avait eu d’autre maître que mon oncle, son père, qui s’y entendait fort bien. Durant la visite dont je parle, il passa par le village un charlatan, qui faisait de jolis tours de passe-passe. Mon père le fit venir, le soir, à la maison curiale, pour amuser un peu la société, qui devint bientôt assez nombreuse par l’arrivée de plusieurs de nos voisins. Notre homme nous en donna de toutes les façons. Différens jeux de cartes très-subtils ; une fontaine de héron, qui coulait et s’arrêtait au son de sa parole ; une espèce de poignard qu’il semblait s’enfoncer dans le bras et qu’il retirait tout dégouttant de sang, émerveillèrent particulièrement les spectateurs, même ceux qui avaient, sans doute, déjà vu d’autres bateleurs. Mon petit cousin examinait tout avec grande attention, et parut peu surpris ; il expliqua même le jeu de la fontaine de héron, le mécanisme du poignard, qu’il nous dessina, et qu’il découpa en papier. Il eut sa bonne part de l’admiration et des applaudissemens de l’assemblée.

Ce premier séjour qu’il fit chez nous, et que je trouvai trop court, me donna lieu de faire une remarque d’un autre genre que celles qui précèdent, et à laquelle je n’ai attaché que plus tard une certaine importance ; c’est qu’il avait un tendre extraordinaire pour M.lle B… Il était aux petits soins avec elle ; il · lui prodiguait ses caresses ; il s’asseyait sur ses genoux ; il l’embrassait et ne l’appelait pas autrement que ma femme. Cette espèce d’enivrement lui a duré plusieurs années. Buffon a dit qu’il n’aurait pas grande opinion des talens d’un jeune homme dont la première passion n’aurait pas été l’amour. S’il eût vu mon jeune parent dans ses accès de tendresse, et qu’il eût su que son goût se tournerait vers l’histoire naturelle, il l’eût peut-être jugé capable de devenir un jour son successeur. J’ignore si, à l’époque dont je viens de parler, notre futur naturaliste connaissait déjà celui qu’il était destiné à remplacer. Quoi qu’il en soit, nous lui montrâmes des volumes de l’Histoire naturelle de Buffon, pour laquelle mon père avait souscrit, et il prenait plaisir, comme nous, à examiner les figures d’animaux qui s’y trouvaient. Je ne remarquai pas que sa curiosité allât plus loin. Au bout d’un certain temps, dans ses visites subséquentes, il nous en demanda quelques tomes, afin d’en copier les gravures au crayon et de s’exercer ainsi dans le dessin. Bientôt il voulut colorier ces copies. Pour cet effet, il fallait lire les descriptions. C’est ce qu’il fit, et il parait que c’est l’attrait qu’il trouva à cette lecture, qui le rendit peu à peu amateur passionné de l’auteur de l’histoire naturelle. Pour en revenir à ses copies, soit simplement crayonnées, soit coloriées, elles étaient d’une très-belle exécution. Il en était de même des figures de certains animaux, qu’il avait imaginé de représenter, en collant, sur des cartes ou sur du papier, des morceaux d’étoffe, de taffetas, par exemple, de la forme et de la couleur des différentes parties du corps de ces animaux. Lorsqu’il n’y avait point de gravure annexée à la description d’un animal, il le dessinait et le coloriait uniquement d’après cette description. Il n’était pas chiche des diverses productions de son talent d’imitation, et il n’y a pas un de ses camarades à qui il n’en ait donné plus ou moins.

Nous avons continué à lui prêter Buffon jusqu’à sa sortie du gymnase. Lorsque, par un empêchement quelconque, nous ne pouvions pas lui fournir tout de suite les volumes qu’il désirait ; il les trouvait dans quelque bibliothèque de la ville.

La lecture de cet ouvrage ne l’empêchait pas d’en lire beaucoup d’autres, tels que des voyages, des poésies, des livres d’histoire, de mathématiques, de philosophie, etc. Plusieurs personnes, même des plus instruites, prétendaient que tout cela ne ferait que lui embrouiller l’esprit. Mon grand-père, Cuvier, pasteur à Roches, chez lequel, à l’âge d’une douzaine d’années, il fut passer avec mon oncle une partie de ses vacances, l’examina sur ce qu’on lui enseignait au gymnase, etc., et lui fit expliquer différens morceaux d’auteurs latins et grecs. Il lui trouva des idées bien nettes, bien étendues, une instruction aussi solide que variée, et dit qu’il n’avait pas encore vu de jeune homme qui promit davantage. La suite du temps a fait voir qui avait raison, de mon grand-père, ou de ceux qui auguraient défavorablement de l’esprit et des connaissances précoces de son neveu.

Ce bon grand-père ne manquait jamais chaque fois qu’il nous voyait, moi et mon frère, et on ne cessait dans la maison paternelle, de nous proposer pour modèle notre cousin. On nous représentait que nous étions plus âgés que lui, que ce serait une honte pour nous, lorsque nous entrerions au gymnase, de n’être pas à peu près de sa force, etc. Tout cela était fort bien, sans doute ; mais toutes les têtes n’ont pas été jetées dans le même moule. Notre cousin, d’ailleurs, ne manquait d’aucun secours pour ses études : livres de toute espèce, conversations presque journalières avec différentes personnes instruites, l’émulation, cet aiguillon si puissant dans l’instruction publique, etc., voilà autant d’avantages qu’il avait, et dont nous étions privés.

Cependant, vers la fin de ses études classiques, mon cousin n’étudiait plus guères chez lui ses auteurs ; aux leçons mêmes il leur dérobait tous les momens qu’il pouvait, pour les donner au Pline français, dont il avait toujours au moins un volume dans sa poche. Plus d’une fois il fut surpris à en dérober furtivement quelques pages pendant qu’on interprétait Virgile ou Cicéron ; et plus d’une fois aussi ces sortes de larcins envers la vénérable antiquité lui valurent des réprimandes de la part du Recteur.


Note c (page 8).
Séjour du jeune Cuvier à Stuttgart.

C’est le 18 Mai 1784 que le jeune Cuvier fut admis dans l’Académie Caroline à Stuttgart.

Une commission, composée des maîtres ou professeurs Müller, Düttenhofer et Schwab, le même qui s’est fait connaître par un ouvrage estimé sur l’universalité de la langue française, fut chargée de l’examiner sur les connaissances qu’il avait acquises au gymnase de Montbéliard, afin de lui assigner une place convenable dans l’une des divisions de l’Académie. (Classes d’enseignement.)

Voici les notes qui m’ont été transmises de ce premier examen, telles, je pense, que la commission les avait rédigées.

Le jeune Cuvier a montré :

1.° Des notions justes et proportionnées à son âge des principes du christianisme ;

2.° De bonnes connaissances en histoire générale et en géographie ;

3.° Des notions solides de la logique, de l’arithmétique et de la géométrie ;

4.° De l’habileté dans le tbème et la version latine, et dans la lecture du Nouveau-Testament grec.

Il n’avait encore aucune connaissance de la langue allemande, ni d’aucune langue vivante, autre que sa langue maternelle.

Après cet examen, on lui assigne la 15.e division (15te Lehrabtheilung), dont les études embrassaient la suite du cours de philosophie.

Il choisit plus tard, pour étude spéciale, la science de l’administration et des finances, qui comprenait aussi des parties de la jurisprudence.

Le jeune Cuvier termina le 21 Avril 1788 le cours de ses études.

M. son père demanda, à cette époque, au duc de Wurtemberg la permission de retirer son fils de l’Académie, pour l’envoyer en Normandie, où il devait occuper une place dans un enseignement privé. Cette autorisation lui fut accordée immédiatement. Le duc y ajouta la promesse d’employer dans la suite le jeune Cuvier dans l’administration de ses États.

L’Académie Caroline avait été érigée par l’empereur Joseph II en université, avec tous les privilèges accordés aux autres universités d’Allemagne, dès la fin de 1781.

On trouve dans un ouvrage sur cet établissement[60], imprimé en 1784, précisément l’année où M. Cuvier y est entré, tous les détails les plus intéressans sur son organisation, les différens genres d’instruction qu’on y recevait, et les maîtres plus ou moins distingués qui en étaient chargés à cette époque.

Pour y être admis il fallait avoir le corps sain et exempt de tout défaut extérieur, être âgé de sept ans au moins, et savoir lire et écrire. L’instruction y était générale ou spéciale.

La première se divisait en celle du premier degré que chaque personne doit savoir, comme étant destinée à devenir citoyen du monde et honnête homme, et en instruction du second degré, comprenant les études qui préparent aux sciences de destination, appelées ainsi parce qu’elles sont absolument nécessaires pour l’état auquel l’éléve se destine.

L’instruction spéciale avait rapport, 1.° à la jurisprudence, 2.° à la médecine ; 3.° à la science militaire ; 4.° à la science des finances ; 5.° à l’aménagement des forêts ; 6.° à la science du commerce ; 7.° aux beaux-arts.

La science des finances se composait des enseignemens suivans, que je copie dans le livre même, avec les termes de l’auteur, pour donner une idée plus exacte des cours que M. Cuvier a dû suivre pendant les trois années que durait l’étude de cette science spéciale qu’il avait choisie : 1.° le droit naturel ; 2.° la botanique ; 3.° la géographie relative au commerce ; 4.° la géométrie pratique ; 5.° le dessin des plantes ; 6.° l’économie théorétique et pratique ; 7.° la science des eaux et forêts ; 8.° la zoologie ; 9.° la minéralogie ; 1o.° la chimie ; 11.° la science de la police ; 12.° celle des mines ; 13.° l’hydraulique ; 14.° la numismatique ; 15.° l’architecture civile ; 16.° la technologie ; 17.° la science du commerce d’État ; 18.° le droit des finances ; 19.° le style des comptes ; 20.° la science des finances, et 21.° la pratique de la chancellerie.

L’enseignement de l’histoire naturelle fut désorganisé, l’année même de l’entrée du jeune cuvier à l’Académie, par la mort d’un professeur plein de talent, nommé Kœstlin. Ce professeur enseignait la zoologie d’après les élémens de Blumenbach. On le remplaga, pour la botanique, par le maître Kerner, qui eut plus tard le titre de professeur. Il montrait aussi le dessin des plantes et des animaux.

Je ne vois pas que la zoologie ait eu de maître distingué aprés la mort de Kœstlin, que M. de Kielmeyer, qui n’entra à l’Académie comme professeur de cette science, qu’après le départ de M. Cuvier.

Je voudrais pouvoir consigner ici les progrès qu’il fit successivement dans les différentes branches d’études qu’il devait suivre, et pouvoir juger jusqu’à quel point les maîtres qui le dirigèrent eurent d’influence sur le développement de son génie ; mais il m’a été impossible de me procurer, malgré mes pressantes demandes, des détails complets à cet égard. Je sais que M. de Kielmeyer, qui a professé plus tard avec distinction la zoologie dans cet établiessement, et qui s’est fait connaître par des travaux d’anatomie et de physiologie comparées pleins d’intérêt, se trouvait encore à l’Académie comme pensionnaire vétéran pendant les premières années du séjour du jeune Cuvier ; et que ses conseils lui furent utiles, ainsi que l’a exprimé M. Cuvier dans ses souvenirs. Je sais que Storr professait à cette époque l’histoire naturelle à l’universite de Tubingen, et qu’il avait publié, dès 1780, une nouvelle classification des mammifères, qui a pu servir à répandre quelques rayons de lumière dans cette intelligence que la moindre lueur devait rendre attentive et fortement exciter.

Il est encore à présumer que les ossemens de plusieurs mammifères, qui avaient été trouvés, déjà en 1700, dans les environs de Canstadt près de Stuttgart, et que l’on conservait dans le cabinet grand-ducal, ont dû fixer l’attention du jeune Cuvier, et le diriger vers l’étude des débris de l’ancien monde. Cependant toutes ces influences me paraissent avoir été bien secondaires en comparaison de celles qu’a eues sur le développement du génie de Cuvier, le génie de Buffon.

On a vu, par les détails que nous avons donnés dans la note précédente, comment le talent du dessin, si prononcé dans le jeune Cuvier, l’avait d’abord entrainé à copier les figures des animaux de Buffon, puis avait fait naître en lui le désir de lire dans cet auteur admirable les descriptions des animaux que ces figures représentaient, pour les enluminer, et l’avait même conduit à figurer, d’après ces descriptions, les animaux qui ne l’étaient pas dans l’ouvrage. Dès ce moment, les germes du grand naturaliste commençaient à se développer en lui ; dès cet instant, il sut trouver dans Buffon la nourriture la plus propre à les faire croître rapidement ; et si l’on réfléchit combien cet auteur est grave, combien il est profond et au-dessus de la portée d’une intelligence ordinaire, dans les réflexions qu’il fait à chaque page sur la nature des animaux, sur leur instinct varié, sur l’influence des causes qui ont pu modifier leurs formes et sur la critique des espèces et leur synonymie, on jugera que la passion si précoce du jeune Cuvier pour le Pline français était la marque la plus évidente du génie qui l’animait.

Mais Buffon, qui l’avait souvent distrait à Montbéliard de ses premières études, qu’il portait même au sermon, lorsqu’il n’était encore qu’enfant, à ce que raconte un témoin oculaire, partagea bientôt son empire sur l’esprit du jeune Cuvier, avec Linné, son rival de gloire, dont les ouvrages plus classiques étaient suivis en partie à Stuttgart dans les différens enseignemens de l’histoire naturelle.

J’ai lieu de présumer que ce fut par la botanique que le jeune Cuvier fit connaissance avec le naturaliste suédois.

Le professeur Kerner, qui était chargé de cet enseignement, dans lequel il suivait le système sexuel, déclare dans la préface de sa Flore des environs de Stuttgart, écrite en Mai 1786 : « Qu’il trouve juste d’adresser publiquement ses vifs remercîmens à M. le chevalier de Marschall et à M. Cuvier, qui se distinguent parmi tous les élèves de la haute école Caroline, par leurs connaissances botaniques, pour avoir découvert, pendant qu’on imprimait cette Flore, plusieurs espèces de plantes, que l’auteur ne savait pas exister dans les environs, entre autres une nouvelle espèce de potentilla et l’avena sesquitertia, Linn. »

Il y avait précisément deux années que le jeune Cuvier habitait Stuttgart ; il y était arrivé, comme on l’a vu, sans aucune connaissance de la langue allemande, et cependant il s’était déjà mis à la tête des nombreux élèves de cette académie, par la science qu’il y avait acquise en botanique.

À cette époque, il n’était pas encore chevalier.[61] Ce fut après les examens du mois d’Avril 1787, qu’il obtint cette récompense d’honneur. Ceux du mois d’Avril de l’année suivante lui valurent le prix des sciences administratives.

Nous avons vu le jeune Cuvier former à Montbéliard une petite Académie, dont il dirigeait les travaux.À Stuttgart plusieurs de ses camarades d’études se réunirent à lui pour s’occuper ensemble d’histoire naturelle.

Cette société se composait, entre autres, de M. Marschall de Bieberstein, connu par ses travaux en botanique, en ce moment Ministre d’État du duc de Nassau, de M. Autenrieth, actuellement chancelier de l’université de Tubingen, célèbre par ses ouvrages de physiologie ; de M. Pfaff conseiller d’État du roi de Danemark et professeur de l’université de Kiel ; de M. Jœger, mort médecin du roi de Wurtemberg ; de M. Hartmarnn, devenu médecin-physicien très-distingué dans ce royaume, sa patrie, et qui s’occupait plus particulièrement d’entomologie.

On se réunissait toutes les semaines pour discuter ou pour faire des lectures sur divers objets d’histoire naturelle. Celui qui apportait le meilleur mémoire, était décoré d’un ordre, dont le jeune Cuvier avait donné le dessin. Il ne se doutait pas qu’un jour il ferait celui des palmes de l’Université de France.

M. Cuvier prit dès-lors l’habitude de consigner dans un journal (diarium) les observations d’histoire naturelle qu’il avait l’occasion de faire, et d’y figurer les objets qu’il pouvait se procurer. Son Diarium zoologicum primum est daté de Stuttgart, die 15 Octobris 1 786.

Nul doute que cette association de talens et de science n’ait beaucoup contribué au développement intellectuel de tous ceux qui en faisaient partie, et que la part du profit que chacun en a tiré, n’ait été en raison des connaissances relatives de chaque membre.

On pourra lire dans la suite de cette note et dans les extraits que nous donnons de la correspondance de M. Cuvier, combien il y avait de savoir dans cette réunion et quelle influence le génie de Cuvier paraît y avoir eue.

Je persiste à penser qu’avec son goût extraordinaire pour l’histoire naturelle, il donna plutôt l’impulsion à ceux avec lesquels il fut en rapport d’études pour cette science, qu’il ne la reçut d’eux ; et je ne puis découvrir dans les renseignemens que j’ai obtenus sur ses études aucune raison de croire qu’il ait dû à quelqu’un de ses maîtres vivans les idées fondamentales qu’il a établies et développées dans tous ses écrits.

Voici une anecdote qui prouve, avec tant d’autres, combien à toutes les époques de sa vie, son esprit était pénétrant. Un jour, le professeur de technologie conduisit ses élèves dans une fabrique d’épingles. En sortant de cet établissement, le jeune Cuvier représenta, dans des figures d’une exactitude et d’une netteté parfaite, tout ce qu’il venait de voir sur cette fabrication.

Une circonstance que nous devons faire remarquer ici, c’est que les études de M. Cuvier ne comprenaient pas l’anatomie, et qu’il n’a dû s’en occuper que comme d’une science accessoire, utile au zoologiste. Cependant ce sont les connaissances qu’il a acquises dans cette science, les découvertes qu’il y a faites, les enseignemens qu’il en a donnés, qui ont contribué le plus à sa réputation colossale.

On est tellement habitué en France à ne voir que des médecins qui soient anatomistes, qu’on croyait généralement a Paris que M. Cuvier avait fait ses études et pris ses grades en médecine. Plusieurs personnes lui ont demandé des conseils dans cette idée. Madame Fourcroy, entre autres, le fit prier de venir au secours de son mari, tombé subitement malade : c’était au milieu de la nuit. Il se rendit avec empressement à sa prière, mais en avouant son ignorance en médecine et amenant avec lui son aide, qui ne pratiquait pas, à la vérité, mais qui pouvait du moins donner les premiers secours.


Séjour en Normandie.


M. Cuvier, en quittant l’Académie de Stuttgart, ne s’arréta que quelques semaines dans sa ville natale, qu’il vit pour la dernière fois, et se rendit en Normandie chez le comte d’Héricy, pour y suivre l’éducation de son fils. Ce comte habitait ordinairement le château de Fiquainville, près de la petite ville de Vallemont, à cinq lieues au nord-ouest d’Yvetot.

Dans ce nouveau séjour M. Cuvier continua, comme à Stuttgart, de consacrer la plupart de ses momens de loisir à l’histoire naturelle.

Son Diarium zoologicum quintum, qui est entre les mains de son ancien ami M. Alexandre Brongniart, a été commencé à Fiquainville le 15 Avril 1791.[62]

C’est sur les côtes de Normandie, comme nous l’avons déjà dit dans le texte de cette Notice, que M. Cuvier a fait ses belles découvertes sur les mollusques, qui lui ont servi à réformer leur classification.

« Mes recherches sur les animaux marins, écrivait-il de Paris, en Février 1799, à feu Hermann, ont été faites, en grande partie, dans le port de Fécamp, entre Dieppe et le Hàvre, pendant trois années que j’ai demeuré dans son voisinage. »

C’est de Normandie qu’il envoyait à la Société d’histoire naturelle de Paris, un mémoire sur l’anatomie de la Patelle, qui a été imprimé en 1792 dans le tome II de son Journal.

C’est de ce séjour qu’il adressait à M. de Lacépède la description d’une nouvelle espèce de raie que ce savant lui a dédiée.[63]

C’est là qu’il eut le bonheur de rencontrer M. Tessier, déjà célèbre par ses publications sur l’agriculture, qui le mit en rapport avec le jeune Geoffroy, avec la famille duquel M. Tessier était lié.

Il s’établit dès-lors une correspondance entre ces deux jeunes savans, dans laquelle M. Geoffroy ne tarda pas à pénétrer toute la portée du génie de M. Cuvier. « Venez à Paris, » lui écrivait-il bientôt après leurs premières communications, « jouer parmi nous le rôle d’un autre Linné, d’un autre législateur de l’histoire naturelle.[64] »

C’est encore de la même retraite de Normandie que M. Cuvier adressait à ses amis du Wurtemberg et à la Société d’histoire naturelle qu’ils avaient formée à Stuttgart, les plus savantes dissertations sur différens points de la science de la nature. On verra par l’extrait ci-après de deux lettres[65] à son ami Hartmann, quelles étaient, jusqu’à un certain point, les connaissances de M. Cuvier en histoire naturelle, à l’âge de vingt ou de vingt-un ans ; on y remarquera combien son génie supportait impatiemment le joug des erreurs dont la science fourmillait alors. Sans doute que la lecture de Buffon avait aussi contribué à lui donner cette indépendance de l’autorité de Linné, qui l’a porté de bonne heure à rechercher les principes de la méthode naturelle. J’ai trouvé, avec un vif intérêt, les traces évidentes des plus fondamentaux peut-être de ces principes, dans la seconde lettre.

La première est datée de Caen, le 18 Novembre 1790.


Mon très-cher Hartmann,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Vous lirez dans ma dernière lettre à Pfaff le catalogue des coquilles terrestres et fluviatiles que j’ai pu observer ici. Je ne dis rien des coquilles marines, parce que celles-ci vous intéressent moins. J’en connais à présent quatre cent vingt espèces, que j’ai dessinées et décrites, Je les ai trouvées dans une collection de cette ville. Je me suis bien appliqué surtout à étudier la charnière des bivalves. J’ai de plus trouvé et décrit dans cette même collection cent dix espèces de poissons ; onze de quadrupèdes ovipares, parmi lesquels plusieurs sont fort rares ; onze d’étoiles de mer ; quatorze d’oursins ; dix-huit de coraux ; environ trente espèces de papillons étrangers. Je ne me suis pas encore occupé des oiseaux. Vous jugerez facilement par cet apercu que mes connaissances en histoire naturelle ont augmenté raisonnablement cette année ; mais c’est assez vous parler de moi ; venons-en à votre lettre si pleine d’intérêt, 1.° Ce que vous me dites de l’ouvrage de Gmelin ne m’étonne pas, et me persuade de plus en plus combien il serait nécessaire de refaire entièrement l’entomologie.

« Depuis la mort de Linné, l’histoire naturelle n’a plus de législateur. Chacun suit son caprice, et si cette anarchie dure encore long-temps, la science deviendra bientôt un labyrinthe, dont on ne pourra sortir. D’ailleurs Linné lui-même a commis beaucoup de fautes en synonymie. Vous en trouverez des preuves frappantes dans mon travail sur les écrevisses, que j’espère adresser bientôt à notre Société, et dans lequel j’en ai décrit et dessiné trente-deux espèces.[66]

« J’ai eu l’occasion d’éclaircir assez bien leur synonymie au moyen des livres que m’a fourni la bibliothèque de cette ville. Vous ne vous imagineriez pas quelles fautes plaisantes Linné a commises à cet égard. Tantôt il cite la figure d’une même espèce dans trois ou quatre des siennes ; plus souvent encore il cite trois ou quatre figures différentes au sujet d’une de ses espèces.

Fabricius a encore augmenté cette confusion et n’a pas bien connu lui-même les noms de Linné. Son cancer floridus, par exemple, est le cancer maculatus de Linné ; son cancer pagurus est tout différent de celui de Linné, etc. Je crois avoir assez bien reconnu toutes ces erreurs. Mes synonymes sont tirés de Rondelet (Hist. pisc.) ; Gesner, de Aquat. et ejusd. Nomencl. eq. ; Jonston, Naturgesch. Margraff, Hist. natur. Brasil. ; Swammerdam, Bibl. nat. (Mémoires de l’Académie des sciences de Paris) ; G. Blasii Anatome animalium. Je n’ai pu encore me procurer les autres auteurs.

2.°… Je me suis aussi occupé en automne de la classification générale des insectes. Je crois réellement que les organes de la bouche fournissent les caractères les plus précis. Voici les classes dans lesquelles je les divise, elles se rapportent, en grande partie, à celles de Fabricius ; mais elles sont certainement plus naturelles.

Classe I. (Coleaptera L.)

Maxillæ superieres ; max. inferiores liberæ gerunt palpum 1 aut 2 articulatos. Labium inferius gerit palpos 2 articulatos. Metam. nympha completa.

« Classe II. (Ulonata F.)

« Maxillæ superiores ; max. inferiores liberæ gerunt palpum 1 simplicem et 1 articulatum ; labium inferius gerit palpos 2 articulatos. Metam. semi-nympha. Je ne sais pourquoi Fabricius nomme ici galea ce qu’il appelle palpe dans les libellules.

« Classe III. (Libellulæ L.)

« Maxillæ superiores ; maxillæ inferiores liberæ gerunt palpum unum simplicem ; labium inferius absque palpis. Metam. semi-nympha.

« Classe IV. (Aranea, Trombidium, Phalangium.)

« Maxillæ superiores ; maxillæ inferiores liberæ gerunt palpum articulatum nullum labium inferius. Metam. nulla.

« Classe V. (Cancer L., peut-être aussi Scorpio et Monoculus.)

« Maxillæ superiores palpigeræ ; maxillæ inferiores multiplicatæ, palpigeræ. Labium inferius nullum. Metam. nulla. Cette description ne se rapporte guère à ce que dit Fabricius de ses agonates ; mais vous trouverez dans mon mémoire sur les écrevisses des preuves de mon opinion.

« Classe VI. (Hymenoptera, L.)

« Maxillæ superiores ; maxillæ inferiores connatæ cum labio, gerunt palpum 1 articulatum. Labium inferius gerit palpos 2 articulatos. Cette division peut encore être soudivisée en 2. Labio in proboscidem elongato. Labio absque proboscide. Metam. nympha completa.

« Classe VII (Hemerobius, etc.)

« Je n’ai pas encore observé la bouche de cette classe ; mais ces insectes diffèrent de ceux de la classe précédente par les métamorphoses. Met. semi-nympha.

« Classe VIII. (Phrygana, Semblis, Ephemera.)

« Maxillæ super. nullæ ! inferiores connatæ cum labio, gerunt palpum 1 artic. ; labium inferius gerit palpos 2 artic. Metam. semi-nympha.

« Classe IX. (Glossata.)

« Classe X. (Ryngota.)

« Comme dans Fabricius.

« Classe XI. (Antliata.)

« Devra être soudivisée en trois : diptera cum proboscide ; diptera absque proboscide, et aptera. Je ne sais encore où placer plusieurs aptères, nommément oniscus, lepisma, podura.

« Que pensez-vous de cette classification ? Elle est sans doute encore imparfaite ; mais avec quelque amélioration elle deviendrait la meilleure de celles qui ont été proposées. »

Suit une dissertation savante sur les carabes ; ensuite une autre sur les ichneumons.

« Venons-en à un travail aussi important et peut-être plus difficile que la détermination des carabes, celle des ichneumons. Linné les avait classés d’après un caractère peu sûr, la couleur de l’écusson et celle des antennes. Fabricius a conservé cette division, supprimé plusieurs espèces de Linné, confondu plusieurs autres et établi des espèces douteuses.

« Geoffroy n’a fait aucune division dans un genre où elles sont si nécessaires. J’ai essayé de le soudiviser en un certain nombre de familles naturelles, ainsi que nous y sommes parvenus avec assez de bonheur pour les staphilins, les carabes, les mouches' et les sphex. »

Viennent ensuite deux pages de détails scientifiques, qui finissent ainsi : « Dans ma prochaine lettre je terminerai la détermination de ce genre. J’attends de vous et de nos amis beaucoup de savans renseignemens sur ces six premières familles.

« P. S. J’espère que vous me répondrez promptement. Le temps qui s’écoulera jusqu’à votre réponse, ne sera pas perdu pour notre Société. Je le passerai non loin de la mer, dans un lieu où je trouverai des plantes marines, des forêts, et par-ci par-là, des mousses, et dans lequel mes diaria cryptogamicum et halicaticum prendront de l’accroissement. J’espère aller ensuite à Paris, où le cabinet royal et d’autres cabinets me promettent beaucoup d’instruction. »


seconde lettre


Fiquainville, le 18 Mai 1791.


« Je suis forcé aujourd’hui de borner à des remercimens ma réponse à votre mémoire sur les escargots ; mais j’espère bientôt être en état de vous envoyer là-dessus un commentaire détaillé. Je compte que vous me parlerez aussi des coquilles fluviatiles.

« Mon turbo en est réellement un, et convient au genre tel que vous le définissez. J’ajouterai à sa description que son opercule est brun foncé et qu’il ferme complétement l’ouverture.

« L’animal, que j’ai vu pour la première fois aujourd’hui, épuise toutes mes idées de conchyliologie et renverse aussi votre division faite avec tant de soin, en hélices de terre et d’eau douce. Il n’a que deux cornes, médiocrement longues, avec les yeux placés à l’extérieur de leur base. Ces tentacules sont cylindriques et non comprimées comme dans les hélices d’eau douce. Il vit parmi les mousses et les pierres. On le trouve dans beaucoup de lieux par centaines. »

Viennent des descriptions de plusieurs espèces de carabes ; puis quelque chose sur les cloportes.

« Je suis étonné que vous ne possédiez pas la ceton. nobilis. J’aurais juré l’avoir vue dans votre collection. En Basse-Normandie elle est aussi commune que la cet. aurata. Il est vrai que si l’on sépare les trichies des cétoines, c’est aux premières qu’il faut la rapporter : car elle ressemble parfaitement à la trichie fasciée, à la couleur et à la grosseur près ; mais toutes vos raisons ne me persuadent pas encore de la nécessité de cette séparation.

« S’il ne fallait que quelques différences précises pour former des genres, on ferait bientôt des genres avec les simples espèces ; car elles sont espèces parce que l’on trouve entre elles des différences déterminées. Ce n’est pas là-dessus que se fonde la précision des botanistes, mais bien plutôt sur ce que, dans les plantes, les différentes classes de caractères ont été mieux étudiées et que le degré de leur importance pour une distribution naturelle a été plus exactement déterminé que pour les animaux. C’est ainsi, par exemple, qu’on a pensé que la germination fournissait le principal caractère, et la fructification, un caractère subordonné au premier. Ainsi la germination a donné des classes naturelles, et la fructification des ordres et des genres, et la botanique n’est devenue florissante que depuis l’époque où Conrad Gessner découvrit et Fabius Columna constata que les genres de plantes ne devaient être fondés que sur les organes de la fructification. Bref, la logique démontre a priori que les caractères de chaque groupe, de chaque division, pour ne pas être contradictoires, doivent être pris, d’une seule et même partie. C’est à l’expérience à apprendre dans quelle partie on doit prendre ceux de telle ou telle classe ?

« En botanique, la chose est faite. En entomologie, cela est à faire. Les uns ont choisi les tarses ; d’autres, les antennes. Chez quelques-uns les antennes donnent des caractères bien faciles à saisir. Mais chez d’autres ? Qu’ont de commun, par exemple, les scarabés, les mélolonthes et les cétoines ? Les genres Sphæridium et Curculio ? Les antennes ne peuvent donc fournir qu’un caractère secondaire. Et je pense que le caractère vrainent important est celui que donne la mâchoire inférieure. Vient ensuite la lèvre inférieure ; puis la mâchoire supérieure ; enfin les antennes.

« Tous les scarabés qui vivent dans les fientes, ont une même mâchoire inférieure ; mais au moyen des différences que présentent la lèvre inférieure et les mâchoires supérieures, on peut y faire trois coupes. Les scarabés qui vivent de feuilles (melolonthæ) s’éloignent des autres autant par leur mâchoire inférieure que par leur genre de vie. On peut en dire autant des cétoines, qui vivent sur les fleurs.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Je pourrais ainsi vous démontrer l’identité de la mâchoire inférieure dans tous les coléoptères carnassiers (carabus, scarites, elaphrus, cicindela), et vous indiquer en même temps des différences dans la lèvre inférieure, suivant les genres.

« Pour les grandes divisions, la mâchoire inférieure est la partie qui fournit les meilleurs caractères ; je crois vous l’avoir prouvé dans la classification que je vous ai communiquée tout récemment. On pourrait le conclure par des raisonnemens metaphysiques. Toute l’organisation d’un animal est en harmonie nécessaire avec sa manière de vivre. La nourriture et la manière d’aller la chercher, sont des circonstances capitales de la vie animale. Les organes de mastication devront être en rapport avec la nourriture, conséquemment avec tout le genre de vie, et conséquemment avec toute l’organisation. Les organes de mastication doivent donc fournir des caractères naturels pour la distribution des animaux. Q. E. D. Peut-être rirez-vous de moi et direz-vous que je suis devenu aussi pédant qu’un disciple de Wolff ; mais je ne crois pas que vous puissiez faire une objection fondée à ma démonstration.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le reste de la lettre est la continuation de la monographie des ichneumons, commencée dans la précédente. Cette dernière partie est toute écrite en latin, et finit ainsi :

Heic meta ponenda. Plures mihi adhuc sunt ichneumones ; sed quorum caracteres specificos nondum rite determinare valui.

Divisionem meam valde mancam esse sentio, quam ob causam tuas correctiones non minusquam tua supplementa desidero. Hanc epistolam cœteris meis amicis stuttgardianis communices quœso. Vale et me ama. »

Cuvier.

La tourmente révolutionnaire vint arrêter les projets de M. Cuvier d’aller puiser dans les cabinets de Paris de quoi augmenter la liste des objets naturels qu’il avait pu observer. Ce fut peut-être un bonheur pour la science. Il s’attacha davantage à approfondir la connaissance de ceux qu’il était à même d’étudier dans l’état de vie. Dirigé par Buffon, par les excellens préceptes qui se font remarquer, au milieu de quelques taches, dans son premier discours : De la manière d’étudier et de traiter l’Histoire naturelle ; prémuni par ces préceptes contre les méthodes exclusives, et par l’étude des ouvrages de Linné, contre l’absence de méthode ; conduit par les botanistes français vers la découverte d’une méthode naturelle en zoologie, et par la connaissance que lui avait donnée d’Aristote le même discours de Buffon ; son excellent esprit, son jugement exquis, son génie, avaient su prendre dans Aristote, dans Buffon, dans Linné, dans Jussieu, toutes les règles que renfermaient les ouvrages de ces pères de la science, pour en continuer la direction suprême. Conduit par ces astres lumineux dans l’observation de la nature, M. Cuvier profita de sa position et de ses loisirs pendant un séjour de prés de huit années en Normandie, pour poser les fondemens d’une réforme générale dans l’étude de la zoologie et dans ses classifications. Il sentit dès-lors que cette science devait être fondée sur la connaissance de toute l’organisation, et que l’anatomie était le seul moyen d’arriver à une bonne méthode naturelle.

Si l’on apprécie bien toutes ces circonstances, on comprendra comment le jeune naturaliste jeta tant d’éclat au milieu des savans de la capitale, pour ainsi dire dès les premiers instans de son arrivée à Paris ; comment ses premiers mémoires décelèrent un nouveau législateur de l’histoire naturelle ; comment son premier cours d’anatomie comparée, dans lequel il avait adopté la méthode à la fois physiologique et philosophique d’Aristote, si bien expliquée dans le premier discours de Buffon[67], excita en faveur du jeune professeur l’intérêt et l’attention qu’éveillent toujours les créations du génie ; car cette méthode, appliquée aux faits découverts depuis Aristote et à ceux si nombreux que notre jeune naturaliste découvrait journellement, fut de nouveau une création.

Si le but principal de cette notice n’était pas surtout d’apprécier l’influence que les circonstances ont eue sur la direction scientifique et sur l’essor du génie de M. Cuvier, j’aurais cherché à consigner ici le plus possible de détails sur son séjour en Normandie, qui a été pour lui une sorte de retraite, une vie de méditations et d’observations.

Je sais, par exemple, qu’il se mit à étudier l’histoire contemporaine, afin de mieux comprendre les événemens de la révolution qui occupaient tous les esprits. Je sais encore qu’il entreprit la lecture de tous les voyages connus, comme pouvant éclairer ses études de prédilection, celles de la nature en général et de l’homme en particulier.


Commencement du séjour de M. Cuvier à Paris.

D’après sa première lettre à M. Hermann, datée du 23 Juillet 1795, que nous avons déjà citée, il paraît que c’est au mois d’Avril 1795 que M. Cuvier est arrivé à Paris pour s’y fixer. Cette lettre étant historique à plusieurs égards, je la transcrirai toute entière.

Paris, le 6 Thermidor an 3.
Citoyen,

« J’ai appris avec bien du plaisir que le professeur Geoffroy, lié avec vous par lettres depuis du temps, avait par là l’occasion de vous présenter l’esquisse d’un ouvrage nouveau sur les quadrupèdes, que nous avons entrepris en commun, moins par le sentiment de notre force, qu’à cause des matériaux immenses, accumulés dans la collection nationale depuis l’époque du quinzième volume de Buffon (car il faut compter pour rien ses supplémens), et que l’arrivée de la collection stadhoudérienne vient presque de doubler dans tous les genres et surtout dans celui des mammifères : je me réjouis, dis-je, de vous voir devenu le juge de nos essais ; car, quoique Français, quoique jeunes, nous ne nous laissons pas éblouir du brillant des écrits faits à Paris, et nous n’ignorous pas que, pour être un naturaliste, il faut réunir à la connaissance approfondie des objets, une philosophie profonde et une vaste érudition ; et nous savons très-bien que sous tous ces rapports nous ne pouvions faire un meilleur choix.

« C’est à ce titre que je vous prie de jeter un coup d’œil sur les trois brochures que je joins à cette lettre. Les deux premières sont aussi un programme d’un grand ouvrage, dans lequel j’exposerai l’anatomie des mollusques. J’en ai déjà une partie de faite. Celle du poulpe, sepia octopedia, paraîtra dans peu, et sera suivie de celle de la seiche, sepia officinalis, et du calmar, sepia lologo. Ensuite je passerai aux gastéropodes. Ces monographies seront accompagnées de planches. J’attends avec impatience le jugement que vous porterez de mes divisions ; elles me paraissent exactes et nouvelles. Comme elles sont fondées sur les principes généraux exposés dans le mémoire sur les mammifères, les trois écrits n’en font, pour ainsi dire, qu’un.

« Le mémoire sur les larynx est mon premier ouvrage. Je le fis il y a trois mois, en arrivant à Paris. Il est bien loin d’avoir atteint la perfection dont il était susceptible : c’est sous ce point de vue que je vous prie de le juger.

« Le citoyen Geoffroy s’est chargé de vous donner tous les renseignemens dont vous auriez besoin sur sa partie. Comme je suis particulièrement chargé de l’anatomie des animaux au Muséum national d’histoire naturelle, je vous offre bien sincèrement tous les services qui dépendront de moi dans cette à partie.

« Agréez, etc.

G. Cuvier.

Professeur d’histoire naturelle aux écoles centrales de Paris, Membre de la Commission temporaire des arts, Adjoint à la chaire d’anatomie comparée au Muséum d’histoire naturelle.

Rue de Varenne, faubourg Germain, n.° 659.

Nous avons déjà dit que M. Cuvier avait fait une grande sensation dès les premiers momens de son séjour à Paris, par la lecture de ses mémoires sur l’histoire naturelle systématique et sur l’anatomie comparée, et par ses enseignemens au Jardin des plantes et à l’école centrale du Panthéon. Sa réputation comme savant naturaliste fut promptement des plus brillantes. À peine avait-il paru sur ce théâtre de gloire, où il devait jouer le premier rôle pendant près de quarante années, qu’il sut s’y placer au rang le plus élevé, et cela sans obstacle, sans que cette place lui fût sérieusement disputée par aucun de ses célèbres collègues ; ce qu’on doit attribuer principalement à l’empire que le caractère, la science et le génie de M. Cuvier exercèrent de prime abord sur les savane de la capitale qui étaient à même de le juger.

Sa santé à cette époque paraissait entièrement dérangée par ses travaux de cabinet. Il était pâle, maigre, se plaignait de douleurs à la poitrine, et d’une toux sèche, qui semblait annoncer une disposition imminente à la phthisie pulmonaire, ou même un premier degré de cette maladie. Pour ne pas être trop interrompu par cette toux pendant ses leçons, il avait soin de faire placer devant lui une carafe d’eau sucrée, dont il buvait de temps à autre quelques gorgées, pour prévenir la trop forte excitation que la parole, à haute voix, produisait sur ses poumons extrêmement irritables.

On était généralement émerveillé de sa science, de ses belles découvertes, des utiles réformes introduites par ce nouveau législateur dans l’étude de l’histoire naturelle ; mais on éprouvait en même temps un sentiment pénible, causé par la crainte de ne pas le conserver, de le voir bientôt arrêté dans sa carrière par une maladie mortelle, dont il paraissait porter les germes. Ces appréhensions se sont peu à peu dissipées. La santé de M. Cuvier se raffermit, au lieu de s’affaiblir, par la variété de ses occupations. La déclamation à laquelle ses cours le forçaient de se livrer, rendit ses poumons moins irritables, plus capables d’efforts, au point que cet exercice et le développement amené par quelques années de plus, lui donnèrent une force de voix et de poitrine qui étonnèrent ceux qui l’avaient connu dans le début de sa carrière.

On a de lui un excellent portrait en pied, fait à cette première époque, dans lequel ses traits et cet état de souffrance sont peints avec une grande vérité.

Si la science accorda une grande part de ses faveurs à M. Cuvier dès le moment, pour ainsi dire, où il eut mis le pied dans la capitale de la France, la fortune ne lui sourit pas aussi promptement qu’elle. N’ayant absolument d’autres ressources que les revenus de ses places, obligé même de les partager avec son vieux père, il a dû se trouver souvent très-gêné, par suite de l’irrégularité qu’un gouvernement mal assis (celui du Directoire) mettait dans le paiement des administrations de toute espèce. Je trouve des traces de cet état de gêne dans plusieurs de ses lettres à feu Hermann, qui sont remarquables par sa manière d’en parler et de le supporter.

« Il ne faut pas que vous croyiez que la position des savans soit beaucoup plus agréable à Paris qu’a Strasbourg, pour ce qui regarde la fortune. Il est vrai qu’ils peuvent au moins se consoler par l’étude ; mais a quoi servirait la sagesse, si elle ne nous aidait à supporter le malheur. »

Cette lettre est du 9 Février 1798.

Il paraît que dans sa correspondance subséquente Hermann lui parlait de nouveau des avantages dont il croyait les savane de Paris favorisés. Voici ce que M. Cuvier lui répond encore à ce sujet, dans une lettre écrite en 1800 (an 8), et qui a probablement été la dernière qu’Hermann reçût de lui avant sa mort, laquelle eut lieu cette même année.

Mon cher et savant confrère,

« Ne vous imaginez pas que Paris soit si fort favorisé ; on doit douze mois au Jardin des plantes et à tous les établissemens nationaux d’instruction publique de Paris, comme à ceux de Strasbourg ; et si nous portons envie aux éléphans, ce n’est pas parce qu’ils sont mieux payés que nous, mais parce que, s’ils vivent comme nous à crédit, du moins ils ne le savent pas, et n’en ont, par conséquent, pas le chagrin. Vous savez qu’on dit des Français qu’ils chantent quand ils n’ont pas d’argent. Nous autres savans, qui ne sommes pas musiciens, nous faisons de la science au lieu de chanter, et cela revient au même. Croyez-moi, mon cher confrère, cette philosophie française vaut bien celle de Wolff et même celle de Kant, et vous êtes encore plus à même que nous de la mettre à profit ; puisque vous pouvez encore acheter de beaux livres et même des anatomies artificielles, qui sont de vrais objets de luxe dans ce genre[68]. Je ne me suis point encore occupé de Poli. Je remets cette étude au moment où je voudrai publier mon Histoire anatomique des animaux à sang blanc. Il n’y en a encore à Paris qu’un exemplaire, que je sache ; ainsi vous voyez que vous n’avez rien à nous envier. »

J’ai ouï dire que Fourcroy, en commençant sa carrière de l’enseignement, dans laquelle il eut constamment un grand succès, avait écrit ses leçons pour son premier cours, et les avait apprises par cœur.

M. Cuvier avait aussi écrit quelques-unes de ses premières leçons de son premier cours au lycée des arts. Sans doute que le sentiment de timidité qui s’empare toujours d’un commençant lorsque le moment arrive de paraître en public pour la première fois, l’avait déterminé à prendre ce parti ; mais il ne pouvait s’accorder avec son activité impatiente, qui le poussait constamment à faire le plus de besogne que possible en peu de temps. Aussi abandonna-t-il cette méthode au bout de peu de leçons, en prenant plus de confiance en lui-même et en apprenant, après la plus courte expérience, ce qu’il pouvait faire. Il ne tarda pas à parler sur de simples notes de peu de mots, après avoir employé quelques instans de méditation à recueillir, à classer ses idées et à faire le plan de sa leçon, qui était vraiment improvisée ; telle a été sa métbode, sauf ces premiers essais, pendant toute la durée de l’une des plus brillantes carrières du professorat, dont les annales de l’enseignement conserveront la mémoire.

C’est dans ce même cours du lycée des arts que sa réputation de professeur éloquent s’établit parmi les gens du monde, qui venaient se récréer à l’entendre. Un jour, qu’il traitait de l’histoire naturelle, il eut un si beau mouvement d’éloquence en parlant de Buffon, que tout son auditoire en fut ému et ne put s’empêcher d’applaudir, contre la règle, au milieu de la leçons.
Note d (page 13).

On pourra voir dans les Annales du Muséum (tom. II, p.409 et suivantes, an XI, 1803) un article historique sur les collections d’anatomie comparée, écrit par M. Cuvier lui-même.

Il en résulte que la première collection de squelettes d’animaux faite à Paris provenait des travaux en anatomie comparée, entrepris dans la dernière moitié du dix-septième siècle par les premiers membres de l’Académie des sciences, entre autres par le célèbre Duverney.

Buffon, vers le milieu du dix-huitième siècle, recueillit les débris de cette première collection et la fit transporter du local de l’Académie, au Jardin des plantes.

Daubenton l’augmenta d’un bon nombre de squelettes, qui tous appartenaient à des mammifères ; elle occupait à cette époque une seule pièce dans un vieux bâtiment qui a été abattu en 1785, pour élever celui qui renferme la bibliothèque. (Annales du Muséum, tome III, page 15.)

Faute de local convenable, beaucoup de squelettes avaient été détériorés dans les combles ou dans les souterrains où ils étaient relégués, ou bien ils s’étaient perdus ; et personne n’avait songé, jusqu’à M. Cuvier, à ranger ces objets d’anatomie dans un ordre physiologique.

Il obtint de l’administration qu’elle achèterait un vaste local, dont un côté touchait précisément à la maison destinée au professeur d’anatomie comparée. On perça une porte qui permit à ce professeur d’aller de plain-pied, dès son logement, dans une immense salle. C’est là que furent rangées, dans des divisions établies au moyen de cloisons incomplètes, les nombreuses préparations d’anatomie, qui furent faites avec une grande rapidité, sous la direction suprême de M. Cuvier, par feu Rousseau, son aide-anatomiste, dont le zèle infatigable a répondu constamment à l’empressement impatient du génie créateur de son maître.

En 1803, époque de la rédaction de la Note historique dont nous donnons ici un extrait, il y avait déjà cinq cent vingt-six squelettes, dont cent deux anciens, qu’il avait fallu remonter entièrement, et quatre cent vingt-quatre préparés depuis six années. Sur seize cent trente-deux préparations molles, il n’y en avait guères que deux cents d’anciennes ; tout le reste était nouveau.

« C’est du rnomont de mon installation au Musée d’Histoire naturelle, dit M. Cuvier dans ses Souvenirs, que je commeneai cette collection d’anatomie comparée, si généralement connue maintenant. J’allai chercher dans les combres du cabinet quelques vieux squelettes de Daubenton, que M. de Buffon y avait fait entasser comme des fagots, et c’est en poursuivant cette entreprise, tantôt secondé par quelques professeurs, tantôt arrêté par d’autres, que je parvins à donner à cette collection assez d’importance pour que personne n’osât plus s’opposer à son agrandissement. »

De 1802 à 1804 je m’occupai, à la sollicitation de M. Cuvier, et conjointement avec son frère M. Frédéric Cuvier, d’un catalogue raisonné du cabinet d’anatomie comparée. Cet ouvrage, qui est resté manuscrit, renferme une description assez détaillée des objets, avec la désignation de leur origine. Je serais à même de prouver par ce manuscrit[69] et les renseignemens que j’ai recueillis à cette époque, si cela était encore nécessaire après le document que je viens de citer, combien il est juste de regarder M. Cuvier comme le véritable fondateur du cabinet d’anatomie comparée du Musée d’histoire naturelle.

1.° C’est en effet sous sa direction que l’immense majorité des objets a été recueillie et les préparations exécutées.

2.° Les squelettes des collections Duverney et Daubenton, qui n’avaient pas disparu ou qui n’avaient pes été complètement détériorés, étaient dispersés et oubliés dans les combles et les souterrains, au moment où M. Cuvier vint demeurer au Jardin des plantes.

3.° C’est dès cette époque seulement, nous le répétons, qu’un vaste local a été préparé, à la sollicitation et par les soins actifs de M. Cuvier, qu’il a été divisé d’après ses plans et successivement agrandi, de manière à présenter toutes les facilités désirables pour les travaux anatomiques.

4.° C’est enfin sous sa direction que ces objets y ont été rangés dans l’ordre physiologique et exposés convenablement pour l’étude et pour le public, qui fut admis plus tard dans ce nouveau Musée, à des jours et à des heures réglés, comme dans les autres parties de l’établissement du Jardin des plantes. M. Cuvier en a donc été, sous tous les rapports, le seul, le véritable fondateur. Qu’on nous permette d’émettre ici le vœu de le voir appeler de son nom. Je préférerais à une statue cette justice de la postérité : c’est, en effet, le Musée Cuvier.

Note e (page 14).

M. Cuvier me proposa de coopérer à la première édition de cet ouvrage dans l’été de 1803, à son retour d’un voyage qu’il venait de faire dans le midi de la France, comme Inspecteur général des études, pour y organiser les lycées, en ajoutant que M. Duméril n’avait plus le temps de se charger de ce travail. J’avais vu M. Cuvier et M. Duméril faire ensemble les observations pour les deux premiers volumes et rédiger de concert le texte de cet ouvrrage. J’acceptai avec empressement cette honorable tâche, dans l’espoir de continuer cette œuvre de la même manière ; mais il en fut tout autrement. Ce n’était plus alors qu’une occupation secondaire pour M. Cuvier. Ses recherches sur les ossemens fossiles étaient devenues son plus important ouvrage. Il me désigna les leçons que je devais rédiger de toute pièce, d’après un plan donné, le même que celui des paragraphes de l’ouvrage : plan que je me permettais de modifier quand les observations le demandaient. Il se chargea des généralités et d’un certain nombre de leçons, dont je n’eus pas du tout à m’occuper ; mais aussi sa confiance fut telle, qu’il ne voulut pas même revoir ma rédaction, sous prétexte de la difficulté qu’il avait à lire mon écriture. Il se contentait de revoir les épreuves. Et cependant cette rédaction était faite le plus souvent d’après mes observations particulières des viscères, conservés dans l’esprit de vin[70], ou des animaux frais que j’étais à même de disséquer.

Voyez la Notice sur mes travaux, que j’adressai à l’Académie des sciences au mois de Juin 1832.

Note f (page 16).

Cet éloge fut prononcé le 5 Janvier 1813. On remarquera que M. Cuvier s’explique franchement sur le mérite de Pallas, relativement à une révolution dans la méthode de classification des mollusques, que ce dernier avait pressentie. M. Cuvier l’a opérée en 1795 et non pas seulement en 1798, ainsi qu’on l’a imprimé dans plusieurs articles historiques sur l’arrangement systématique des mollusques, des vers et des zoophytes, publiés en 1824 et plus tard. Si l’on réfléchit d’ailleurs que Pallas n’a jamais donné suite à cet aperçu si important sur la classification des mollusques, qu’il eut dans le commencement de sa carrière, et qui, comme un éclair, l’éblouit un instant dans l’obscurité où se trouvait alors la science ; si l’on fait attention qu’il ne l’a pas appliqué, qu’il l’a même entièrement perdu de vue dans le reste de sa carrière, on trouvera que cet éclair de génie n’a pas du tout servi à avancer la science.

Note g (page 29).

Le premier mémoire que M. Cuvier publia sur les restes fossiles des vertébrés, fut celui sur les éléphans, qu’il lut à l’Institut au mois de Février 1796 (1.er Pluviose de l’an 4), ainsi que nous l’avons dit dans le texte de cette Notice. Il est curieux de suivre depuis lors la succession de ses travaux et de voir comment ils ont créé cette science des restes organiques fossiles, dont l’intérêt augmente chaque jour, par tout ce qu’elle explique de l’histoire de la vie sur cette terre et des vicissitudes qu’elle y a éprouvées, par tout ce qu’elle démontre de bouleversements et de ruines dans la croûte de notre globe.

À cette même époque de 1796 M. Cuvier inséra dans le Magasin encyclopédique deux mémoires, l’un sur le squelette d’une très grande espèce de quadrupède inconnue (le mégalonix), l’autre sur les têtes d’ours fossiles des cavernes de Gailenreuth.

Au mois d’Août 1798 la série des espèces que M. Cuvier avait sinon déterminées définitivement, du moins classées d’une manière générale, soit par ses recherches d’érudition, soit par l’observation directe, avait beaucoup augmenté. Il lut à cette époque, à la Société d’histoire naturelle, un mémoire sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, dont il fit lui-même un extrait pour le n.° 18 du Bulletin des sciences de la Société philomatique.

« L’auteur s’est proposé dans ce mémoire, dit-il, de rassembler, autant qu’il lui a été possible, tous les os fossiles qui ont appartenu à chaque espèce, soit qu’il les ait vus par lui-même, ou qu’il en ait seulement trouvé la description dans les auteurs ; d’en reformer les squelettes de ces espèces et de les comparer avec ceux qui existent à la surface du globe, pour en déterminer les rapports et les différences. »

Ainsi ses recherches n’avaient encore pour but avoué que la détermination et la classification des espèces perdues. Cependant M. Cuvier faisait déjà à cette époque la plus grande attention aux terrains dans lesquels ces ossemens avaient été enfouis.

Le mémoire en question est extrêmement intéressant pour l’histoire de la science, dont il donne le degré de développement qui était exactement alors celui des connaissances de M. Cuvier, qui en était le créateur.

On y trouve la première annonce des fossiles de Montmartre ; mais les premiers débris que M. Cuvier eut l’occasion d’examiner étant très-incomplets, sa première détermination fut d’abord très-fautive. Il prit son paléothérium pour un animal carnassier, pour une espèce du genre canis.

« La neuvième espèce, dit-il, est l’animal carnassier dont on trouve des os dans la pierre à plâtre de Montmartre. Le forme de ses mâchoires, le nombre de ses dents molaires, les pointes dont elles sont armées, indiquent que cette espèce devait se rapporter au genre Canis. Cependant elle ne ressemble entièrement à aucune espèce de ce genre. La marque distinctive la plus frappante, c’est que c’est la septième molaire d’en bas qui est la plus grande dans l’animal de Montmartre, tandis que c’est la cinquième dans les chiens, les loups, les renards. »

Cette erreur, qui est un vrai phénomène dans les déterminations si parfaites et cependant si nombreuses de ce long travail sur les ossemens fossiles, est déjà redressée dans le n.° 20 du même Bulletin des sciences, publié au mois d’Octobre 1798, c’est-à-dire, deux mois plus tard. On y trouve encore un extrait, fait par M. Cuvier lui-même, d’un mémoire sur les ossemens trouvés dans le gypse de Montmartre, qu’il avait également lu à la Société d’histoire naturelle. Voici comment il s’exprime au sujet de cette première détermination : « L’auteur qui, d’après des fragmens très-peu nombreux, avait cru, ainsi que nous l’avons dit dans notre avant-dernier Bulletin, que ces ossemens provenaient d’un animal du genre Chien, ayant eu occasion d’en examiner un nombre très-considérable, a reconnu qu’ils proviennent de trois espèces différentes…, qui doivent cependant être rapportées à un seul et même genre, lequel est nouveau, et se place dans l’ordre des pachydermes, presque également rapproché du rhinocéros, du tapir et du cochon. » (C’est le genre que l’auteur a appelé plus tard Palœothérium.)

On voit dans sa correspondance avec feu Hermann, combien ce beau travail sur les ossemens fossiles le préoccupait. Il lui écrit en Février 1798, en parlant du grand mastadonte, qu’il appelle encore l’éléphant de l’Ohio :

« Nous en avons près d’une moitié de mâchoire qui nous vient du Pérou ; ce qui détruit l’opinion de Buffon, que les grands animaux avaient péri par le froid dans l’Amérique septentrionale, parce qu’ils n’avaient pu franchir les montagnes de l’isthme de Panama. »

Dans une autre lettre du même mois de l’année suivante, M. Cuvier lui fait cette question :

« Avez-vous quelque fossile de vos environs ou d’ailleurs, qui ait encore ses facettes articulaires ; si cela était, communiquez-m’en, je vous prie, des dessins ou des empreintes… Indiquez-moi en même temps le gisement dans lequel il a été trouvé. Mon ostéologie comparée en est venue au point que je détermine le genre dont un os quelconque provient, pour peu que ses facettes y soient encore. »

En 1800, les recherches de M. Cuvier prirent de plus en plus d’importance. Il annonça successivement l’existence des tapirs fossiles en France, des ornitholithes à Montmartre. La détermination d’une nouvelle espèce fossile du genre de l’Hippopotame. (Bulletin philom., n.os 34, 41 et 42.)

Mais rien ne contribua plus à exciter l’intérêt général en faveur de cette entreprise scientifique, que le Prospectus qu’il en adressa à tous les savans, en leur apprenant les résultats qu’il avait obtenus jusque-là.

Ce Prospectus, qui fut imprimé par ordre de la classe des sciences mathématiques et physiques de l’Institut national le 26 Brumaire an 9 (Octobre 1800), a pour titre : Extrait d’un ouvrage sur les espèces de quadrupèdes dont on a trouvé les ossemens dans l’intérieur de la terre, adressé aux savans et aux amateurs des sciences par G. Cuvier, etc.

Il a été inséré dans le Journal de physique, tome LII, p.254 et suivantes, Paris, 1801.

L’auteur y précise l’état de la science et le point où il était arrivé.

« Après de longues recherches et avec le secours de mes prédécesseurs et de mes amis, je suis parvenu à rétablir vingt-trois espèces, toutes bien certainement inconnues aujourd’hui, et qui paraissent toutes avoir été détruites, mais dont l’existence dans les siècles reculés est attestée par leurs debris. »

Il annonce de plus beaucoup d’autres restes de ces antiquités zoologiques, mais encore trop incomplets pour pouvoir les restaurer dans le Catalogue des animaux.

Cette publication excita un enthousiasme général parmi les savans, et par les résultats qu’elle leur apprenait et par rare éloquence que M. cuvier mit à les leur exprimer. La science des restes fossiles organiques a marché depuis lors avec une incroyable rapidité vers le développement extraordinaire qu’elle a atteint en ce moment.

Note h (page 39).

Voici ce qu’on lit, entre autres, dans l’édition de 1812, p. 7 et 8 des Becherches sur les ossemens fossiles : « Et ces bancs redressés qui forment la crète de ces montagnes secondaires, ne sont pas posés sur des bancs horizontaux des collines qui leur servent de premiers échelons, ils s’enfoncent au contraire sous eux. Ces collines sont appuyées sur leurs pentes. Quand on perce les couches horizontales dans le voisinage des couches obliques, on retrouve celles-ci dans la profondeur. Quelquefois même, quand les couches obliques ne sont pas trop élevées, leur sommet est couronné par des couches horizontales. Les couches obliques sont donc plus anciennes que les couches horizontales, et comme elles ont dû être formées horizontalement ; elles ont été relevées ; elles l’ont été avant que les autres appuyassent sur elles.

« Ainsi la mer, avant de former les couches horizontales, en avait formé d’autres, qu’une cause quelconque avait brisées, redressées, bouleversées de mille manières, etc. »

Le génie, méditant sur ces fait si clairement exposés, les observant dans la nature, les comparant dans leur immensité et dans leurs nombreuses différences, est ainsi arrivé à trouver la théorie du soulèvement des chaînes de montagnes et à déterminer les époques relatives de ces soulèvemens pour chacune de ces chaînes.

« M. Elie de Beaumont, admettant cette production des montagnes par soulèvement, et examinant avec soin, dans chaque système de montagnes, la nature des couches qui y sont inclinées, et de celles qui y sont demeurées horizontales, a conçu l’idée hardie de fixer l’ancienneté relative des diverses montagnes, et est arrivé à ce résultat inattendu, que ce ne sont pas les plus élevées qui ont été soulevées les premières, et même que ce ne sont pas toujours celles dont le noyau se compose des plus anciens terrains. » (Analyse des travaux de l’Académie royale des sciences pour 1829, partie physique, par M. Cuvier.)

Note i (page 47).

Huit volumes seulement de cet important ouvrage ont paru avant la mort de M. Cuvier.

Les I et II en 1828.

Les III et IV en 1829.

Les V et VI en 1830.

Les VII et VIII en 1831.

L’impression du IX.e était commencée lors de la mort de M. Cuvier, et tout le manuscrit était prêt : il n’a paru que cette année (1833).

Si cette histoire continue d’être publiée dans les mêmes proportions, on peut présumer qu’elle se composera de vingt à vingt-cinq volumes.

Les I.er, III.e, IV.e et V.e sont entièrement de la rédaction de M. Cuvier. M. Valenciennes a contribué à celle des cinq autres.

Il continuera de publier, sous le nom de M. Cuvier, dans les volumes subséquens, les articles que son maître aura laissés en état d’être imprimés sous sa responsabilité scientifique.

Nous lisons cette promesse dans l’avertissement que M. Valenciennes a mis en tête du neuvième volume, dans lequel il annonce, avec l’éloquence du cœur, la mort de son illustre maître, et la tâche qu’il lui a léguée, en le chargeant, par sa dernière volonté, de publier les matériaux nombreux qu’il avait préparés pour cet important ouvrage. Ces matériaux sont tels qu’on peut espérer que la publication des volumes subséquens marchera rapidement par les soins éclairés de M. Valenciennes. En effet, M. Cuvier, au moment d’entreprendre cette grande Histoire naturelle des poissons, avait commencé par étudier, l’une après l’autre, toutes les espèces qu’il avait pu réunir, et le nombre s’élevait alors à plus de quatre mille[71]. Les résultats principaux de ses recherches critiques, de ses déterminations des espèces ou des genres des différens degrés et leur distribution méthodique, ont paru déjà en 1829, dans le volume de son Règne animal concernant les poissons.

Note k (page 47).

M. L. F. Em. Rousseau, docteur en médecine, Membre de plusieurs sociétés savantes, a succédé à feu son père dans la place de chef des travaux anatomiques du Muséum d’histoire naturelle, et a hérité de son zèle pour la prospérité de l’établissement auquel il est attaché et de son dévouement à la personne de M. Cuvier. Il s’est fait connaître, entre autres, par des préparations très-bien faites du système dentaire chez l’homme et chez les principaux animaux, que M. Cuvier l’avait chargé d’exécuter. Ces préparations ont été décrites et représentées dans de très-belles figures enluminées, qui font partie de l’ouvrage intéressant que M. Rousseau a publié en 1827 sous le titre de : Anatomie du système dentaire chez l’homme et chez les principaux animaux, Paris, 1827, un vol. in-8.°, avec 30 planches.

Note l (page 48).

M. Charles Laurillard, conservateur du Musée d’anatomie comparée du Jardin des plantes, est né à Montbéliard le 21 Janvier 1783. Attaché à M. Cuvier depuis 1804, d’abord comme secrétaire dessinateur, mais bientôt après comme l’ami le plus dévoué ; il l’a suivi dans ses deux voyages en Italie, dans celui d’Allemagne et dans ceux d’Angleterre.

Pour l’histoire de la science le nom de M. Laurillard sera inséparable de celui de M. Cuvier, dont il a été près de trente ans l’utile collaborateur. Son caractère solide et sûr, sa douceur patiente, son extrême assiduité au travail, ont contribué plus qu’on ne peut l’imaginer, à soulager son patron des soins de détail qui auraient ralenti ses travaux.

Une circonstance aussi heureuse ne pouvait que faciliter journellement l’élan de ce génie et contribuer à en multiplier les créations.

M. Laurillard, dans une des dernières dispositions de M. Cuvier, a été chargé de la publication de ses porte-feuilles.

Note m (page 79).

Comme dans son inspection des départemens au-delà des Alpes, M. Cuvier s’applique à faire connaître l’enseignement, le matériel et les finances de tous les établissemens d’instruction publique de la Hollande, dans un premier Rapport, et de la Basse-Allemagne dans un autre Rapport.

On concevra facilement quel intérêt historique doivent avoir ces récits et le jugement de M. Cuvier sur une partie des connaissances humaines qui lui était aussi familière ? Son collègue, M. Noël, lui fournit des notes sur quelques localités, telles que Breda, Berg-op-Zom, Bois-le-Duc, Deventer, Zutphen, Arnheim, Nimègue et Emmerick, qu’il visita seul ; mais la rédaction toute entière de ces rapports appartient à M. Cuvier.

Voici l’idée générale que l’on trouve, dans celui[72]sur la Hollande, des établissemens publics de ce pays (page 7). L’instruction primaire est au-dessus de tout éloge. L’instruction secondaire, bonne à quelques égards, est à d’autres au-dessous de toute critique. L’instruction définitive est hors de proportion avec les besoins du pays. Le trop grand nombre d’établissements qui la distribuent a empêché de donner à aucun d’eux le degré de développement dont il aurait été susceptible.

M. Cuvier explique ce défaut par celui du gouvernement fédératif, dans lequel chaque province, formant un état indépendant, ne consentit pas, lors de l’expulsion des Espagnols, date de la création des établissemens de haute instruction en Hollande, à laisser à la province voisine un avantage qu’elle n’aurait pas eu. Les plus pauvres voulurent avoir leur université comme les plus riches, au risque de la laisser manquer des choses les plus nécessaires une université.

… « Enfin, écrit M. Cuvier dans ce Rapport, l’enseignement supérieur fut disséminé dans sept ou huit villes peu distantes, et resta presque partout pauvre, faible et peu suivi. » (Ibid., page 8.)

On voit ici que le défaut de centralisation et la trop grande division des forces et des moyens, a aussi de graves inconvénients.

Ce que le rapport sur la Hollande renferme de plus intéressant relativement au temps présent et à l’application qu’on en peut faire à la France, est, sans contredit, la partie qui concerne l’instruction primaire.

Trente ans avant la rédaction de ce rapport (page 11) les petites écoles hollandaises ressemblaient à celles de tous les pays. Des maîtres presque aussi ignorans que ceux qu’ils devaient instruire, réussissaient à peine en quelques années à donner à un petit nombre d’élèves de faibles connaissances dans la lecture et dans l’écriture.

Ces écoles n’avaient aucuns surveillans généraux. La plupart étaient nées de spéculations privées, etc… De tous ces inconvéniens résultait que la jeunesse croupissait dans l’ignorance et les mauvaises mœurs.

Les premières améliorations et le modèle d’après lequel on les a étendues, furent le produit des efforts d’une Société de bienfaisance, dite la Société du bien public, qui dut elle-même sa formation au zèle d’un individu pieux et humain, Jean Nieuven-Huysen, ministre mennonite à Monikendam dans la Nord-Hollande.

Il commença vers 1784 à s’associer quelques amis : ceux-ci en attirèrent d’autres. L’utilité de la chose, une fois connue, multiplia le nombre des membres, au point que dès 1785 on fut obligé de diviser l’association suivant les cantons. L’on donna à ces divisions le nom de départemens. Chacune d’elles eut son administration distincte. Cette Société, ajoute le Rapport, a joui d’une prospérité toujours croissante ; elle s’étendait jusqu’au cap de Bonne-Espérance, et l’on y comptait, en 1809, plus de sept mille membres.

Il faut lire dans ce Rapport l’extrême sagesse du but de cette Société et des moyens qu’elle a employés pour l’atteindre, en cherchant à donner dans les écoles qu’elle créait, dont elle faisait les frais d’établissement, des modèles toujours plus parfaits d’enseignement et d’éducation physique, intellectuelle, morale et religieuse, et en publiant les ouvrages élémentaires les plus propres à cet enseignement.

L’effet de cette Société du bien public, des efforts bien coordonnés de tant de gens de bien pour l’amélioration du peuple par l’éducation, toujours puissamment secondés par les divers gouvernemens de ce pays, fut miraculeux. Si nous insistons sur ce point, c’est pour donner un grand exemple, d’un côté, des inconvéniens de l’isolement, de l’abandon aux volontés individuelles des particuliers ou méme des communes, d’une affaire aussi importante pour la société que l’éducation ; de l’autre, des avantages immenses d’une puissance centralisée, dont les forces, régulièrement distribuées sur tous les points de sa sphère d’action, dans la proportion des besoins, y produisent en peu d’années une régénération universelle de tout un peuple.

Nous venons de voir dans quel triste état était l’instruction primaire dans la république fédérative des sept provinces unies, avant l’association pour le bien public, qui a produit ici l’effet d’un pouvoir central.

Voici comment les auteurs du Rapport peignent l’état prospère de cette instruction, au moment où ils venaient de l’observer.[73]

« Nous aurions peine à rendre l’effet qu’a produit sur nous la première école primaire où nous sommes entrés en Hollande. C’était précisément une de celles que la charité publique entretient pour les enfans des familles les plus indigentes, pour ceux qui, en tant d’autres pays, seraient réduits à traîner leur misère sur les grands chemins, pour y faire le métier de mendians, en attendant qu’ils aient la force de faire celui de voleurs.

« Deux salles vastes, claires, bien aérées, y contenaient trois cents de ces enfans, tous proprement tenus, se plaçant tous sans désordre, sans bruit, sans impolitesse, faisant à des signes convenus tout ce qui leur était commandé, sans que le maître eût besoin de dire une parole. Non-seulement ils apprennent par des méthodes sûres et promptes à lire couramment, à écrire d’une belle main et avec une entière correction, à faire de tête et par écrit tous les calculs nécessaires dans la vie commune ; enfin, à rendre nettement leurs pensées dans de petits écrits : mais les livres qu’on leur donne, les morceaux qu’on leur fait copier, sont si bien gradués, ils se succèdent dans un ordre si bien calculé ; les préceptes et les exemples y sont mêlés avec tant d’art, que ces enfans se pénètrent en même temps des vérités de la religion, des préceptes de la morale et de toutes les connaissances qui peuvent leur être utiles ou les consoler dans leur malheureuse condition. On s’assure par des questions fréquentes, et en les excitant même à proposer leurs difficultés, que rien de ce qu’on leur fait lire n’est perdu pour leur intelligence. Enfin, des prières et des hymnes chantés en commun, composés exprès pour eux et respirant tous le sentiment du devoir ou celui de la reconnaissance, donnent du charme à cette institution, en même temps qu’ils lui impriment un caractère religieux et tendre, propre à en faire durer les effets. Un maître et deux aides, qu’on prendrait eux-mêmes pour des écoliers, gouvernent ce grand nombre d’enfans, sans cris, sans invectives, sans aucune punition corporelle ; mais en les intéressant toujours et en les tenant sans cesse en haleine.

« La première vue de cette école nous avait causé une surprise agréable. Lorsque nous fûmes entrés dans tous ces détails, nous ne pûmes nous défendre d’une véritable émotion, en songeant à ce que ces enfans, abandonnés à eux-mêmes, seraient devenus, et à ce qu’ils étaient ; mais, nous disions-nous, c’est peut-être ici un exemple unique, le produit des efforts d’une ville riche ou du zèle de quelques citoyens d’une générosité extraordinaire.

« On nous prévint qu’à mesure que nous parcourrions le pays, nous reviendrions de cette erreur ; et, en effet, nous avons trouvé partout les écoles primaires sur le même pied, si l’on excepte celles où de trop vieux maîtres n’ont pu encore se dégager de leurs anciennes routines. »

Le Rapport[74] sur la Basse-Allemagne est précédé de considérations sur l’esprit qui dirige, en Allemagne, l’éducation publique, et qui tient lui-même aux mœurs et au naturel de la nation allemande.

Je les rapporterai dans toute leur teneur, comme portant le cachet du style et des pensées de M. Cuvier, comme une preuve de la connaissance profonde qu’il avait de cette nation si estimable, du grand cas qu’il en faisait, et en même temps de l’excellent esprit de sagesse et d’indépendance qu’il mettait dans ses travaux administratifs ; travaux consciencieux s’il en fût jamais, dans lesquels la vérité n’était jamais dissimulée, même lorsqu’elle ne flattait pas les plans du monarque tout-puissant, qui se croyait appelé à régénérer le monde et qui avait pour principe que toutes les institutions de son grand empire devaient être semblables comme les poids et mesures, malgré les degrés différens de civilisation des populations, malgré les différens besoins des localités, malgré les différences des climats, des habitudes et des origines.

Voici ces considérations préliminaires :

« Il est cependant nécessaire d’observer que tous les établissemens dont nous allons parler participaient plus ou moins à l’esprit qui dirige en Allemagne l’éducation publique, et qui tient lui-même aux mœurs et au naturel de la nation allemande. Vivant en famille, sans plaisirs publics, sans distractions variées, les Allemands des classes moyennes et surtout dans le Nord, regardent la lecture, l’étude et la méditation, comme leurs plus grands plaisirs et leurs premiers besoins : c’est pour apprendre qu’ils étudient, plutôt que pour se préparer à une profession lucrative. La partie pratique des sciences est pour eux l’accessoire, et ils se livrent de préférence à toutes les spéculations générales qui appartiennent uniquement au domaine de l’esprit. La philosophie des choses, les principes fondamentaux et métaphysiques, sont ce leur plaît davantage. Il leur faut donc un enseignement étendu plutôt qu’un enseignement détaillé, mais restreint. Le théologien, par exemple, scrutera jusque dans leurs racines toutes les vérités de la morale et de la théologie naturelle ; quant à la religion positive, il en voudra connaître l’histoire ; il étudiera la langue originale des livres sacrés et toutes les langues qui s’y rapportent, et qui peuvent aider à l’éclaircir ; il voudra posséder les détails de l’histoire de l’Église, connaître les usages qu’on y a suivis en différens siècles, et les motifs des variations qui s’y sont introduites.

« Le jurisconsulte ne se contentera point de posséder le code qui prévaut dans son pays ; dans ses études tout devra se rapporter aux principes généraux du droit naturel et de la politique ; il voudra savoir l’histoire du droit à toutes ses époques, et par conséquent il aura besoin de l’histoire politique des nations ; il faudra qu’il connaisse et apprécie les diverses constitutions de l’Europe, qu’il sache lire les diplômes et les chartes de tous les âges. La législation compliquée de l’Allemagne lui a fait et lui fera long-temps un besoin des droits canoniques des deux religions, du droit féodal et du droit public, autant que des droits civils et criminels ; et si on ne lui donne pas les moyens de vérifier dans les sources tout ce qu’on lui enseigne, il regardera l’enseignement comme étranglé et insuffisant.

« La médecine même, dont l’étude se ressemble davantage dans tous les pays, parce que son objet n’a rien qui dépende de la volonté humaine, s’enseigne cependant en Allemagne d’une manière plus étendue. On y remonte toujours, non-seulement à la physiologie de l’homme, mais à tout ce qu’il y a de plus général et de plus abstrait dans les lois de l’économie animale. Mais c’est surtout dans les études préliminaires et philosophiques que se fait remarquer cette tendance des Allemands vers les généralités. Ils veulent d’abord posséder les langues, comme moyens de s’instruire ; et, se souciant peu d’écrire élégamment en latin, ils aiment mieux employer le temps qu’il leur faudrait pour acquérir cette facilité à se procurer l’intelligence de quelques autres langues, et l’on peut dire qu’il n’est pas d’Allemand instruit qui ne lise les auteurs français, italiens et anglais, aussi bien que les auteurs latins ; ils veulent connaître les nations étrangères et l’histoire de l’univers ; ils veulent approfondir toutes les spéculations abstraites des métaphysiciens sur l’origine et la certitude de nos connaissances, et un nouveau système de métaphysique intéresse toute la nation. Leurs journaux mêmes sont dirigés dans cet esprit, et il en existe dix ou douze qui paraissent tous les jours, et que l’on continue depuis un grand nombre d’années, uniquement pour l’analyse des ouvrages sérieux, et sans y dire un mot des nouvelles du jour ni des spectacles.

« Il est clair qu’il doit résulter de cette méthode plus de variété que de profondeur ; que le jeune homme, en quittant l’Université, doit se trouver, jusqu’à un certain point, propre à se livrer à tout ; mais qu’il lui faudra encore un grand travail pour être apte à exercer quelque chose en particulier. Mais c’est précisément là ce que les Allemands estiment ; ils aiment cette grande masse de lumières, répandue dans leur nation, et pensent que celui dont l’esprit a été ainsi éclairé, se procure avec une grande facilité les connaissances de détail nécessaires à une profession spéciale ; et, comme la multiplication des souverainetés donne presque à tout le monde la possibilité d’arriver aux postes supérieurs du gouvernement, ils trouvent dans cette étendue de l’instruction l’avantage précieux de donner aux grands fonctionnaires des idées justes de toutes choses ; de leur faire considérer tout de haut, et de ne point les laisser dans l’ornière de leur profession primitive. L’habitude où l’on était de regarder l’Allemagne entière comme un seul pays ; la facilité avec laquelle on passait du service d’un prince à celui d’un autre, avait aussi donné à la partie politique de l’instruction plus de tendance au cosmopolitisme. On s’attachait à la justice universelle plus qu’aux intérêts particuliers d’un État ; on jugeait stoïquement chaque question, comme si elle avait eu lieu entre des nations étrangères : façon de penser qui a peut-être contribué à détruire l’indépendance de ce peuple, et dont il ne se fait pas moins un sujet de gloire. »

Note o (page 81).

Le commissaire impérial était dans le principe toujours un maréchal de France.

À ce commissaire était attaché un maître des requêtes, chargé de le diriger dans la partie de sa mission qui pouvait concerner le civil, afin de ne point s’écarter de la légalité. Il y avait de ces commissaires sur toutes les frontières, pour y organiser tous les moyens de défense qu’ils jugeraient convenables. C’est au maréchal L…, puis au général K…, que M. Cuvier dut être adjoint ; mais ils refusèrent la mission, qui fut donnée, en troisième lieu, à un commissaire civil, M. Otto. M. Cuvier, qui était toujours prêt le premier, en toutes circonstances, partit aussitôt. M. Otto' ne partit pas du tout.

M. Cuvier fut rencontré à Nancy par M. De la V…, alors chambellan de l’empereur, qui m’a dit avoir admiré à cette époque la résolution et la fermeté de son caractère, souffrant cependant de tous les embarras des circonstances.

Note p (page 82).

La section de l’intérieur du Conseil d’État, dont M. Cuvier a dirigé les travaux comme président, depuis 1819 jusqu’â sa mort, prépare les réglemens administratifs, examine les demandes de concessions, les autorisations de constructions de chemins, de ponts, d’usines, autorise les acceptations de legs, de donations, prépare les projets de lois qui lui sont remis par le Ministre et donne son avis.

« Durant les treize dernières années de sa vie, le nombre des affaires qui ont passé sous ses yeux dans ce comité, qui ont été examinées, débattues, expédiées par ses soins, effraie l’imagination. On sait qu’il s’est élevé quelquefois jusqu’à dix mille par année. » (Éloge de M. Cuvier par M. le Baron Pasquier, Président de la Chambre des Pairs, page 34 et suivantes.)

Note q (page 86).

M. Cuvier avait distingué dans une première et courte entrevue, un professeur d’un des principaux colléges royaux du midi. Il avait reconnu qu’il possédait à la fois les qualités et l’instruction nécessaires pour la direction d’une académie. Remplissant à cette époque les fonctions de grand-maître, comme Président de la commission de l’instruction publique (instituée par l’ordonnance du 11 Août 1815), M. Cuvier crut pouvoir annoncer à M. C… l’intention qu’il avait de le nommer à une place administrative de confiance, qui devait être en même temps un avancement très-honorable. Deux ou trois jours après (en Décembre 1820), il y eut inopinément un grand-maître de nommé. Cet événement ôta à M. Cuvier le moyen de réaliser son projet ; mais au moment où M. C… pouvait penser que le temps et les affaires l’avaient fait perdre de vue, après un délai de plus d’une année, sans qu’il eût eu l’occasion de se rappeler au souvenir de M. Cuvier, le grand-chancelier, toujours vigilant pour le bien public, profita de quelques jours, pendant lesquels il avait été chargé de l’intérim de la direction suprême de l’Université, pour signer et faire expédier la nomination de M. C… comme Inspecteur d’Académie chargé de fonctions rectorales, alors très-pénibles. Cette anecdote prouve à la fois la grande présence d’esprit de M. Cuvier dans les milliers d’affaires qui remplissaient sa vie, et l’intérêt qu’il mettait aux personnes, lorsqu’une fois il les avait appréciées, intérêt qui n’était au fond que celui de la chose publique.

Note r (page 94).
Note supprimée.
Note s (page 99).

M. Cuvier était d’une stature un peu au-dessous de la médiocre. D’un tempérament sanguin et nerveux, vif, passionné, il embrassait avec chaleur une résolution une fois prise. Sa peau était très-blanche et ses cheveux roux jusqu’à l’âge de trente ans. Vers cette époque, qui coïncide précisément avec celle où ses poumons acquirent plus de force et tous ses organes plus de consistance, la couleur de ses cheveux devint peu à peu plus foncée et passa au châtain. C’est à l’époque de ce changement que son portrait fut peint par Vincent et gravé par Miger. En le comparant avec celui exécuté dans le commencement de son séjour à Paris, lorsqu’il était encore souffrant et très-maigre (voyez page 129 de cette Notice), on reconnaîtra la grande amélioration qui eut lieu à cette époque, dans la constitution de M. Cuvier. Depuis lors sa santé s’est soutenue on ne peut meilleure, et sans que l’excessif travail de tête auquel il se livrait journellement, l’ait altérée le moins du monde.

Son appétit était toujours excellent et sa digestion très-facile, malgré de très-mauvaises dents. Il dormait habituellement de sept à huit heures, d’un sommeil calme et profond, nonobstant l’extrême activité de la journée, qui aurait pu lui laisser de l’agitation pendant la nuit.

Quelques rhumes, quelques fluxions, de légères douleurs de rhumatisme sont à peu près les seules indispositions qu’il ait eues pendant la dernière moitié de sa vie, qu’il a consumée dans un travail continuel de cabinet : travail qui paraissait autant convenir à sa nature, qu’au commun des hommes l’activité de la vie champêtre.

Nous venons de voir que, vers l’âge de trente ans, il se fit une révolution dans sa constitution ; que ses organes acquirent de la consistance et de la force : il prit de la chair.

De quarante-cinq à cinquante ans, il commença à devenir gras ; mais l’habitude à laquelle il se soumit peu à peu de se couvrir de plus en plus de doubles de flanelle ou de morceaux de fourrures, crainte de suppression de transpiration, augmentait beaucoup les apparences de son embonpoint réel.

Sa vue était si bien conservée qu’il a toujours lu et écrit sans lunettes. Sauf l’embonpoint, qui ôtait à sa démarche la vivacité qu’elle avait auparavant, M. Cuvier jouissait, avant sa dernière maladie, à l’âge de soixante-deux ans, d’une organisation aussi bien conservée, qu’elle l’est dans nos climats, à l’âge de cinquante ans, chez le commun des hommes les mieux constitués.

On trouvera dans une brochure publiée par le Docteur Em. Rousseau, chef des travaux anatomiques du Muséum et aide de M. Cuvier, et dans la Gazette médicale du Mardi 15 Mai et Samedi 19 Mai 1832, t. 3, n.os 32 et 34, des détails circonstanciés sur la maladie et l’ouverture du corps de M. Cuvier. Le dernier de ces numéros renferme le récit de cette opération, faite par M. Bérard aîné, professeur de physiologie de la Faculté de médecine de Paris, en présence de MM. Orfila, Duméril, Dupuytren, Allard, Biet, Valenciennes, Laurillard, Rousseau, Andral, neveu.

J’extrais de ce récit la partie qui concerne la structure du cerveau de M. Cuvier. On y verra combien l’organe de l’intelligence avait de développement, et quel rapport étonnant il y avait entre cette perfection et la prééminence des facultés intellectuelles dont il était l’instrument ?

« Peu de physiologistes, dit M. le professeur Bérard mettent en doute aujourd’hui le rapport qui existe entre les capacités intellectuelles et le volume des lobes cérébraux. Si quelques faits exceptionnels se rencontrent, ils tiennent sans doute à ce qu’avec un volume égal l’étendue des surfaces peut être différente, en raison du nombre des circonvolutions et de la profondeur des anfractuosités, ou à ce que, avec le volume et l’étendue des surfaces, il existe dans la texture du cerveau quelques conditions inappréciables de son activité. Mais ces faits exceptionnels sont rares, et le cerveau de M. Cuvier ne devait pas en augmenter le nombre.

« Sœmmering (de corporis humani fabric., etc.) évalue à deux ou trois livres le poids de l’encéphale. (Par encéphale on entend toute la masse nerveuse renfermée dans le crâne.) Je suis arrivé à des évaluations à peu près semblables en faisant peser deux encéphales pris au hasard à l’hôpital Saint-Antoine. En effet, l’encéphale d’une femme de trente ans pesait avec ses membranes deux livres onze onces deux gros ; l’encéphale d’un homme de quarante ans, deux livres douze onces six gros et demi ; l’encéphale de M. Cuvier s’élevait à trois livres dix onces et quatre gros et demi. On voit qu’il surpassait de près d’une livre le poids de chacun des précédens. Mais le résultat suivant n’offrira pas moins d’intérêt. On sait que toutes les parties de l’encéphale ne sont pas affectées à l’exercice des facultés de l’intelligence, et l’on s’accorde à placer dans les lobes cérébraux le siège de ces facultés. Or, en comparant le cervelet, la protubérance et le bulbe rachidien de M. Cuvier aux mêmes parties prises sur le sujet mâle ouvert à Saint-Antoine, je n’ai trouvé qu’une différence d’un gros et demi à l’avantage de M. Cuvier, d’où il suit que l’excès de poids de son encéphale tenait presque exclusivement à l’énorme développement de ses lobes cérébraux. Un des caractères du cerveau de l’homme auquel paraît liée sa supériorité intellectuelle, est, d’après M. Desmoulins, la grande étendue de la surface cérébrale, et cet avantage résulte chez lui du nombre et de la profondeur des anfractuosités ; c’est par cette sorte d’artifice q’une vaste membrane nerveuse a pu être contenue dans une cavité circonscrite comme le crâne. Sous ce point de vue le cerveau de M. Cuvier paraissait plus avantageusement partagé encore que sous celui du volume et de la masse. Aucune des personnes qui assistaient à l’ouverture du corps, n’avait mémoire d’avoir vu un cerveau aussi plissé, des circonvolutions aussi nombreuses et aussi pressées, des anfractuosités si profondes. C’était surtout à la partie antérieure et supérieure des lobes cérébraux que cette conformation avait acquis le plus heureux développement. »

Note t (page 101).

« Ces perpétuels changemens de noms finiront par rendre l’étude de la nomenclature beaucoup plus difficile que celle des faits. » (Règne animal, 2.e édit., tome III, page 191, note 3.)

M. Cuvier préférait conserver un mauvais nom, que l’usage avait consacré, plutôt que de lui substituer un nom nouveau, quoique meilleur. Voici ce qu’il écrit à feu Hermann à ce sujet. Il venait de lui donner des détails intéressans sur l’animal de la lingule : « Ce nom de lingule ne vaut rien, je l’avoue ; mais toujours changer ; toujours changer ! Je suis excédé des changemens que les moindres petits auteurs font à tort et à travers, et je donne quelquefois dans l’excès opposé. »

C’était en Mars 1799 que M. Cuvier se plaignait ainsi des néologues : il n’avait pas encore trente ans.

Cette répugnance extrême qu’il avait à faire des noms nouveaux, l’empêchait souvent de donner un nom à des coupes nouvelles, dont il avait assigné les limites et les caractères, et de constater ainsi, pour l’avenir, la découverte des rapports qu’il avait saisis le premier. D’autres naturalistes, moins réservés, et surtout moins scrupuleux, se sont empressés de remplir ces petites lacunes dans la nomenclature ; ce qui ne leur a coûté que la peine de chercher dans un dictionnaire grec deux mots qu’on puisse marier ensemble. D’autres ont fait comme certains industriels, qui prétendent avoir droit à une invention, tant peu qu’ils en aient modifié le mécanisme et quelqu’insignifiante que soit leur modification ; ils se sont contentés de changer la nomenclature de M. Cuvier, nomenclature imposée par le génie, sans pouvoir perfectionner la composition des groupes et leurs caractères, arrêtés et déterminés par ce législateur de l’histoire naturelle.

Note u (page 105).

Je ne puis placer qu’ici quelques mots sur la bibliothèque de M. Cuvier, qui serviront de supplément à ce que j’en ai dit page 105.

Cette bibliothèque se compose d’ouvrages achetés par M. Cuvier, et de livres qu’il avait reçus en cadeau des auteurs.

Pour l’anatomie et la physiologie comparées, l’histoire naturelle systématique ou philosophique et ses différentes applications, et pour les voyages, elle présente un ensemble très-rare ; elle comprend, en outre, une foule d’ouvrages de littérature ancienne et moderne, d’histoire, de jurisprudence, etc. Un très-petit nombre renferme des notes précieuses, écrites en marge, de la main de M. Cuvier. J’en connais entre autres d’extrémement intéressantes, sur les mémoires de Cabanis, insérés parmi ceux de la classe des sciences morales et politiques de l’Institut.

Grâces aux mesures qu’a prises le Gouvernement, lesquelles ont été sanctionnées par les Chambres, cette collection précieuse que M. Cuvier avait rassemblée avec tant de peines et de sacrifices, ne sera pas dispersée ni perdue pour la France. La même loi, qui accorde une pension de six mille francs à sa veuve, prononce que la bibliothèque de M. Cuvier sera acquise aux frais de l’État, pour la somme de soixante-douze mille francs. Il est vrai de dire que Mad.e Cuvier doit avoir mis, dans cette transaction, une facilité que ne pouvait manquer de lui donner, ce double et on ne peut pas plus honorable témoignage public de haute estime, pour la mémoire de M. Cuvier.

La veuve de Linné, inspirée par un tout autre sentiment, vendit aussitôt après la mort de son illustre époux, ses collections à M. Smith, qui se hâta de les faire transporter en Angleterre, aux grands regrets de la Suède. (Voyez la vie de Linné, par M. Fée, Paris, 1832, page 313.)
note additionnelle.

Une anecdote intéressante, sous tous les rapports, terminera cette série de notes.

L’empereur avait chargé M. Cuvier, lorsque le Roi de Rome était à peine âgé d’un an, de lui composer sa bibliothèque. M. Cuvier s’en était occupé avec soin, et il avait dressé une liste de la future bibliothèque du futur souverain ; mais lorsqu’il porta son travail aux Tuileries, Napoléon se préparait à partir pour la Russie, et ce plan en resta là. Il est à désirer que ce simple catalogue de livres n’ait pas été égaré. Il serait piquant d’y chercher la manière dont M. Cuvier envisageait l’éducation en général, lorsqu’elle doit être compléte, et celle en particulier d’un souverain.

suite de la note additionnelle.

M. de Kielmeyer ayant eu la bonté de répondre lui-même à quelques questions que j’avais pris la liberté de lui adresser sur le séjour de M. Cuvier à Stuttgart, je suis enfin (le 3 Juillet 1833) à même de rectifier ou de compléter ce que j’en ai écrit (pag. 8 du texte et note c, page 112 et suiv.).

Après la mort du professeur Kœstlin la chaire d’histoire naturelle ne fut pas remplie ; il n’y eut pas conséquemment de professeur de ce titre pendant le séjour de M. Cuvier à l’Académie. Le professeur de chimie, Reuss, fut chargé de la minéralogie. M. de Kielmeyer avait terminé ses études académiques lors de l’arrivée de M. Cuvier, et ne peut être considéré comme son condisciple ; mais il resta encore dix-huit mois à l’Académie, quoique chargé de l’enseignement de l’histoire naturelle dans un autre établissement. C’est dans des rapports particuliers avec le jeune Cuvier qu’il eut l’occasion de lui faire des démonstrations de zoologie et d’anatomie.

Les études d’histoire naturelle auxquelles se livra M. Cuvier à Stuttgart, eurent surtout pour objet les plantes et les insectes. Il se faisait remarquer, entre autres, par les beaux dessins qu’il en exécutait.

Parmi les amis de l’Académie Caroline qui se réunirent à M. Cuvier pour former une Société d’histoire naturelle (voyez p 117) j’apprends qu’il y avait deux frères Marschal et M. Parrot, le même qui précéda M. Cuvier en Normandie (voyez page 9).


Ouvrages, Mémoires et Rapports de M. Cuvier, dans l’ordre de leur publication.




1792.
Mémoire sur les cloportes. — Journal d’Histoire naturelle, 2.e vol., 1792.
Observation sur quelques diptères.Ibid.
Anatomie de la patelle comune.Ibid.
1795.
Description de deux espèces nouvelles d’insectes. — Magas. encycl., tom. I.er, pag. 206.
Lettre du citoyen Geoffroy, Professeur de zoologie au Muséum d’histoire naturelle, et du citoyen Cuvier, aux rédacteurs du Magasin encyclopédique, sur le Rhinocéros bicorne. — Ibid., tom. I.er, page 326, an 3 (1795.)
Mémoire sur une nouvelle classification des mammifères et sur les principes qui doivent servir de base dans cette sorte de travail ; lu à la Société d’histoire naturelle le 1.er Floréal de l’an 3, par les citoyens Geoffroy et Cuvier. — Ibid., tom. II, pag. 164.
Mémoire sur le larynx inférieur des oiseaux, lu à la Société d’histoire naturelle, par G. Cuvier, Professeur d’histoire naturelle. — Ibid., tom. II, pag. 358.
Mémoire sur la structure interne et externe, et sur les affinités des animaux auxquels on a donné le nom de vers ; lu à la Société d’histoire naturelle, le 21 Floréal de l’an 3 (10 Mai 1795). Décade philosophique, etc., n.° 40, an 3 (31 Mai 1795), tom. V, pag. 384 et suiv.

C’est dans cet important mémoire et dans celui Sur une nouvelle classification des mammifères, que M. Cuvier a posé les fondemens de la méthode naturelle et de l’anatomie comparée.

Second mémoire sur l’organisation et les rapports des animaux à sang blanc, dans lequel on traite de la structure des mollusques et de leur division en ordres, lu à la Société d’histoire naturelle de Paris, le 11 Prairial an 3, par G. Cuvier, Professeur d’histoire naturelle. — Ibid., tom. II, pag. 433 et suiv.
Mémoire sur les rapports naturels du Tarsier, Didelphis macrotarsus, Gm., lu à la Société d’histoire naturelle, le 21 Messidor an 3, par les citoyens Cuvier et Geoffroy. — Ibid., t. III, p. 147 et suiv., n.° 10.
Histoire naturelle des orangs-outangs, par Ét. Geoffroy, Professeur de zoologie au Muséum d’histoire naturelle et G. Cuvier, Professeur d’histoire naturelle aux écoles centrales. — Ibid., tom. III, pag. 451.
Discours prononcé par le citoyen Cuvier à l’ouverture du cours d’anatomie comparée, qu’il fait au Muséum national d’histoire naturelle, pour le citoyen Mertrud. — Magas. encycl., tom. V, pag. 145.
Conjectures sur le sixième sens qu’on a cru remarquer dans les chauve-souris, lues à la Société d’histoire naturelle, le 17 Ventôse, an 4. — Magas. encycl., tom. VI, p. 297.
Note sur la découverte de l’oreille interne des cétacés. — Magas. encycl., tom. VI, pag. 130.
1796.
Mémoire sur les espèces d’éléphans vivantes et fossiles, lu à l’Institut le 1.er Pluviôse an 4. (Février 1796).

Ce mémoire a été imprimé parmi ceux de l’Institut en 1799 et dans le Journal de physique (tom. I.er) en 1800.

Notice sur le squelette d’une très-grande espèce de quadrupède inconnue jusqu’à présent, trouvé au Paraguay et déposé au cabinet de Madrid, rédigée par G. Cuvier. — Magas. encycl., 2.e année, tom. I.er, pag 303.
Mémoire sur l’anatomie du grand limaçon, Helix pomatia, L. — Bulletin de la Société philomatique.
Mémoire sur la circulation des animaux à sang blanc.Ibid.
Sur les têtes d’ours fossiles des cavernes de Gailenreuth — Ibid.
Sur un nouveau genre de mollusque, Phyllida.Ibid., n.° 51.
Sur l’animal des Lingules, Brug.Ibid., n.° 52.
1797.
Note sur l’anatomie des ascidies : nouvelle série au Bulletin de la Société philomatique, n.° 1., Avril 1797.
Voici comment s’exprime l’auteur de cette note, M. Cuvier, lui-même : « Le citoyen Cuvier s’est aussi occupé des ascidies dans son huitième mémoire sur les animaux à sang blanc : ce sont les analogues nus des testacés bivalves. »
Sur les différentes espèces de rhinocéros : mémoire lu à la séance publique de l’Institut en Mai 1797.
Sur les narines des cétacés. — Bull. phil., n.° 4, Juillet 1797.
Sur les rates de Marsouin. — Institut national ; Bulletin philom., n.° 6, Septembre 1797.
Mémoire sur la manière dont se fait la nutrition dans les insectes, lu à l’Institut en Septembre 1797. — Bulletin de la Société philom., Janvier 1798 ; Journal de physique, tom. XLIX, Paris, 1799 ; Mémoires de la Société d’histoire naturelle de Paris, an 7, in-4.°, pag. 32.
Note sur une nouvelle espèce de guèpe cartonière. — Bulletin philom., n.° 8, 1797.
Éloge historique de Cl. A. Gaspard Riche, lu à la séance générale de la Société philomatique de Paris, le 13 Déc. 1797.
1798.
Tableau élémentaire de l’histoire naturelle des animaux, un vol. in-8.° de 7lO pages, avec 14 planches. Paris, 1798.
Nouvelles recherches sur les coquilles bivalves : système nerveux, circulation, respiration, génération ; lues à l’Institut en Février 1798. — Bulletin philom., n.° 11.
Sur les instrumens de la voix dans les oiseaux : mémoire lu à l’Institut les 11, 16 et 22 Floréal an 6 (Mai 1798). — Extrait par M. Cuvier pour le Bulletin philom., n.° 15, Juin 1798, imprimé en entier dans le Journal de physique, tom. I.er, pag. 426, 1800.

C’est une nouvelle édition du premier mémoire sur ce sujet, publié dans le Magas. encycl., en 1795.

Sur les vaisseaux sanguins des sangsues et sur la couleur rouge du fluide qui y est contenu, lu à la Société d’histoire naturelle. Sept. 1798, imprimé par extrait, Bulletin philom., n.° 19.
Extrait d’un mémoire sur les ossemens de quadrupèdes, lu à la Société d’hist. nat. — Bulletin philom., n.° 18, Août 1798.
Sur les ossemens qui se trouvent dans le gypse de Montmartre : mémoire lu à la Société d’histoire naturelle. — Bulletin philom., n.° 20, Oct. 1798.
Analyse des travaux de la classe des sciences physiques et mathématiques de l’institut national : partie physique ; 1.er, 2.e, 3.e et 4.e trimestre ; décade philosophique, tom. XII.
1799.
Sur les différens cerveaux, considérés dans tous les animaux à sang rouge - Bulletin philom. ; n.° 27, Mai 1799.
Mémoire sur l’organisation de la méduse, lu à l’Institut, en Brumaire de l’an 8. — Bulletin philom., n.° 33 (Déc. 1799) ; Journal de physique, tom. XLIX, pag. 436.

Voici comment l’auteur s’exprime sur ce singulier animal : « Si je ne me bornais à vous annoncer qu’il existe un animal sans bouche, se nourrissant, comme les plantes, par des suçoirs ramifiés, et auquel l’estomac tient lieu de cœur, vous auriez sans doute quelque droit de vous refuser à croire sur parole des assertions aussi extraordinaires ; mais comme je mets cet animal, etc. »

Éloge de Bruguières, imprimé avec le Rapport général des travaux de la Société philomatique, fait par le citoyen Sylvestre.
1800.
Sur les tapirs fossiles de France. - Bulletin philom., n.° 34, avec figures, Février 1800.
Éloge de Daubenton, lu à la séance publique de l’Institut, le 5 Avril 1800.
Leçons d’anatomie comparée de G. Cuvier, Membre de l’Institut national, Professeur au collége de France et à l’école centrale du Panthéon, etc., recueillies et publiées sous ses yeux par C. Duméril, chef des travaux anatomiques de l’école de médecine de Paris, an 8 (1800), tom. I et II.

Cet ouvrage a été publié en commun par MM. Cuvier et Duméril.

Sur le siren lacertina. — Société philom. et Bulletin philom., n.° 38, Mai 1800.
Sur l’ibis des anciens égyptiens : mémoire lu à l’Institut national. — Bulletin philom., n.° 39, Juin 1800 ; Journal de physique, tom. LI, pag. 184. 1800.
Sur les ornitholithes de montmartre. — Bulletin philom., n.° 41, Juillet 1800, et Journal de physique, tom. LI, page l28.
Addition à l’article des ornitholithes. — Bulletin philom., n.° 42.
Addition à l’article des quadrupèdes fossiles de montmartre. — Bulletin philom., n.° 42.
Sur une nouvelle espèce de quadrupède fossile du genre de l’hippopotame. — Société philom. ; Bulletin philom., n.° 42.
La ménagerie du muséum nationaal d’histoire naturelle ou les animaux vivans peints d’après nature sur vélin, par le citoyen Maréchal, et gravés au Jardin des plantes, etc., par le citoyen Miger, etc., avec une note descriptive de chaque animal, par un naturaliste, Paris, an 9.

Dans le Rapport que firent à l’Institut, le 16 Vendémiaire an 9 (Sept. 1800), MM. Lamarck et Lacépède, sur la première livraison de cet ouvrage, on voit que c’était proprement une entreprise du graveur Miger, qui avait pour but de faire connaître au public, par d’excellentes gravures, les peintures sur vélin de Maréchal. Le bonheur voulut que M. Cuvier seconda cette entreprise en se chargeant du texte de cet ouvrage, qui en devint naturellement, malgré la perfection des dessins et des gravures, la partie la plus intéressante.

« Le citoyen Miger, disent à la fin de leur Rapport MM. les Commissaires, a tû le nom du naturaliste qui a bien voulu se charger du texte ; mais le sceau d’un maître est à chaque article. »

MM. de Lacépède et Geoffroy Saint-Hilaire se joignirent plus tard à M. Cuvier pour cette publication.

M. Miger en a donné une édition en 2 vol. in-12, qui a été augmentée en 1817 de plusieurs articles nouveaux ; ils sont, en tout, au nombre de cinquante-huit, dont quatre de M. de Lacépède, cinq de M. Geoffroy Saint-Hilaire et quarante environ de M. G. Cuvier.

C’était pour lui un travail de récréation, qui le délassait d’œuvres plus longues.

L’Histoire naturelle des mammifères de M. F. Cuvier, dont il a paru près de soixante-dix livraisons in-fol., est pour ainsi dire, une suite de l’ouvrage en question.

Extrait d’un Ouvrage sur les espèces de quadrupèdes dont on a trouvé les ossemens dans l’intérieur de la terre, adressé aux savans et aux amateurs des sciences, daté du Jardin des plantes le 10 Frimaire an 9, imprimé par ordre de la classe des sciences mathématiques et physiques de l’institut national. — Journal de physique, tom. LII, pag. 255, Germinal an 9 (Avril 1801).

C’est proprement le prospectus de la grande entreprise des recherches sur les ossemens fossiles.

Éloge historique de Louis G. Lemonnier, lu a l’Institut le 7 Octobre 1800.
1801.
Rapport sur le galvanisme, fait à l’Institut national par le citoyen Cuvier. — Journal de physique, an 10 (1801), tom. LII, p. 318.
Rapport des travaux de la classe des sciences mathématiques et physiques de l’Institut de France, pendant les 2.e, 3.e et 4.e trimestres de l’an 9. - Journal de physique, tom. LIII, an 9 (1801).
Éloge de Charles-Louis L’héritier, lu le 5 Avril 1806.
Éloge historique d’Hilaire-Franç. Gilbert, lu le 7 Octobre 1801.
1802.
1. Sur le Bulla aperta, L. ; Bullea, Lam. — Annales du Muséum, 1802, tom. I, pag. 156.
2. Sur le Clio borealis.Ibid., pag. 242.
3. Sur le genre Tritonia, avec la description et l’anatomie d’une espèce nouvelle. — Ibid., pag. 280 et suiv.
Mémoire sur les vers à sang rouge, dans lequel l’auteur réunit ces vers en une classe distincte ; lu à l’Institut national, imprimé dans le Bulletin des sciences de la Société philom., Messidor an 10, Juillet 1802.
Éloge de Jean Darget, lu le 5 Avril 1802.
1803.
Mémoire sur le genre Laplysia, vulgairement nommé Lièvre marin ; sur son anatomie et sur quelques-unes de ses espèces. — Annales du Musée, 1803, tom. II, pag. 287.
Dissertation critique sur les espèces d’écrevisses connues des anciens et sur les noms qu’ils leur ont donnés. — Ibid., tom. II, pag. 368.
1804
Description ostéologique du rhinocéros unicorne, par G. Cuvier, avec trois planches, gravées par M. Cuvier. — Annales du Musée, tom. III, 1804, pag. 32.
Description ostéologique du tapir.Ibid., pag. 122.
Sur quelques dents et os trouvés en France, qui paraissent avoir appartenu à des animaux du genre du tapir, avec 4 planches. — Ibid., pag. 132.
Description ostéologique et comparative du daman, Hyrax capensis, avec 2 planches. — Ibid. ; pag. 171.
Sur les espèces d’animaux d’où proviennent les os fossiles répandus dans la pierre à plâtre des environs de Paris.
Premier mémoire : Restitution de la tête, avec 7 planches, dont cinq dessinées par M. Cuvier ; quatre dessinées et gravées par lui. - Ibid., pag. 275.
Deuxième mémoire : avec 4 planches, toutes dessinées par M. Cuvier, et même gravées par lui pour une bonne partie. — Ibid., p. 564.
Suite des recherches sur les ossemens fossiles de la pierre à plâtre des environs de Paris, par G. Cuvier. Troisième mémoire : section 1.re Restitution des pieds, avec 4 pl., dessinées par M. Cuvier. — Annales du Muséum, t. III, 1804, pag. 442 et suiv.
Suite des recherches, etc. : cinquième mémoire, avec une pl. — Ibid., t. IV, 1804, pag. 66.
Mémoires sur l’ibis des anciens Égyptiens, aves 3 pl. — Ibid., tom. IV, 1804, an 12, pag. 216.

C’est une nouvelle édition du mémoire déjà publié en 1800, t. LI, dans le Journal de physique ; elle est augmentée de 2 planches et de nouvelles recherches faites sur des momies, rapportées de l’expédition d’Égypte par M. Geoffroy Saint-Hilaire.

Mémoire concernant l’animal de l’Hyale, un nouveau genre de mollusques nus, intermédiaire entre l’hyale et le clio, et l’établissement d’un nouvel ordre dans la classe des mollusques, avec une planche par G. Cuvier. — Annales du Muséum, tom. IV, 1804, pag. 223.
Sur l’Hippopotame et son ostéologie, par G. Cuvier, avec 3 planches, dessinées par M. Cuvier. — Ibid., pag. 299.
Mémoire sur les Thalides (Thalia, Brown) et sur les Biphores (Salpa), Forskahl), avec une planche. — Ibid., pag. 360.
Mémoire sur le genre Doris, par G. Cuvier, avec 2 planches, dessinées par M. Cuvier. — Ibid., tom. IV, pag. 447.
Mémoire sur l’Onchidie, genre de Mollusques nus, voisin des limaces, et sur une nouvelle espèce, Onchidium Peronii ; avec une planche. — Ibid., pag. 37.
Addition à l’article de l’Hippopotame. - Ibid., pag. 56.
Sur les ossemens fossiles d’Hippopotame., avec 3 planches, par G. Cuvier. — Ibid., pag. 99.
Observations sur l’Ostéologie des paresseux, avec 4 planches. — Ibid., pag. 189.
Sur la Phyllidie et sur le Pleurobranche : deux nouveaux genres de mollusques de l’ordre des gastéropodes, et voisins des patelles et des oscabrions, dont l’un est nu et dont l’autre porte une coquille cachée, avec une planche. — Ibid., p. 266.
Sur le squelette presque entier d’un petit quadrupède du genre des Sarigues, trouvé dans la pierre à plâtre des environs de Paris, avec une planche, — Ibid., pag. 277.
Sur le Mégalonix, animal de la famille des paresseux, mais de la taille du bœuf, dont les ossemens ont été découverts en Virginie, en 1796, avec une pl. — Annales du Muséum, tom. IV, p.358.
Sur le Mégathérium, autre animal de la famille des paresseux, mais de la taille du rhinocéros, dont un squelette fossile, presque complet, est conservé au cabinet d’histoire naturelle à Madrid, avec 2 planches. — Ibid., pag. 376.
Mémoire sur la Dolabelle, sur la Testacelle, et sur un nouveau genre de mollusque à coquille cachée, nommé Parmacelle, avec une planche. — Ibid., tom. V, pag. 435 et suiv.
1805.
Sur les ossemens fossiles d’hyène.Ibid., tom. VI, p. 127, 1805.
Troisième mémoire sur les ossemens fossiles de la pierre à plâtre des environs de Paris : section 2.e, avec 5 planches. — Ibid., pag. 253.
Sur des ossemens fossiles trouvés en divers endroits de France, et plus ou moins semblables à ceux de Paleothérium. — Ibid., pag. 346.
Mémoire sur la Scyllée, l’Éolide et le Glaucus, avec des additions au mémoire sur la Tritonie, avec une planche. — Ibid., pag. 418.
Éloge de Priestley, lu le 24 Juin 1805.
Leçons d’anatomie comparée de G. Cuvier, Secrétaire perpétuel de l’Institut national, Professeur au Collége de France et au Muséum d’histoire naturelle, etc. ; recueillies et publiées sous ses yeux par G. L. Duvernoy, Docteur en médecine, Membre adjoint de la Société de l’École de médecine de Paris, Membre de la Société philomatique, etc. ; tom. III, IV et V, an 14 (1805).
1806.
Sur les Rhinocéros fossiles. — Ann. du Mus., tom. VII, pag. 19.
Mémoire sur la limace (Limax, L.) et le Colimaçon (Helix, L.), avec 2 planches. — Ibid., pag. 140.
Sur le Limnée (Helix stagnalis, L.) et Planorbe (H. cornea, ejusd.), avec une planche. — Ibid., pag. 185.
Sur les ossemens du genre de l’Ours, qui se trouvent en grande quantité dans certaines cavernes d’Allemagne et de Hongrie. — Ibid., pag. 301.
Sur les Éléphans vivans et fossiles ; avec 8 pl. — Annales du Muséum, tom. VIII, 1806, p. 1 — 58. 93 — 135. 249 — 270.
Sur le grand Mastodonte ; avec 8 pl. - Ibid., pag. 270 — 312.
Sur différentes dents du genre des Mastodontes ; avec 4 pl., — Ibid., pag. 401 à 424.
Suite des recherches sur les ossemens fossiles des environs de Paris. 3.e Mémoire, 3.e section : les Phalanges ; avec 6 planches. — Ibid., tom. IX, pag. 10 à 44.
Éloge historique de Jacques-Martin Cels ; lu le 7 Juillet 1806.
Suite des recherches, etc. 4.e Mémoire, 4.e section : les os longs des extrémités inférieures ; avec 2 pl. — Ibid., pag. 89 à 102. 5.e Mémoire, avec 2 planches. — Ibid., pag. 272 à 282.
1807.
Mémoires sur les ossemens d’oiseaux qui se trouvent dans les carrières de pierres à plâtre des environs de Paris ; avec 2 pl. — Ann. du Mus., tom. IX, 1807, pag. 336 - 356.
Sur les espèces des animaux carnassiers dont on trouve les ossemens mêlés à ceux d’ours dans les carrières d’Allemagne et de Hongrie ; avec 2 planches. — Ibid., pag. 428 — 447.
Éloge historique de Michel Adanson ; lu le 5 Janvier 1807.
Recherches anatomiques sur les reptiles regardés comme douteux par les naturalistes, faites à l’occasion de l’Axolotl, rapporté par M. de Humboldt du Mexique, par G. Cuvier ; Paris, 1807, in-fol., 48 pag., avec 4 planches.
Sur les différentes espèces de Crocodiles vivans et sur leurs caractères distinctifs. - Annales du Muséum, tom. X, 1807, pag. 8 — 86.
Mémoire sur quelques ossemens de carnassiers épars dans les carrières à plâtre des environs de Paris ; avec une planche. — Ibid., pag. 210-217.
Rapport fait à la classe des sciences mathématiques et physiques de l’Institut sur l’Éléphant fossile trouvé avec ses chairs en Sibérie ; vu par M. Adams, en 1807. — Ibid., tom. I, pag. 381 et suiv.
1808.
Éloge historique de Pierre-Marie-Auguste Broussonnet ; lu le 4 Janvier 1808.
Présentations à Sa M. imp. et roy, en son Conseil d’État, du Rapport historique sur les progrès des sciences mathématiques et physiques depuis 1789, le 15 Février 1808. Paris, Baudouin, 1808.

Cette brochure comprend les discours du Président de la classe, M. de Bougainville, et de MM. Delambre et Cuvier, Secrétaires perpétuels, prononcés devant l’Empereur, en lui remettant leurs rapports historiques sur les sciences, et la réponse de Bonaparte. Le discours de M. Cuvier présente, dans vingt-cinq pages, une esquisse rapide tracée de main de maître, des principaux progrès des sciences physiques, durant les 20 années de cette époque si remarquable. Quant à l’ouvrage historique, dont le discours précédent n’était qu’une courte analyse, il a paru en 1810, en un vol. in-4.° et in-8.°, et il a été réimprimé par Baudouin, avec trois volumes, composés des rapports faits à l’Institut, qui forment, réunis, quatre volumes de supplémens aux œuvres de Buffon.

Mémoire sur la Vivipare d’eau douce (Cyclostoma viviparum, Draparn.), etc. ; avec une planche. Annales du Muséum, tom. XI, 1808, pag. 170 — 188.
Essai sur la géographie minéralogique des environs de Paris, par MM. Cuvier et Brongniart. — Ibid., pag. 293 — 326.
Rapport fait à l’Institut sur un mémoire de MM. les docteurs Gall et Spurzheim, relatif à l’anatomie du cerveau. Séances des 25 Avril et 2 Mai 1808. - Ibid., pag. 329 — 375.

Ce rapport, qui a cinquante-deux pages in-4.°, a été imprimé par Baudouin, imprimeur de l’Institut.

Mémoire sur le grand Buccin de nos côtes (Buccinum undatum, L.) et sur son anatomie ; av. une pl. — Ibid., t. XI, p. 447—457.
Observations sur les Crocodiles vivans ; avec 2 pl. — Ibid., tom. XII, 1808, pag. 1 — 26.
Sur les ossemens fossiles de Crocodiles, etc. ; avec une planche. — Ibid., pag. 73 — 110.
Sur le grand animal fossile des carrières de Mæstricht avec 2 planches. — Ibid.’, pag. 145 — 176.
Sur les os fossiles de ruminans, etc., avec 2 planches. — Ibid., p. 333 - 398.
1809.
Éloges historiques de Pierre Lamus et d’Ét. Pierre Ventenat ; lus le 2 Janvier 1809.
Sur les Brèches osseuses qui remplissent les fentes des roches de Gibraltar, etc. ; avec 2 pl. — Annales du Muséum, t. XIII, p. 169 — 206.
Sur l’ostéologie du Lamantin, etc., et sur les os fossiles du Lamantin et du Phoque ; avec une pl. — Annales du Muséum, t. XIII, pag. 273 — 312.
Sur quelques quadrupèdes ovipares fossiles ; avec 2 planches. — Ibid., pag. 401 - 437.
Des os fossiles de Chevaux et de Sangliers ; — Ibid., tom. XIV, 1809, pag. 33 -42.
Supplément au mémoire sur les Ornitholithes ; avec une planche. — Ibid., pag. 43 - 46.
De quelques Rongeurs fossiles.Ibid., pag. 47 — 55.
Recherches sur les espèces vivantes de grands Chats, pour servir de preuves et d’éclaircissemens au chapitre sur les carnassiers fossiles ; avec 2 planches. — Ibid., pag. 136 — 164.
Rapport fait à la Classe des sciences physiques et mathématiques sur le mémoire de M. Delaroche, relatif à la Vessie aérienne des poissons.Ibid., pag. 165 — 183.
Sur les ossemens fossiles de Tortues ; avec 2 planches. — Ibid., pag. 227 — 244.
1810.
Éloges historiques de Charles Bonnet et de H. B. de Saussure ; lus le 3 Janvier 1810.
Mémoire sur les Acères, gastéropodes sans tentacules apparens ; avec une pl. — Ann. du Mus., tom. XVI, 1810, pag. 1 — 16.
Mémoire sur les os de reptiles et de poissons des carrières à plâtre des environs de Paris ; avec une planche. — Ibid., pag. 115 — 134.
Rapport sur les établissemens d’instructions publique des départemens au-delà des alpes. (Voyez pag. 78 de cette Notice.)
1811.
Éloge historique de M. le comte Fourcroy ; pag. 99 — 132. — Annales du Muséum, tom. XVII, 1811.
Rapport fait à l’institut sur un mémoire de M. Jacobson, intitulé : Description anatomique d’un organe observé dans les mammifères. — Ibid., tom. XVIII, pag. 412 — 424, 1811.
Rapport sur les établissemens d’instruction publique de la Hollande et de la Basse-Allemagne. (Voyez pag. 142 et 145 de cette Notice.)
1812.
Éloges historiques de Cavendish et de J. C. Desessarts ; lus le 6 Janvier 1812.
Rapport fait à la classe des sciences physiques et mathématiques de l’Institut sur divers cétacés pris sur les côtes de France. — Mém. du Muséum, tom. XIX, pag. 1 — 16.
Sur un nouveau rapprochement à établir entre les classes qui composent le règne animal.Ibid., pag. 73 — 84.
Sur la composition de la tête osseuse dans les animaux vertébrés.Ibid., pag. 123 et suiv.
Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, etc., tom. I, II, III et IV, in-4.°, Paris, Déterville, 1812.
1813.
Éloge historique de Pierre-Simon Pallas, lu le 5 Janvier 1813.
Note sur un poisson peu connu, pêché récemment dans le golfes de Gênes, le Lophote cepedion, Giorna ; lue à la classe des sciences de l’Institut en Novembre 1813. — Ann. du Muséum, tom. XX, pag. 393 — 400, avec une planche.
Sur un poisson célèbre et cependant presque inconnu des auteurs systématiques, appelé sur nos côtes de l’Océan Aigle ou Maigre et sur les côtes de la Méditerranée, Umbra, Fégano et Poisson royal, avec une description abrégée de sa vessie natatoire ; lu à la classe des sciences de l’Institut en Novembre 1813. Mémoires du Muséum d’histoire naturelle, t. I, 1815, p. 1 — 21.
1814.
Mémoire sur la composition de la Machoire supérieure des poissons et sur le parti que l’on en peut tirer pour la distribution méthodique de ces animaux ; lu à la classe des sciences de l’Institut, le 29 Mars 1814. — Ibid., pag. 102.
Observations et recherches sur différens poissons de la Méditerranée, et à leur occasion sur des poissons d’autres mers, plus ou moins liés avec eux. — Ibid., pag. 226, 312, 353, 451.
1815.
Éloges historiques de H. A. Parmentier et du comte de Rumford ; lus le 9 Janvier 1815.
Mémoire sur les Ascidies et sur leur anatomie. — Mém. du Muséum, tom. II, pag. 10 — 35, avec 2 planches.
Mémoire sur les animaux des Anatifes et des Balanes, et sur leur anatomie.Ibid., pag. 85 — 101, avec une planche.
Rapport sur un mémoire de M. Dutrochet, Médecin à Château-Renaud, intitulé : Recherches sur les enveloppes du fœtus. — Mém. du Muséum, tom. III, pag. 82 — 97.
Mémoire sur les œufs des quadrupèdes, par G. Cuvier. — Ibid., pag. 98 — 119.
1816.
Éloge historique de Guill. Ant. Olivier, lu le 8Janvier 1816.
Réflexions sur la marche actuelle des sciences et sur leurs rapports avec la société ; lues dans la première séance annuelle des quatre Académies, le 24 Avril 1816.
Discours de M. Cuvier, Conseiller d’État. — Séance du 26 Décembre 1816. Se trouve dans le Recueil ayant pour titre : Discussion sur la loi des élections ; Paris, 1817, in-8.°
1817.
Éloge historique de Jacques Ténon, lu le 17 Mars 1817.
Le Règne animal distribué d’après son organisation, tom. I, II, III, IV, in-8.° ; Paris, Déterville, 1817.
Mémoires pour servir à l’histoire et à l’anatomie des mollusques ; Paris, Déterville, 1817, un vol. in-4.°, avec 35 planches en taille douce.

La plupart des mémoires de ce volume avaient déjà paru dans les Annales du Muséum. L’auteur y a joint sa Dissertation critique sur les espèces d’écrevisses connues des anciens.

Extrait des observations faites sur le cadavre d’une femme, connue à Paris et à Londres sous le nom de Vénus hottentote - Mém. du Muséum, tom. III, pag. 159.
Sur le genre Chironecte, Cuv., Antennarius Commersonii ; avec 2 planches. — Ibid., pag. 110.
1818.
Éloges historiques d’Abraham-Gottlos Werner et de Nicolas Desmaret, lus le 16 Mars 1818 à l’académie des sciences.
Sur les Diodons, vulgairement Orbes épineux ; avec 2 planches. — Mém. du Mus., tom. IV, pag. 121.
1819.
Sur les poissons du sous-genre Miletes ; avec 2 planches. — Ibid, pag. 444 — 456.
Discours de réception à l’académie française, prononcé le 27 Août 1818.
Sur les poissons du sous-genre Hydrocyn ; sur deux nouvelles espèces de Chalceus ; sur trois nouvelles espèces de serrasalmes, et sur l’Argentina glossodonta de Forskahl, qui est l’Albula gonorhynchus de Bloch. - Mém. du Muséum, tom. V, pag. 351 — 379, avec 3 planches.
1820.
Description d’une nouvelle espèce de Dindon de la baie de Honduras. — Mém. du Muséum, tom. VI, pag. 1 - 4.
Éloge historique de M. de Beauvais, lu le 27 Mars 1820.
Discours de M. le Baron Cuvier, Commissaire du Gouvernement, sur le Projet de loi relatif aux élections, prononcé dans la séance de la Chambre des députés du 24 Mai 1820. (Moniteur du 25 Mai 1820.)
1821.
Éloge historique de sir Joseph Banks ; lu le 2 Avril 1821.
Rapport fait à l’Académie des sciences de Paris (séance du 19 Février 1821) sur un ouvrage de M. Victor Audouin, ayant pour titre : Recherches anatomiques sur le thorax des animaux articulés et celui des insectes en particulier ; Paris, 1823.
Discours sur la théorie de la terre, servant d’introduction aux recherches sur les ossemens fossiles, par M. le Baron G. Cuvier, in-4.°, Paris, Dufour, 1821.

Ce discours est extrait de l’ouvrage suivant : Recherches sur les ossemens fossiles, etc., par M. le Baron G. Cuvier ; nouvelle édition, entièrement refondue et considérablement augmentée ; Paris et Amsterdam, chez Dufour et E. d’Ocagne, tom. I, 1824. Voyez les années 1822, 1823 et 1824 pour les autres volumes.

1822.
Éloge historique de M. Duhamel, lu le 8 Avril 1822.
Rapport sur un mémoire de M. Flourens, intitulé : Détermination des propriétés du système nerveux et recherches physiques sur l’irritabilité et la sensibilité. — Mém. du Muséum, tom. IX, pag. 120 — 138.
Discours prononcé le 13 Mai 1822 aux funérailles de M. Van Spaendonck.}}
Discours prononcé le 21 Août 1822 aux funérailles de M. le chevalier Delambre.
Recherches sur les ossemens fossiles ; nouvelle édition, in-4.°, t. II, 1.re et 2.e parties, deux vol., t. III, 1822 ; Paris, 1822.
1823.
Éloge historique de Haüy, lu le 2 Juin 1823. — Mémoires du Muséum, tom. X, p. 1 - 35.
Recherches sur les ossemens fossiles, etc. ; nouvelle édition, in-4.°, tom. IV et tom. V, 1.re partie ; Paris, 1823.
1824.
Extrait d’un rapport sur l’état de l’histoire naturelle et sur ses accroissems depuis le retour de la paix maritime ; lu à la séance annelle des quatre académies, le 24 Avril 1824.
Éloges historiques de Claude-Louis Richard et de M. le comte Berthollet, lus le 7 Juin 1824.
Sur la détermination des diverses espèces de Baleines vivantes. — Recherches sur les ossemens fossiles, tom. V, et Annales des sciences nat., tom. II, pag. 27.
Sur les os des Seiches fossiles. — Ann. des sciences nat., tom. II, pag. 482.
Recherches sur les ossemens fossiles ; nouvelle édition, in-4.°, tom. V, 2.e partie ; Paris, 1824.
Nouvelles observations sur une altération singulière de quelque têtes humaines, lues à l’Académie des sciences le 16 Juin 1823. — Mém. du Muséum, t. XI, pag. 321 — 324.

Ces têtes passaient pour des têtes d’hommes pétrifiées.

M. Cuvier établit, 1.° qu’elles avaient appartenu à des individus malades ; 2.° il conclut entre autres, de l’inspection des dents, que celle que possède M. de Jussieu était d’un enfant de sept à huit ans ; 3.° que l’autre, qui est dans le cabinet de Darmstadt, n’était pas adulte, ni de forte taille. Sömmering, qui avait examiné celle-ci et qui était cependant bien de l’opinion que c’était une maladie qui l’avait ainsi déformée, n’avait pas eu l’idée de se servir des caractères tirés des dents pour déterminer l’âge.

Cet examen tenait à l’histoire des ossemens fossiles humains.

1825.
Analyse des travaux de l’académie royale des sciences pendant l’année 1824 : partie physique.
Éloge historique de M. André Thouin, lu le 20 Juin 1825.
Éloge historique de M. J. V. Math. Fabroni.
Discours sur les révolutions de la surface du globe, etc. 3.e édition française, 1 vol. in-8.° ; Paris, Dufour et Ed. d’Ocagne, 1825.
Rapport sur la partie zoologique de l’expédition Duperrey, fait à l’Académie des sciences le 17 Juillet 1825. — Ann. des sc. nat. de 1825.
1826.
Extrait d’un rapport sur les principaux changemens éprouvés par les théories chimiques et sur une partie des nouveaux services rendus par la chimie à la société ; lu, à la séance annuelle des quatre Académies, le 25 Avril 1826.
Éloge historique de M. le comte de Lacépède, lu le 5 Juin 1826.
Sur le genre de reptiles batraciens, nommé amphiuma, et sur une nouvelle espèce de ce genre (amphiuma tridactylum). Mémoire lu à l’Académie royale des sciences, le 13 Novembre 1826. - Mém. du Muséum, tom. XIV, pag. 1 et suiv.
1827.
Du canard pie à pieds demi-palmés de la Nouvelle-Hollande : Mémoires du Muséum, tom. XIV, pag. 345.
Éloges historiques de MM. Hallé, Corvisart et Pinel, lus le 11 Juin 1827.
Recueil des éloges historiques des membres de l’académie des sciences, lus dans les séances publiques de l’Institut royal de France, par M. le Baron Cuvier, tom. I, II, III, in-8.° ; Paris, et Strasbourg, Levrault, 1827.

Ce recueil renferme tous les éloges précédemment publiés et plusieurs discours prononcés aux funérailles des membres ou associés de l’Académie des sciences, ainsi que le discours de réceptiou de M. Cuvier à l’Académie française. On y a joint l’éloge de Riche et un extrait de celui de Bruguières, que M. Cuvier avait lu à la Société philomatique au commencement de sa carrière scientifique.

1828.
Histoire naturelle des poissons, par M. le Baron Cuvier, etc., et M. Valenciennes, etc., tome I et II, Paris et Strasbourg, chez F. G. Levrault 1828.

Le premier volume est consacré aux généralités de l’Ichtiologie. J’en recommande la lecture aux personnes qui voudront adopter le meilleur des guides dans l’étude de cette partie de la zoologie, ainsi qu’à celles qui cherchent à apprécier toute la supériorité de talent de M. Cuvier, comme naturaliste : Nocturna versa manu, versate diurna.

Elles trouveront d’ailleurs dans le chapitre IX, page 543 et suiv. un résumé extrêmement remarquable sur l’organisation des poissons, dans lequel M. Cuvier expose son opinion sur le système étrange qui veut expliquer toutes les différences des êtres organisés par un développement successif de l’être le plus simple.

On ne saurait trop méditer ce chapitre, qui renferme, en peu de mots, la véritable philosophie de la science de la nature.

1829.
Éloge de Bosc. — Mém. du Muséum, tom. XVIII, pag. 69.
Mémoire sur un ver parasite d’un nouveau genre (Hectocotylus octopodis). Ann. des sc. nat., tom. XVIII, pag. 147.
Le Règne animal distribué d’après son organisation, etc., 2.e édit., tom. I et II ; Paris, Déterville, 1829.

Les tomes III et IV, qui ont paru la même année, sont de M. Latreille. Le tome V, qui est de M. Cuvier, n’a été publié qu’en 1831.

Discours de M. le Baron Cuvier, Directeur de l’Académie française, prononcé aux funérailles de M. le comte Daru, le 11 Septembre 1829.
Discours prononcé par M. le Baron Cuvier, Directeur de l’Académie française, dans la séance publique de la Saint-Louis 1829, sur les prix de vertu, décernés dans cette séance, etc. Paris, Firmin Didot, 1829, in-12.
Histoire naturelle des poissons, etc.., tom. III et IV.
1830.
Considérations sur les mollusques et en particulier sur les céphalopodes, par M. le Baron Cuvier’ ; lues à l’Académie des sciences, Février, 1830.
Éloge de sir Humphry Davis, lu le 26 Juillet 1830, imprimé pour la première fois en Décembre 1832.
Rapport verbal sur la monographie des esturgeons de MM. Brandt et Ratzeburg, fait à l’Académîe des sciences par M. G. Cuvier. - Ann. des sciences naturelles, Février 1831, pag. 222.
Histoire naturelle des poissons, etc.., tom. V et VI.
1831.
Analyse des travaux de l’académie royale des sciences pendant l’année 1830 : partie physique, pag. 117.
Éloge historique de Louis-Nicolas Vauquelin, lu le 26 Juillet 1831, imprimé pour la première fois en Janvier 1833.
Zoologie de Pline : traduction nouvelle, par M. Ajasson de Grandsagne, avec des recherches sur la détermination des espèces dont Pline a parlé, par M. le Baron G. Cuvier, tom. I, II, III, in-8.° ; Paris, Panckouke, 1831.
Le Règne animal distribué d’après son oorganisation, etc., 2.° édit., t. III, 1831.
Rapport de M. le Baron Cuvier sur un travail de M. Deshayes, ayant pour titre : Tableaux comparatifs des coquilles vivantes avec les fossiles des terrains tertiaires de l’Europe, fait à l’Académie le 31 Octobre 1831. Annales des sc. nat., Octobre 1831.
Rapport fait à l’Académie des sciences (21 Novembre 1831) sur une note supplémentaire, relative à l’ostéologie et à la myologie des batraciens, par M. Dugès. — Ann. des sc. nat., Février 1832.
Histoire naturelle des poissons, etc.., tom. VII et VIII.
1832.
Mémoires sur les progrès de l’ossification dans le sternum des oiseaux, lu à l’Académie des sciences le 2 Janvier 1832.

« Le but le plus élevé de ces recherches était de savoir si les forme primitives que prend le sternum ne sont que le résultat du développement et de la coalescence des pièces qui le composent, ou si ces formes n’ont point une cause préexistante à l’ossification. »

Mémoires sur les œufs de la seiche, lu à l’Académie des sciences le 2 Avril 1832, publié par extrait, après la mort de M. Cuvier. Annales des sciences naturelles, numéro de Mai 1832.
Éloge de Lamarck, lu, après la mort de M. Cuvier, dans la séance publique de l’Académie, le Novembre 1832.

Le manuscrit du tome IX de l’Histoire naturelle des poissons était terminé à la mort de M. Cuvier, quoique ce volume n’ait paru qu’en 1833.

Il faut ajouter à cette liste plusieurs rapports sur des mémoires lus à l’Académie des sciences par des savans étrangers à cette Académie et les Analyses d’abord trimestrielles, puis annuelles de la partie physique des travaux de la classe des sciences physiques et mathématiques de l’Institut, devenue sous la restauration, l’Académie des sciences, analyses que M. Cuvier a rédigées pendant plus de trente ans.


fin
  1. Baron, Pair de France, Grand-officier de la Légion d’honneur, Conseiller d’État et au Conseil royal de l’instruction publique, l’un des quarante de l’Académie française, Associé libre de l’Académie des belles-lettres, Secrétaire perpétuel de celle des sciences, Membre des Sociétés et Académies royales de Londres, de Berlin, de Pétersbourg, de Stockholm, de Turin, de Gœttingue, des Pays-Bas, de Munich, de Modène, etc.
  2. M. Parrot, ci-devant professeur et recteur de l’université de Dorpat, actuellement l’un des membres résidans de l’académie impériale de Saint-Pétersbourg, connu par des travaux importans sur la physique générale et particulière, qui avait, comme Cuvier, fait ses études classiques au gymnase de Montbéliard, et ses études spéciales à l’académie de Stuttgart.
  3. Voyez la note du tom. II du Règne animal, pag. 351, 1.re édit ; de 1817
  4. Éloge de Pallas. Recueil des Éloges historiques, etc., par G. Cuvier, tom. II, pag. 115 et 116.
  5. Ibid, pag. 116
  6. Ibid., pag. 117.
  7. Mémoire sur une nouvelle division des mammifères, etc., lu à la Société d’histoire naturelle, le 1.er Floréal an 3 (20 Avril 1795), par les citoyens Geoffroy et Cuvier. Magas. encycl., tom. II, p, 167.
  8. Magas. encycl., tom. II, pag. 167.
  9. Magas. encycl., tom. II, pag. 167.
  10. Tome VIII, pag. 386.
  11. Magas. encycl., tom. II, pag. 434 et suivantes.
  12. C’est à A. N. Duchesne qu’on doit la première idée de cette division, et la réunion des insectes et des vers de Linné, ou des animaux dits à sang blanc, sous le nom d’avertébroses. Voyez son mémoire Sur les rapports des êtres naturels, imprimé dans le Magas. encycl. de Millin, etc., tom. VI, pag. 285 et suivantes.
  13. Sur un nouveau rapprochement à établir entre les classes qui composent le règne animal, par M. G. Cuvier. Annales du Muséum d’histoire naturelle, tom. XIX, pag. 73 et suivantes, Paris, 1812.
  14. Article Animal du Dict. d’hist. nat. de Déterville.
  15. Paris, 1817.
  16. Hist. nat. des Poissons, tom. I, pag. 568 et 569.
  17. Discours sur les révolutions du globe, pag. 1 et 2.
  18. Il m’écrivait à ce sujet, en Novembre 1806 (Lettre n.° 14) :

    « Votre livre * … a été analysé avec beaucoup d’éloge par les journaux d’Angleterre et d’Allemagne. Mes pauvres yeux deviennent douloureux ; je ne pourrai probablement pas continuer l’anatomie des animaux invertébrés, et je n’irai pas plus loin que les mollusques. J’ai plus de succès dans les fossiles. On vient de m’apporter un squelette presque entier d’anoplothérium’, tiré de Montmartre, et long de près de cinq pieds. Toutes mes conjectures se trouvent vérifiées, et j’apprends de plus que l’animal avait la queue aussi longue et aussi grosse que le kanguroo ; ce qui complète ses singularités. » * Les trois derniers volumes des Leçons d’anatomie comparée, publiés en 1805.

  19. Elles sont marquées de CV.
  20. Expressions de M. Cuvier dans son beau Discours sur les derniers progrès de l’histoire naturelle.
  21. Il l’a mis en tête de ses Recherches sur les ossemens fossiles. Une édition en a paru séparément en 1825.
  22. Page 282, édit. in-8.° de 1825.
  23. Page 16 et 17, édit. in-8.° de l825
  24. Tome I. page 7 et 8, édit. de 1812.
  25. Discours sur les révol. du globe, édit. in-8.°, pag. 117.
  26. Discours sur les révol. du globe, édit. in-8o, page 128.
  27. Idem, page 129.
  28. Tome V, 2.° partie, page 487
  29. Ibid., page 526.
  30. Titre du Prospectus.
  31. Page 22 du Prospectus.
  32. Page 8 du Prospectus.
  33. C’est ce qui est arrivé aux naturalistes de l’expédition russe autour du monde, du capitaine Kotzebue.
  34. Lettre n.° 17.
  35. Lettre n.° 18.
  36. Celles d’organiser l’instruction publique.
  37. Lettre n.° 19.
  38. Lettre n.° 20.
  39. « M. Cloquet vient de me graver sur l’anatomie du poulpe quatre planches, qui seront plus belles que toutes les autres. » Lettre n.° 15, Paris, 1808.
  40. « Le mémoire sur les larynx est mon premier ouvrage. Je le fis il y a trois mois, en arrivant à Paris. » Cette lettre est datée du 6 Thermidor an 3 (24 Juillet 1795).
  41. Mémoire sur la manière dont se fait la nutrition dans les insectes, lu à l’Institut national en Vendémiaire de l’an VI (Sept. 1797).
  42. À dater de 1824 et dès le 31.° volume, M. Flourens a remplacé M. Cuvier pour les mêmes articles d’anatomie et de physiologie.
  43. Lettre n.° 7, datée de Fréjus, le 15 Frimaire an 11 (6 Décembre 1802).
  44. M. Frédéric Cuvier était chargé de la direction générale de l’ouvrage.
  45. L’institut national fut fondé par le titre 4 de la loi de la Convention sur l’instruction publique, décrétée le 3 Brumaire an 4 (25 Octobre 1795). Le titre 2 de cette même loi organise les écoles centrales.
  46. Analyse de 1806.
  47. Recherches sur les ossemens fossiles, tom. V, part. 2, p. 3, 4, 5.
  48. Analyse de 1812, page 32. Voyez encore les pages 1, 2 et 3 des Recherches sur les ossemens fossiles, et la note 1 de cette dernière page, tome V, part. 2.
  49. Analyse de 1820, pages 49 et 50.
  50. Lettre n.° 15.
  51. Rapports sur les établissemens d’instruction publique des départemens au-delà des Alpes, faits en 1809 et 1810, etc., imprimé dans le recueil des Lois et Réglement concernant l’instruction publique, tome IV, page 80 et suiv.
  52. Rapports cités, page 133.
  53. Voyez son Éloge, prononcé dans la séance de la Chambre des Pairs, du 17 Décembre 1832, par M. le Baron Pasquier, Président de cette Chambre, page 36, etc.
  54. M. Cuvier avait été nommé Pair de France par ordonnance du 19 Novembre 1831.
  55. Prix de vertu fondé par M. de Montyon : Discours prononcé par M. le baron Cuvier, directeur de l’Académie française, dans la séance publique de la Saint-Louis 1825, etc. ; Paris, 1825.
  56. Ce fut le 8 Mai 1794 que vingt-huit fermiers généraux, y compris Lavoisier, périrent sur l’échafaud.
  57. Voyez la note de la page 3 des Recherches sur les ossemens fossiles, tome V, 2e partie.
  58. Prononcé le 27 Août 1818.
  59. Son Discours de réception à l’Académîe française ; ses Éloges ; ses Discours prononcés dans les séances publiques des quatre Académies.
  60. Description dé l’Académie Caroline de Stuttgart, librement traduite en français de l’original allemand composé par M. A. F. Bats ; professeur en droit de Cette Académie, Stuttgart, 1784.
  61. Il y avait deux ordres académiques, qui, outre les prix, qui consistaient en médailles d’argent, contribuaient à exciter l’émulation des élèves de l’Académie. L’un, appelé le petit ordre, était une croix d’or à huit pointes, émaillée de brun, attachée à la troisième boutonnière du côté gauche, avec un ruban jaune, liséré de rouge. Pour la mériter, l’élève devait avoir remporté, dans les examens d’une même année, quatre prix dans la philosophie ou dans les sciences de destination (spéciales) ; l’autre, qu’on nommait le grand ordre, n’était accordé qu’à l’èlève qui, dans la même année, avait remporté huit premiers prix dans les hautes sciences.
  62. Voyez la notice sur G. Cuvier, lue à la Société entomologique de France, le 13 Juin 1832 par M. Victor Audouin, page 9.
  63. La Raie Cuvier. « Je nomme ainsi cette raie, parce que j’en dois la connaissance à mon savant confrère, le professeur Cuvier, membre de l’Institut national. Il a bien voulu, dès le mois de Mars 1792, m’envoyer du département de la Seine-inférieure le dessin et la description d’un individu de cette espèce qu’il avait vu desséché. » Voyez l’Histoire naturelle des Poissons, par le citoyen Lacépède, tome I, in-4.°, Paris, 1798, page 141 -144.
  64. Discours de M. Geoffroy Saint-Hilaire, Vice-président de l’Académie des sciences, prononcé aux funérailles de l’illustre Baron Cuvier, le mercredi 16 Mai 1832.
  65. Ces deux lettres sont écrites en allemand, et tous les caractères systématiques des objets naturels en latin ; elles m’ont été communiquées très-obligeamment de la part de la famille de feu Hartmann, à la sollicitation de M. Rapp, savant professeur d’anatomie et de zoologie à l’Université de Tubingue.
  66. C’est certainement à ce travail qu’appartiennent les figures faites à la plume que M. Cuvier avait données à feu Lamark, et que M. le professeur Audouin a eu l’occasion d’acheter à la vente des livres de ce dernier en Avril 1830. L’intitulé des planches répond à l’époque où l’auteur écrivit cette lettre. « Icones cancrorum. Cadomi, » 1790. Voyez la notice citée plus haut, page 11.
  67. Voir le discours cité. Hist. génér. et partie., par M. le comte de Buffon, tome I.er
  68. L’ouvrage de Poli : Testacea utriusque Sicilia, exemplaire incomplet et les modèles en cire de ses anatomies, qu’Hermann se procura, par occasion, et que sa famille céda plus tard au Jardin des plantes, par l’intermédiaire de M. Cuvier.
  69. Ce catalogue comprend : Article I.er La description des squelettes humains et des têtes de différentes races, de différens âges et même de squelettes monstrueux. Art. II. Celle des squelettes entiers ou des têtes de quadrumanes, de cheiroptères, d’édentés, de tardigrades, de pachydermes, d’amphibies, da cétacés et de monotrêmes. Art. III. La description des squelettes de reptiles. Art. IV. Celle des squelettes de poissons. M. Fréd. Cuvier s’était chargé de la partie concernant les carnassiers et les rongeurs, pour les mammifères, et de la classe des oiseaux. C’est à cette ocasion que, méditant sur les moyens de mieux caractériser qu’on ne l’avait fait jusqu’à lui, les genres des mammifères, particulièrement ceux des carnassiers et des rongeurs, il a trouvé dans une détermination plus exacte des différentes sortes de dents et des diîérences essentielles que présentent celles d’une même sorte, le moyen de caractériser avec précision tous les genres de mammifères. Cette méthode, exposée dans son ouvrage sur les dents des mammifères, est devenue dès-lors classique et a été adoptée per tous les naturalistes qui ont voulu mettre une sévère exactitude dans les caractères génériques des mammifères.
  70. Ce genre d’observations a même été la source de quelques erreurs, per suite de celles qu’avaient commises les personnes chargées d’étiquer les bocaux.
  71. Histoire naturelle des poissons, tom. IX, 1833 ; p. ix de l’Avertissement de M. Valenciennes.
  72. Rapport sur les établissemens d’instruction publique en Hollande et sur les moyens de les réunir à l’Université impériale, fait en exécution de l’article 50 du décret impérial du 18 Octobre 1811, par M. Cuvier, Conseiller titulaire, et par M. Noël, Conseiller ordinaire et Inspecteur général de l’Université impériale ; in-4.°, de 198 pages. Faiu, imprimeur de l’Université impériale, Novembre 1811.
  73. Page 9 et suivantes. Première partie : Écoles primaires.
  74. Rapport sur l’instruction publique dans les nouveaux départemens de la Basse-Allemagne, fait en exécution du décret impérial du 13 Décembre 1810, par M. Cuvier, Conseiller titulaire, et par M. Noël, Conseiller ordinaire et Inspecteur général de l’Université impériale, in-4.°, de 116 pages. Fain, imprimeur de l’Université impériale, Novembre 1811.