Notice historique sur les machines à vapeur

Notice historique sur les machines à vapeur
Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences5 (p. 1-116).

NOTICES SCIENTIFIQUES
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NOTICE HISTORIQUE SUR LES MACHINES A VAPEUR

CHAPITRE PREMIER
introduction

Je donne ici la quatrième édition de cette Notice historique sur les machines à vapeur.

La bienveillance avec laquelle le public voulut bien accueillir mon travail lorsque je l’insérai dans l’Annuaire du Bureau des Longitudes de 1829, m’engagea à le reproduire d’abord dans l’Annuaire de 1830 et ensuite dans celui de 1837. Je le réimprime ici tel qu’il a déjà paru. Je le fais suivre de ma réponse aux critiques dont il a été l’objet en Angleterre. On verra que je n’ai pas une seule assertion à modifier dans ce que j’ai d’abord publié concernant l’origine de la machine à feu et les améliorations successives qu’elle a éprouvées.

La machine à vapeur a déjà rendu de trop grands services à l’industrie et à la navigation, pour qu’il faille s’étonner de l’empressement qu’on a mis à rechercher la part que diverses nations peuvent s’attribuer dans cette invention admirable. Toutefois, on n’apprendra pas sans surprise que, dans la seule Angleterre, les libraires ont vendu, en un très-petit nombre d’années, plus de cent mille exemplaires des nombreux ouvrages où cette question historique est débattue. Un aussi éclatant succès est dû principalement, je n’en doute point, au vif intérêt que la machine à vapeur devait naturellement exciter dans un pays où on la retrouve à chaque pas ; mais peut-être sera-t-il permis de supposer que l’amour-propre national y est entré aussi pour quelque chose. Consultez, en effet, le membre de la Chambre des lords et un simple artisan ; le négociant de la cité que ses brillantes spéculations ont conduit dans toutes les régions du monde, et le fermier qui n’a jamais dépassé les limites de son comté ; parcourez les immenses manufactures de Birmingham, de Manchester, de Glasgow et le plus humble atelier d’un collage : partout on vous dira que le marquis de Worcester est le premier inventeur de la machine à vapeur ; partout on citera à la suite de ce nom les noms, tous anglais, de Savery, de Newcomen, de Beighton, de Watt, d’Hornblower, de Woolf, etc. En général les gens de lettres et ceux qui font de la culture des sciences leur occupation spéciale, n’ont pas à ce sujet des opinions moins arrêtées. Si vous ouvrez l’Encyclopédie récente du docteur Rees, vous y trouverez ces lignes : « La machine à vapeur vient immédiatement après le vaisseau, dans l’échelle des inventions ; mais dans une Encyclopédie anglaise elle doit occuper le premier rang, à cause qu’elle a été entièrement (wholly) inventée et mise en pratique par nos compatriotes (article steam Engine, 2e col.) ; et onze lignes plus bas, comme si le premier passage n’était pas assez clair : « La machine à feu a été inventée par un petit nombre d’individus, tous anglais (all of them Englishmen). » Le célèbre professeur John Robison d’Édinburgh est tout aussi positif. « La machine à feu, dit-il, fut sans aucun doute inventée pour la première fois par le marquis de Worcester, sous le règne de Charles II. » (Voyez A System of mechanical Philosophy, t. ii, p. 46.) Après avoir réfuté ensuite, par des arguments que j’examinerai, les prétentions des auteurs français qui affectent (affect) de mêler le nom de Papin à l’histoire de la machine à vapeur, Robison déclare « qu’il n’hésite en aucune manière à donner l’honneur de la première et complète invention au marquis de Worcester. » (Voyez A System, etc., p. 50.) Un savant non moins illustre par la profondeur de ses connaissances que par sa vaste érudition, le docteur Thomas Young, a joint son imposant témoignage à ceux je viens de produire. Suivant lui, le marquis de Worcester est le premier inventeur de la machine à feu, le premier qui se soit servi de la pression de la vapeur comme moteur. Dans l’aperçu rapide qu’il donne des améliorations que cette machine a successivement reçues, on ne voit aussi figurer que des mécaniciens anglais. (Lectures on Natural Philosophy, t. Ier, p. 346 et 356.) Je pourrais encore citer l’habile professeur de mécanique à l’Institution royale, M. Millington ; un membre distingué de la nouvelle Université de Londres, M. Lardner ; l’auteur d’un traité de Mécanique pratique estimé, M. Nicholson, etc., etc.

Des décisions si nombreuses, si positives, la juste réputation des ouvrages dans lesquels je les ai puisées, ne me semblaient pas même permettre l’ombre d’un doute. Aussi lorsque, d’après le désir des élèves de l’École polytechnique, j’essayai vers 1823 de tracer la série chronologique des perfectionnements, que la machine à vapeur a éprouvés depuis son origine jusqu’à nos jours, je m’attendais, je te dis franchement, à n’avoir que des mécaniciens anglais à citer. C’était cependant une erreur : nos voisins de l’autre côté du détroit ne sont ni les seuls ni même les premiers inventeurs de la machine à vapeur. C’est du moins ce qui me paraît résulter d’un certain nombre de documents que je vais rapporter. Je suis certain d’avoir examiné sans prévention ce point curieux de l’histoire des sciences. Mes citations, mes analyses seront exactes, on peut y compter. Si les conséquences que j’en ai déduites ne l’étaient pas, chacun les rectifierait lui-même, puisqu’il aura sous ses yeux tous les éléments de la question. Au reste, je dois dire, avant de terminer ce préambule, qu’il a paru récemment, en Angleterre même, un ouvrage remarquable intitulé Histoire descriptive de la Machine à feu, par M. Robert Stuart, et dans lequel tous les essais qu’on a faits pour se servir de la vapeur d’eau comme agent mécanique, se trouvent appréciés avec beaucoup de discernement, et, ce qui est plus rare encore, avec une abnégation complète de tout préjugé national ; sauf un petit nombre d’exceptions, les opinions de M. Stuart sur le mérite relatif des ingénieurs qui ont concouru à la création de cette merveilleuse machine, sont parfaitement conformes à celles que j’avais puisées dans la lecture des titres originaux. Cet accord m’a trop flatté pour que je ne doive pas m’en prévaloir avec empressement. J’ajouterai même que si ma Notice n’avait pas été rédigée en très-grande partie lorsque j’eus connaissance de l’histoire de M. Robert Stuart, je me serais probablement contenté de publier une simple analyse de ce livre : le but que je me proposais aurait été également atteint.

J’espère que les lecteurs apprécieront les motifs qui m’ont déterminé a ne pas suivre strictement l’ordre chronologique dans toutes les parties de cette Notice. J’ai pensé qu’il y aurait plus de clarté à grouper ensemble les paragraphes relatifs aux modes divers et plus ou moins avantageux qui ont été successivement imaginés pour faire agir la vapeur. Les détails du mécanisme, quoique fort importants, ne me paraissent devoir marcher qu’en seconde ligne.

CHAPITRE II

machines atmosphériques ou a basse pression
§ 1.
120 ans avant J.-C. Héron d’Alexandrie[1].

Lorsque les liquides, les gaz ou les vapeurs s’écoulent des vases qui les renferment sous certaines conditions que je vais décrire, ils deviennent une cause de mouvement qu'il est nécessaire de bien apprécier si l'on veut comprendre le jeu d'un petit appareil imaginé par Héron d'Alexandrie, et qui offre, je pense, le premier exemple de l'emploi de la vapeur comme force motrice.

Concevons (fig. 1) un tube coudé dont les deux Fig. 1. — Principe des machines à réaction.

Principe des machines à réaction
Principe des machines à réaction
Fig. 1. – Principe des machines à réaction.

branches et se rencontrent rectangulairement. Supposons que la branche BA soit verticale, qu'elle passe librement dans un anneau fixe et qu'elle repose par le bas sur une pointe aiguë , de manière à pouvoir tourner sur elle-même sans obstacle. Si dans cet état on verse de l'eau par l'entonnoir supérieur, nous aurons deux cas bien distincts à considérer. Quand l'écoulement du liquide s'opérera par l'extrémité dans la direction tout l'appareil demeurera immobile. Quand, au contraire,

le tube sera bouché à son extrémité et que le liquide sortira seulement par une ouverture latérale , dans une direction horizontale, la machine prendra d’elle-même du mouvement. Elle tournera autour de , tant que l’écoulement durera, mais en sens contraire de la direction suivant laquelle se formera le jet. Si l’eau, par exemple, s’élance d’arrière en avant, le tube horizontal se transportera, en tournant, d’avant en arrière, comme par une espèce de recul.

Toutes les machines dans lesquelles l’eau a été employée de cette manière, portent le nom de machines à réaction.

Un gaz qui parcourrait rapidement le tube coudé , produirait les mêmes effets que l’eau : le tube resterait immobile quand le gaz s’échapperait dans la direction  ; il tournerait au contraire si l’écoulement avait lieu latéralement.

Ces considérations préliminaires suffisent pour que l’on comprenne le mode d’action de la vapeur dans la machine d’Héron.

Imaginons qu’une sphère métallique creuse (fig. 2, page 8), susceptible de tourner entre deux tourillons et , soit remplie d’une vapeur très-élastique ; que cette vapeur puisse sortir de la sphère par un tuyau saillant perpendiculaire à et placé sur le prolongement d’un des rayons. On devine déjà que si le tuyau est ouvert à son extrémité, il ne tendra pas à tourner, et que la sphère restera en repos ; que si, au contraire, l’écoulement s’opère par une ouverture latérale , d’arrière en avant, par exemple, le tuyau reculera et tendra à faire tourner d’avant en arrière la sphère à laquelle il est lié. Pour rendre ce mouvement de rotation continu, il suffira d’ajouter aux suppositions précédentes, celles qu’un des deux tourillons ( si l’on veut) est creux, qu’il se trouve, par un bout, en communication avec l’intérieur de la sphère, et par l’autre, avec une chaudière : la vapeur déposée en sera ainsi continuellement remplacée au fur et à mesure de son écoulement.

machine d'Héron
machine d'Héron
fig. 3 – Mode d’action de la vapeur dans la machine d’Héron.

Sur la figure qu’Héron a donnée de son petit appareil, on aperçoit deux tuyaux semblables à celui que je viens de décrire. Ils forment les prolongements opposés d’un même diamètre et leurs ouvertures latérales sont disposées de manière qu’ils tendent à faire tourner la sphère dans le même sens.

Il y a aussi dans les Spiritalia la description d’une machine toute semblable à la précédente, avec cette différence seulement qu’un courant d’air échauffé y remplace le courant de vapeur.

En résumé, on trouve un certain emploi de la vapeur aqueuse dans un des appareils décrits par Héron, mais cette vapeur y agit tout autrement que dans les machines modernes. Watt, à qui les essais du mécanicien grec n’étaient pas inconnus, croyait qu’on ne pourrait jamais en tirer rien d’utile. D’autres personnes, si je suis bien informé, augurent au contraire assez favorablement des effets qu’il serait possible d’obtenir avec le mécanisme d’Héron perfectionné, pour avoir cherché, par un brevet, à s’en assurer la jouissance exclusive : le temps et l’expérience prononceront. On voit seulement que si, par des modifications dont nous n’avons aucune idée, des machines à vapeur et à réaction réussissaient un jour et qu’on jugeât à propos d’en écrire l’histoire, il faudrait s’empresser de signaler Héron comme leur premier inventeur. Quant à moi, j’aurais pu me dispenser d’en parler, puisque je ne dois m’occuper actuellement que des machines connues, que des machines employées dans les usines, et que celles-ci n’ont aucune ressemblance avec la sphère tournante du savant d’Alexandrie. Peut-être même eût-il été convenable de citer ici de préférence les auteurs qui, tels qu’Aristote et Sénèque, attribuent les tremblements de terre à la transformation subite de l’eau en vapeur. Cette transformation, suivant eux, s’opère dans les entrailles du globe par la chaleur souterraine ; or, les grands effets qu’ils veulent expliquer montrent bien de quelle énorme puissance mécanique la vapeur leur semblait douée. J’espère, en tous cas, qu’on me pardonnera ce paragraphe, quand on verra qu’il donne une solution naturelle de la question importante, qu’a fait naître naguère la pièce dont je vais maintenant m’occuper.

§ 2.
1543. Blasco de Garat.

M. de Navarrete a publié en 1826, dans la Correspondance astronomique de M. le baron de Zach, la Note ci-après, qui lui avait été communiquée par M. Thomas Gonzalez, directeur des archives royales de Simancas.

« Blasco de Garay, capitaine de mer, proposa, l’an 1543, a l’empereur et roi Charles-Quint, une machine pour faire aller les bâtiments et les grandes embarcations, même en temps de calme, sans rames et sans voiles.

« Malgré les obstacles et les contrariétés que ce projet essuya, l’empereur ordonna que l’on en fit l’expérience dans le port de Barcelone, ce qui effectivement eut lieu le jour 17 du mois de juin de ladite année 1543.

« Garay ne voulut pas faire connaître entièrement sa découverte. Cependant on vit, au moment de l’épreuve, qu’elle consistait dans une grande chaudière d’eau bouillante et dans des roues de mouvement attachées à l’un et à l’autre bord du bâtiment.

« On fit l’expérience sur un navire de 200 tonneaux, appelé la Trinité, arrivé de Colibre pour décharger du blé à Barcelone, capitaine Pierre de Scarza.

« Par ordre de Charles-Quint, assistèrent à cette expérience don Henri de Tolède, le gouverneur don Pierre de Cardona, le trésorier Ravago, le vice-chancelier et l’intendant de la Catalogne…

« Dans les rapports que l’on fit à l’empereur et au prince, tous approuvèrent généralement cette ingénieuse invention, particulièrement à cause de la promptitude et de la facilité avec laquelle on faisait virer de bord le navire.

« Le trésorier Ravago, ennemi du projet, dit qu’il irait deux lieues en trois heures, que la machine était trop compliquée et trop coûteuse, et que l’on serait exposé au péril que la chaudière éclatât. Les autres commissaires assurèrent que le navire virait de bord avec autant de vitesse qu’une galère manœuvrée suivant la méthode ordinaire, et faisait une lieue par heure, pour le moins.

« Lorsque l’essai fut fait, Garay emporta toute la machine dont il avait armé le navire ; il ne déposa que les bois dans les arsenaux de Barcelone, et garda tout le reste pour lui.

« Malgré les oppositions et les contradictions faites par Ravago, l’invention de Garay fut approuvée, et si l’expédition dans laquelle Charles-Quint était alors engagé n’y eût mis obstacle, il l’aurait sans doute favorisée.

« Avec tout cela, l’empereur avança l’auteur d’un grade, lui fit un cadeau de 200,000 maravédis, ordonna à la Trésorerie de lui payer tous les frais et dépenses, et lui accorda en outre plusieurs autres grâces.

« Cela résulte des documents et des registres originaux que l’on garde dans les archives royales de Simancas, parmi les papiers de l’état du commerce de Catalogne et ceux des secrétariats de guerre, de terre et de mer dudit an 1543.

« Thomas Gonzalez.

« Simancus, 27 août 1825. »

Suivant M. de Navarrete, il résulte de la Note qu’on vient de lire, « que les vaisseaux à vapeur sont une invention espagnole, et que de nos jours on l’a seulement fuit revivre. » De là découlerait aussi la conséquence que Blasco de Garay doit être considéré comme le véritable inventeur des machines à feu !

Ces prétentions me paraissent de nature à être repousses l’une et l’autre. En thèse générale, l’histoire des sciences doit se faire exclusivement sur des pièces imprimées. Des documents manuscrits ne sauraient avoir aucune valeur pour le public, car la plus souvent il est dépourvu de tout moyen de constater l’exactitude de la date qu’on leur assigne. Des extraits de manuscrits sont moins admissibles encore. Quelquefois l’auteur d’une analyse n’a pas bien compris l’ouvrage dont il veut rendre compte, et il substitue, même sans le vouloir, les idées de son temps, ses propres idées, aux idées de l’écrivain qu’il abrége. J’accorderai, toutefois, qu’aucune de ces difficultés n’est applicable dans la circonstance actuelle, que le document cité par M. de Navarrete est bien de 1543, et que l’extrait de M. Gonzalez est fidèle ; mais qu’en résultera-t-il ? qu’on a essayé, en 1543, de faire marcher les bateaux avec un certain mécanisme, et rien de plus. La machine dit-on, renfermait une chaudière, donc c’était une machine à vapeur. Ce raisonnement n’est point concluant. Il existe, en effet, dans divers ouvrages, des projets de machines où l’on voit du feu sous une chaudière remplie d’eau, sans que la vapeur y joue aucun rôle : telle est, par exemple, la machine d’Amontons. Enfin, lors même qu’on admettrait que la vapeur engendrait le mouvement dans la machine de Garay, il ne s’ensuivrait pas nécessaire que cette machine était nouvelle et qu’elle avait quelque ressemblance avec celle d’aujourd’hui, car Héron, comme on l’a déjà vu, décrivait, 1600 ans auparavant, le moyen de produire un mouvement de rotation par l’action de la vapeur. J’ajouterai même que si l’expérience de Garay a été faite, que si sa machine était à vapeur, tout doit porter à croire qu’il employait l’éolipyle d’Héron. Cet appareil, en effet, n’est pas d’une exécution très-difficile, tandis que (on peut l’assurer hardiment) la plus simple des machines à vapeur d’aujourd’hui, exige dans sa construction une précision de main-d’œuvre fort supérieure à tout ce qu’on aurait pu obtenir au xvie siècle. Au reste, Garay n’ayant voulu montrer sa machine à personne, pas même aux commissaires que l’empereur Charles-Quint avait nommés, toutes les tentatives qu’on pourrait faire, après trois siècles, pour établir en quoi elle consistait, n’amèneraient évidemment aucun résultat certain.

En résumé, le nouveau document exhumé par M. de Navarrete doit être écarté, 1o parce qu’il n’a été imprimé ni en 1543 ni plus tard ; 2o parce qu’il ne prouve pas que le moteur de la barque de Barcelone était une véritable machine à vapeur ; 3o parce qu’enfin si une machine à vapeur de Garay a jamais existé c’était, suivant toute apparence, l’éolipyle à réaction décrite dans les Œuvres

d’Héron d’Alexandrie.
§ 3.
1615. Salomon de Caus[2].

Salomon de Caus est l’auteur d’un ouvrage intitulé : Les Raisons des forces mouvantes, avec diverses machines tant utiles que plaisantes, etc. Cet ouvrage parut à Francfort en 1615. On y trouve, entre autres choses ingénieuses que plusieurs mécaniciens ont présentées de nos jours comme nouvelles, un théorème ainsi conçu, sous le n° 5 : L’eau montera par aide du feu plus haut que son niveau. Voici en quels termes Caus justifie cet énoncé :

« Le troisième moyen de faire monter l’eau est par l’aide du feu, dont il se peut faire diverses machines. J’en donnerai ici la démonstration d’une.

« Soit (fig. 3) une balle de cuivre marquée , bien

Machine de Salomon de Caus
Machine de Salomon de Caus
fig. 3 – Explication de l’ascension dans la machine
de Salomon de Caus.

soudée tout à l’entour, à laquelle il y aura un soupirail marqué par où l’on mettra l’eau, et aussi un tuyau marqué qui sera soudé en haut de la balle ; et le bout approchera près du fond, sans y toucher ; après faut emplir ladite balle d’eau par le soupirail, puis le bien reboucher et la mettre sur le feu ; alors la chaleur donnant contre ladite balle, fera monter toute l’eau par le tuyau . »

L’appareil dont je viens de transcrire la description est une véritable machine à vapeur propre à opérer des épuisements. Mais peut-être supposerait-on, si je me bornais au passage précédent, que Salomon de Caus ignorait la cause de l’ascension du liquide par le tuyau . Cette cause lui était parfaitement connue, et j’en trouve la preuve dans son théorème 1er, p. 2 et 3, où, à l’occasion d’une expérience toute semblable, il dit que « la violence de la vapeur (produite par l’action du feu) qui cause l’eau de monter, est provenue de ladite eau, laquelle vapeur sortira après que l’eau sera sortie par le robinet avec grande violence. »

§ 4.
1629. Branca.

Branca est l’auteur d’une compilation intitulée : Le macchine del sig. G. Branca ; Roma 1629. Cet ouvrage renferme la description de toutes les machines dont l’auteur avait eu connaissance. Dans ce nombre, on remarque un éolipyle placé sur un brasier, et disposé de manière que le courant de vapeur, sortant par un tuyau, allait frapper les ailes ou les augets d’une petite roue horizontale et la faisait tourner. Le vent de la tuyère d’un soufflet ordinaire aurait évidemment produit le même effet.

Je n’ai pas encore deviné d’après quelles analogies on a pu voir dans cet éolipyle le premier germe des machines à vapeur employées de nos jours. En tout cas, et je me bornerai à cette remarque, le recueil de Branca est postérieur, de beaucoup, aux deux premières éditions de

l’ouvrage de Salomon de Caus.
§ 5.
1663. Le marquis de Worcester[3].

The Scantling of one hundred Inventions, par le marquis de Worcester, parut en 1663 pendant le règne de Charles II. Ce livre est plus généralement connu sous le titre de Century of Inventions. L’appareil que les auteurs anglais regardent comme la première machine à feu, est décrit dans ces termes (c’est la 68e invention) :

« J’ai inventé un moyen admirable et très-puissant d’élever l’eau à l’aide du feu, non par aspiration, car alors on serait renfermé, comme disent les philosophes, intra sphæram activitatis, l’aspiration ne s’opérant que pour certaines distances ; mais mon moyen n’a pas de limite, si le vase a une force suffisante. Je pris en effet un canon entier dont la bouche avait éclaté, et l’ayant rempli d’eau aux trois quarts, je fermai par des vis l’extrémité rompue et la lumière ; j’entretins ensuite dessous un feu constant, et au bout de vingt-quatre heures le canon se brisa en faisant un grand bruit. Ayant alors trouvé le moyen de former des vases de telles manières qu’ils sont consolidés par la force intérieure[4], et qui se remplissent i*un après l’autre, j’ai vu l’eau couler d’une manière continue comme celle d’une fontaine, à la hauteur de quarante pieds. Un vase d’eau raréfiée par l’action du feu, élevait quarante vases d’eau froide. L’ouvrier qui surveille la manœuvre n’a que deux robinets à ouvrir, de telle sorte qu’au moment où l’un des deux vases est épuisé, il se remplit d’eau froide pendant que l’autre commence à agir, et ainsi successivement. Le feu est entretenu dans un degré constant d’activité par les soins du même ouvrier ; il a pour cela tout le temps nécessaire durant les intervalles que lui laisse la manœuvre des robinets. »

Le lecteur connaît maintenant tout ce que le marquis de Worcester a jamais écrit sur la machine à feu. C’est l’unique titre sur lequel se fonde M. Partington, de l’Institution de Londres, dans sa nouvelle édition (1825) de la Century of Inventions, pour décider avec tous ses compatriotes que « Worcester est le premier homme qui ait découvert un moyen d’appliquer la vapeur comme agent mécanique ; invention qui seule, ajoute-t-il, suffirait pour immortaliser l’âge dans lequel cet homme vivait. »

Examinons à notre tour ce paragraphe tant de fois cité, et voyons, sans partialité, ce qu’au fond on y trouve.

J’y vois d’abord une expérience propre à montrer que l’eau réduite en vapeur peut, à la longue, rompre les parois des vases qui la renferment. Cette expérience était déjà connue en 1605, car Flurence Rivault dit expressément que les éolipyles crèvent avec fracas quand on empêche la vapeur de s’échapper. Il ajoute même : « L’effet de la raréfaction de l’eau a de quoi épouvanter les plus assurés des hommes[5]. » (Éléments d’artillerie, p. 128. Paris, 1605.)

J’y vois encore l’idée d’élever de l’eau à l’aide de la force élastique de la vapeur. Cette idée appartient à Salomon de Caus, qui l’avait publiée quarante-huit ans avant l’auteur anglais.

J’y trouve enfin la description d’un appareil propre a opérer cet effet ; mais qui n’a pas reconnu que la boule métallique de Salomon de Caus élèverait aussi de l’eau à une hauteur quelconque, si l’on supposait ses parois suffisamment fortes et la chaleur assez intense ? Peut-être dira-t-on que la machine du marquis de Worcester est préférable ? Je pourrais l’accorder sans que cela tirât à conséquence, car il n’est pas question, dans ce moment, de rechercher quel ingénieur a imaginé la meilleure machine feu, mais seulement qui a pensé le premier à tirer parti de la force élastique de la vapeur pour soulever un poids ou pour produire du mouvement. Au reste, avant de comparer le projet du marquis de Worcester à tout autre projet, il faudrait savoir bien exactement en quoi le premier consistait. Ce problème n’a pas encore été résolu, par la raison toute simple que la description de la soixante-huitième invention du lord anglais manque totalement de clarté. Personne, aujourd’hui, ne serait embarrassé s’il fallait construire une machine d’épuisement dans laquelle l’eau serait soulevée par l’action de la vapeur ; mais quand il est question de reproduire celle du marquis de Worcester, on doit s’astreindre à faire ce que dit l’auteur, et pas davantage.

En s’imposant ces deux conditions, M. Stuart a trouvé qu’on approcherait, autant que possible, de la description de son compatriote, si l’on groupait deux appareils de Salomon de Caus de manière à produire par leur jeu alternatif un écoulement continu. Les autres solutions qu’on a données jusqu’ici de la même question, celle de Millington, par exemple, sont évidemment inadmissibles.

Lorsque MM. Thomas Young, Robison, Partington, Tredgold, Millington, Nicholson, Lardner, etc., présentaient le marquis de Worcester comme l’inventeur de la machine à feu, l’ouvrage de Salomon de Caus leur était sans doute inconnu. Puisqu’il demeure maintenant établi, sans réplique, que la première idée de soulever des poids à l’aide de la force élastique de la vapeur appartient à l’auteur français ; que si même la machine de son compétiteur a jamais existé, elle était, suivant toute apparence, l’appareil décrit près d’un demi-siècle auparavant dans l’ouvrage intitulé Raisons des forces mouvantes, il faut supposer qu’on ne manquera pas à l’avenir d’inscrire le nom modeste de Salomon de Caus partout où jusqu’ici

avait figuré en première ligne celui du marquis de Worcester.
§ 6.
1683. Sir Samuel Moreland[6].

Si je ne voulais parler dans cette Notice que des personnes dont les travaux ont réellement contribué, soit à créer, soit à améliorer les machines à vapeur, le nom du chevalier Moreland n’y figurerait pas ; mais ce nom étant cité en Angleterre par la presque totalité des auteurs qui se sont occupés des machines à feu, je n’ai pas pu me dispenser d’en faire moi-même mention, ne fût-ce qu’afin de justifier l’opinion que je viens d’émettre.

Il y a au Musée britannique un très-beau manuscrit du chevalier Moreland, intitulé : Élévation des eaux par toutes sortes de machines, réduites à la mesure, au poids et à la balance, présenté à Sa Majesté Très-Chrétienne par le chevalier Moreland, gentilhomme ordinaire de la chambre privée et maître des mécaniques du roi de la Grande-Bretagne[7]. Dans ce manuscrit de 38 pages, l’article relatif la machine à vapeur occupe 4 pages seulement, et se trouve distingué du reste par un titre particulier. Voici le paragraphe sur lequel on se fonde en Angleterre pour attribuer à Moreland une certaine part dans la création du Steam Engine.

« L’eau étant évaporée par la force du feu, ses vapeurs demandent incontinent un plus grand espace (environ 2,000 fois) que l’eau n’occupait auparavant, et plutôt que d’être toujours emprisonnées, feraient crever une pièce de canon. Mais étant bien gouvernées selon les règles de la statique, et par science réduites à la mesure, au poids et à la balance, alors elles portent paisiblement leurs fardeaux (comme de bons chevaux) ; et ainsi seraient-elles d’un grand usage au genre humain, particulièrement pour l’élévation des eaux, selon la table suivante qui marque le nombre de livres qui pourront être levées 1800 fois par heure, à 6 pouces de levée, par des cylindres à moitié remplis d’eau, aussi bien que les divers diamètres et profondeurs desdits cylindres. »

Si l’ouvrage de Moreland avait précédé ceux de Salomon de Caus ou de Worcester, le passage qu’on vient de lire serait un titre réel. En 1683, c’est-à-dire soixante-huit ans après la publication des Raisons des Forces mouvantes, et vingt ans après la date de la patente de Worcester, le projet de Moreland ne pouvait plus être considéré que comme un plagiat. Disons toutefois, à l’honneur de ce mécanicien, que les nombres qu’il donne pour exprimer les volumes relatifs de l’eau et d’un poids égal de vapeur, sont moins éloignés de la vérité qu’on n’aurait dû l’attendre d’expériences faites en 1682.

§ 7.
1690 et 1695. Denis Papin[8].

Concevons un large cylindre vertical ABCD (fig. 4),

machine de Papin
machine de Papin
fig. 4. – Explication de l’élévation du piston dans la machine de Papin.

entièrement ouvert à la partie supérieure, et reposant sur une base métallique armée d’une soupape S susceptible de s’ouvrir de bas en haut à volonté, Plaçons dans le milieu

de ce cylindre un piston mobile qui en ferme bien exactement

l’ouverture. L’atmosphère pèsera de tout son poids sur la face supérieure de ce piston ; elle le poussera du haut en bas. Si la soupape est ouverte, la portion d’atmosphère dont la capacité se remplira, tendra au contraire par sa réaction, à faire remonter le piston. Cette seconde force sera égale à la première, parce que, dans un gaz comme dans un fluide, la pression en chaque point est la même dans tous les sens. Le piston, sollicité ainsi par deux forces opposées qui se font équilibre, descendra toutefois, mais seulement en vertu de son propre poids. Il suffira donc d’un effort un tant soit peu supérieur à ce même poids, pour faire monter le piston jusqu’au haut du cylindre et pour l’y maintenir.

Supposons qu’en effet le piston soit amené ainsi à l’extrémité supérieure de sa course, comme la figure 5 (page 26) le représente, et cherchons à le faire descendre avec force. Un moyen bien efficace consisterait à fermer la soupape , et ensuite, si cela était possible, a anéantir tout à coup et complètement dans le corps de pompe la portion d’atmosphère qui remplit la capacité . Alors le piston ne recevrait plus d’action que de l’atmosphère extérieure dont il est chargé. Cette action s’exercerait sur sa surface supérieure, de haut en bas, et aurait pour mesure le poids d'un cylindre d'eau de 10 mètres (32 pieds) de hauteur, et dont la base serait égale à celle du corps de pompe, ou, ce qui revient au même, le poids d'un cylindre de mercure d'une base pareille et de 76 centimètres (28 pouces 1 ligne) de hauteur seulement ; car tel est le poids de l'atmosphère. Le piston descendrait alors nécessairement, et pourrait même entraîner dans sa course un poids égal à celui du cylindre d'eau ou de mercure dont je viens de parler.

machine de Papin
machine de Papin
Fig. 5. — Descente du piston arrivé à l’extrémité de sa course
dans la machine de Papin.

En suivant toujours la même hypothèse, admettons qu'à l'instant où le mouvement descendant s'est complètement opéré, on ouvre la soupape . L'atmosphère viendra agir par-dessous et contre-balancer l'action de l'atmosphère supérieure. Il suffira dès lors d'un petit effort pour faire rétrograder le piston jusqu'au sommet du corps de pompe et ramener toutes les parties de l'appareil à leur position initiale. Un second anéantissement de l'atmosphère intérieure fera descendre de nouveau le piston, et ainsi de suite.

En résumé, dans cet appareil, il suffit d’une petite dépense de force pour soulever le piston, tandis que son mouvement descendant peut produire les plus grands effets. Si une corde est attachée par un bout au centre du piston et s’enroule par son autre extrémité sur la gorge d’une poulie, on pourra, à chaque mouvement descendant, soulever un très-grand poids d’une quantité égale à la hauteur du corps de pompe. Avec un cylindre de 2 mètres de diamètre, le poids soulevé à chaque oscillation descendante du piston, serait de 31000 kilogrammes.

L’idée de la machine dont je viens de parler appartient à Papin. Elle est expliquée fort nettement dans les Actes de Leipzig pour l’année 1688, p. 644, et ensuite avec quelques nouveaux développements dans une lettre au comte Guillaume Maurice. (Voyez l’ouvrage imprimé à Cassel en 1695, et intitulé : Recueil de diverses pièces touchant quelques nouvelles machines, p. 38 et suiv.) Il nous reste maintenant à faire connaitre les moyens que Papin avait proposés pour anéantir, aux moments convenables, la couche d’air atmosphérique qui, placée sous le piston, aurait empêché son mouvement descendant, ou, ce qui revient au même, il nous reste à dire comment il faisait à volonté le vide dans la partie inférieure du corps de pompe.

Ce physicien eut quelque temps la pensée de se servir pour cela d’une roue hydraulique qui aurait fait mouvoir les pistons d’une pompe aspirante ordinaire. Lorsque le cours d’eau chargé de mettre cette roue en mouvement se serait trouvé très-éloigné de la machine, Papin aurait lié celle-ci à la pompe par l’intermédiaire d’un tuyau métallique continu, semblable aux tuyaux des usines à gaz de nos jours : « c’était, disait-il, un moyen de transporter fort loin la force des rivières. »

Dans cet état, en 1687, la machine fut présentée à la Société royale de Londres, où elle donna lieu à des difficultés dont Papin fait mention, sans dire cependant en quoi elles consistaient. (Voyez Recueil, p. 41.) Auparavant il avait essayé de faire le vide sous le piston au moyen de la poudre ; mais « nonobstant toutes les précautions qu’on y a observées, dit-il, il est toujours demeuré dans le tuyau environ la cinquième partie de l’air qu’il contient d’ordinaire, ce qui cause deux différents inconvénients : l’un est que l’on perd environ la moitié de la force qu’on devrait avoir, en sorte que l’on ne pouvait élever que 150 livres à un pied de haut, au lieu de 300 livres qu’on aurait dû élever si le tuyau avait été parfaitement vide ; l’autre inconvénient est. qu’à mesure que le piston descend, la force qui le pousse en bas diminue de plus en plus, etc. (Recueil, etc., p. 52.)

« J’ai donc tâché, ajoute-t-il, d’en venir bout d’une autre manière ; et comme l’eau a la propriété, étant par le feu changée en vapeurs, de faire ressort comme l’air, et ensuite de se recondenser si bien par le froid, qu’il ne lui reste plus aucune apparence de cette force de ressort, j’ai cru qu’il ne serait pas difficile de faire des machines dans lesquelles, par le moyen d’une chaleur médiocre et à peu de frais, l’eau ferait ce vide parfait qu’on a inutilement cherché par le moyen de la poudre à canon. »

Cet important paragraphe se trouve a la page 53 du Recueil imprimé à Cassel en 1695, comme extrait des Actes de Leipzig du mois d’août 1690. Il est suivi de la description du petit appareil dont Papin se servit pour essayer son invention. Le corps de pompe n’avait que 2 pouces 1/2 de diamètre et ne pesait pas 5 onces. À chaque oscillation, il élevait cependant 60 livres d’une quantité égale à celle qui mesurait l’étendue de la course descendante du piston. La vapeur disparaissait si complétement quand on ôtait le feu, que le piston dont cette vapeur avait amené le mouvement ascensionnel, « redescendait jusque tout au fond, en sorte qu’on ne saurait soupçonner qu’il y eût aucun air pour le presser au-dessous et résister a sa descente. » (Recueil, p. 55.) L’eau qui fournissait la vapeur, dans ces premiers essais, n’était pas contenue dans une chaudière séparée ; elle avait été déposée dans le corps de pompe même, sur la plaque métallique qui le bouchait par le bas. C’était cette plaque que Papin échauffait directement pour transformer l’eau en vapeur ; c’était la môme plaque qu’il refroidissait en éloignant le feu, quand il voulait opérer la condensation. Il rapporte qu’avec un feu médiocre, une minute lui suffisait, dans les expériences de 1690, « pour chasser ainsi le piston jusqu’au haut de son tuyau. » (Recueil, p. 55.) Mais dans des essais postérieurs, « il vidait les tuyaux en un quart de minute. » (Recueil, p. 61.)

Au reste, il déclare lui-même qu’en partant toujours du principe de la condensation de la vapeur par le froid, on peut arriver au but qu’il se propose « par différentes constructions faciles à imaginer. » (Voyez le Recueil, p. 53.)

La machine de Salomon de Caus, celle du marquis de Worcester, étaient de simples appareils d’épuisement. Leurs auteurs ne les avaient présentées que comme des moyens d’élever de l’eau. Tel était aussi le parti principal que Papin voulait tirer de sa machine à pression atmosphérique ; mais en même temps il avait parfaitement bien vu que le mouvement de va-et-vient du piston dans le corps de pompe pouvait recevoir d’autres applications et devenir un moteur universel. On trouvera, en effet, aux pages 58 et 59 du Recueil, et même déjà dans les Actes de Leipzig de 1690, une méthode propre à transformer ce mouvement alternatif en mouvement de rotation. Je n’insisterai pas davantage ici sur cet objet, parce que nous aurons à nous en occuper plus loin, à l’occasion des bateaux à vapeur, et je terminerai ce paragraphe relatif à Papin en présentant au lecteur les conséquences diverses qui me paraissent découler des extraits qu’il vient de lire :

Papin a imaginé la première machine à vapeur à piston ;

Papin a vu, le premier, que la vapeur aqueuse fournit un moyen simple de faire rapidement le vide dans la capacité du corps de pompe ;

Papin est le premier qui ait songé à combiner dans une même machine à feu, l’action de la force élastique de la vapeur, avec la propriété dont cette vapeur jouit et qu’il

a signalée, de se condenser par refroidissement[9].
§ 8.
1698. Le capitaine Savery.

Nous n’avons aucune preuve que Salomon de Caus ait jamais fait construire sa machine à feu. J’en pourrais dire autant du marquis de Worcester[10]. Celle des machines de Papin dans laquelle l’action de la vapeur et sa condensation sont successivement en jeu, n’a été exécutée qu’en petit, et seulement dans la vue de constater expérimentalement l’exactitude du principe sur lequel elle se fonde[11]. Aussi quoique, à proprement parler, il n’y ait rien de bien neuf dans les machines à feu de Savery, on ne pourrait, sans une grande injustice, se dispenser de les citer, puisqu’elles sont véritablement les premières qui aient été appliquées. Je ne pense pas, au reste, devoir en donner ici le dessin : le lecteur pourra, sans ce secours, s’en faire une idée exacte, s’il veut bien se rappeler celle de Salomon de Caus et prêter quelque attention aux considérations suivantes :

D’après le projet de Caus, la vapeur motrice serait engendrée dans le vase où se trouve l’eau à élever, et aux dépens de cette même eau. Dans la machine de Savery, il y a deux vases séparés ; l’un renferme l’eau ; l’autre, qu’on peut appeler la chaudière, contient la vapeur. Cette vapeur, quand on la juge assez abondante, se rend à la partie supérieure du vase d’eau par un tube de communication qui s’ouvre à volonté à l’aide d’un robinet. Elle agit de haut en bas sur la surface du liquide et le refoule dans un tube d’ascension vertical dont l’ouverture inférieure doit toujours être située au-dessous de cette surface, car sans cela la vapeur s’échapperait elle-même. Jusqu’ici la différence entre les deux machines est insignifiante continuons la comparaison.

Dans la machine de Salomon de Caus, dès que la pression de la vapeur a produit son effet, un ouvrier remplace l’eau expulsée, à l’aide d’un orifice situé à la partie supérieure de la sphère métallique et qui s’ouvre ou se ferme à volonté. Il ne reste plus alors qu’à aviver le feu. Dans la machine de Savery, ce n’est pas un ouvrier, c’est la pression atmosphérique qui amène l’eau dans le vase à liquide. La vapeur, en poussant devant elle, pendant la première période de son action, l’eau que ce vase contenait, s’est substituée à celle-ci ; or, la vapeur, quelle que soit sa force élastique primitive, se précipitera en grande partie si l’on abaisse beaucoup sa température. Il suffira pour cela, et tel est en effet le procédé adopté par Savery, de jeter de l’eau froide sur les parois du vase dont elle remplit la capacité. Après cette opération, la pression atmosphérique pourra surmonter aisément le ressort à peine sensible de la vapeur que le refroidissement n’aura pas anéantie, et si le vase est en communication par un tube avec une nappe d’eau dont le niveau ne soit pas de plus de 8 à 10 mètres au-dessous, il se remplira par aspiration. En ajoutant que, pour éviter les intermittences d’écoulement, Savery avait employé un troisième vase qui se remplissait de liquide quand le second se vidait, et réciproquement que le second et le troisième vase étaient l’un après l’autre en communication avec la chaudière à l’aide d’un système convenable de tubes et de robinets, j’aurai signalé tout ce qu’il y avait d’essentiel dans la machine de cet ingénieur.

On a reproché à l’appareil de Salomon de Caous de n’élever l’eau que chaude. Ce reproche, il faut t’avouer, a quelque gravité sous les rapports économiques, mais il s’applique aussi, jusqu’à un certain point, à la machine de Savery. Dans cette machine, en effet, la vapeur provenant de la chaudière devant agir sur la surface de l’eau du second ou du troisième vase, sans intermédiaire s’y condense en grande quantité. Son ressort ne devient efficace qu’après que l’eau a déjà acquis une température élevée quand l’eau commence à monter, elle est donc chaude. Robison dit avoir reconnu expérimentalement qu’en employant la vapeur comme le faisait Savery, il y en a au moins les 11/12es de condensés, soit par les parois du deuxième ou du troisième vase, soit par l’eau qu’ils renferment, lors même que cette eau cède à la plus petite pression. Dans une machine analogue, pour éviter l’énorme déperdition de vapeur dont je viens de parler, Papin imagina, en 1707, de recouvrir l’eau d’un flotteur[12]. Cet artifice ne fut pas adopté, moins encore, je pense, à cause de quelques difficultés d’exécution qu’à raison de défauts très-graves qui sont inséparables de ce genre de machines. Pour élever l’eau à la petite hauteur de 65 mètres (200 pieds), par exemple, Savery était forcé de porter la vapeur de sa chaudière à six atmosphères ; de là des dérangements continuels dans les joints ; de là également la fonte des mastics et même de dangereuses explosions. Aussi, malgré le titre de son ouvrage, les machines de cet ingénieur ne servirent point utilement dans les mines. Elles ne furent employées que pour distribuer l’eau dans les diverses parties des palais ou des maisons de plaisance, dans des parcs ou dans des jardins, partout, en un mot, où la différence de niveau à franchir ne surpassait pas une quarantaine de pieds. À l’aide de la machine proposée par Papin, il n’est pas de hauteur, au contraire, où l’eau ne puisse être portée, même en n’employant que de la vapeur à une très-faible tension : tout se réduit pour cela à donner au corps de pompe un assez grand diamètre.

En résumé, Savery a essayé de se servir de la force élastique de la vapeur pour pousser l’eau dans un tube vertical ; mais Salomon de Caus l’avait fait, précisément de la même manière, quatre-vingt-trois ans auparavant. Savery remplissait par aspiration les vases dans lesquels la vapeur devait agir ensuite ; mais en 1698 l’aspiration n’était pas un principe nouveau, puisqu’on avait très- anciennement inventé l’horreur du vide pour l’expliquer,

et qu’on en trouve d’ailleurs des applications toutes pareilles à celle faite par le mécanicien anglais dans les Raisons des Forces mouvantes, feuillet 19, verso ; l’aspiration, au surplus, ajoutait très-peu à la valeur de la machine, car elle accroissait d’une trentaine de pieds seulement la hauteur à laquelle le liquide aurait été soulevé sans cela. Savery, enfin, opérait le vide qui déterminait l’aspiration, par le refroidissement de la vapeur ; ici la méthode est importante, mais Papin l’avait dès longtemps publiée. La patente concédée à Savery est du 25 juillet 1698 ; les essais de sa machine devant la Société royale sont du mois de juin 1699 ; la première édition de l’Ami du Mineur (Miners’ Friend) porte la date de 1702 ; ainsi, l’antériorité des titres de Papin serait de trois ans, alors même que mettant de côté les Actes de Leipzig, on ne voudrait remonter qu’au Recueil dans lequel se trouvent réunis divers mémoires de ce mécanicien, car cet ouvrage a été publié en 1695. Que reste-t-il donc à Savery ? L’honneur d’avoir, le premier, exécuté un peu en grand une machine d’épuisement à feu, et, si l’on veut, celui d’avoir opéré la condensation de la vapeur par le refroidissement que des aspersions d’eau froide occasionnaient dans les parois extérieures du vase métallique qui la renfermait. En décrivant pour la première fois cet ingénieux moyen de faire le vide, Papin, en effet, ne s’était pas expliqué sur les différentes constructions faciles à imaginer (ce sont ses expressions), qu’on peut employer pour atteindre ce but. Pendant ses expériences avec un petit cylindre, il se contentait, comme on l’a vu, d’enlever le feu.

§ 9.
1705. newcomen, cawley et savery[13].

La machine d’épuisement connue des artistes sous le nom de machine de Newcomen ou de machine atmosphérique, est la première qui ait rendu de véritables services à l’industrie. Je dirai même que dans un grand nombre de lieux où le charbon ne coûte pas cher, elle est encore en usage, et qu’on n’a point trouvé de profit à la remplacer. Cette machine, au reste, sauf quelques détails de construction fort essentiels et que je signalerai plus loin, n’est autre chose que la machine proposée en 1690 et 1695 par Papin, et qu’il avait essayée en petit.

Dans l’une comme dans l’autre on remarque, en effet, un cylindre ou corps de pompe métallique vertical ferme par le bas, ouvert par le haut, et un piston bien ajusté destiné à le parcourir sur toute sa longueur. Dans l’une comme dans l’autre, le mouvement ascensionnel du piston s’opère par l’effet d’un contre-poids, quand la vapeur d’eau peut arriver librement à la partie inférieure du corps de pompe et la remplir. Dans la machine anglaise comme dans celle de Papin, dès que le piston est parvenu à l’extrémité de sa course ascendante, on condense la vapeur qui l’y avait poussé ; on fait ainsi le vide dans toute la capacité qu’il vient de parcourir, et l’atmosphère le force alors à descendre. Papin avait annoncé qu’il fallait opérer la condensation par le froid ; c’est par le froid que Newcomen, Cawley et Savery se débarrassent aussi de la vapeur qui contre-balancerait la pression atmosphérique. Entre plusieurs différentes constructions qu’on peut imaginer pour cela (ce sont les expressions contenues dans le Recueil de pièces, p. 53), les mécaniciens anglais en adoptèrent une, préférable de beaucoup dans une machine en grand, à celle que Papin avait lui-même employée dans les expériences faites avec son petit modèle. Au lieu d’enlever le feu, comme le pratiquait celui-ci, Newcomen, Cawley et Savery faisaient couler une abondante quantité d’eau froide dans l’espace annulaire compris entre les parois extérieures du corps de pompe et un second cylindre un peu plus grand qui lui servait d’enveloppe. Le refroidissement se communiquait ainsi peu à peu à toute l’épaisseur du métal, et atteignait bientôt la vapeur elle-même.

La machine de Papin, ainsi modifiée quant à la manière de refroidir la vapeur aqueuse, excita au plus haut point l’attention des propriétaires de mines, et sembla, dès le début, fournir une solution inespérée d’un problème dont les tentatives infructueuses de Savery avaient particulièrement montré la difficulté. Newcomen et Cawley sollicitaient une patente. Savery objecta qu’il était déjà en possession d’un privilège exclusif concernant-le moyen de produire le vide par le refroidissement de la vapeur. Pour éviter toute contestation, la patente fut prise au nom et au profit des trois compétiteurs, qui s’attribuèrent ainsi, dans le projet emprunté à Papin, les deux premiers, l’idée de la machine à vapeur à piston ; le troisième, celle de la condensation[14].

Au commencement du xviiie siècle , l’art de construire de grands corps de pompe parfaitement cylindriques, l’art d’ajuster dans leur intérieur des pistons mobiles qui les fermassent hermétiquement, étaient très-peu avancés. Aussi, dans la machine de 1705, pour empêcher la vapeur de s’échapper par les interstices compris entre la surface du cylindre et les bords du piston, ce piston était-il constamment couvert à sa surface supérieure d’une couche d’eau qui pénétrait dans tous les vides et les remplissait. Un jour qu’une machine de cette espèce marchait sous les yeux des constructeurs, ils virent, avec une extrême surprise, le piston descendre, plusieurs fois de suite, beaucoup plus rapidement que de coutume. Cette vitesse leur parut d'autant plus étrange, que le refroidissement produit par le courant d'eau froide qui descendait extérieurement le long de la surface du corps de pompe, n'avait amené jusque-là la condensation de la vapeur intérieure qu'assez lentement. Après vérification il fut constaté que ce jour-là, c'était d'une tout autre manière que le phénomène s'opérait : le piston se trouvant accidentellement percé d'un petit trou, l'eau froide qui le recouvrait, tombait dans l'intérieur même du cylindre, par gouttelettes, à travers la vapeur, la refroidissait et dès lors la condensait plus rapidement.

Depuis cette époque, on a muni les machines atmosphériques d'une ouverture en pomme d'arrosoir ; c'est de là que part la pluie d'eau froide qui se répand dans la capacité du cylindre et y condense la vapeur au moment où le piston doit descendre. Le refroidissement extérieur se trouve ainsi supprimé, et les va-et-vient sont beaucoup plus prompts. Cette importante amélioration, comme tant d'autres qu'on pourrait citer, fut le résultat d'un heureux hasard. Je regrette beaucoup de ne pouvoir point désigner ici celui des trois associés dont l'esprit inventif vit sur-le-champ, dans l'événement imprévu dont j'ai rendu compte, le principe d'un perfectionnement qu'on retrouve encore dans les machines d'aujourd'hui ; mais la tradition ne nous a rien appris à cet égard.

§10.
1769. James Watt[15]

Avant de commencer l’analyse des inventions de Watt, je devrais peut-être transcrire ici les titres des divers brevets qu’il obtint pendant sa longue et glorieuse carrière. La lecture de ces titres montrerait nettement l’objet des améliorations importantes que cet illustre mécanicien introduisit successivement dans les machines de ses prédécesseurs ; elle détromperait, d’autre part, ceux qui croient, sans aucun fondement, que la machine à feu

employée de nos jours a été créée par un seul homme et d’un seul jet ; mais le besoin d’abréger cette Notice me force d’entrer de suite en matière.

a. Du condenseur.

Pour que la machine à feu atmosphérique, dite machine de Newcomen, produise de bons effets, il faut, 1o qu’à l’instant où le mouvement descendant du piston commence, il y ait dans toute la capacité inférieure du corps de pompe, le vide le plus parfait possible ; 2o que pendant le mouvement ascendant, la vapeur qui se rend de la chaudière dans la même capacité, ne perde rien de la force élastique qu’elle avait acquise au prix de beaucoup de charbon.

La première condition exige impérieusement qu’au moment de la condensation, l’eau d’injection aille refroidir les parois du corps de pompe. Sans cela, la vapeur qu’on veut anéantir conserverait un ressort considérable, et elle opposerait un grand obstacle au mouvement descendant du piston, mouvement que la pression atmosphérique doit déterminer. La seconde condition nécessite, au contraire, que les même ? parois soient très-chaudes. En effet, la vapeur d’eau à 100° de température, ne conserve en arrivant dans un vase toute la force élastique qui lui est propre, qu’autant que les parois de ce vase sont elles-mêmes à 100°. Si la température des parois est moindre, la vapeur affluente perd aussitôt de sa chaleur primitive et une portion plus ou moins considérable de la densité ou de la force élastique qu’elle possédait. Ainsi, durant le mouvement descendant du piston, les parois du cylindre métallique qu’il parcourt, doivent être aussi froides que possible, si c’est dans ce cylindre que la condensation a lieu pendant le mouvement ascendant il serait très-utile, au contraire, que ces mêmes parois fussent à 100°.

Le refroidissement s’opère, assez simplement, en projetant l’eau d’injection non-seulement au milieu de la vapeur, mais encore sur les parois du cylindre. Quant à l’échauffement de ces parois qui doit suivre, comment l’obtenir de manière qu’il soit considérable et prompt ? La vapeur affluente elle-même produira bien à la longue réchauffement désiré mais ce sera à la longue seulement, et dès lors les excursions ascendantes du piston étant fort lentes, la machine ne fera pas dans les vingt-quatre heures tout l’ouvrage sur lequel, sans ce genre d’obstacle, on aurait pu compter. Remarquons d’ailleurs que la vapeur venant de la chaudière n’échauffe le corps de pompe qu’aux dépens de sa propre chaleur, ou qu’en se condensant en partie ; or, la vapeur a un prix élevé, lors même que l’eau d’où elle provient ne coûte rien, car le combustible à l’aide duquel s’opère la transformation est toujours assez cher. Afin qu'on ne doute pas de la grande attention qu'il importe d’accorder à cette considération financière, je dirai que la quantité de vapeur employée ainsi pour échauffer les parois du corps de pompe, remplirait plusieurs fois la capacité qu'elles enceignent, en sorte que la dépense de vapeur, ou, ce qui revient au même, la dépense de combustible, ou, si on l'aime mieux encore, la dépense en argent nécessaire pour mettre la machine en jeu, serait plusieurs fois moindre, si l'on parvenait à faire disparaître la nécessité des échauffements et refroidissements successifs dont nous venons de parler. Tel est précisément le problème que Watt a résolu par une méthode qui permet de laisser toujours au corps de pompe sa température de 100°. Il lui a suffi pour cela :

« D'opérer la condensation de la vapeur dans un vase séparé, totalement distinct du corps de pompe, et ne communiquant avec lui qu'à l'aide d’un tube étroit. »

Expliquons cet ingénieux procédé, qui formera toujours le principal titre de Watt à la reconnaissance de la postérité.

S'il existe une libre communication entre un corps de pompe rempli de vapeur et un vase vide de vapeur et d’air, la vapeur du corps de pompe passera en partie et très-rapidement dans le vase : l'écoulement ne cessera qu’au moment où l’élasticité sera la même partout. Supposons que le vase soit maintenu constamment froid dans toute sa capacité et dans son enveloppe, à l’aide d’une injection d’eau abondante et continuelle ; alors toute la vapeur dont le corps de pompe était primitivement rempli viendra s’y anéantir successivement ; ce corps de pompe se trouvera ainsi purgé de vapeur, sans que ses parois aient été le moins du monde refroidies, et la vapeur nouvelle, dont il pourra devenir nécessaire de le remplir un moment après, n’y perdra rien de son ressort.

Un vase, séparé ainsi d’un corps de pompe et dans lequel la vapeur de celui-ci vient de temps en temps se précipiter, s’appelle un condenseur. C’est la partie la plus précieuse des machines de Watt.

Le vase ou condenseur que nous venons de mettre en jeu, n’a entièrement absorbé la vapeur dont le corps de pompe était rempli, qu’à cause qu’il contenait de l’eau froide et que le reste de sa capacité se trouvait vide de fluides élastiques[16]. Après que la condensation de la vapeur s’y est opérée, ces deux conditions de réussite ont disparu ; l’eau condensante s’est échauffée en absorbant tout le calorique de la vapeur ; une quantité notable de vapeur s’est formée aux dépens de cette eau chaude ; l’eau froide enfin contenait de l’air atmosphérique qui a dû se dégager pendant son échauffement. Si l’on n’enlevait pas, après chaque opération, cette eau, cette vapeur, cet air que le condenseur renferme, il finirait par ne plus produire d’effet. Watt opère cette triple évacuation à l’aide d’une pompe ordinaire qu’on appelle la pompe à air, et dont le piston porte une tige convenablement attachée au balancier que la machine met en jeu. Quand on calcule les effets d’une machine à feu de Watt, il est donc nécessaire d’avoir égard à la portion de force qui est destinée à maintenir la pompe à air en mouvement. Cette déduction, au reste, n’est qu’une petite partie de la perte qu’amenait, dans l’ancienne méthode, la condensation de la vapeur

sur les parois refroidies du corps de pompe[17]
b. Machine à double effet.

La machine atmosphérique, soit que l’injection d’eau froide s’opère au milieu du corps de pompe ou dans un condenseur séparé, n’a de force réelle que pendant le mouvement descendant du piston. C’est alors, et seulement alors, que le poids de l’atmosphère produit tout son effet. Durant l’oscillation ascendante, ce poids est contre-balancé par la pression de la vapeur qui pousse le piston de bas en haut. Le mouvement est alors uniquement déterminé par un contre-poids qui surpasse à peine le poids du piston, de la valeur du frottement qu’éprouve celui-ci sur les parois du corps de pompe. Cela n’est pas un inconvénient quand la machine à feu est employée à extraire l’eau qui inonde les mines. Le mouvement descendant du piston détermine, en effet, un mouvement de même sens dans l’extrémité du balancier auquel sa tige est attachée, et dès lors un mouvement ascendant à l’autre extrémité. Or, c’est pendant ce dernier mouvement que l’eau située verticalement sous cette seconde extrémité du balancier, est soulevée d’une quantité égale à l’excursion du piston du grand corps de pompe. Quand le piston de la pompe d’épuisement descend, quand il va se charger de nouveau de liquide, il est parfaitement inutile qu’il soit poussé vivement. La force qui servirait à cela serait de la force perdue. Qui n’a remarqué, l’analogie en effet est complète, que partout où l’on tire l’eau d’un puits, on laisse le seau descendre par son propre poids ; que nulle part on n’a imaginé de produire ce mouvement descendant par l’action du moteur ? Ainsi, comme moyen d’épuisement, la machine atmosphérique est parfaite ; ses intermittences d’action ne sont pas alors un défaut. Il n’en est pas de même du cas où cette machine est employée comme moteur. Les appareils, les outils qu’elle conduit, ont des mouvements très-rapides durant la course descendante du piston mais, pendant le mouvement ascendant, ils s’arrêtent ou ne continuent à agir qu’en vertu de la vitesse acquise. Une machine à feu qui aurait de la puissance pendant que s’exécutent les deux excursions opposées du piston, présenterait donc des avantages réels. Tel est l’objet de la machine inventée par Watt, et qu’on appelle machine à double effet.

Dans cette machine, l’atmosphère n’a plus d’action. Le corps de pompe est fermé dans le haut par un couvercle métallique, percé seulement à son centre d’une ouverture garnie d’étoupe grasse et bien serrée, h travers laquelle la tige cylindrique du piston se meut librement, sans pourtant donner passage à l’air ou à la vapeur. Le piston partage ainsi le corps de pompe en deux capacités fermées et distinctes. Quand il doit descendre, la vapeur de la chaudière arrive librement à la capacité supérieure par un tube convenablement disposé à cet effet, et pousse le piston de haut en bas comme le faisait l’atmosphère dans la machine atmosphérique. Ce mouvement n’éprouve pas d’obstacle, attendu que, pendant qu’il s’opère, le dessous du corps de pompe, mais ce dessous tout seul, est en communication avec le condenseur. Dès que le piston est entièrement descendu, les choses se trouvent complétement renversées par le simple mouvement de deux robinets ; Ators la vapeur que fournit la chaudière ne peut aller qu’au-dessous du piston qu’elle doit soulever, et la vapeur supérieure qui, l’instant d’avant, produisaitle mouvement descendant, vase liquéfier dans le condenseur avec lequel elle est, à son tour, en libre communication. Le mouvement contraire des mêmes robinets replace toutes les pièces dans l’état primitif, dès que le piston est au haut de sa course. La machine marche ainsi indéfiniment, avec une puissance à peu près égale, soit que le piston monte, soit qu’il descende ; mais, il importe de le remarquer, la dépense de vapeur est précisément double de celle qu’une machine atmosphérique ou à simple effet aurait occasionnée[18].

c. — Machine à détente.

Dans la machine à double effet dont je viens de parler[19], le piston est alternativement poussé par la vapeur, de haut en bas et de bas en haut. Si la chaudière est en libre communication avec le corps de pompe pendant tout le temps que chacune de ces oscillations nécessite, le piston se trouvera soumis à l’action d’une force accélératrice constante ; il arrivera donc à l’une et à l’autre extrémité du cylindre vertical qu’il parcourt, avec une vitesse très-grande et qui, sans produire aucun effet utile, contribuera à ébranler l’ensemble de l’appareil. Si, au contraire, les robinets adaptés aux deux tubes qui établissent la communication entre la chaudière et le corps de pompe ne demeurent pas ouverts pendant toute la durée des excursions du piston ; s’ils se ferment, par exemple, chacun à leur tour, quand le piston est parvenu aux deux tiers de sa course, le tiers restant sera parcouru en vertu de la vitesse acquise, et surtout par l’action que la vapeur déjà introduite alors continuera à exercer. Cette action deviendra de moins en moins forte pendant ce dernier tiers du mouvement du piston, attendu que la vapeur se dilatera graduellement, et qu’à mesure qu’elle occupera des espaces de plus en plus grands, son élasticité, comme celle de tout autre gaz, diminuera. Dès lors il n’y aura plus de vitesse nuisible vers les deux limites des excursions du piston et, ce qui est encore plus important, une moindre quantité de vapeur sera employée pour produire les mouvements désirés. Qui ne voit, en effet, que si le robinet était ouvert pendant toute la course du piston, l’injection détruirait chaque fois un volume de vapeur égal à celui du corps de pompe et d’une densité pareille à celle de la vapeur de la chaudière, tandis que si le robinet se ferme quand le piston est aux deux tiers de sa course, il entrera et il se détruira un tiers de vapeur de moins. Les mécaniciens ont cité des expériences d’après lesquelles il semblerait qu’en employant ainsi la détente de la vapeur, on peut économiser, à égalité d’effet, une quantité considérable de combustible ; aussi rangent-ils la proposition que Watt a insérée à ce sujet dans sa première patente, au nombre des plus lumineuses dont l’industrie lui soit redevable. Il ne paraît pas cependant que, dans la plupart des machines sorties des ateliers de Soho, la détente ait été employée sur une grande échelle : on n’y a eu recours que pour rendre le mouvement du piston à peu près uniforme.

d. — Enveloppe ou chemise du corps de pompe.

Le condenseur isolé, la plus belle des inventions de Watt, a pour objet, comme on l’a vu plus haut, de laisser constamment le corps de pompe à la température de la vapeur, afin qu’elle ne s’y condense pas en partie quand elle arrive de la chaudière. Mais ce corps de pompe est en contact avec l’atmosphère sur toute l’étendue de ses parois extérieures. Il y aura donc sur ces parois, et, par suite, dans toute l’épaisseur du cylindre, un refroidissement continuel auquel la vapeur motrice devra pourvoir aux dépens de sa propre élasticité. Watt a proposé d’atténuer cet effet en enveloppant le corps de pompe dans un second cylindre. Une telle enveloppe, si elle est fermée en haut et en bas, empêchera qu’il ne se forme des courants d’air refroidissants, et ce sera déjà beaucoup de gagné. Mais on pourra de plus introduire de la vapeur dans l’espace annulaire compris entre les deux cylindres, et dès lors la température du corps de pompe proprement dit sera si peu différente de celle de la vapeur fournie par la chaudière, que, dans la pratique, on pourra les considérer

comme étant parfaitement égales.
CHAPITRE III
machines à haute pression
§ 1. — Machines à haute pression sans condensation. — Machines locomotives.

Les machines dont nous avons parlé jusqu’ici n’exigent pas que la vapeur qui les fait mouvoir exerce une pression supérieure à celle de l’atmosphère. Pour se débarrasser de la vapeur quand elle a agi, il suffit de la condenser. Cette opération nécessite l’emploi d’une abondante quantité d’eau froide ; dans beaucoup de localités, c’est un inconvénient majeur. Quant aux machines locomotives propres à faire marcher des chariots sur des chemins de fer, on ne peut pas songer à les construire sur ce système. Elles devraient, en effet, porter avec elles non-seulement le charbon nécessaire à l’alimentation du foyer, non-seulement l’eau qui doit remplacer incessamment dans la chaudière celle qui est graduellement transformée en vapeur, mais encore une énorme quantité d’eau froide destinée à opérer la condensation. Une telle machine ne produirait pas de grands effets elle pourrait à peine se traîner elle-même. Le besoin de se soustraire à la nécessité de la condensation de la vapeur, donne beaucoup de prix aux machines à haute pression.

Dans ces machines, quand la vapeur a poussé, par exemple, le piston de bas en haut, l’ouverture d’un robinet lui permet de s’échapper dans l’air. C’est la différence d’élasticité qui détermine cet écoulement ; il cesse donc dès que la pression de la vapeur intérieure ne surpasse plus celle de l’atmosphère. Ainsi le corps de pompe n’est pas entièrement vidé, comme dans le cas de l’injection. La vapeur qui après l’oscillation ascendante devra pousser le piston de haut en bas, aura donc à surmonter une résistance égale à la pression atmosphérique, avant de produire aucun effet utile. La même remarque s’applique à l’oscillation ascendante, car au moment où elle s’opère, le haut du corps de pompe renferme de la vapeur et ainsi de suite.

Papin est le premier qui ait construit une machine dans laquelle la vapeur à haute pression s’échappait dans l’atmosphère après avoir produit son effet. Cette machine était exclusivement destinée à élever de l’eau. Leupold, qui l’a fait connaître, en a décrit une du même genre en 1724, dans son Theatrum Machin. hydraul. Celle-ci était à piston et à balancier, mais à simple effet. Enfin, en 1802, MM. Trevithick et Vivian obtinrent, en Angleterre, une patente pour une machine à haute pression et il double effet, qui a été appliquée, soit par eux, soit par d’autres constructeurs, au mouvement des voitures sur des ornières en fer. Dans sa première patente de 1769, Watt s’était déjà réservé le droit, « pour le cas où l’eau froide serait rare, de faire marcher les machines à l’aide de la seule vapeur, laquelle pourrait s’échapper dans l’air après qu’elle aurait produit son effet ; » mais il ne paraît pas qu’on ait jamais construit dans ses ateliers une seule machine

sur ce principe.
§ 2. — Machines à haute pression et à condensation.

Il existe des machines à haute pression dans lesquelles on condense la vapeur après qu’elle a agi, comme dans les machines à pression simple. Les machines de cette espèce, les plus estimées, sont celles que M. Arthur Woolf a proposées en 1804 ; mais elles ne pourraient pas être appliquées aux appareils locomotifs. Dans les machines de cet ingénieur, la vapeur à haute élasticité venant directement de la chaudière, pénètre d’abord dans un premier corps de pompe, tantôt par-dessus et tantôt par-dessous, comme dans une machine à double effet. Seulement cette vapeur n’est pas condensée aussitôt qu’elle a amené le piston à l’une des deux extrémités de sa course ; M. Woolf en tire encore un certain parti avant de l’anéantir voici de quelle manière.

À côté du premier corps de pompe, il en existe un second de même hauteur environ, mais d’un plus grand diamètre. La partie supérieure du premier communique par un tuyau avec la partie inférieure du second, et réciproquement. Quand la vapeur a poussé le piston du premier cylindre jusqu’au bas de sa course, au moment précis où ce même piston commence à monter par l’action de la nouvelle vapeur, venant directement de la chaudière, qui le pousse de bas en haut, toute la vapeur dont le cylindre qu’il parcourt est rempli, et qui a déjà amené le premier mouvement descendant, se répand dans le second cylindre au-dessous de son piston et le pousse aussi de bas en haut. Ainsi, les deux pistons marchent dans le même sens. Dis que ce mouvement est achevé, la vapeur dilatée qui occupe toute la capacité du grand cylindre, va se liquéfier dans un condenseur isolé. Une nouvelle quantité de vapeur venant de la chaudière se rend alors au-dessus du premier cylindre et pousse son piston de haut en bas. L’ancienne vapeur, dont tout le bas de ce cylindre était rempli à la suite du premier mouvement, passe en se dilatant au-dessus du piston du second cylindre et le force à descendre, en sorte que les deux pistons, encore cette fois, marchent dans le même sens. Si chaque piston porte une tige verticale, et si les deux tiges sont attachées à deux points du balancier situés du même côté de son centre de rotation, les oscillations que ce balancier éprouvera, s’opéreront en vertu des impulsions réunies des deux pistons ; la même vapeur aura donc produit deux effets avant d’être condensée[20].

Cette machine de Woolf est une véritable machine à détente, assez semblable à celle que M. Hornblower a décrite dans sa patente de 1781. On ne voit point à priori pourquoi la détente de la vapeur ne produirait pas, en l’opérant comme Watt l’avait proposé, dans un seul corps de pompe, autant d’effet qu’en suivant le système de Woolf. Des expériences publiées dans les Rapports mensuels des Mines de Cornouailles, semblent, il est vrai, très-favorables à ce système mais elles n’obtiendront l’assentiment général qu’après qu’on les aura faites en rendant tout égal de part et d’autre, à l’exception du mode de dilatation de la vapeur.

CHAPITRE IV
bateaux à vapeur

L’application des machines à vapeur à la navigation est, de toutes les inventions des mécaniciens modernes, celle qui, dans certaines contrées, en Amérique, par exemple, semble devoir donner les plus importants résultats. Aussi la question de priorité a-t-elle été l’objet d’une controverse fort animée. Dès l’origine, on amis la France hors de cause le débat a paru ne devoir s’établir qu’entre les Anglais et les Américains du Nord. Ceux-ci attribuent l’application à Fulton. Les Anglais produisent les écrits, fort antérieurs, de Jonathan Hull et de Patrick Miller, L’argument est sans réplique contre Fulton ; mais n’existe-t-il pas des ouvrages encore plus anciens que celui de Jonathan Hull, et dans lequel les idées de ce mécanicien se trouveraient déjà consignées ? Le lecteur va juger si mes recherches à cet égard ont été infructueuses.

L’ouvrage de Jonathan Hull est de 1737. Voici la traduction du titre « Description et Figure d’une machine nouvellement inventée pour amener les navires et les vaisseaux dans les rades, les ports et les rivières, ou pour les en faire sortir contre le vent et la marée, ou par un temps calme à l’occasion de laquelle S. M. Georges II a accordé des lettres-patentes au profit de l’auteur, qui en jouira l’espace de quatorze ans ; par Jonathan Hull. »

Cet ouvrage renferme, 1o la figure et la description de deux roues palettes placées sur l’arrière du bâtiment l’auteur voulait substituer ces roues aux rames ordinaires ; 2o la proposition de faire tourner les axes des roues à l’aide de la machine de Newcomen, alors bien connue, mais employée seulement, d’après les propres expressions de Hull pour élever de l’eau à l’aide du feu. (With wich, he (Newcomen) raises water by fire.)

L’ouvrage de Patrick Miller parut à Edinburgh en 1787. On y trouve aussi la description des roues à palettes, considérées comme moyen de faire avancer les bateaux dans les canaux, et l’indication des essais auxquels l’auteur s’était livré pour faire tourner ces roues convenablement. Ce dernier article se termine par la remarque suivante : « J’ai quelque raison de croire que la force de la machine à vapeur peut être employée pour faire tourner les roues, de manière à leur donner un mouvement plus prompt et à augmenter conséquemment la vitesse du bateau. »

Voilà tout ce que les critiques anglais ont rapporté de plus précis et de plus ancien, dans les discussions qu’ils ont eues avec leurs antagonistes d’Amérique[21]. Je vais maintenant fournir aussi mon contingent.

L’ouvrage de Papin, que j’ai tant de fois cité, le Recueil de 1695, renferme textuellement ce qui suit, aux pages 57, 68, 59 et 60.

« Il serait trop long de rapporter ici de quelle manière cette invention (celle de la machine a vapeur atmosphérique) se pourrait appliquer à tirer l’eau des mines, à jeter des bombes, à ramer contre le vent. Je ne puis pourtant m’empêcher de remarquer combien cette force serait préférable à celle des galériens pour aller vite en mer. Suit la critique des moteurs animés, qui occupent, dit l’auteur, un grand espace et consomment beaucoup, lors même qu’ils ne travaillent pas. Il remarque que ses tuyaux (ses corps de pompe) seraient moins embarrassants ; « mais, comme ils ne pourraient pas, dit-il, commodément faire jouer des rames ordinaires, il faudrait employer des rames tournantes. » Papin rapporte qu’il a vu de semblables rames attachées à un essieu sur une barque du prince Robert, et que des chevaux les faisaient tourner. Quant à lui, comme c’est le mouvement de va-et-vient de son piston qu’il veut transformer en mouvement de rotation, voici comment il s’y prendrait : « Il faudrait que les manches des pistons fussent dentés pour tourner de petites roues dentées, affermies sur les essieux des rames. » Mais comme un piston ne fait aucun effort utile dans le bas de sa course, pour que le mouvement de rotation soit continu, il imagine d’employer plusieurs corps de pompe dont les pistons marcheraient en sens contraires l’un commencerait à descendre quand un autre serait arrivé au bas de sa course, etc. « Mais on m’objectera peut-être, ajoute Papin, que les dents des manches des pistons (des crémaillères) étant engagées dans les dents des roues, devraient, en montant et en descendant, donner à l’essieu des mouvements opposés, et qu’ainsi les pistons montants empêcheraient le mouvement de ceux qui descendraient, ou ceux qui descendraient empêcheraient le mouvement de ceux qui devraient monter. Mais cette objection est facile à résoudre car c’est une chose fort ordinaire aux horlogers d’affermir des roues dentées sur des arbres ou essieux, en telle sorte qu’étant poussées vers un côté elles font nécessairement tourner l’essieu avec elles ; mais vers le côté opposé, elles peuvent tourner librement sans donner aucun mouvement à l’essieu, qui peut ainsi avoir un mouvement tout opposé à celui desdites roues. Toute la plus grande difficulté ne consiste donc qu’à ériger une manufacture pour faire avec facilité des tuyaux légers, gros et égaux d’un bout à l’autre, etc. »

Papin a donc proposé, dans un ouvrage imprimé, de faire marcher les navires à l’aide de la machine à vapeur, 42 ans avant Jonathan Hull, qui est regardé en Angleterre comme l’inventeur.

Le procédé que Papin indique pour transformer le mouvement rectiligne du piston en un mouvement de rotation continu, n’est pas inférieur, je crois, à celui du mécanicien anglais ; car, dans ce dernier, les roues attachées à l’axe principal et les roues à palettes, ne communiquent entre elles que par des cordes.

Les deux corps de pompe, agissant alternativement, dont Papin songea à se servir pour régulariser le mouvement des roues, ne sont pas tant à dédaigner qu’on pourrait le croire : M. Maudsley, l’un des plus habiles constructeurs qu’il y ait en Angleterre, les a employés récemment pour suppléer, sur plusieurs de ses grands bateaux, au volant, qui ne s’installe pas sans de grandes difficultés dans un espace resserré.

La substitution d’une roue à palettes aux rames ordinaires, n’appartient ni à Papin ni à Hull ; sans parler de la chaloupe du prince Robert, citée par le premier, nous trouverions dans des auteurs fort anciens des preuves évidentes de l’emploi des roues. Quant aux premières expériences exactes qui aient permis de juger des avantages relatifs de ces deux modes d’impulsion, elles ne remontent guère qu’à l’année 1699, et c’est à M. du Quoi qu’on les doit[22]. (Voy. Machines approuvées par l’Académie, t. Ier.)

En parlant des machines à vapeur en général, j’ai essayé de faire la part des inventeurs proprement dite et celle des ingénieurs qui, les premiers, les ont exécutées. Si nous suivons ici la même marche, nous trouverons

Que M. Perier est le premier qui, en 1775, ait con- struit un bateau à vapeur (un ouvrage de M. Ducrest, imprimé en 1777, renferme la discussion des expériences auxquelles cet ingénieur avait assisté ; leur date est ainsi constatée authentiquement) ;

Que des essais sur une plus grande échelle furent faits en 1778, à Baume-les-Dames, par M. le marquis de Jouffroy ;

Qu’en 1781 M. de Jouffroy, passant de l’expérience à l’exécution, établit réellement sur la Saône un grand bateau du même genre qui n’avait pas moins de 46 mètres de long avec 4 à 5 mètres de large ;

Que le ministère d’alors adressa à l’Académie des sciences, en 1783, le procès-verbal des résultats favorables donnés par ce bateau, dans la vue de décider si M. de Jouffroy avait droit au privilége exclusif qu’il réclamait[23] (MM. Borda et Perier furent nommés commissaires) ;

Que les essais faits en Angleterre par M. Miller, lord Stanhope et M. Symington sont d’une date bien postérieure (les premiers doivent être rapportés à l’année 1791 ceux de lord Stanhope à 1795, et l’expérience faite par Symington, dans un canal d’Écosse, à l’année 1801) ; Qu’enfin les tentatives de MM. Livingston et Fulton, à Paris, n’étant que de 1803, elles pourraient d’autant moins donner des titres à l’invention, que Fulton avait eu, en Angleterre, une connaissance détaillée des essais de MM. Miller et Symington, et que plusieurs de ses compatriotes, M. Fitch, entre autres, s’étaient livrés sur cet objet à des expériences publiques dès Tannée 1786. Disons toutefois que le premier bateau à vapeur auquel on n’ait pas renoncé après l’avoir essayé ; que le premier qui ait été appliqué au transport des hommes et des marchandises, est celui que Fulton construisit à New-York en 1807, et qui fit le voyage de cette ville à Albany, En Angleterre, le premier bateau à vapeur qu’on y ait vu en activité pour les besoins du commerce et des voyageurs, date de 1812 seulement ; il naviguait sur la Clyde et s’appelait la Comète. Le second date de 1818 ; il faisait la traversée de Yarmouth à Norwich.

CHAPITRE V
invention des principaux organes des machines à vapeur
§ 1. — Artifices qui donnent à la machine à vapeur la propriété de marcher d’elle-même et sans le secours d’aucun ouvrier.

Les premières machines de Newcomen exigeaient la présence constante d’une personne qui ouvrît ou fermât à propos alternativement divers robinets, tantôt pour introduire la vapeur aqueuse dans le corps de pompe, tantôt pour y amener l’eau destinée à la condenser. La tradition attribue à un enfant, nommé Humphry Potter, la première invention du mécanisme à l’aide duquel la machine elle-même tourne les robinets à l’instant convenable. On raconte que Potter, contrarié un jour de ne pouvoir pas aller jouer avec ses camarades, imagina d’attacher les extrémités de quelques ficelles aux manivelles des deux robinets qu’il devait ouvrir et fermer ; les autres extrémités ayant été liées au balancier, les tractions que celui-ci occasionnait en montant ou en descendant, remplaçaient les efforts de la main. L’ingénieur Beighton perfectionna beaucoup cette première idée, en fixant verticalement au balancier une tringle de bois, nommée en anglais plug-frame. Cette tringle était armée de différentes chevilles qui venaient presser, aux moments convenables déterminés par les excursions du balancier, les tiges des différentes soupapes. Le mécanisme de Beighton fut adopté par Watt avec quelques modifications avantageuses. Maintenant, la distribution de la vapeur dans les diverses parties du corps de pompe, s’opère par un moyen plus simple et qui a permis de renoncer entièrement au plug-frame, du moins dans les machines dont la force n’est pas excessive et qui sont destinées à faire tourner un axe. Ce moyen, dont je n’essaierai pas de donner ici une description qui, sans figures, serait peut-être inintelligible, s’appelle un tiroir ou glissoir'. Une roue excentrique attachée il l’arbre que la machine doit faire tourner, imprime aux tiroirs deux mouvements opposés pendant chacune de ses révolutions ces deux mouvements suffisent pour amener successivement la vapeur de la chaudière au-dessus et au-dessous du piston, et pour fournir à celle qui a déjà agi, un écoulement convenable vers le condenseur.

Le mécanisme du tiroir et de son excentrique a été imaginé par M. Murray, de Leeds, en 1801.

Dans les machines à forte pression et à double effet, la vapeur se rend successivement dans le haut et dans le bas du corps de pompe, et lorsqu’elle a produit son effet, elle s’écoule dans l’atmosphère. Tout cela n’exige qu’un quart de tour d’un seul et même robinet, désigné par le nom de robinet à quatre voies ou à quatre fins. Cet appareil, extrêmement ingénieux, est également employé de nos jours dans toutes les grandes machines à colonne d’eau exécutée » en Allemagne. C’est à Papin qu’on en doit l’invention on le voit dans la machine à haute pression de ce mécanicien dont Leupold nous a conservé la figure, et dans celle que Leupold lui-même a proposée plus tard, c’est-à-dire en 1724.

§ 2. — Manivelles et volants.

M. Keane Fitzgerald publia dans les Transactions philosophiques, en 1758, p. 727 et suiv., la description d’un procédé propre à transformer te mouvement rectiligne de va-et-vient qu’éprouve le piston d’une machine à feu, en un mouvement de rotation continu. il se servait pour cela d’un système assez compliqué de roues dentées, parmi lesquelles plusieurs devaient être à rochet. Jusque-là, la méthode de cet ingénieur rentre dans celle de Papin ; mais il avait imaginé, de plus, de joindre à son mécanisme un volant c’est un moyen précieux de régulariser le mouvement des machines à feu qui, de nos jours, est généralement employé, et dont il est juste de faire honneur à M. Keane Fitzgerald.

Tant que te mouvement oscillatoire du balancier d’une machine à feu ne se transmettait à un axe de rotation que par l’intermédiaire de roues dentées, on était exposé à des ruptures, très-fâcheuses en elles-mêmes et plus encore à cause des interruptions de travail qu’elles occasionnaient. En 1778, M. Washbrough, de Bristol, proposa d’opérer cette communication à l’aide d’une manivelle coudée faisant corps avec l’axe tournant c’était, comme on voit, se servir du moyen qui se trouve dans tous les rouet » des fileuses, dans toutes les roues des rémouleurs. Néanmoins une patente avait été prise, un privilège avait été concédé, et un artifice que tout le monde aurait pu employer quand le moteur était le pied d’un homme ou un courant d’eau, se trouvait interdit à l’ingénieur dont la machine marchait à l’aide de la vapeur. Afin de se soustraire à la redevance qu’il aurait dû payer à M. Washbrough pour chacune de ses machines, Watt se servit, jusqu’à l’expiration du brevet dont ce dernier était en possession, d’une communication de mouvement un peu différente ; chez lui tout s’opérait à l’aide d’une roue dentée liée à l’axe tournant, qu’il appelait la roue solaire, parce que son centre demeurait fixe, et d’une autre roue également dentée, attachée à l’extrémité de la bielle du balancier, et que par opposition il nommait la roue planétaire. Il serait inutile de décrire ce mécanisme plus particulièrement, puisque Watt lui-même revint à la manivelle simple dès qu’il le put.

§ 3. – Moyens de diriger verticalement la tige du piston et de la lier su balancier.

Dans la machine à simple effet de Newcomen ou de Watt, le balancier se terminait par un arc de cercle, et une chatne flexible, attachée à l’extrémité de cet arc la plus éloignée du piston, était le seul moyen de communication de ces deux parties de l’appareil. Quand le piston descendait par la pression de l’atmosphère, il tirait le balancier ; quand le piston remontait par l’action d’un contre-poids placé à l’extrémité opposée, c’était le balancier qui tirait le piston. Or, une chaîne, située entre deux points, quelque flexible qu’elle suit, est toujours un excellent moyen d’opérer une traction ; son emploi, dans la machine à simple effet, ne pouvait donc donner lieu à aucune difficulté.

Il n’en est pas ainsi de la machine à doubla effet. Dans son excursion descendante, le piston tire bien le balancier ; mais dans le mouvement suivant, ou quand le balancier remonte, il doit être poussé de bas en haut or, une chaîne flexible ne peut jamais servir à pousser. L’ancien mécanisme exigeait donc ici une modification.

La première qu’on ait employée consistait à denter la portion de la tige du piston qui reste toujours en dehors du corps de pompe, à en former une véritable crémaillère et à la faire engrener dans un arc circulaire également denté, fixé à l’extrémité du balancier. C’était ce que Papin avait proposé en 1695,

Plus tard, Watt imagina une méthode de beaucoup préférable, et qui maintenant est généralement adoptée partout ou l’espace ne manque pas c’est celle qu’on appelle méthode du parallélogramme ou du mouvement parallèle. Il me serait bien difficile d’on donner sans figures une description complète. Je me contenterai de dire qu’un parallélogramme aux quatre angles duquel se trouvent quatre tourillons, et qui, conséquemment, peut prendre toutes sortes de formes sans cesser d’être parallélogramme, est fixé par ses deux angles supérieurs au balancier de la machine ; que la tige du piston est attachée à l’un des angles inférieurs, et que le quatrième angle est lié à une verge rigide, inextensible, et mobile autour d’un centre fixe. Quelle que puisse être la position de ce centre, il suffit que le levier qui en part ait une longueur invariable, pour que le parallélogramme se déforme inévitablement durant les oscillations du balancier, pour qu’il soit tantôt rectangle et tantôt obliquangle. Mais, quand le centre auquel le levier aboutit est convenablement choisi (c’est en cela que la découverte de Watt consiste), l’angle du parallélogramme mobile et de forme variable auquel la tige du piston est attachée, ne quitte pas sensiblement la verticale pendant les oscillations du balancier. La tige du piston se trouve ainsi parfaitement dirigée, et sa communication avec le balancier ayant lieu par l’intermédiaire d’un système rigide, elle peut tout aussi bien tirer le balancier de haut en bas durant le mouvement descendant du piston, que le pousser de bas en haut quand le piston remonte.

Le parallélogramme articulé excite au plus haut degré l’attention des personnes qui voient pour la première fois marcher une machine à vapeur. Aux yeux du mécanicien exercé, il se présente comme un appareil d’une exécution facile, entièrement exempt de secousses, et susceptible d’une durée indéfinie. C’est incontestablement une des plus ingénieuses inventions de Watt. La patente dans laquelle elle se trouve décrite est du mois d’avril 1784.

§ 4. — Régulateur à force centrifuge.

Le tuyau qui, dans les machines de Watt, amène la vapeur de la chaudière dans le corps de pompe, renferme une plaque mince ou soupape semblable aux plaques qu’on adapte aux tuyaux de nos poêles. Dans une certaine position, la plaque laisse l’ouverture du tuyau presque entièrement libre ; dans une autre, le tuyau est tout à fait fermé ; pour les positions intermédiaires, l’ouverture a des dimensions plus ou moins grandes suivant qu’on s’approche davantage des deux limites dont je viens de parler. Les mouvements de la plaque peuvent s’opérer à l’aide d’un axe qui se prolonge jusqu’à l’extérieur du tuyau.

Si la soupape est entièrement ouverte, la vapeur remplit le corps de pompe très-rapidement si elle est presque fermée, il faut, au contraire, un temps assez long pour opérer l’écoulement de la même quantité de vapeur. Or, le nombre de secondes que les oscillations du piston exigent dépend évidemment de la rapidité avec laquelle la vapeur va le presser sur l’une ou l’autre de ses faces. La soupape tournante du tuyau donne donc, jusqu’à un certain point, le moyen de régulariser cette vitesse. Si l’axe qui la porte est termine par un coude de manière à former à l’extérieur une manivelle, il suffira de la faire tourner dans un sens ou dans le sens contraire pour accélérer ou retarder les oscillations du piston. Il faudra, par exemple, que la manivelle monte si le piston va trop vite et qu’on veuille le retarder ; qu’elle descende, au contraire, quand il va trop lentement. En adaptant à la machine une pièce qui doive nécessairement monter quand son mouvement s’accélère, et nécessairement descendre dès qu’il se ralentit, le problème se trouvera résolu, car il suffira de lier cette pièce d’une manière quelconque à la manivelle de la soupape. Tel est l’objet du mécanisme que Watt appelait le gouverneur (governor), et qu’on nomme plus généralement aujourd’hui régulateur à force centrifuge, Cet appareil est formé d’un axe vertical que la machine fait tourner plus ou moins rapidement, suivant qu’elle marche ellemême plus ou moins vite. Sur l’extrémité supérieure de cet axe se trouve implanté un tourillon horizontal auquel deux tringles métalliques sont suspendues par des collets un peu libres, de manière qu’elles puissent s’écarter plus ou moins de la verticale. Chaque tringle porte dans le bas une grosse boule métallique. Quand l’axe vertical est mis en mouvement par la machine les boules qui tournent avec lui s’en écartent jusqu’à une certaine limite, par l’effet de leur force centrifuge. Si le mouvement s’accélère, l’écartement devient plus fort ; il diminue dès que le mouvement se ralentit. Les boules montent donc dans le premier cas, et elles descendent dans le second. Ces oscillations ascendantes et descendantes se communiquent par des leviers à la manivelle de la soupape tournante du tuyau qui fournit la vapeur, et tout changement trop considérable dans la vitesse de la machine se trouve ainsi prévenu.

Cet appareil, composé de tringles mobiles portant des boules, ce pendule conique (c’est le nom qu’on lui donnait autrefois) avait été employé fort anciennement comme régulateur dans les moulins à farine. On s’en était également servi pour régler l’ouverture de la vanne que traverse le liquide destiné à mettre une roue à augets en mouvement. Cette dernière application était exactement semblable, pour le but et pour les moyens, à celle que Watt en a faite a la machine à vapeur dans l’année 1784.

§ 5. – Soupape de sûreté.

Le feu placé sous les chaudières des grandes machines n’est jamais réglé avec assez d’uniformité pour qu’on puisse éviter de donner, de temps en temps, à la vapeur dont ces chaudières sont à moitié remplies, une force élastique supérieure à celle que la résistance de leurs parois surmonterait. Prévenir cet inconvénient et les dangereuses explosions qui en seraient la suite, tel est le but du petit appareil qu’on nomme avec raison une soupape de sitreté.

La soupape de sûreté a été inventée par Papin. Elle forme une partie essentielle de son digesteur, et l’on en trouve la description aux pages 6, 7, 8, 9 et 10 d’un petit ouvrage imprimé à Paris en 1682 sous le titre de La Manière amollir les os, etc., etc.[24]. Le mécanisme de Papin est précisément celui des soupapes de sûreté le plus généralement en usage aujourd’hui. Son principe d’ailleurs est très-simple.

On veut éviter qu’une chaudière éprouve jamais intérieurement des pressions trop fortes. Pour cela faire, on découpe circulairement une très-petite partie de sa paroi, et l’on couvre le trou qui en résulte avec une plaque bien dressée et mobile de dedans en dehors c’est comme si la portion correspondante de la chaudière était devenue mobile elle-même. Supposons que le trou ait, par exemple, un centimètre carré de surface. Papin calcule alors ce qu’un centimètre carré de la chaudière éprouvera de pression quand l’élasticité de la vapeur y aura atteint la limite convenue ; on trouve ainsi de quel poids le bouchon doit être chargé, pour qu’il ne soit pas soulevé dans toutes les pressions inférieures à cette limite, et pour qu’il se soulève, au contraire, et donne un libre passage à la vapeur, dès que la limite en question est dépassée. Ce moyen présenterait quelques inconvénients si la soupape ayant une grande ouverture, la pression devait être un peu forte les poids dont il faudrait alors la charger seraient très-considérables et d’un ajustement difficile ; aussi Papin préféra-t-il agir sur la plaque mobile par l’intermédiaire d’un levier. Un poids médiocre suffit alors pour contre-balancer les plus fortes pressions. Ce poids, suspendu successivement sur des entailles pratiquées le long du levier, à diverses distances du centre de rotation, comme le poids d’une romaine, procure des pressions variables et graduées parmi lesquelles le mécanicien adopte journellement celle qui convient le mieux au genre de travail qu’il veut exécuter.

Je suis entré dans tous ces détails concernant la soupape de sûreté de Papin, parce que ce petit appareil est d’une extrême importance ; parce qu’il prévient en très-grande partie les accidents désastreux auxquels les explosions des chaudières donnaient inévitablement lieu avant sun adoption parce qu’enfin j’ai trouvé ainsi une nouvelle occasion de rendre à notre compatriote une justice qu’on lui a trop longtemps refusée[25].

À l’époque où des explosions de marmites autoclaves montrèrent qu’une soupape de sûreté ordinaire ne peut pas être confiée sans danger à des mains inexpérimentées, on songea à munir ces ustensiles d’une pièce qui dût agir inévitablement d’elle-même dès que la température serait devenue trop élevée. On fit choix pour cela de l’alliage connu des chimistes sous le nom de métal fusible, et qui est composé de bismuth, d’étain et de plomb. Une portion de cet alliage ajustée sur un trou fait à la marmite, se fondait et laissait le trou libre dès que la vapeur acquérait une élasticité, ou, ce qui est la même chose, une température trop forte. Depuis, ces plaques fusibles sont appliquées en France à toutes les chaudières des machines à haute pression l’autorité en a imposé l’obligation. Le degré de fusibilité de la plaque, variable avec la proportion des divers métaux qui entrent dans sa formation, est toujours réglé d’avance par l’élasticité sous laquelle le constructeur annonce que sa machine marchera.

CHAPITRE VI
résumé et conclusions

Je n’ai parlé que des machines à vapeur éprouvées par une longue expérience. J’avais l’intention de consacrer quelques pages aux machines qui ne sont encore, pour ainsi dire, qu’en projet, telles que les machines à rotation immédiate, les machines à explosion de gaz hydrogène, les machines à gaz liquéfié mais la trop grande étendue que cette Notice avait acquise m’a forcé de renoncer à mon projet. Par la même raison, j’ai supprimé aussi les considérations détaillées que je voulais exposer sur les meilleures formes des chaudières et des fourneaux sur les causes présumées des explosions que les chaudières éprouvent si fréquemment ; sur les effets les plus avantageux fournis par les machines les plus parfaites que l’on connaisse ; sur ceux que des améliorations futures pourront donner un jour, à en juger par les connaissances qu’on a acquises depuis plusieurs années sur les propriétés de la vapeur, etc. Je me contenterai de présenter, en terminant mon étude historique sur l’invention de la machine à vapeur, un résumé succinct des diverses conséquences qui me paraissent en découler

I

1615. Salomon de Caus est le premier qui ait songé à se servir de la force élastique de la vapeur aqueuse, dans la construction d’une machine hydraulique propre à opérer des épuisements.

1690. C’est Papin qui a conçu la possibilité de faire une machine à vapeur aqueuse et à piston.

1690. C’est Papin qui a combiné le premier dans une môme machine à feu et à piston, la force élastique de la vapeur d’eau avec la propriété dont cette vapeur jouit de se précipiter par le froid.

1705. Newcomen, Cawley et Savery, ont vu les premicrs que, pour amener une précipitation prompte de la vapeur aqueuse, il fallait que l’eau d’injection se répandit sous forme de gouttelettes dans la masse même de cette vapeur.

1769. Watt a montré les immenses avantages économiques qu’on obtient en remplaçant la condensation qui s’opérait avant lui dans l’intérieur du corps de pompe, par la condensation dans un vase séparé.

1769. Watt a signalé le premier le parti qu’on pourrait tirer de la détente de la vapeur aqueuse.

II

1690. Papin a proposé le premier de se servir d’une machine à vapeur pour faire tourner un arbre ou une roue, et a donné, pour atteindre ce but, un mode particulier de transformation d’un mouvement rectiligne alternatif en un mouvement de rotation continu. Jusqu’à lui, les machines à feu avaient été considérées comme propres seulement à opérer des épuisements.

1690. Papin a proposé la première machine à feu à double effet mais à deux corps de pompe.

1769. Watt a inventé la première machine à double effet et à un seul corps de pompe.

III

Avant 1710, Papin avait imaginé la première machine à vapeur à haute pression et sans condensation.

1724. Leupold a décrit la première machine de cette espèce à piston.

1801. Les premières machines à haute pression locomotives sont dues à MM. Trevithick et Vivian.

IV

1690. Papin doit être considéré comme le véritable inventeur des bateaux à vapeur.

V

Dans les pièces principales dont une machine à vapeur se compose

1718. Beighton a inventé la tringle verticale, mobile avec le balancier, ou plug-frame, qui ouvre et ferme les soupapes dans les grandes machines.

1758. Fitzgerald s’est servi le premier d’un volant pour régulariser le mouvement de rotation communiqué à un axe par une machine à vapeur.

1778. Washbrough a employé la manivelle coudée pour transformer le mouvement rectiligne du piston eu mouvement de rotation.

1784. Watt a imaginé le parallélogramme articulé.

1784. Watt a appliqué, avec beaucoup d’avantage, à ses diverses machines, le régulateur à force centrifuge, déjà connu avant lui.

1801. Murray a décrit et exécuté les premiers tiroirs ou glissoirs manœuvrés par un excentrique.

Avant 1710, Papin avait inventé les robinets à quatre voies, qui jouent un si grand rôle dans les machines à haute pression.

1682. Papin a inventé la soupape de sûreté.

CHAPITRE VII
EXAMEN DES OBSERVATIONS CRITIQUES DONT LA NOTICE PRÉCÉDENTE A ÉTÉ L’OBJET

La première édition de la Notice historique qu’on vient de lire remonte à 1828 (Annuaire du Bureau des Longitudes pour 1829). Alors les résultats de ce petit travail étaient, sous beaucoup de rapports, trop éloignés des idées généralement admises chez nos voisins d’outre-mer, pour que j’eusse pu me flatter qu’ils ne soulèveraient pas des objections. Les objections, en effet, ne se firent point attendre. D’abord timides et anonymes, elles se hasardèrent dans quelques coins inaperçus des journaux politiques. Bientôt cependant il se présenta un ingénieur, M. Ainger, qui les prit sous sa responsabilité, qui les réunit en faisceau, qui en composa une réfutation en forme. M. Ainger était peu connu dans le monde scientifique : son nom ne rappelait aucun de ces travaux qui commandent la confiance ; j’avais donc toute raison de supposer que la réfutation de ma Notice, annoncée d’ailleurs avec beaucoup d’éclat, serait jugée sans partialité et d’après sa valeur réelle. Je crois qu’il n’en fut pas ainsi : le Quarterly journal of the Royal Institution s’empressa de lui ouvrir ses colonnes, de l’enrichir de nombreuses et jolies gravures ; plusieurs lectures publiques, dans les beaux salons d’Albermarle street, suppléèrent aux lenteurs inévitables de la presse ; ma défaite, enfin, imprimait-on de toute part, était complète, irrévocable, humiliante : je n’avais pas cité fidèlement ; mes figures fourmillaient d’inexactitudes ; je m’étais abstenu, sciemment, de parler de plusieurs auteurs, tant anciens que modernes, dans lesquels les mécaniciens français avaient dû puiser leurs prétendues inventions, etc., etc. !!!

Je ne pensai pas devoir rester sous le coup d’imputations aussi graves ; aussitôt que l’article de M. Ainger eut paru, je le réfutai. Mon antagoniste avait oublié les règles de la politesse la plus commune ; j’eus la faiblesse de m’en irriter et de lui répondre avec une vivacité qui, toute provoquée qu’elle était, ne pouvait convenir à l’Annuaire du Bureau des Longitudes. Aucun autre moyen naturel de publication ne s’étant offert à moi, pour le moment, je jetai mon manuscrit dans un carton d’où probablement il ne serait jamais sorti, sans la circonstance singulière dont je vais rendre compte.

J’allais mettre le bon à tirer sur la dernière feuille de la troisième édition de ma Notice, dans l’Annuaire de 1837, lorsque je reçus du docteur Mease, de Philadelphie, un article relatif aux machines à vapeur, faisant partie de l’édition américaine du l’Encyclopédie du docteur Brewster. Cet article renferme, sans aucune réflexion critique, une partie du Mémoire de M. Ainger ; mais, dans la lettre manuscrite qui l’accompagnait, M. Meuse exprime le regret de n’avoir pu se procurer ma réponse, et s’engage à la donner dans un supplément dès qu’elle lui purviendra, lue personne éclairée et bienveillante a mon égard, trompée par le ton d’assurance de M. Ainger, a donc pu attribuer quelque valeur ses arguments. J’avoue que je ne le croyais pas possible j’avoue que je me reposais avec confiance sur ces quelques paroles que m’adressait, en 1834, un savant anglais que tout le monde prendrait pour juge en pareille matière : « Ce que vous avez voulu établir dans votre histoire des machines à vapeur, est a mes yeux prouvé mathématiquement. » Mais, puisque cette conviction n’existe pas encore de l’autre côté de l’Atlantique, je me décide, dans l’intérêt des sciences, comme aussi, pourquoi ne l’avouerais-je pas, dans l’intérèt de la gloire nationale, à exhumer un écrit que j’avais condamné à l’oubli. Je le donne, au surplus, tel qu’il fut composé en 1829, sauf quelques modifications de forme dont je viens d’indiquer les motifs. Je crains même, à vrai dire, que ces modifications n’aient pas été assez nombreuses, et qu’il ne soit re’sté çà et là plus d’un indice de la vivacité de ma première rédaction mais le temps m’a manqué pour faire d’autres changements.

Les critiques de M. Ainger sont de deux sortes. Dans les premières il me reproche une foule de prétendues erreurs dont j’aurais pu me rendre coupable sans que te fond de lu question se trouvai changé le moins du monde. Les autres sont plus sérieuses, car si M. Ainger avait raison, j’aurais eu moi le plus grand tort de mêler des noms français à l’histoire de la machine à feu ; celles-ci exigeront un examen minutieux. Disons d’abord quelques mots des critiques de détail.

« Ma Notice a excité, dit M. Ainger, plus d’attention qu’un sujet aussi vulgaire ne semblait le comporter… Cette attention extraordinaire s’explique pur le dernier paragraphe de la préface de M. Arago. »

Un auteur n’est pas responsable de l’attention, bien ou mal fondée, que le public daigne accorder à ses œuvres ; ainsi j’aurais pu ne pas noter l’explosion de mauvaise humeur de mon critique, si elle ne me fournissait une occasion, la seule peut-être que je trouverai dans ce chapitre, de me rapprocher de son avis. D’ailleurs le témoignage qu’il a bien voulu me transmettre de l’indulgence du public, expliquera le prix que je mets aujourd’hui à prouver qu’à défaut de tout autre mérite, ma Notice ne renfermait rien d’inexact.

Suivant M. Ainger, « j’ai accusé tous (all) les auteurs anglais, un seul excepté, d’avoir sacrifié la vérité à des préjugés nationaux. » Cette assertion n’a aucun fondement ; je n’en veux pour preuve que ce seul passage : « Lorsque MM. Thomas Young, Robison, Partington, Tredgold, Millington, Nicholson, Lardner, etc., présentaient le marquis de Worcester comme l’inventeur de la machine à feu, l’ouvrage de Salomon de Caus leur était sans doute inconnu. » Si l’on ne croyait pas à la sincérité de cette déclaration, je ferais remarquer que dans les sept noms qu’on vient de lire, se trouve celui d’un savant illustre (Thomas Young) qu’une mort prématurée a enlevé aux sciences, et dont j’ai eu l’avantage d’être l’ami durant un grand nombre d’années.

Ainsi je n’ai pas dit, ainsi je n’ai pas pu dire que tous les auteurs anglais, M. Stuart excepté, avaient sciemment altéré la vérité ; le lecteur jugera lui-même dans un moment si d’autre part, tous ces mêmes auteurs ont fait preuve d’impartialité.

D’après M. Ainger, la figure qui, dans ma Notice, accompagne la description empruntée à Salomon de Caus, d’une machine propre à élever de l’eau par l’action du feu, est inexacte. Avant de répondre, je placerai ici la copie trait pour trait (fig. 6, p. 86) du dessin original de Salomon de Caus.

Que le lecteur veuille bien maintenant consentir à écouter les critiques de M. Ainger. Selon lui, le tube d’ascension et le petit entonnoir servant à introduire le liquide dans la boule métallique, seraient l’un et l’autre trop longs dans la figure primitivement donnée (voir fig. 3, p. 15). Une seconde altération consisterait dans la suppression de la nappe liquide épanouie qui termine le jet ascendant.

J’avoue que n’ayant aucun argument à présenter sur la longueur de ces tubes, je n’avais point recommandé à la personne qui a copié la première figure, de conserver les proportions du dessin original. Quanta à la nappe d’eau, le graveur l’avait supprimée pour simplifier son travail. M. Ainger aurait même pu ajouter qu’il n’avait pas figuré l’eau dans la boule, et que les bûches enflammées, placées au-dessous, ne ressemblaient pas parfaitement à celles de Salomon de Caus. Je lui recommande ces observations si sa brochure arrive à une seconde édition.


Fig. 6. — Fac-simulé du dessin de la machine de Salomon de Cans.

L’extrême futilité des critiques dont je viens de parler ne doit pas m’empêcher d’ajouter une courte remarque : je n’ai annoncé nulle part, ni pour la figure d’Héron (fig. 2, p. 8), ni pour celle de Salomon de Caus (fig. 3, p. 15), qu’elles fussent copiées minutieusement et dans des proportions géométriquement exactes ; ainsi M. Ainger s’exposait à des observations sévères quand il disait :

« M. Arago donne la figure comme extraite du même ouvrage (celui de Salomon de Caus). »

En voyant à l’article Savery que M. Ainger revient une seconde fois sur cet allongement du tube, qu’il le présente comme une altération importante et faite à dessein, j’ai eu la curiosité de porter successivement un compas sur le tube de la figure 3 des premières éditions de cette Notice (voir ci-dessus, p. 15), et sur le jet liquide qu’on voit dans celle de Salomon de Caus (fig. 6) ; or, il arrive que le jet est de près de trois fois plus long que le tube. Ainsi M. Ainger se trouve dans cette alternative, ou de rétracter ses outrageantes insinuations, ou de soutenir que la force en vertu de laquelle un jet d’eau s’élance dans l’air ne porterait pas le liquide à la môme hauteur le long d’un tuyau. Je l’engagerai charitablement, a ne faire son choix à cet égard qu’après avoir consulté un traité d’hydraulique.

Cet allongement du tube parait avoir été aux yeux de M. Ainger un vrai coup de fortune. Il t’exploite de toutes les manières ; il n’en aurait pas retranché un millimètre pour un trésor, et cependant le tout avait fini par lui paraître bien long, puisqu’il déclare que les deux tubes sont indéfiniment allongés (indefinitely elongate). Je viens de dire que le tube est moins long que le jet de l’original ; aussi, quelque malveillance qu’on puisse avoir, il faut reconnaître que le changement, si changement il y a, n’a pas été fait dans la vue d’ajouter à la puissance de la machine. Si j’avais cru devoir insister sur les grandes hauteurs auxquelles la vapeur dans l’appareil de Caus pourrait élever l’eau, je les aurais trouvées non pas sur une figure sans échelle, mais bien dans cette phrase, déjà citée : « La violence est grande quand l’eau s’exhale en air par le moyen du feu… il est certain que si l’on met ladite balle (une balle de cuivre contenant de l’eau) sur un grand feu, en sorte qu’elle devienne trop chaude, il se fera une compression si violente, que la belle crèvera en pièces. »

J’avais pensé, en écrivant l’histoire de la machine à feu, que le meilleur moyen de ménager l’attention du lecteur, serait d’indiquer, pas à pas, en quoi chaque nouveau projet améliorait la machine déjà existante. C’est ainsi, par exemple, que j’ai analysé tous les perfectionnements apportés par Savery à la machine de Salomon de Caus. Cette méthode parait avoir singulièrement déplu à M. Ainger ; expliquer la machine de Savery et l’expliquer clairement sans avoir besoin d’en donner la figure, est à ses yeux un vrai scandale ; au reste, il ne dit, ni que la description soit inexacte (voir p. 34), ni qu’elle lui paraisse insuffisante le péché par omission qu’il me reproche a donc été seulement relevé pour faire nombre.

Au surplus, le lecteur peut juger par la figure suivante, copiée sur celle de Savery, que ma description était très-suffisante (fig. 7 et 8) ; en A on aperçoit le fourneau, en B la chaudière en C deux robinets qui tournés tour à tour tour, conduisent la vapeur successivement dans chacun des vases D ; ces deux vases D reçoivent vers le bas l’eau [à insérer] qui vient du niveau inférieur I par le tuyau d’aspiration II ; cette eau est refoulée par la vapeur dans le tuyau d’ascension G ces tuyaux d’ascension qui se bifurquent pour se rendre dans les vases D, sont munis de soupapes dont le jeu est facile à comprendre, et de robinets pour le cas où les soupapes auraient besoin d’être nettoyées.

Si quelqu’un avait la pensée de ne point circonscrire sa responsabilité dans les strictes limites de ses paroles : s’il était assez imprudent pour l’étendre aux conséquences qu’on pourrait en déduire, certains commontateurs l’en feraient bien repentir. Deux petites figures (fig. 4 et 5, pp. 24 et 26) m’ayant semblé propres il expliquer les idées qui dirigèrent Papin dans les tentatives variées auxquelles il se livra avant d’imaginer la machine à vapeur atmosphérique, je les plaçai dans la première édition de ma Notice, en tête des raisonnements dont elles étaient, en quelque sorte, la représentation graphique. Que fait à cette occasion M. Ainger ? Il dit que ces dessins se trouvant immédiatement sous le titre Denis Papin, le lecteur conséquemment en conclut qu’ils donnent les portraits de l’invention de Papin (the reader, of course concludes are the portraits of Papin’s invention) ; mais, ajoute-t-il, on aura de la peine a croire qu’ils ne sont rien de semblable ; qu’ils offrent les portraits d’un appareil exécuté quinze années plus tard par un Anglais, Newcomen. »

Ma réponse sera bien simple : en thèse générale, je n’accepte pas les conclusions qu’il prendra au premier venu de tirer de mes paroles ; je ne me sentirais pas de force à résister à ce genre d’attaque ; j’ajouterai, dans ce cas particulier, que n’ayant dit nulle part : « Les deux petites figures dont je me sers sont tirées des ou vrngos de Papin », il devrait m’importer peu d’entendre mon critique s’écrier qu’elles ne s’y trouvent pus ; mais j’ai parfaitement le droit de soutenir qu’elles y sont, car la machine dans laquelle Papin proposait de faire le vide sous le piston à l’aide d’une roue hydraulique éloignée (fig. 9, p. 92), n’est autre chose que celle dont j’ai donné le trait, sauf cette unique modification que la soupape ou plutôt le robinet destiné à laisser rentrer l’air, au lieu d’être situé sur la plaque métallique qui supporte le corps de pompe, comme dans mon dessin, est de côté, à l’extrémité d’un petit tuyau horizontal, aboutissant au fond de ce même corps de pompe. Si, profitant du peu d’habitude que les lecteurs d’un journal peuvent avoir des artifices des mécaniciens, M. Ainger a prétendu luire croire qu’un tel déplacement de la soupape ou robinet avait été fait dans la vue d’améliorer le projet de Papin, je ferai remarquer que jamais dans les machines modernes la soupape n’est au fond du corps de pompe ; que toujours, comme dans le véritable dessin que je reproduis ici (fig. 9), elle se trouve sur le tuyau à peu près horizontal qui amène la vapeur motrice.

Pour qu’on ne puisse avoir aucun doute sur la connaissance approfondie qu’avait Papin des divers moyens mécaniques nécessaires pour faire marcher la machine dont j’ai seulement résumé le principe, je donnerai la description textuelle faite par Papin lui-même de sa machine propre à transporter fort loin la force mouvante des rivières et tirer l’eau des mines. Cette description a paru en latin dans les Actes de Leipzig de 1688 ; il en a donné [à insérer] la traduction en français dans le Recueil de diverses pièce touchant quelques nouvelles machines, publié à Cossel en 1695. C’est cette traduction que je copie :

« Qu’on fasse, dit Papin, une grande roue comme AA (fig. 9), et qu’on la place à l’ouverture de la mine ; en telle sorte que la corde BBB, passant sur ladite roue, fasse monter et descendre l’un après l’autre deux seaux, dont l’un est ici marqué C, et qui, étant attachés aux deux bouts de ladite corde, doivent nécessairement avoir toujours des mouvements opposés, l’un en haut et l’autre bas. Par le centre de la roue AA, doit passer l’essieu DDD, et y être bien affermi ; et sur cet essieu doivent passer deux cordes EE, FF, de telle manière que les deux pistons GH, attachés au bas de ces cordes, ne puissent aussi monter ni descendre que l’un après t’autre, et que quand l’un descend l’autre doive nécessairement monter. Il faut concevoir ces pistons exactement ajustés aux tuyaux IILL : ainsi il est manifeste que si par le tuyau MM, par exemple, on tire l’air du tuyau LL, il faudra que le piston G soit pressé en bas avec beaucoup de force par l’air extérieur qui pèse dessus et qu’ainsi il fasse tourner l’essieu et la roue AA, par le moyen de la corde FF ce qui fera monter le piston H et le seau C, qu’on pourra vider de l’eau ou des autres matières qu’il aura apportées du fond de la mine et comme il se trouvera que le piston H sera en même temps parvenu en haut du tuyau II on pourra incontinent tirer l’air dudit tuyau II par le tuyau NN et ainsi le piston H, à son tour poussé en bas et fera monter le piston opposé G avec ; le seau attaché à l’autre bout de la corde BBB, et les matières dont il sera rempli. Il faut seulement avoir soin que l’air extérieur ait l’entrée libre au-dessous du piston qui monte ; car autrement le piston opposé ne pourrait le tirer en haut mais moyennant que cela se fasse et qu’on continue de tirer ainsi l’air de dessous les pistons l’un après l’autre, il est certain que l’on pourra venir à bout de ce que l’on prétend. Il ne me reste donc que de faire voir comment une rivière fort éloignée pourra tirer l’air de dessous les pistons.

« Qu’on fasse deux pompes OO, OO, dont les pistons VV doivent monter et descendre l’un après l’autre, quand on fait tourner l’essieu PPPP, et que sur cet essieu soit affermie la roue QQ qui doit être mise en mouvement par le courant de quelque rivière il est manifeste que si les pompes OO, OO, avec leurs pistons, sont garnies de soupapes de même (lue les pompes aspirantes le sont d’ordinaire, elles devront nécessairement tirer continuellement Pair par le tuyau RRRR et le robinet SS ; or il est facile de faire ledit robinet SS, en telle sorte qu’en tournant la clef comme il faut. l’on fera deux effets en même temps : l’un sera d’ouvrir l’entrée à l’air extérieur, au-dessous du piston qui doit monter l’autre sera de faire que la communication avec le tuyau RRR soit ouverte au-dessous du piston qui doit descendre et qu’elle soit fermée au-dessous du piston qui doit monter ainsi donc on viendra tacitement à bout de faire que lorsque le piston G, par exemple, est prêt à descendre du haut du tuyau LL, l’air extérieur n’aura point d’entrée au-dessous de ce piston, mais il y aura une communication libre par le tuyau MM et le robinet SS, jusques au tuyau RR ; mais qu’au contraire au-dessous du piston H l’air extérieur entrera librement, et la communication avec le tuyau RU sera absolument fermée. Mais quand ce sera le piston H qui devra descendre, on pourra, en retournant la clef du robinet, faire que les trous, qui auparavant étaient ouverts, se trouveront fermés, et qu’au contraire, ceux qui étaient fermés se trouveront ouverts et qu’ainsi nous produirons l’effet prétendu.

« On pourrait trouver quelque manière de faire que la machine elle-même tournât le robinet dans le temps qu’il faudrait ; mais je crois qu’il vaudrait mieux avoir un homme qui eût soin de faire cela, et de vider les seaux à mesure qu’ils arriveraient à l’ouverture de la mine. »

» M. Arago, dit M. Ainger, donne six pages de description de cet appareil (celui de Pupin), dans lequel il amène la vapeur d’une chaudière dans le cylindre à travers la soupape S (celle de la plaque inférieure, voir fig. 4, p. 24). » Je suis vraiment fâché que mon antagoniste me mette si souvent dans le cas de lui répondre par de simples dénégations ; mais en vérité je ne puis pas admettre sa version, puisque j’ai dit : « L’eau qui fournissait la vapeur, dans ces premiers essais, n’était pas contenue dans une chaudière séparée ; elle avait été déposée dans le corps de pompe, sur la plaque métallique qui le bouchait par le bas (voir plus haut, p. 29). » Dans tout le reste du paragraphe consacré à Papin, il n’est plus question de la production de la vapeur.

Voici du reste la description même, avec le fac-similé du dessin ( fig. 10, p. 97) de la machine à vapeur de Papin : elle a paru en latin dans les Actes de Leipzig pour 1690 : j’emprunte le texte qui suit à la traduction de cette description donnée dans le Recueil de machines de 1695. Le lecteur ayant désormais sous les yeux, non plus un extrait mais le texte entier de la description de Papin, nul ne se laissera plus prendre aux critiques de nouveaux Ainger :

« On a fait divers essais pour tâcher de faire un vide exact par le moyen de la poudre à canon car de cette façon, n’y ayant aucun air pour résister au-dessous du piston toute la colonne de l’atmosphère qui pèse dessus la pousserait toujours avec une force égale depuis le haut jusqu’au bas. Mais ç’a été en vain qu’on a travaillé à cela jusqu’ici et comme j’ai déjà dit, après que la flamme de la poudre est éteinte, il reste toujours près de la cinquième partie de l’air dans le tuyau. J’ai donc tâché d’en venir a bout d’une autre manière et (comme l’eau a la propriété, étant par le feu changée en vapeurs, de faire ressort comme l’air, et ensuite de se recondenser si bien par le froid, qu’il ne lui reste plus aucune apparence de cette force de ressort), j’ai cru qu’il ne serait pas difficile de faire des machines dans lesquelles. par le moyen d’une chaleur médiocre et ù peu de frais, l’eau ferait ce vide parfait qu’on a inutilement cherché par le moyen de la poudre à canon et entre plusieurs différentes constructions qu’on peut imaginer pour cela celle-ci m’a paru la meilleure. AA (fig, 10) est un tuyau égal d’un bout à l’autre et bien fermé par en bas BB est un piston ajusté à ce tuyau DU est le manche attaché au piston EE une verge de fer qui se peut mouvoir autour d’un axe qui est en F. |

« G est un ressort qui presse la verge de fer EE, en sorte qu’elle entre dans l’échancrure H, sitôt que le piston avec son manche est élevé assez haut pour que ladite échancrure H paraisse au-dessus du couvercle II.

Fig. 10. Machine à vapeur de Papin, de 1690.

« L est un petit trou au piston par où l’air peut sortir du fond du tuyau AA, lorsqu’on y enfonce le piston pour li première fois.

« Pour se servir de cet instrument on verse un peu d’eau daus le, tuyau AA jusqu’à la hauteur de trois à quatre lignes ; on y fait ensuite entrer le piston et un le pousse jusqu’au bas, en sorte que l’eau qui est an fond du tuyau regorge par le trou L. Alors on ferme ledit trou avec la verge MM, et on y met le couvercle H, qui a autant de trous qu’il en faut pour entrer sans obstacle. Ayant ensuite mis un feu médiocre sous le tuyau AA, il s’échauffe fort vite parce qu’il n’est fait que d’une feuille de métal fort mince, et l’eau qui est dedans se changeant en vapeur fait une pression si forte qu’elle surmonte le poids de l’atmosphère et pousse le piston BB en haut, jusqu’à ce que l’échancrure H paraisse au-dessus du couvercle II, et que la verge de fer BE y soit poussée par le ressort G, ce qui ne se fait pas sans bruit. Alors il faut incontinent éloigner le feu, et les vapeurs dans ce tuyau léger se recondensent bientôt en eau par le froid et laissent le tuyau absolument privé d’air. Alors il n’y a qu’à tourner la verge EE autant qu’il est nécessaire pour la faire sortir de l’échancrure H, et laisser le piston en liberté de descendre, et il arrive que le piston est incontinent poussé au bas par tout le poids de l’atmosphère et produit le mouvement qu’on veut, avec d’autant plus de force que le diamètre du tuyau est grand. Et il ne faut point douter que Pair n’agisse sur ces tuyaux avec toute la force dont la pesanteur est capable car j’ai vu par expérience que le piston ayant été élevé par la chaleur jusqu’au haut du tuyau AA est ensuite redescendu jusque tout au fond ; et cela plusieurs fois de suite, en sorte qu’un ne saurait soupçonner qu’il y ait eu aucun air pour le presser en dessous et résister à la descente. Or mon tuyau, qui n’a que deux pouces et demi de diamètre, est pourtant capable d’élever soixante livres A toute la hauteur dont le piston descend, et le corps du tuyau ne pèse pas cinq onces. Je ne doute pas qu’on ne pût faire des tuyaux qui ne pèseraient pas quarante livres et qui pourtant pourraient élever deux mille livres, à chaque opération, jusqu’à la hauteur de quatre pieds. J’ai éprouvé aussi que le temps d’une minute suffit pour faire qu’un feu médiocre chasse le piston jusqu’au haut de mon tuyau ; et comme le feu doit être proportionné à la grandeur des tuyaux, on pourrait échauffer les gros à peu près aussi promptement que les petits : ainsi l’on voit combien cette machine, qui est si simple, pourrait fournir de prodigieuses forces et à bon marché. Car on sait qu’une colonne d’air qui s’appuie sur un tuyau d’un pied de diamètre, pèse presque deux mille livres ; mais si le diamètre était de deux pieds, la pesanteur serait de près de huit mille livres, et qu’ainsi la pression s’augmente toujours en raison doublée des diamètres d’où il s’ensuit que le feu, dans un fourneau dont le diamètre serait d’un peu plus de deux pieds, suffirait pour élever toutes les minutes huit mille livres à la hauteur de quatre pieds, si on faisait tes tuyaux de cette hauteur car, le feu étant dans un fourneau de plaques de fer peu épaisses, on pourrait facilement le pousser d’un tuyau à un autre et ainsi ce même feu ferait continuellement dans quelque tuyau ce vide qui pourrait ensuite produire de si grands effets. À présent, si on considère la grandeur des forces que l’on produira de cette manière et le peu que pourra coûter le bois qu’il faudra pour cela, on avouera assurément que cette inéthode est de beaucoup préférable à l’usage de ta poudre à canon, dont j’ai parlé ci-dessus, vu principalement que de cette manière on fait un vide parfait, et qu’ainsi on remédie uux inconvénients que j’ai marqués. »

Je ne pense pas qu’on puisse dire, après avoir médité la description rédigée par Papin, que j’ai donné dans ma Notice (pp. 28 à 50) une idée inexacte de sa machine à feu, et que j’ai attribué à notre illustre compatriote une invention qu’il n’avait pas faite.

Papin, il est vrai, a proposé deux espèces de machines à fou. L’une, celle de 1690, est la machine à piston connue depuis que Newcomen l’a exécutée en l’améliorant, sous le nom de machine atmosphérique, et dont nous venons de copier la description faite par Papin lui-même ; l’autre, décrite en 1707, reposait sur des principes différents elle était simplement destinée à élever de l’eau. Je ne crois pas utile de discuter les critiques dont cette dernière machine a été l’objet ; j’accorderai donc, si l’on veut, qu’elles sont toutes fondées ; mais qu’en pourra-t-on conclure ? Que Papin était plus habile ou plus heureux en 1690 qu’en 1707 ; que son esprit s’affaiblissait avec l’âge qu’à la seconde époque tout le mérite de la découverte qu’il avait faite dix-sept ans auparavant, n’était plus assez présent à sa mémoire ; mais en quoi tout cela affaiblirait-il ses droits comme inventeur ? Newton cessat-il d’être fauteur des Principes ou de l’Optique, quand il rédigea un mauvais traité de chronologie ?

La peine que M. Ainger et d’autres écrivains se sont donnée en critiquant la seconde machine de 1707, est donc en pure perte. Papin aurait été à cette époque un extravagant, on l’aurait détenu dans une maison d’aliénés, que sa machine de 1690 n’en resterait pas moins comme le premier germe de toutes les machines à feu existantes. Au reste, il n’est peut-être pas difficile de trouver un motif plausible à l’abandon que Papin avait fait de son premier projet : ce motif est probablement la difficulté de fondre et d’aléser les cylindres ou corps de pompe dont il aurait eu besoin. En 1695, cette difficulté, qui de nos jours a totalement disparu, lui paraissait si grande qu’il proposait d’établir une manufacture où l’on fabriquerait tout exprès les tuyaux destinés à former les corps de pompe de celles de ses machines dont on se servirait pour faire marcher les navires.

M. Ainger n’admet pas les doutes que j’ai élevés concernant le sens qu’on a donné jusqu’ici à un passage relatif à la chaudière dont Worcester voulait se servir. Le défaut de temps m’oblige de passer condamnation à ce sujet, quoique, si la chose en valait la peine, je pusse citer à l’appui de mon sentiment un des plus célèbres ingénieurs anglais. Ce même motif ne me permettra pas de relever une ou deux méprises vraiment singulières dans lesquelles M. Ainger est tombé en voulant faire de l’érudition hors de propos, à l’occasion d’une expérience d’Otto de Guericke. On comprendra que je ne consente pas à perdre de longues heures pour relever les mille erreurs de détail de M. Ainger ; je me hâte d’arriver à ses grandes objections.

Pour peu qu’on ait considéré attentivement le jeu d’une machine à feu, on y a aperçu deux choses capitales : premièrement, l’idée d’employer la force élastique de la vapeur comme principe de mouvement ; en second lieu, l’idée, non moins importante, de se débarrasser de cette vapeur, par voie de refroidissement, dès qu’elle a agi.

Celui qui, réfléchissant le premier sur l’énorme ressort qu’acquiert la vapeur d’eau quand elle est fortement échauffée, a montré qu’elle pouvait servir à élever de grands poids ; celui qui le premier a proposé et décrit une machine dans laquelle l’élasticité de la vapeur était le seul principe de mouvements utiles à l’industrie, doit-il il être considéré comme l’inventeur de la machine a feu ? Telle est la première question que l’histoire de cette machine fait naître ; or, elle a été résolue affirmativement dans tous les ouvrages dont j’ai eu connaissance : Thomas Young, Robison, Partington Tredgold, Millington, Lardner, Nicholson, etc., sont unanimes à cet égard. Pour mon compte, je n’ai fait qu’adhérer à l’opinion de tant de physiciens et d’ingénieurs habiles. Je ne me suis séparé d’eux qu’en un seul point : en Angleterre on appelle généralement marquis de Worcester la personne à laquelle la découverte est due ; moi je soutiens qu’elle se nomme Salomon de Caus, et je me fonde sur ce que l’ouvrage de cet ingénieur renferme la figure et la description d’une machine destinée à soulever l’eau par l’action de la vapeur ; sur ce que celle du marquis de Worcester, dont personne au reste ne connait la forme, avait précisément le même objet ; sur ce que le peu qu’on en sait n’a paru qu’en 1663, quarante-huit ans après la publication de La Raison des forces mouvantes.

Voici venir maintenant M. Ainger, qui trouve aussi une machine destinée à élever de l’eau, dans un auteur. J.-B. Porta, plus ancien que Salomon de Caus. Si le fait est vrai, le nom de Salomon de Caus, que je substituais à celui de Worcester, devra sans aucun doute être remplacé à son tour par le nom de Porta. Aussi, je vais sur-le-champ vérifier l’assertion de M. Ainger, sans même faire remarquer combien il est bizarre que le nom du savant napolitain n’ait jamais été prononcé tant que Worcester jouissait, sans contestation, du titre d’inventeur, et qu’on s’en soit ressouvenu à point nommé, dès qu’il a semblé pouvoir nuire aux droits d’un auteur français.

La machine du physicien napolitain se trouve dit M. Ainger, « dans une traduction de l’ouvrage d’Héron d’Alexandrie, qui fut publiée en italien, par J.-B. Porta, en 1606. » Il ajoute plus loin : « Les lecteurs qui désireront vérifier les faits donnés ici, pourront consulter les différentes éditions des Spiritalia d’Héron, et spécialement la traduction qu’en a donnée Porta, en 1606, et intitulée : I tre libri Spiritalia. Un exemplaire de cet ouvrage existe au British Museum. »

Lorsque l’écrit du Quarterly-Journal me parvint, j’avais parcouru diverses éditions de l’ouvrage d’Héron ; je ne connaissais pas celle de Porta que cite M. Ainger. Je me suis un moment reproché cette négligence ; mais, vérification faite avec le secours de nos plus célèbres bibliographes, il s’est trouvé que l’ouvrage en question n’existe pas ; qu’il n’y a, enfin, aucune traduction d’Héron faite par Porta. Cet auteur, il est vrai, a publié un ouvrage en latin intitulé, comme celui du mécanicien grec (Pneumaticorum libri tres, Naples, 1601 in-4o), mais il n’est pas plus l’ouvrage d’Héron que l’Histoire naturelle de Buffon n’est la traduction de celle d’Aristote, Les Pneumatiques de Porta, traduites en italien et en espagnol par un nommé Juan Escrivano, ont été publiées, en 1606, sous le titre de : I tre libri de Spiritali di Giovam Batista della Porta Napolitano, un volume petit {{in-4o}}. C’est ce livre que M. Ainger a pris pour une traduction italienne faite par Porta, tandis qu’elle est de Juan Escrivano ; pour une traduction de l’ouvrage grec d’Héron, tandis que c’est la traduction d’un ouvrage latin de Porta. M. Ainger est parvenu à réunir sur ce point toutes les erreurs dans lesquelles il était possible de tomber.

À la page 75 des Spiritali de Porta, publiées par Escrivano, se trouve l’appareil que cite M. Ainger, comme une machine que Porta avait inventée pour élever de l’eau à l’aide de la force élastique de la vapeur, comme un grand perfectionnement (great improvement) d’une machine d’Héron dont j’aurai tout à l’heure à parler. Je vais donner ici la traduction du chapitre de Porta, ou plutôt du chapitre d’Escrivano, car ce chapitre n’existe pas dans l’ouvrage original, et l’on verra alors jusqu’à quel point M. Ainger a mis en jeu son esprit inventif.

Pour savoir en combien de parties se transforme une simple partie d’eau. — Faites une boîte en verre ou en étain, dont le fond soit percé d’un trou par lequel passera le col d’une bouteille à distiller renfermant une ou deux onces d’eau (a fig. 11). Le col sera soudé au fond de la boîte, de manière que rien ne puisse s’échapper par là. De ce même fond partira un canal dont l’ouverture le touchera presque, l’intervalle étant tout juste ce qui est nécessaire pour que l’eau puisse y couler. Ce canal passera par une ouverture du couvercle de la boîte, et s’étendra au dehors, à une petite distance de sa surface (passi per lo coverchio fuori, poco lontano dalla sua superficia). La boîte sera remplie d’eau par un entonnoir qu’on bouchera bien ensuite, afin qu’il ne laisse pas échapper d’air (che non posta respirare) ; enfin, la bouteille sera placée sur le feu, et on l’échauffera peu à peu alors l’eau, transformée en vapeur, pressera l’eau dans la boîte, lui fera violence et la fera sortir par le canal c et couler

à l’extérieur. On continuera toujours ainsi à échauffer l’eau, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus ; et tant que l’eau fumera (sfumera), l’air pressera l’eau dans la boîte b, et l’eau sortira à l’extérieur. L’évaporation étant finie, on mesurera combien il est sorti d’eau de la boîte, et il y sera resté autant d’eau qu’il en sera sorti (de la bouteille), et vous conclurez de la quantité d’eau écoulée, en combien d’air elle s’était transformée. On peut encore facilement mesurer on combien une once d’air, dans sa consistance ordinaire, peut donner de parties d’un air plus subtil. »

Rappelons maintenant la manière dont M. Ainger annonce ce passage :

« Une traduction, dit-il, de l’ouvrage d’Héron fut publiée en italien par J.-B. Porta, en 1606. Porta répète l’invention d’Héron, et ajoute la suivante comme lui appartenant. Dans la figure destinée à en faciliter l’intelligence, on voit le fourneau pour chauffer l’eau. »

La vérité est que Porta ne parle point de la machine d’Héron, qu’il n’a eu, en aucune manière, l’intention de la perfectionner ; qu’il ne songeait pas môme à faire une machine que son but, son but unique, était de déterminer expérimentalement et par un moyen dont il est inutile de signaler ici tous les défauts, les volumes relatifs d’une quantité donnée d’eau et de la vapeur en laquelle la chaleur la transforme. Porta songeait si peu à donner son appareil comme propre à élever de l’eau, qu’il dit en termes formels que le tuyau de dégorgement passe à une petite distance de la surface du couvercle de la petite boîte. Ainsi, je n’ai aucun désir de le nier, Porta n’ignorait pas que la vapeur d’eau peut presser un liquide à la manière de l’air ; mais rien, rien absolument, ne prouve qu’il eût quelque idée de la grande force que cette vapeur est susceptible d’acquérir, et de la possibilité de l’employer comme moteur efficace. Si cette notion spéciale ne lui avait pas manqué, Porta, le plus enthousiaste faiseur de projets dont l’histoire des sciences fasse mention, n’aurait certainement pas négligé d’en parler. Au surplus, tout ce que Porta avait vu dans son expérience aurait été également produit si sa grande bouteille, au lieu d’eau, eût renfermé seulement de l’air.

La double notion que la vapeur convenablement enfermée élève l’eau au-dessus de son niveau et qu’elle est susceptible de produire les plus grands effets ; que, dès lors, elle peut servir à la construction de machines utiles, se trouve pour la première fois, à ma connaissance, dans l’ouvrage de Salomon de Caus. Peut-être découvrira-t-on quelque chose d’analogue dans des auteurs encore plus anciens. Eh bien, si cela arrive, le nom de Salomon de Caus, je le répète, devra disparaître de l’histoire de la machine à feu, comme j’en avais écarté celui du marquis de Worcester ; mais, à moins que ce nom nouveau n’appartienne à quelque personnage né dans les Iles Britanniques, il y aura toujours lieu à rectifier cette assertion si souvent reproduite : « La machine à vapeur a été inventée par un petit nombre d’individus tous Anglais. »

Beaucoup de savants et de mécaniciens très-éclairés attachent une médiocre importance à la première idée de l’application de la vapeur comme force motrice. Les anciens, disent-ils, qui attribuaient les tremblements de terre à des développements instantanés de vapeur ; le mécanicien qui prétendait, avec le même agent, faire osciller tous les planchers de la maison de son voisin, en savaient autant que Salomon de Caus, que Worcester, et, au fond, en avaient dit autant qu’eux. S’il existait, ajoutent-ils, une machine utile d’épuisement, dans laquelle l’action immédiate de la vapeur soulevât le liquide, on concevrait l’importance qu’on a attachée aux essais des deux ingénieurs français et anglais ; on pourrait alors. à titre de premiers germes, donner quelques instants d’attention à la boule métallique du premier et aux obscures descriptions du second ; mais rien d’analogue ne se voit dans les machines vapeur en usage aujourd’hui. L’invention de ces machines réside donc tout entière dans un corps de pompe le long duquel on imprime au piston un mouvement de va-et-vient, et dans les moyens d’obtenir cet effet. Si le premier emploi de la vapeur, dans un appareil quelconque, comme principe de mouvement, donnait des droits au titre d’inventeur, ce serait Héron d’Alexandrie qu’il faudrait citer. Mais on a avec raison écarté du concours la machine rotative de ce mécanicien, parce qu’elle n’a ni par sa forme ni par le mode d’action de la vapeur, aucune affinité avec les machines de nos jours ; celles de Salomon de Caus et de Worcester, qui ne leur ressemblent pas davantage, doivent donc être écartées de même. La vitesse de l’eau est également la cause du mouvement d’une roue hydraulique et de l’ascension du liquide dans le bélier si de là on avait conclu que l’inventeur de la roue doit aussi être considéré comme inventeur du bélier, tout le monde se serait récrié. Eh bien, pour les machines à feu on a raisonné ainsi sans s’en apercevoir. Caus ou Worcester, transportés aujourd’hui, avec les connaissances de leur époque, devant une machine de Watt en action, ne soupçonneraient pas même ni l’un ni l’autre que c’est la vapeur d’eau qui engendre le mouvement ; et cependant on les appelle les inventeurs !

En rapportant ces réflexions, je leur ai laissé toute leur force. On se tromperait cependant si l’on voulait en conclure que je tes adopte sans modification. J’accorderais très-volontiers que les inventeurs de la machine a piston, du mouvement alternatif et des artifices qui le produisent, doivent être placés hors ligne ; cette concession fuite, je ne saurais admettre que la première idée d’employer la vapeur comme principe de mouvement ne doive pas figurer dans l’histoire des machines à feu actuellement en usage.

Au reste, il est juste de le reconnaître, et c’est une erreur à laquelle moi— même je n’ai pas entièrement échappé, on a eu tort de considérer la machine à vapeur comme un objet simple, dont il fallait absolument trouver l’inventeur. A quoi aurait-on pu s’arrêter si l’on avait, par exemple, suivi cette voie en écrivant l’histoire de l’horlogerie ? Quel est l’inventeur d’une montre ? Personne ; mais il est naturel de demander qui a inventé le barillet, l’échappement à roue de rencontre, l’échappement à repos ou libre, le balancier compensé, etc., etc. Dans la machine à vapeur, il existe aussi plusieurs idées capitales qui peuvent ne pas être sorties de la même tête. Les classer par ordre d’importance, donner à chaque inventeur ce qui lui appartient, rapporter exactement les dates des diverses publications, tel doit être l’objet de l’historien. En essayant de m’acquitter de cette tâche, j’avais signalé ainsi les traits caractéristiques des machines actuellement en usage :

Idée d’une machine à vapeur aqueuse, portant un piston doué d’un mouvement alternatif ;

Production de ce mouvement alternatif, par une combinaison de la force élastique de la vapeur avec la propriété dont cette vapeur jouit de perdre tout ressort, ou de se précipiter quand on la refroidit ;

Moyens divers, et plus ou moins avantageux, d’opérer ce refroidissement.

Personne ne contestera que ce soient là les traits principaux des machines en usage. Or, j’ai prouvé que les deux premières idées appartiennent à Papin. Reconnaître la vérité de ma démonstration, c’était mettre fin au débat, c’était avouer que les Français sont entrés pour une très-grande part dans l’invention de la machine à vapeur. Aussi s’est-on bien gardé de me faire cette concession. Cependant la publication de Papin est incontestablement antérieure de plusieurs années aux publications de Savery, de Newcomen et de Cawley ; la discussion n’était pas soutenable sur ce terrain-là, et M. Ainger, qui sans doute l’a reconnu, en a choisi un tout différent : il a décidé que la découverte de Papin se trouverait, coûte que coûte, dans un auteur plus ancien, et c’est Héron d’Alexandrie qu’il a choisi. Il est bien vrai que par là on faisait une nouvelle et large brèche à cette assertion : « La machine à feu n’est due qu’à des Anglais ; » mais le désagrément était comparativement peu de chose, dès qu’on parvenait à exclure tous les noms français. Examinons donc les nouveaux titres d’Héron, découverts par M. Ainger.

« Dans un autre appareil d’Héron, dit M. Ainger, EF (fig. 12) est un globe à moitié rempli d’eau qui se convertit en partie en vapeur (wich is partly converted into vapour) quand on l’expose au soleil. De là résulte sur la surface de l’eau une pression qui fait monter ce liquide le long du siphon G ; ensuite elle se répand sur la coupe c, et descend par le tuyau d dans le vase fermé ACDB, rempli aussi de liquide à moitié. Quand le globe EF se refroidit, l’eau qu’il contient se trouve soustraite par condensation à la plus grande partie de la pression qu’elle supportait, et l’eau s’élève du vase ACDB par un tuyau, pour remplacer ce que l’élasticité de la vapeur avait expulsé (what had been driven over by the elasticity of the vapour). Ainsi, alternativement, l’eau sort du globe et y revient par une alternative de production et de condensation de vapeur élastique (elastic vapour) (page 326 du Mémoire de M. Ainger). »

« Cet appareil, dit M. Ainger, anticipe (anticipates) le principe des deux idées (contrivances) sur lesquelles M. Arago bâtit sa théorie que la machine à vapeur est une invention française. »

Ce n’est pas là tout ; je lis à la page 337 du Mémoire de M. Ainger : l’appareil dans lequel Papin engendra le mouvement alternatif d’un piston par la production et la condensation de la vapeur « servait seulement à rendre sensible (illustrate) un fait physique bien connu, car on savait déjà du temps d’Héron qu’en condensant la vapeur on produit le vide, » et plus loin, page 338 : « Papin ne fut pas le premier, à 2, 000 ans près, qui vit que la vapeur en se condensant laissait un vide… L’appareil de Papin n’emploie pas à la fois la force élastique de la vapeur et sa condensation ; et quand cela serait, Papin n’est pas le premier qui combina dans la même machine, la force élastique de la vapeur et sa condensabilité (condensability), car l’appareil d’Héron faisait la même chose. »

J’ai quelque peine à retenir, je l’avoue, l’expression des sentiments que ces divers paragraphes font inévitablement naître. Le lecteur, au reste, y suppléera, car je vais placer en regard de tant de passages où il est si explicitement question de vapeur produite et de vapeur condensée, une traduction fidèle de l’explication qu’Héron a donnée de son appareil. Je dis une traduction fidèle, et personne n’en doutera quand j’avertirai qu’elle est de M. Letronne, à qui je l’avais demandée pour avoir, en quelque sorte, une autorité légale, irrécusable.

« Soit une base fermée ACDB, à travers laquelle passe un entonnoir dont le tuyau soit très-peu distant du fond [de cette base] ; soit [de plus] un globe EF, d’où un tube descend dans la base jusqu’à une petite distance du fond de l’appareil. Un siphon recourbé est ajusté de manière à pénétrer dans l’eau du globe. Lors donc que le soleil vient à frapper ce globe, l’air qu’il contient étant échauffé presse le liquide ; celui-ci s’échappera par le siphon et descendra dans la base par l’entonnoir. Mais quand l’appareil sera à l’ombre, l’air [moins dilaté] cédant de la place dans le globe, le tube reprendra le liquide. Ce phénomène aura lieu autant de fois que le soleil frappera [le globe]. » (Les mots entre crochets sont ajoutés au texte pour plus de clarté.)

Le lecteur a maintenant sous les yeux le passage, mais le passage non altéré, d’après lequel on veut priver Papin de l’honneur, qui lui revient si légitimement, d’avoir le premier employé la vapeur d’eau pour faire le vide sous un piston et pour produire un mouvement alternatif. Je le prie donc de vouloir bien comparer les paroles de l’auteur grec avec les explications de M. Ainger, et il verra que les mots vapeur, vapeur élastique, condensation de la vapeur pour produire le vide, sont de pures inventions ; qu’Héron n’en dit rien, qu’il n’y a pas songé ; que son but, que son but unique, est d’employer la force élastique de l’air contenu dans le globe EF, quoique le mot air ne se trouve pas une seule fois dans la paraphrase de l’auteur anglais.

M. Ainger n’a pas dû supposer que je laisserais son Mémoire sans réponse. Alors comment expliquer les altérations si nombreuses, si graves, qu’il a fait subir aux paroles d’Héron d’Alexandrie ? La question n’est certainement pas facile à résoudre ; voici cependant de quelle manière M. Ainger a peut-être raisonné.

Puisque l’appareil du mécanicien grec renfermait de l’eau, il y avait dans son globe de la vapeur mêlée à l’air ; cette vapeur devait être d’autant plus abondante qu’il faisait plus chaud (nous le savons aujourd’hui parfaitement) ; ainsi rien ne m’empêche d’affirmer que c’est à la vapeur, plus élastique le jour que la nuit, qu’était dû le mouvement du liquide. On dira peut-être que l’effet dépendant de cette cause, n’était qu’une très-petite partie de celui qu’amenait la dilatation de l’air ; mais dès que la discussion portera seulement sur des quantités, elle se terminera en ma faveur.

Au besoin, j’aurais répliqué qu’il ne s’agit pas de savoir s’il y avait une petite quantité de vapeur en jeu dans l’appareil d’Héron, mais bien si ce mécanicien l’avait soupçonné ; or Héron ne parle que d’air. Si l’on devait enregistrer comme découvertes de celui qui a fait une opération, tous les phénomènes que cette opération réalise, l’analyse de l’air atmosphérique n’appartiendrait plus à Lavoisier, car le premier dans les mains duquel un morceau de métal se rouilla, avait sans s’en douter séparé l’oxygène de l’azote ; Black ne serait pas l’inventeur de la théorie de la chaleur latente, car on ne fait jamais bouillir de l’eau sans que la vapeur s’empare inévitablement de la grande quantité de calorique qui est nécessaire à sa constitution ; la découverte de l’électricité par contact n’appartiendrait plus à Volta, mais bien à celui qui le premier superposa deux pièces métalliques de nature différente, etc., etc. Au reste, je dois le dire, M. Ainger, entraîné par son zèle, s’est même ôté l’usage des arguments que je viens de combattre. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler cette phrase : « On savait du temps d’Héron, etc. ; » ou bien cette autre : «  L’appareil de Papin servait seulement à rendre sensible un fait bien connu, car… etc. »

Dans les diverses citations que j’ai dû lui présenter, le lecteur aura certainement remarqué ce passage : « L’appareil de Papin n’emploie pas à la fois la force élastique et la condensation de la vapeur. » (Papin’s apparatus does not use both the elastic force and condensation of the steam.)

Après de semblables paroles, toute discussion devient impossible. Quelle concession espérer, en effet, d’un antagoniste décidé à nier l’évidence ? Papin, dites-vous, n’employait pas à la fois la force élastique et la condensation de la vapeur ! Mais pourquoi mettait-il donc de l’eau sur la plaque inférieure de son corps de pompe ? Pourquoi la faisait-il bouillir lorsqu’il voulait donner au piston un mouvement ascendant ? Pourquoi retirait-il le feu quand le moment était venu de faire descendre le piston sous l’action de la pression atmosphérique ?

Les inqualifiables dénégations de M. Ainger sont sans doute bien étonnantes ; mais ce qui doit surprendre encore davantage, c’est qu’un Mémoire dépourvu à ce degré-là de tout esprit de justice, de toute vérité, de toute logique, ait pu être débité, écouté, accueilli dans une institution que les leçons d’un Humphry Davy, d’un Thomas Young ont jadis tant illustrée ; dans un établissement qui a eu l’inappréciable avantage de compter parmi ses professeurs des savants du mérite de MM. Faraday et Millington. Au reste, tout bien considéré, ces efforts impuissants des passions ou des préjugés nationaux, sont un hommage solennel rendu aux inventions de Papin. Je n’hésite donc pas à reproduire ici les trois propositions capitales qui, dans ma Notice historique, terminent l’analyse des travaux de cet ingénieur. M. Ainger aura, sans le vouloir, contribué à leur donner une incontestable évidence.

Papin a imaginé la première machine à vapeur a piston ;

Papin a vu le premier que la vapeur aqueuse fournit le moyen de faire le vide dans une capacité, quelque grande qu’elle soit ;

Papin est le premier qui ait songé à combiner, dans une même machine à feu, la force élastique de la vapeur. d’eau avec la propriété dont cette vapeur jouit, et qu’il a signalée, de se condenser par refroidissement.

    vapeur et d’avoir montré que la machine à feu pouvait être substituée aux agents mécaniques employés jusque-là dans les manufactures de toute espèce. Je n’ai qu’une seule difficulté à opposer à ces conclusions c’est que l’ouvrage de Papin, où se trouve l’idée des bateaux et celle d’un mouvement de rotation continu communiqué à une roue par une pompe à feu, a précédé de 42 ans celui de l’ingénieur Hull.

    Un savant anglais de mes amis à qui Je faisais part verbalement des résultats contenus dans cette Notice, me dit que si je les publiais jamais, il combattrait toutes mes assertions par des passages empruntés à des auteurs français. Ce serait, ajoutait-il en riant, une guerre de guillemets. En le priant de s’expliquer davantage, je découvris que les arguments qu’il doit m’opposer seront puisés, soit dans un article biographique sur Newcomen dû à un des plus illustres physiciens de notre époque, soit dans un rapport concernant les bateaux à vapeur, rédigé par le célébra professeur de mécanique du Conservatoire et approuvé par l’Académie des sciences. Dans ces deux articles, je suis forcé de le reconnaître, les opinions des auteurs anglais sur les inventeurs de la machine à feu ont été adoptées sans réserve. L’objection a donc quelque gravité, mais elle ne me semble pas Insoluble. En ce qui concerne la Notice sur Newcomen, je remarquerai d’abord qu’elle est évidemment calquée sur l’histoire de Robison que l’écrivain distingué à qui on la doit, n’annonce nulle part qu’il ait fait à cette occasion des recherches particulières, qu’il ait consulté les sources originales. S’il avait cité Salomon de Caus, j’aurais sans doute des scrupules au sujet de l’importance qu’il m’a semblé juste d’accorder aux recherches de ce mécanicien français ; mais son nom ne se trouve pas une seule fois dans l’article biographique, quoiqu’on y lise, en toutes lettres, ceux de Worcester et de Savery. De là je crois pouvoir conclure avec certitude, que les œuvres de Salomon de Caus, et je suppose même celles de Papin, étalent inconnues à mon savant confrère ; son opinion ne saurait donc m’être opposée, car j’aurais le droit,

  1. Héron d’Alexandrie, dit l’Ancien, vivait environ 120 ans avant notre ère. La plupart des nombreux ouvrages qu’il composa sont perdus : Il n’en reste plus que trois. La machine a réaction dont il doit être doit question se trouve décrite et représentée dans le traité intitulé Spiritalla seu pneumatica. On a prétendu qu’Héron fut le premier inventeur des roues dentées, mais cet honneur appartient, je crois, à son maître Ctésibius. Ses clepsydres et surtout ses automates excitèrent l'admiration de l'antiquité. La fontaine qui porte le nom d'Héron a reçu diverses applications importantes, même de nos jours : elle sert, par exemple, dans les mines de Schemnitz, en Hongrie, comme machine d'épuisement.
  2. Par une bizarrerie bien digne de remarque, un homme que la postérité regardera peut-être comme le premier inventeur de la machine à feu, n’est cité dans l’histoire des mathématiques de Montuela qu’a l’occasion de son Traité de perspective, et encore la citation n’est-elle que de cinq mots. A peine a-t-il aussi obtenu les honneurs d’un article de quelques lignes dans les volumineux dictionnaires biographiques publiés de nos jours. La Biographie universelle le fait naître et mourir en Normandie. Elle dit qu’il habita quelque temps l’Angleterre, où il fut attaché au prince de Galles. Dans les Raisons des Forces mouvantes, Salomon de Caus prend lui-même le titre d’ingénieur et d’architecte de Son Altesse palatine électorale. Cet ouvrage fut composé, je crois, à Heidelberg ; il a été imprimé à Francfort ; ces trois circonstances ont fait supposer à quelques personnes que Caus était Allemand. Mais remarquons d’abord combien il serait peu probable qu’un Allemand eut écrit en français dans son propre pays. Ajoutons que dans la dédicace au roi très-chrétien (Louis XIII), la formule suivante précède la signature : de Votre Majesté, le très-obéissant subject ; qu’enfin on lit dans le privilège, et ceci tranche tous les doutes : « Nostre bien aimé Salomon de Caus, maistre Ingénieur, estant de présent au service de nostre cher et bien aimé cousin le prince Électeur Palatin, nous a fait dire, etc…, désirant gratifier ledict de Caus, comme estant nostre subject, etc. » Ainsi Salomon de Caus était Français.
  3. Edward Somerset, marquis de Worcester, que les Anglais regardent comme le véritable inventeur de la machine à feu, vivait sous le règne des derniers Stuarts. Jeté dans toutes les intrigues de cette époque, il éprouva bien des traverses. Worcester perdit d’abord son immense fortune ; il ne passa en Irlande que pour y être emprisonné ; il s’évada, atteignit la France, retourna à Londres par les ordres de Charles II, fut découvert et enfermé dans la Tour, d’où il ne sortit qu’à la restauration. La tradition rapporte que les idées de Worcester sur l’emploi qu’il serait possible de faire de la force dont la vapeur aqueuse est douée, furent éveillées pendant sa dernière détention, par le soulèvement subit du couvercle de la marmite dans laquelle ses aliments cuisaient. Si l’anecdote était vraie, elle ferait beaucoup d’honneur à l’esprit inventif du prisonnier, mais elle montrerait en même temps son peu d’érudition ; car il faudrait admettre qu’il ne connaissait pas l’ouvrage de Salomon de Caus ; or, on sait qu’une seconde édition de ce livre avait paru en France pendant que Worcester y résidait.
  4. Ce passage a été traduit presque toujours d’une autre manière : « Ayant découvert, fait-on dire à Worcester, le moyen de fortifier les vaisseaux intérieurement, etc., etc. » La phrase, je dois l’avouer, est beaucoup plus raisonnable que celle de ma version, mais c’est presque un argument contre sa fidélité, tant en général les projets de Worcester sont chimériques et extravagants. Au reste, voici le texte original : « Having a way to make my vessels so that they are strengthened by the force within them, etc., etc. » Il m’a semblé que force within them ne peut pas désigner des moyens de consolidation intérieurs. Si j’ai bien compris ces paroles, Worcester, pour répondre a une objection qu’il prévoyait, a jugé convenable d’assurer que ses nouvelles chaudières n’éclateraient jamais ; et en effet, il aurait atteint ce but si comme il le dit, elles devenaient d’autant plus fortes que la vapeur les presserait avec plus d’intensité de dedans en dehors. Cette circonstance donnera un nouveau poids à l’opinion de ceux qui pensent que Worcester n’a jamais fait l’essai de sa machine, mais je m’empresse de faire remarquer que tout cela est sans importance quant à la question de priorité qu’il faut discuter ici.
  5. J’emprunte cette citation à l’un des curieux articles historiques, si riches d’érudition, que M. de Montgéry a publiés sur les machines dans lesquelles le feu est employé d’une manière quelconque, et je la substitue au passage suivant de Salomon de Caus que j’avais d’abord inséré dans le texte. Ce passage n’a paru que dix ans plus tard, c’est-à-dire en 1615, mais près de cinquante ans toutefois avant la Century of inventions : « La violence sera grande quand l’eau s’exhale en air par le moyen du feu et que ledit air est enclos ; comme par exemple, soit une balle de cuivre d’un pied ou deux en diamètre et épaisse d’un pouce, laquelle sera remplie d’eau par un petit trou, lequel sera bouché bien fort avec un clou, en sorte que l’eau n’en puisse sortir ; il est certain que si l’on met ladite balle sur un grand feu, en sorte qu’elle devienne fort chaude, qu’il se fera une compression si violente que la balle crèvera en pièces, avec bruit semblable à un pétard. » (Les Raisons des Forces mouvantes, livre premier, feuillet premier, verso.)
  6. Sir Samuel Moreland prit, comme Worcester, une part active aux événements de la guerre civile. Cromwell l’employa dans plusieurs missions diplomatiques. Ses compatriotes assurent qu’il fut simultanément secrétaire de Thurloë et espion en titre du roi. À la restauration, Charles II le nomma baronnet. Moreland s’était occupé de diverses questions d’acoustique, entre autres de la meilleure forme à donner aux porte-voix. il mourut à Hammersmith dans le mois de janvier 1696, après avoir eu l’idée bizarre de faire enterrer à la profondeur de six pieds, en signe de repentir pour sa vie passée, une grande collection d’ouvrages de musique qu’il possédait.
  7. Il existe un ouvrage de Moreland, imprimé à Paris en 1685, et qui a presque exactement le même titre que le manuscrit du British museum. Le chapitre relatif à la vapeur ne s’y trouve pas. L’auteur seulement, en énumérant dans sa préface toutes les espèces du moteurs que le mécanicien met en jeu, cite la force de la poudre et celle de la vapeur d’eau, sans faire à ce sujet aucune remarque d’où l’on puisse Induire s’il se donne pour inventeur ou s’il parie d’une chose déjà proposée par d’autres.
  8. Denis Papin est né à Blois. Il s’adonna dans sa jeunesse à la médecine et prit ses grades à Paris ; ensuite il passa en Angleterre où Boyle, qui l’avait associé à quelques-unes de ses expériences, le fit nommer membre de la Société royale en 1681. Forcé de s’expatrier par la révocation de l’édit de Nantes, Papin se réfugia en Allemagne auprès du landgrave de Hesse, et remplit avec distinction, pendant plusieurs années, les fonctions de professeur de mathématiques à l’Université de Marbourg ; il mourut en 1710. On peut regarder comme une singularité que l’Académie des Sciences de Paris n’ait point nommé Papin l’un de ses associés, quand on songe que dès 1690 il avait publié un Mémoire dans lequel se trouve, comme on le verra tout à l’heure, la description la plus méthodique et la plus claire de la machine à feu connue aujourd’hui sous le nom de machine atmosphérique, et même celle des bateaux à vapeur. L’homme de génie est toujours méconnu quand il devance trop son siècle, dans quelque genre que ce soit.
  9. MM. Stuart et Partington ont explicitement reconnu tous ces titres de Papin à la reconnaissance des mécaniciens ; mais par compensation les personnes qui liront l’Histoire des Machines à vapeur du docteur Robison (voyez la dernière édition commentée par Watt), y trouveront, p. 49, que le premier mémoire de Papin (First publication) sur les Machines à feu est de 1707 ; que ce mécanicien n’a point proposé d’employer un véritable piston, mais un simple flotteur ; que jamais, et c’était là l’important, il n’avait songé à produire le mouvement descendant d’un piston par la condensation de la vapeur. Ces arrêts sont consignés aussi dans l’Encyclopédie du docteur Rees, feuille F2, article Steam engine. L’auteur de cet article a lu, dans les Actes de Leipzig, la description des machines dans lesquelles Papin essayait de faire le vide à l’aide de la poudre, car il les cite ; mais, par une fatalité inexplicable, le Mémoire inséré dans les mêmes Actes où Papin substitue la vapeur d’eau à la poudre n’a pas attiré ses regards, puisqu’il déclare que jamais les appareils du mécanicien français ne furent intented to be worked by steam. M. Millington n’est guère plus favorable à notre compatriote, dont les idées, dit-il, sur les moyens de produire une puissance motrice à l’aide de la vapeur, sont toutes postérieures à la patente de Savery (p. 255) ; (la patente de Savery est de 1698). M. Lardner assure également, dans les leçons qu’il a publiées récemment, que les Français appuient leurs prétentions à l’invention de la machine à vapeur, sur un ouvrage de Papin qui n’a paru qu’en 1707, neuf ans après la date du brevet de Savery. Cette remarque, ajoute-t-il, tranche tout à fait la question : Papin n’a droit à aucun partage dans l’invention de la machine a vapeur (Voyez Leçons sur la Machine à vapeur, p. 96, 97 et 101 de l’édition française).

    N’est-il pas vraiment bizarre que la plupart des auteurs anglais s’obstinent ainsi à ne citer qu’un seul ouvrage de Papin, celui de 1707 ; qu’ils ne veuillent tenir aucun compte de l’ouvrage beaucoup plus volumineux auquel j’ai emprunté textuellement divers passages et dont il a paru deux éditions dans la même année 1695, l’une à Cassel en français, l’autre à Marbourg en latin ; que tous les Mémoires de cet auteur, insérés dans les Actes de Leipzig, leur paraissent comme non avenus ! J’accorderai, si l’on veut, qu’il n’existe pas de piston proprement dit dans la machine d’épuisement de 1707 ; que la condensation de la vapeur n’y joue absolument aucun rôle ; qu’en tout cas cette machine est postérieure à la patente du capitaine Savery, sans qu’on en puisse rien conclure, puisque ce n’est pas l’ouvrage de 1707 que nous citons, mais bien un recueil de 1695, mais bien les Actes de Leipzig de l’année 1690. Bossut s’autorise, dans son Hydrodynamique, de l’ouvrage de 1695 pour attribuer à Papin une part importante dans l’invention de la machine à vapeur ; Robison répond que cet ouvrage n’existe pas ! (The fact is that Papin’s first publication was in 1707.) Je concevrais qu’il eût déclaré ne l’avoir point vu ; mais cette dénégation tranchante, opposée à l’assertion positive de Bossut était d’autant plus singulière, que le livre de Papin n’est pas très-rare en Angleterre, qu’en tous cas les Actes de Leipzig qui en renferment la substance se trouvent dans les principales bibliothèques, et qu’enfin cet ouvrage, dont le célèbre professeur d’Édinburgh nie l’existence, a été annoncé et analysé en mars 1697, dans les Pilosophical transactions, un an avant qu’il fût question de la machine de Savery. L’analyse des Transactions philosophiques, cette remarque ne doit pas être oubliée, donne d’ailleurs textuellement le passage de l’ouvrage de Papin qui est relatif a l’emploi de la vapeur, d’abord comme moyen de pousser le piston, ensuite comme moyen de faire le vide dans le corps de pompe. (Voyez Trans., t. XIX, p. 483.)

  10. Le privilège sollicité par le marquis de Worcester, lui fut accordé, au dire de Walpole, d’après la simple assurance qu’il donna aux commissaires nommés à cet effet, qu’il avait Inventé une machine marchant par l’action de la vapeur. Si la machine avait été réellement construite, la remarque relative à la déclaration, comme l’observe M. Stuart, n’eût pas été nécessaire. Je n’ignore pas qu’en dernier lieu on a prétendu, au contraire, que le bill sollicité par Worcester fut l’objet d’un examen long et minutieux ; mats pour annuler le témoignage de Walpole, il aurait fallu prouver que les commissaires du parlement avaient vu une machine fonctionnant ou du moins un modèle, et personne jusqu’ici ne l’a prétendu.
  11. Le comte de Sintzendorff, propriétaire en Bohême de plusieurs mines inondées, avait invité Papin à aller les dessécher avec sa machine ; mais les circonstances malheureuses dans lesquelles se trouvait alors l’Allemagne ne lui permirent pas de se déplacer. « Je souhaiterois extrêmement, disait-il, de rendre à Votre Excellence mes très-humbles services, n’estoit que les pays que nous voyons ruinés dans notre voisinage et l’incertitude des événements de la guerre m’avertissent que je ne doibs pas abandonner ma famille de si loing, dans un temps comme celul-cy. » (Recueil de diverses pièces, etc., p. 49.)
  12. M. Robert Stuart croit qu’en Introduisant un flotteur dans la corps de pompe, Papin n’avait pas pour objet d’empêcher la condensation de la vapeur. (Voyez à Descriptive history, 2e édit, p. 52.) Papin s’explique cependant à ce sujet très-clairement, et l’on verra même par le passage que je trouve à la page 26 de l’ouvrage de 1707, combien ce défaut l’avait frappé :

    « Je remarque que les vapeurs chaudes qui passent dans la pompe pour en chasser l’eau, rencontrent dans la macblne (celle de Savery) de l’eau froide qui les condense et leur fait perdre la plus grande partie de leur force…. Ce n’est qu’après que l’eau est échauffée qu’on la peut pousser… ; pour chauffer ainsi l’eau, il faut consumer beaucoup de vapeur ; il faut donc remettre souvent de nouvelle eau dans la cornue (la chaudière) et il faut bien du temps et du bois pour la réchauffer. Mais par le moyen de notre piston (un flotteur à deux fonds), les vapeurs ne rencontrent toujours que la même surface de ce métal, qui acquiert bientôt une si grande chaleur que les vapeurs ne perdent rien ou très-peu de leur force en s’appliquant dessus. »

  13. Thomas Newcomen et John Cawley vivaient l’un et l’autre dans la ville de Darmouth, en Devonsbire. Le premier était quincaillier ou forgeron, car il est désigné, dans les Biographies anglaises, tantôt comme ironmonger et tantôt comme blacksmith ; l’autre exerçait l’état de vitrier (a glazier). Newcomen possédait quelque instruction et était en commerce de lettres avec Hooke, secrétaire de la Société royale, l’un des savants les plus ingénieux dont l’Angleterre puisse se glorifier. On ignore si les deux associés ont pris une part égale aux essais de divers genres qui amenèrent la construction de la première grande machine à vapeur atmosphérique.
  14. Dans les arts, comme dans les sciences, le dernier venu est censé avoir eu connaissance des travaux de ses devanciers ; toute déclaration négative à cet égard est sans valeur. La publication des Mémoires que Papin a écrits sur la machine atmosphérique, étant de beaucoup antérieure aux patentes de Savery et de Newcomen, je n’aurais aucun motif de rechercher si la machine anglaise est ou n’est pas une copie : dans la règle, elle est une copie, puisqu’elle ressemble à la machine de Papin et qu’elle est venue après. Mais on sait de plus, dans ce cas particulier, que Newcomen avait connais- naissance des projets de notre compatriote. Il résulte, en effet, de diverses notes trouvées dans les papiers de Hooke, que l’artiste de Darmouth avait consulté ce savant célèbre avant de se livrer à ses essais, et alors, dans les confidences de l’intimité, c’était bien la machine française qu’il voulait exécuter. (Voyez Robison, a System, etc., tome II, p. 58.)
  15. James Watt naquit à Greenock, en Écosse, dans l’année 1736, de parents estimés, mais pauvres. L’extrême faiblesse de sa constitution semblait ne pas lui promettre un long avenir. Cette fâcheuse circonstance développa du moins en lui de très-bonne heure des habitudes de retraite et d’application sans lesquelles il est rare qu’on fasse de grandes choses. Le jeune Watt fréquenta jusqu’à seize ans une de ces écoles publiques et gratuites nommées en Écosse grammarschool. Ensuite ses parents le placèrent en apprentissage dans un petit atelier où l’on exécutait des compas, des balances, quelques appareils de physique, des cadrans solaires et les divers ustensiles nécessaires pour la pêche ; il y resta quatre ans. Plus tard enfin, Watt se rendit à Londres chez un fabricant d’instruments de mathématiques. Là, un travail particulier l’ayant retenu toute une journée d’hiver près de la porte de l’atelier, il fut pris d’un violent rhume dont les médecins ne purent pas le guérir complétement Il résolut alors d’essayer les effets de l’air natal, retourna en Écosse et y forma un modeste établissement pour son propre compte. Dans l’année 1757, l’Université de Glasgow accorda à Watt, alors figé de vingt et un ans, la charge de conservateur de sa collection de modèles. À ce titre on lui donna un logement dans le collège avec la permission d’y continuer son petit commerce. Robison était au nombre des étudiants de l’Université. il se lia avec Watt, lui confia le projet qu’il avait conçu d’appliquer les machines à vapeur au mouvement des voitures, et l’engagea à s’occuper lui-même de leur perfectionnement Quelques essais faits par l’artiste en 1759, en 1761 et en 1762, n’amenèrent point de résultat mais en 1764 de nouvelles tentatives prirent beaucoup de consistance. Chargé, à titre de simple ouvrier, de réparer une machine de Newcomen qui faisait partie du cabinet de physique, Watt y trouva des défauts que la petitesse des dimensions de ce modèle rendait plus apparents, mais qui n’en devaient pas moins exister dans les grandes machines, quoiqu’on ne les y eût pas signalés. Telle est la date et l’origine des perfectionnements expliqués dans le paragraphe que je consacre à Watt dans l’histoire de la machine à vapeur. Plusieurs années s’écoulèrent cependant avant que Watt pût les soumettre à une épreuve décisive. En 1704, il quitta l’Université après s’être marié, et exerça quelque temps l’état de géomètre-arpenteur. Sa première machine améliorée ne fut exécutée qu’en 1768, mais sur d’assez grandes dimensions, car le corps do pompe avait 18 pouces anglais (0m46) de diamètre. Le docteur Roëhuck qui, par ses avances pécuniaires, avait fourni a Watt les moyens d’achever ce travail, fit établir la nouvelle machine à Kinnel, sur le puits d’une mine de charbon de terre appartenant au duc d’Hamilton tous ces noms m’ont paru devoir être conservés Us sont devenus historiques. Dans cette même année 1768, Watt demanda sa première patente ; il ne l’obtint toutefois qu’en 1769. Enfin, Mathew Boulton de Birmingham devint son associé en 1773, après la retraite volontaire du docteur Roebuck. La fortune de ce fabricant, l’étendue et l’activité de son esprit, les relations personnelles qu’il avait contractées avec une multitude d’individus appartenant à toutes les classes de la société, donnèrent à l’entreprise la plus vive impulsion. Le privilège concède par la patente allait cependant expirer avant que la nouvelle fabrique de Soho eût donné des profits assures. Boulton s’adresse à l’autorité, sollicite la coopération de ses nombreux amis, intéresse à ses projets la cour et la ville, et obtient du parlement, par ses nombreuses et judicieuses démarches, la prolongation du privilège primitif jusqu’à l’année 1800. À partir de cette époque (1775), l’association do Watt et Uoulton prospéra au plus haut degré. La colline stérile de Sobo, près de Birmingham, où l’œil du voyageur apercevait à peine la hutte d’un garde-chasse, se couvrit do beaux jardins, de somptueuses habitations et d’ateliers qui, soit par leur étendue, soit par l’importance et la perfection des ouvrages qu’on y exécutait, devinrent en peu de temps les premiers de l’Europe. Les découvertes de Watt étaient d’une application trop immédiate, trop populaire, pour que des titres académiques pussent rien ajouter à la renommée de ce grand mécanicien. Disons toutefois que les principales sociétés savantes, celles d’Édinburgh et de Londres, par exemple, s’empressèrent de l’admettre parmi leurs membres. L’Institut de France, de son coté, le choisit dès 1808 pour un de ses correspondants et lui accorda en 1814 la plus belle récompense qu’il puisse décerner, en le nommant un de ses huit associés étrangers. Parvenu à un âge avancé, possesseur d’une brillante fortune, fruit de ses nobles et laborieux travaux, entouré de l’estime et du respect du monde entier, Watt quitta les affaires commerciales et se retira dans sa maison de Heatfield, près de Birmingham. Là, le patriarche de l’industrie britannique, toujours bienveillant, modeste et réservé, comme au temps où, dans sa jeunesse, il nettoyait les appareils de l’Université de Glasgow, coulait des jours paisibles dans la société d’un petit nombre d’amis. En 1817, Watt fit un voyage en Écosse. À son retour, sa santé s’affaiblit beaucoup. Enfin, il mourut le 25 août 1819, à la suite d’une courte maladie, et à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Plusieurs statues lui ont été élevées aux frais du public. Tout ce que l’Angleterre renferme de distingué, a mis l’empressement le plus honorable à se faire comprendre au nombre des souscripteurs. (Voir la Notice biographique détaillée consacrée à Watt, t. I des Œuvres et des Notices biographiques, p. 371 à 510.)
  16. À la rigueur, un vase n’est jamais entièrement purgé de fluides élastiques tant qu’il contient de l’eau, car l’eau la plus froide dégage des vapeurs mais, lorsque le liquide d’injection n’a pas une température supérieure aux températures habituelles de l’atmosphère, on peut, dans la pratique, ne pas tenir compte de la vapeur qui en émane.
  17. On se fera une idée exacte de l’importance commerciale que l’invention du condenseur a eue, si l’on veut bien jeter les yeux sur le petit nombre de lignes qui suivent.

    Pour accorder la permission de substituer leurs machines à celles dites de Newcomen, Watt et Boulton exigeaient la valeur « du tiers de la quantité de charbon dont chaque nouvelle machine, à égalité d’effet, procurait l’économie. » Une expérience préliminaire faite sur deux machines de l’une et de l’autre espèce, ayant précisément les mêmes dimensions, montra à combien l’économie s’élevait, pour mille oscillations du piston, par exemple. Une simple proportion donnait ensuite les droits à percevoir dès qu’on connaissait le nombre d’oscillations que la machine employée avait fait chaque mois. Watt et Boulton déterminaient ce nombre d’oscillations a l’aide d’une pièce d’horlogerie attachée au balancier et disposée de manière que chacun de ses mouvements avançait l’aiguille d’une division. Ce mécanisme ou counter était renfermé dans une boîte à deux clefs qu’on ouvrait l’époque du règlement de comptes, en présence d’un agent des inventeurs et du directeur de la mine. Dans la mine de Chacewater, en Cornouailles, où trois machines étaient en jeu, les propriétaires rachetèrent le droit des inventeurs pour une somme annuelle de 60,000 fr., ce qui prouve que la substitution du condenseur, à l’injection qu’on opérait précédemment dans le corps de pompe, y avait procuré une économie de combustible de plus de 180,000 fr. par an.

  18. Papin, comme je l’ai dit plus haut, avait bien prévu on 1695, que les machines à feu ne seraient pas toujours exclusivement employées aux épuisements des mines. À cette époque, il avait déjà indiqué comment on pourrait lier la tige du piston à Taxe d’une roue tournante et transformer le mouvement rectiligne de va-et-vient de la tige en mouvement de rotation de la roue. Le défaut de continuité dans l’action de la machine atmosphérique attira aussi son attention. Pour empêcher que sa roue ne marchât par secousses trop brusques, il proposa d’agir sur l’axe à l’aide des tiges de deux ou même d’un plus grand nombre de pistons appartenant à des corps de pompe distincts et disposés de manière que, dans le cas de deux, par exemple, la tige du premier descendît pendant que celle de l’autre monterait, et réciproquement. Deux corps de pompes de machines atmosphériques ainsi combinées, produiraient exactement l’effet de la machine de Watt. La dépense de vapeur serait aussi précisément la même. L’idée de faire une machine à double effet à l’aide de deux corps de pompe distincts, fut présentée comme nouvelle, en 1779, par le docteur Kalck.
  19. D’après Partington, la machine à double effet construite par Watt pour les mines de Cornouailles (Union mine) est de la force de 250 chevaux ; le diamètre du cylindre est de 1m.6 ; le poids de l’eau soulevé dans les pompes est de 37, 000 kilogrammes ; sous cette charge, le piston fait par minute 6 1/2 doubles excursions ; chaque excursion est de 2m.28 d’où il résulte que le poids de 37, 000 kilogrammes fait, dans une minute, un mouvement de 30 mètres. Le charbon de terre consumé est, par minute, d’environ 14 kilogrammes.

    Dans la machine à double effet, il faut que les excursions verticales de la tige du piston puissent s’effectuer librement au travers du couvercle supérieur du corps de pompe, sans que pour cela l’air extérieur y pénètre au moment de la condensation, et sans qu’ensuite la vapeur s’échappe, quand elle vient agir de haut en bas. Dans ce but on se sert avec beaucoup de succès d’une boîte à étoupe bien graissée, dont l’invention appartient à Watt.

  20. D’après Partington, dans la machine à double cylindre établi » à la mine de Whealvor en 1815, le diamètre du grand cylindre est de 1m,34 ; la capacité du petit cylindre est le cinquième environ de celle du grand ; l’étendue des excursions du piston est 2m,75. La machine conduit six pompes, et son effet moyen peut être évalué à 6,300,000 kilogrammes élevés à un mètre par boisseau de charbon (36 litres). Un laboureur qui travaille dix heures fait, terme moyen, par minute un travail correspondant à l’élévation de 516 kilogrammes à un mètre, ce qui correspond à 309,600 kilogrammes élevés à un mètre par jour. D’après ces données, avec la machine de Woolf, on ferait la journée de vingt hommes en brûlant un boisseau de charbon. En 1822, quand il publiait son ouvrage, Partington affirmait qu’il y avait en Angleterre 10,000 machines à feu au moins, exécutant un travail qui aurait exigé 200,000 chevaux.

    On trouve dans une enquête dirigée par une commission de la chambre des communes que les machines à haute pression de Woolf peuvent moudre, terme moyen, 6 hectolitres 1/2 de blé par boisseau (36 litres) de charbon, et que les machines à basse pression de Watt ne donnent pas plus de 4 hectolitres 1/3 pour la même quantité de combustible.

  21. Voyez le Quarterly Review pour 1818, t. XIX, p. 353 et 355.
  22. L’ouvrage de M. Robert Stuart (voyez page 83, 3e édition) renferme le passage suivant : « Jonathan Hull doit être cité honorablement pour avoir indiqué des roues à palettes mues par une machine à vapeur, comme un moyen de faire marcher les navires sans vent et sans voiles. Ce projet exigeait la transformation du mouvement rectiligne et alternatif de la tige du piston, en un mouvement de rotation. Hull montra qu’une manivelle coudée donnait une solution Ingénieuse du problème. On voit aujourd’hui, avec raison, dans cette invention, l’origine de l’introduction des machines à vapeur dans les usines, comme moteurs de toutes les variétés possibles de mécanique. » Ainsi, dans l’opinion de M. Stuart, Jonathan Hull aurait le double mérite d’avoir inventé les bateaux à comme un ancien philosophe grec, d’en appeler de Philippe à Philippe mieux informé. Si je dois aborder ensuite la seconde objection, j’écarterai aisément l’autorité de l’Académie des sciences, en faisant remarquer que sa règle constante est de ne se prononcer que sur les conclusions des rapports qu’on lui présente. Les développements plus ou moins étendus qui ont accompagné ces conclusions, ne donnent lieu, de sa part, à aucune délibération : le rapporteur en est seul responsable. Or, le rapport très-détaillé concernant les bateaux a vapeur dont l’Académie entendit la lecture le 27 janvier 1823, se termine par des conclusions dans lesquelles je ne vois pas un seul mot qui ait trait aux inventeurs des machines à feu, L’Académie n’a donc rien décidé qu’on puisse m’opposer. Quant au texte même du rapport, j’y trouve, il est vrai, que les Anglais ont les premiers employé la force de la vapeur pour élever les eaux ; que Worcester est l’inventeur dont Savery développa les idées ; que c’est Jonathan Hull qui a songé à faire marcher les navires à l’aide de la machine à feu; mais comme je n’y vois ni le nom de Salomon de Caus ni celui de Papin, quoique, bien ou mal, ils se fussent occupés de ces mêmes questions avant les mécaniciens anglais, j’aurais le droit de reproduire ici les réflexions que l’article de la Biographie universelle m’avait tout à l’heure suggérés, Au reste, des autorités, quelque respectables qu’elles puissent être, n’ont ici aucune importance, La question se réduit à savoir si les ouvrages dont je me suis étayé ont bien la date que je leur assigne et si mes extraits sont fidèles. Toutes les académies du monde auraient décidé, d’un commun accord, que Worcester a imaginé le premier de pousser l’eau par la force élastique de la vapeur, qu’il n’en resterait pas moins établi que l’idée appartient à Salomon de Caus, car 1615 a précédé 1663, Tant qu’on n’aura pas prouvé de mème que l’année 1695 a suivi 1736, Papin, malgré l’autorité de tous les rapports présents, passés et futurs, aura le mérite d’avoir proposé les bateaux à vapeur 42 ans avant Jonathan Hull, son compétiteur.
  23. Le bateau essayé à Lyon renfermait deux machines à vapeur distinctes. Les événements de la Révolution française forcèrent M. de Jouffroy d’émigrer, et toutes ses tentatives ne purent avoir aucune suite.
  24. On trouve dans l’Histoire de la machine à feu de Robison, édition commentée par Watt, p. 48, le paragraphe que voici Le docteur Papin, Français, invente vers ce temps-là (vers 1999), un moyen de dissoudre les os dans l’eau et autres matières animales solides, en les renfermant dans des vases parfaitement clos quil appelait digesteurs. Ces matières acquéraient ainsi un grand degré de chaleur. Je dois observer ici que Hooke, le plus subtil expérimentateur d’un siècle si fécond en recherches ingénieuses, avait trouvé longtemps auparavant, c’est-à-dire en 1684, que l’eau ne peut acquérir au delà d’une certaine température quand on la chauffe en plein air, et qu’aussitôt qu’elle commence a bouillir, elle marque toujours le même degré. » Pour que ce passage fat exact, il faudratt que La Manière d’amollir les os n’eût pas été publiée en 1682 mais comme 1682 est bien la véritable date de l’ouvrage de Papin, il faudra transformer le longtemps auparavant du docteur Robison, en quelque temps après, les arguments empruntés à l’arithmétique sont irrésistibles.
  25. Partington affirme, dans son intéressant ouvrage, que les premières machines de Savery avalent déjà une soupape de sûreté ; mais c’est une erreur : la figure insérée dans le tome XXI des Transactions philosophiques n’en offre aucune trace. Au demeurant, cela serait vrai, que Papin n’en resterait pas moins le véritable inventeur, puisque sa description imprimée est de 1682, que la patente de Savery ne remonte qu’à 1698 et que le premier essai de sa machine devant la Société royale est de 1699. (Trans., tome XXI, p. 288.)