Texte établi par Johannès Merlat, Société de l'Imprimerie de La Loire républicaine (p. 20-32).

II

Les écoles à Saint-Etienne de 1675 à la Révolution.

§ 1er . — L’instruction publique relève de l’Église.

Le mouvement de réaction piétiste qui caractérisa le XVIIe et qui aboutit à la longue Terreur de la Révocation de l’Edit ne devait pas manquer d’utiliser les écoles. L’Église de France, par ses conciles, a souvent réclamé des écoles : pressée par la Réforme, elle a particulièrement insisté au XVIe. Elle y a toujours vu, d’abord et avant tout, un puissant moyen d’instruction, d’éducation religieuses. La société civile elle-même partageait ce sentiment : il y a de longues années que les bourgeoisies considèrent la religion comme la pierre angulaire du bon ordre. Aussi l’enseignement du peuple était-il, surtout, œuvre de piété, placé sous la direction et la surveillance de l’Église, des curés et des évêques. L’instituteur devait d’abord remplir cette indispensable condition d’offrir toutes les garanties au point de vue de la foi[1]. L’Édit de Nantes ne permet aux réformés d’ouvrir des écoles que dans les villes où l’exercice de leur culte est permis.

Jusque vers la seconde moitié du XVIIe, le souci de l’instruction du peuple semble avoir été borné à des recommandations comme celles des conciles dont je viens de parler : « qu’il y ait dans chaque paroisse une école » (Chartres 1526) — « il y aura des maîtres d’école pour l’instruction de la jeunesse dans toutes les paroisses » (Cambrai 1565) — « qu’il y ait des écoles dans les villes, bourgs ou villages » (évêque d’Évreux 1576), — etc. Je ne veux pas dire qu’on ne fit rien, mais on fit très peu. Vers le milieu du XVIIe on tenta, plus généralement, une organisation qui, dans certains diocèses, allait prendre un caractère administratif. Il y eut un mouvement, inspiré, je le répète, par un désir de propager l’instruction religieuse. Dans le diocèse de Lyon, on avait obtenu, le 7 mai 1674, un arrêt du Conseil défendant de tenir école sans la permission de l’Archevêque. Des Lettres-patentes de mai 1680 placèrent ensuite, sous son autorité toutes les écoles du diocèse. De 1679 à 1681, on créa à l’Archevêché un « Bureau des Écoles », un service d’inspection et même de sous-inspection[2]. L’action de l’Archevêque sur les écoles au point de vue « spirituel » s’exerçait naturellement par un de ses vicaires généraux ; c’est au point de vue du « temporel » que le Bureau devait agir. Au fond, les deux catégories d’intérêts n’étaient pas distinctes et les inspecteurs s’inquiétaient des deux avec une égale autorité.

Ce Bureau avait pour attribution principale la direction du séminaire lyonnais, de Saint-Charles, qui était une véritable école normale. L’action de ce séminaire devant s’étendre sur toute la circonscription diocésaine, son directeur était aussi le directeur général des écoles du diocèse. Mais on pouvait instituer, on institua, des Bureaux locaux relevant du Bureau de Lyon et bénéficiant d’une presque complète autonomie.

Je vois qu’à la suite de l’inspection de 1687, un Bureau de ce genre fut institué à Saint-Étienne ; qu’en 1720, le 20 septembre, à la suite d’une visite pastorale qui avait donné, à Saint-Étienne, de grandes satisfactions au point de vue scolaire, l’Archevêque, — pour les écoles stéphanoises, « lesquelles ont toujours été sous la direction du Bureau des Écoles établi dans la ville de Lyon » — constitua un Bureau particulier, « émanation » du Bureau général, et « distingué » de lui, dit une autre nomination de 1727. Je vois que ce Bureau particulier est composé du curé, président de droit, de trois ecclésiastiques et de trois laïques.

Le Bureau de Lyon donnait les permissions d’enseigner. Après 1681, les Lettres de permission données précédemment durent être renouvelées, sans exception.

Déjà, le 28 juillet 1676, l’Archevêché avait interdit les écoles mixtes et ordonné qu’il n’y aurait que des écoles de garçons et des écoles de filles, distinctes.

§ 2. — Les fondations des Petites-Écoles à Saint-Étienne.

À Lyon, on avait créé des écoles publiques pour les familles incapables de payer une rétribution. L’exemple fut suivi à Saint-Étienne.

Il y avait déjà des écoles, je l’ai dit. Il y avait des écoles libres qui devaient être nombreuses : on verra plus loin leur nombre et leur qualité en 1684-87. Ce qu’étaient les écoles où les enfants des pauvres gens pouvaient être gratuitement admis, je ne le vois pas. Je ne sais que ce que rapporte le curé Guy Colombet au sujet des Ursulines et de leur école gratuite de filles.

a) Les écoles de garçons. — L’école de la Grand. — C’est le curé Guy Colombet qui eut la pensée de créer quelque chose d’équivalent pour les garçons. En 1675, il réussit à ouvrir pour eux une école gratuite et il y fit entrer 70 élèves. Il institua pour maître de cette école, un ecclésiastique nommé Maza qu’il fit venir de Lyon, qu’il logea à la cure[3] et qu’il paya des ressources de sa libéralité et de la libéralité de quelques âmes pieuses. En 1678, Maza fut remplacé par un sous-diacre de Saint-Étienne, Claude Carrier.

L’institution, d’initiative privée et soutenue au jour le jour, ne tarda pas à être définitivement constituée : Le 3 mai 1679, on lui assura, non seulement la sécurité du lendemain, mais un fonctionnement perpétuel : un local en toute propriété et une rente assez forte pour rétribuer le maître. Cette fondation fut faite par trente-neuf personnes mues de piété, qui souscrivirent ensemble une somme de 4215 liv. Un capital de 3000 liv. fut versé dans la caisse de l’Hôtel-Dieu à la charge, par lui, de payer un revenu annuel et perpétuel de 150 liv. « pour le salaire du maître ». Le surplus fut laissé entre les mains du curé qui, assisté de deux souscripteurs, devait l’affecter à « la construction dud. oratoire ou chapelle dans laquelle sera établie ladite petite école ». Cet oratoire devait être et fut construit à côté de la Grand, à l’extrémité du cimetière, à l’endroit même où a été édifié, récemment, le presbytère, rue Sainte-Catherine.

L’acte de fondation témoigne de la belle confiance de ces braves gens dans la perpétuité de leur œuvre : ils disent que « leur intention est que l’ouvrage soit perdurable » ; que la rente a pour garantie tous les biens immeubles de l’Hôtel-Dieu, que cette rente « sera et demeurera irracheptable » et qu’ils font de cette clause « la condition expresse sans laquelle les d. susnommez n’auroient fait ce fond » ; ils disent que « cette dépense regarde l’Hôtel-Dieu, l’aumône d’une bonne éducation estant plus profitable aux pauvres que la simple nourriture du corps. » En échange de leur libéralité, les fondateurs s’assurent que les écoliers prieront pour eux. Le contrat portait règlement de l’École : j’y reviendrai. Approuvé par le vicaire général en 1681, il fut imprimé en 1682 avec une touchante dédicace du curé à ses souscripteurs. Je ne cache pas que j’éprouve quelque peine à voir la fragilité de tant de précautions au service d’aussi louables espérances.


L’école de Notre-Dame. — La première fondation donna des résultats encourageants ; mais, visiblement, elle était insuffisante. Par sa situation, cette école avait l’apparence d’être, non pas l’école de toute la paroisse, mais l’école de la Grand, des quartiers de la rive gauche du Furan. Or, on venait de construire (1669) pour les quartiers de la rive droite, une nouvelle église succursale, Notre-Dame, pour laquelle on ambitionnait la dignité d’église paroissiale. La nouvelle paroisse ne devait-elle pas avoir aussi son école de garçons ?

Elle fut fondée le 3 mars 1683, d’un seul bon mouvement de piété qui poussa un brave bourgeois à faire, à lui seul, ce qu’avaient fait les souscripteurs du curé Colombet. Ce brave homme s’appelait François Bérardier ; il est qualifié sur l’acte « marchand bourgeois. » J’ai regret que ses concitoyens n’aient pas conservé, en quelque témoignage de reconnaissance, le nom de ce fondateur d’école.

Le 6 janvier 1683, François Bérardier fit à la Commune la proposition de créer, près Notre-Dame, une seconde école de garçons, attendu que « l’establissement fait d’une petite escolle n’estoit pas suffisant ». La proposition acceptée, Bérardier, par contrat du 3 mars suivant, s’engage à payer, sa vie durant, l’annuité de 150 liv. due au maître ; à laisser à sa mort le capital de 3000 liv. à l’Hôtel- Dieu ou à la Charité pour assurer perpétuellement le service de cette annuité et, enfin, à faire construire à ses frais « le bastiment… sollidement… en sorte que la depence soit pour le moins de quinze cents livres. » En échange, le fondateur réclame des prières, la permission de placer un banc dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu. De plus, l’assurance que sa cotte de la Taille (l’impôt sur le revenu) ne sera augmentée que dans la proportion où l’imposition générale serait augmentée elle-même : c’était sa vie durant ; je ne vois pas l’importance de la concession. Cette école eut une installation provisoire où elle fut inspectée en août 1684 ; elle fut installée, peu après, rue du Parvis-Notre-Dame, à l’angle de Chavanel.

Tel fut l’établissement des deux écoles qui, pour les garçons, constituèrent jusqu’à la fin du XVIIIe, le seul instrument d’enseignement public[4]. Il faut ajouter, toutefois, qu’elles ne restèrent pas jusqu’à la fin dans l’état primitif d’une énorme classe de soixante-dix élèves avec un seul maître. Les admissions croissant, on doubla les classes. Je vois en 1738 (le 20 mars) une donation de Gabrielle de la Vehue[5] à l’Hôtel-Dieu : 5000 liv. à la charge de payer annuellement 100 liv. pour le second maître de l’école de la Grand, plus 400 liv. pour que ce second maître fasse le catéchisme aux enfants dans la chapelle de Polignais, les dimanches et fêtes.

Ces deux écoles de garçons, jusqu’à la fin, furent tenues par des ecclésiastiques. On prévoyait, cependant, l’installation des frères ignorantins de J.-B. de la Salle, qui avait ouvert à Reims en 1679 leur première école de garçons. Jacques Turge, curé de la Grand, donna à l’école de garçons de sa paroisse — à la charge de quelques prières et de trois messes — 50 liv. de rentes dont le capital, 1349 liv. fut remis à l’Hôtel-Dieu le 3 juillet 1766. L’acte indique, — comme les contrats de fondation, — cette condition que l’instituteur « sera prêtre ou promu aux ordres sacrez, qu’il ne sera point vicaire, confesseur de religieuses, ni sociétaire ou desserviteur participant de l’une et l’autre des deux paroisses de Saint-Étienne et Notre Dame »… ; mais cette condition, dans l’esprit du testateur, n’était qu’un pis-aller ; l’acte, en effet, ajoute que la rente devra être payée aux ignorantins le jour où ils seront mis en possession des écoles, car « l’intention du d. défunt Mre Turge a été de procurer en cette ville établissement des frères ignorantins et d’engager par son exemple des pieux citoyens à concourir à cet établissement »…

Les ignorantins ne devaient venir à Saint-Étienne qu’en 1806.

b) Les écoles de filles. — Les Ursulines me paraissent être restées seules jusqu’en 1708. À ce moment, on fit pour les filles mieux qu’on n’avait fait pour les garçons : on fonda quatre écoles. Les actes de ces fondations ne me sont pas connus : les minutes des notaires stéphanois, compulsées à cette intention, donneraient, certainement, des renseignements précis. Il est sûr que ces fondations furent l’objet de donations pieuses qui assurèrent, d’abord le fonctionnement immédiat, puis le fonctionnement perpétuel par des rentes constituées. Le détail de ces donations ne m’est pas connu non plus. Ce que j’en puis dire, c’est qu’un excellent prêtre, Pierre Molin, paraît avoir été l’âme de ce petit mouvement. Le testament de Jeanne Molin (24 novembre 1709) fut certainement l’un des premiers actes. Celui d’Odet Joseph de Solleysel (15 mai 1715) donna à la Charité le domaine de Courbonay au Chambon, sous l’obligation de payer une rente annuelle de 150 liv. pour une école faite par une fille de « la Providence ». En 1740 (3 août), Marie-Marguerite Faure, veuve Jean Gueydin, lègue à la Charité 200 liv. et une maison à la charge de payer annuellement 60 liv. aux Petites Écoles des filles. Combien d’autres, jusque bien plus tard. En 1769 (le 7 juillet) François Paquet, par testament, lègue à l’Hôtel Dieu 10.000 liv. à la charge de payer aux sœurs des Petites-écoles une pension de 200 liv. Malgré tant de legs, les écoles de filles ne furent jamais en possession de leurs pleins moyens d’existence. En 1789, la Commune donnait une allocation annuelle de 200 livres affectée à leur logement.

Par ces fondations, l’enseignement public des filles fut enlevé aux Ursulines. Ces quatre écoles furent remises entre les mains de sœurs qui ont été appelées « de Saint-Charles » et qui ont été quelquefois appelées plus justement « sœurs des Petites-écoles ». C’est un chanoine de l’Archevêché de Lyon, Charles Demia (1636-1689) qui avait fondé à Lyon cet ordre qu’il avait placé sous la protection du séminaire. Cette congrégation devait sa plus grande activité à l’enseignement des petites filles des familles pauvres.

Quelques filles pieuses étaient entrées à la Charité en 1695 « pour la direction des filles pénitentes » (un « Refuge »). D’autres, pour y prendre soin des incurables, tenir la pharmacie, etc. Elles furent constituées en communauté « de la Providence », le 11 juin 1707. — Le 8 septembre de cette année, l’abbé Molin fit venir, à ses frais, de la communauté de Saint-Charles le Lyon, deux sœurs, Antoinette Trevon et Catherine Vial « pour commencer l’école des pauvres » ; ces deux sœurs trouvèrent plus profitable de se retirer de la Providence « pour enseigner les enfants des riches de la ville ». L’abbé Molin ne se découragea pas : il envoya à Lyon, à Saint-Charles, une stéphanoise de 21 ans, Jeanne Dager, « pour apprendre à tenir les petites écoles ». À son retour, cette fille entra à la Providence et ouvrit la première Petite-école le 30 février 1708. D’autres religieuses, instruites par Jeanne Dager, furent attachées à la même œuvre.

Ces sœurs enseignantes, le 5 novembres 1734, quittèrent la Charité à la suite d’un conflit avec les recteurs, accusées par ceux-ci de n’avoir « voulu se soumettre à suivre la règle et police généralle establie par le Bureau pour tous ceux qui sont renfermés dans cette maison de prendre des billets de sortie »… alors cependant que la Charité avait été bienveillante pour elles, qu’elle les avait logées et qu’elle leur avait fourni « sans intérest ny profit bien des choses utilles et que l’on serait charmé de continuer attendu l’utilité de leurs fonctions aux pauvres filles de cette ville qu’elles enseignent »… Conseillées, semble-t-il, par le curé Thévenet, elles s’en allèrent je ne sais où. Ce n’est qu’en 1740 (le 28 décembre) que Gabrielle de la Vehue leur donna, place Roannel, une maison qui devait leur servir de logement et recevoir aussi l’école de filles de ce quartier. En 1789, elles étaient, là, dix sœurs. J’ai sous les yeux la règle de cet ordre : je n’y pourrais faire — l’éducation pieuse de l’institutrice mise à part — aucune constatation d’ordre pédagogique.

Je n’ai que de vagues indications sur les emplacements de ces anciennes écoles de filles : rue de Lyon, à Polignais, etc. L’école de la place Roannel existe encore : la façade est ornée d’une petite niche avec une madone.

c) Efforts pour mieux faire. — Ces six écoles publiques étaient bien loin de répondre aux nécessités de la situation. La population de deux paroisses stéphanoises est évaluée par Messance à 23.000 habitants au commencement du siècle et à 28.000 en 1780. Douze classes de 70 élèves ne pouvaient recevoir que 840 élèves, le contingent scolaire d’une seule année à peu près[6]. Une pièce sans date qui est d’environ 1738, dit que les douze maîtres ou maîtresses enseignent plus de 600 enfants.

En 1728, le curé de la Grand, Laurent Boyer — mu, sans doute, par le désir de faire exécuter l’ordonnance de mai 1724 — agit auprès de la Commune pour l’associer à une requête au roi en faveur d’un projet d’extension. L’adresse aux échevins contient cette belle affirmation : « un des devoirs les plus importans de la société civile est sans contredit celuy de l’instruction des enfans : sans elle, leurs devoirs envers Dieu, envers leur famille et envers leur Patrie ne sauroient estre remplis ». La nécessité d’ouvrir des écoles est longuement exposée dans ce document : si « les enfans d’honneste famille » sont instruits chez eux « par leurs parens…, par les maistres qu’ils payent et dans les collèges par les regens », il n’en est pas de même pour les pauvres : « le soin qu’ils sont obligés d’avoir pour gagner leur vie fait qu’ils oublient celuy de leur apprendre à bien vivre et, eux mêmes ayant esté mal élevés, ils ne peuvent communiquer à leurs enfans une éducation qu’ils n’ont jamais eue »… d’où nécessité « des escoles publiques establies uniquement pour les pauvres » et dans lesquelles on leur enseignera « ce qu’ils doivent à Dieu, ce qu’ils se doivent à eux-mêmes et ce qu’ils doivent aux autres ». Le document constate l’état des choses : « il y a, actuellement, six escoles où il ne reste rien à désirer » : mais, ajoute-t-il, « le peuple presque infini qui se trouve dans lad. ville exige qu’on y en établisse encore six autres ce qui fera douze en tout : six pour les garçons et six pour les filles ». Les six écoles existantes ayant déjà un revenu de 2.000 liv. de rentes, c’est un revenu égal qu’il faudrait constituer. On avait entrepris cette constitution et déjà on avait réuni une somme importante qui sombra dans le krach de Law : « 15.000 liv. furent réduites à 3.800 dont le revenu est à deux et demy pour cent sur l’Hostel de Ville de Paris ».

Le curé Boyer espérait obtenir le capital nécessaire de la piété de ses paroissiens et créer les six nouvelles écoles sans demander de recourir à l’impôt municipal autorisé, en pareil cas, par l’ordonnance du 14 mai 1724. Il réclamait pour mener à bien son entreprise, une administration des écoles stéphanoises, un Bureau gratifié de la personnalité civile ayant pouvoir d’accepter dons et legs, d’acquérir, d’administrer, etc., lequel Bureau eût été composé d’un membre de droit, le curé président, de deux ecclésiastiques (un de la Grand, l’autre de Notre-Dame) et de deux bourgeois tous quatre nommés, la première fois par l’Archevêque et ensuite, tous les quatre ans, par les membres sortants. Le curé proposait une complète autonomie : même financière ; l’un des membres étant trésorier, recevant et payant. Il acceptait cependant que la Charité continuât son rôle de banquier bienveillant. Le règlement des écoles eût été édicté toujours par l’Archevêché, les maîtres toujours envoyés du séminaire de Saint-Charles par le directeur, directeur général des Écoles ; les maîtresses prises dans la maison de la Providence de Saint-Étienne, laquelle maison continuerait à mettre son « temporel » à la disposition du Bureau des écoles.

Pour la réalisation de ce projet, le curé désirait que la Commune demandât au roi les Lettres-patentes nécessaires à l’obtention de la personnalité civile. Je ne sais ce qui advint de ces démarches, mais je sais que les six nouvelles écoles ne furent pas créées.

§ 3. — Les programmes des Petites-Écoles à Saint-Étienne.

Je ne connais d’autre règlement d’école que celui qui est annexé au contrat de fondation de 1679. Le contrat de fondation de 1683 se borne à dire que « l’establissement de la seconde petite escolle est fait à l’instar de la première ».

Le contrat de 1679, entre dans les plus grands détails.

La population scolaire. — « Ceux qui seront reçus seront du nombre des pauvres… le nombre des escoliers sera toujours pour le moins de 60 et ne pourra excéder celui de 70… choisis dans toute l’étendue de la paroisse ». Recommandation : « surtout n’y pas introduire des enfants qui ayent de quoy payer un autre maître pour quelque considération que ce puisse être ».

Les admissions sont ordonnées par un comité, un « Bureau » élu par les fondateurs composé de sept d’entre eux — un pour chacun des quartiers de la paroisse — et présidé par le curé. Après le décès des fondateurs, ce Bureau devait être élu, dans les mêmes conditions, par l’Assemblée de ville convoquée pour élire les échevins. Les pouvoirs de ce Bureau sur les admissions sont sans exceptions, « n’estant pas au pouvoir de sieur curé d’y en mettre aucun de son chef, ains par un commun suffrage. »

L’enseignement est absolument gratuit… « sans que le maître puisse exiger, ni recevoir… aucune chose ny par rétribution, ny par présent, à peine d’être destitué à la première fois qu’il s’en trouvera convaincu ».

Âge de la scolarité. — « Pour le moins, huit à neuf ans : les plus agez préférez à ceux moindres d’âge comme pouvant y avoir place une autre fois ».

Le Maître. — « Sera promu aux ordres sacrez et, autant « que faire se pourra, prestre de bonne vie et mœurs ».

Il ne pourra être ni vicaire, ni confesseur de religieuses, ni sociétaire, « pour qu’il n’y ait d’interruption à l’enseignement, cet employ demandant son homme tout entier ».

Il sera nommé par le curé et les fondateurs. « Après leur décès généralement de tous », par le curé assisté des deux premiers échevins et des deux premiers directeurs de l’Hôtel Dieu, par pluralité de suffrages.

La fonction est confiée temporairement : le maître ne doit pas cesser de la mériter. Claude Carrier, sous-diacre est nommé pour trois ans « sauf à estre continué s’il s’acquitte de son devoir ou destitué s’il venoit à se relacher ».

Lorsque le maître sera empêché, « sera tenu de substituer un autre à sa place, de l’agrément des directeurs de l’escolle ».

La matière enseignée. — « Seront enseignez à lire, escrire et chiffrer… S’appliquera particulièrement le maître à enseigner le catéchisme aux escoliers, selon qu’il se pratique, tous les jours, particulièrement le samedy au soir, auquel catéchisme du samedy pourront assister les enfans quoyque non receus à l’escolle pour y estre instruits ».

« Le surplus de la direction en ce qui touche le spirituel… appartiendra aud. sieur curé et ses successeurs en y faisant garder le mesme ordre et la mesme discipline qui a esté observée jusques à présent et à l’instar de ce qui est pratiqué à Lyon conformément au Livre de l’escole paroissiale ». Il serait intéressant de retrouver un exemplaire de ce Manuel de pédagogie catholique du XVIIe, le Livre de l’école paroissiale.

L’année scolaire et les heures de classe. — Vacances en septembre : du 8 (Notre-Dame) au 30.

Enseignement « tous les jours d’œuvre », le jeudi excepté, « lorsqu’il n’y aura point de festes dans la semaine ». On se rappelle que le nombre des fêtes chômées était, autrefois, assez élevé.

Classes, le matin de 7 h. et demie à 10 ; — le soir de 1 et demie à 4.

Les obligations pieuses. — Prière le matin et le soir avec chaque fois, un Pater et un Ave pour les « bienfaiteurs ».

Tous les malins, messe : à l’élévation O salutaris hostia et à la fin De profundis.

Tous les soirs, à l’issue de la classe, adoration du Saint- Sacrement, à l’église, et De profundis.

Tous les premiers lundis de chaque mois, décembre, janvier, février exceptés (mauvais temps), messe dans l’église de l’Hôtel-Dieu ; les écoliers « chanteront la prose Languentibus, « le De profundis et l’oraison à la fin par le maître à l’intention des dénommez ».

Le maître est tenu, en outre, de faire mention des bienfaiteurs dans toutes ses messes, s’il est prêtre ; sinon, de dire chaque jour, à leur intention, « un Salve regina avec l’oraison ».

À ces pratiques pieuses ordonnées par le contrat de fondation, s’ajoutèrent celles qui furent acceptées avec les donations ultérieures. Je n’ai pas la liste complète.

Pour mademoiselle de la Vehue (1738 — 20 mars) chaque jour, après la classe, un De profundis.

Pour le curé Turge (1766 — 3 juillet) trois messes basses à la Grand, à l’issue de l’école, les 14 janvier, 20 octobre et 24 décembre, anniversaires de sa naissance, de son décès et de sa prise de possession de la cure de Saint-Etienne.

A la suite de cette indication du programme des écoles de Saint-Etienne, je signale le programme de l’école qualifiée « collège » des frères ignorantins de Condrieu, programme indiqué — comme une réclame — à l’Almanach de Lyon de 1759 :

Condrieu. — Frères de la Doctrine chrétienne. — Ce collège a été établi en 1756 par M. Jérôme Chieze, curé de Condrieu. On y apprend les éléments de la religion, à lire, à écrire et à chiffrer. Ces frères sont au nombre de quatre, enseignent tout cela par signes et sans parler. Ils ont 240 écoliers séparés en deux classes et 20 pensionnaires. — Directeur, le frère François de Jésus.

On peut croire à quelque exagération : la lecture enseignée « par signe et sans parler », voilà un procédé pédagogique vraiment trop… surnaturelNote de Wikisource.


§ 4. — Les inspections des écoles à Saint-Étienne
de 1684 à 1687.

J’ai dit que l’Archevêché avait organisé un service d’inspection des écoles. Ce sera la partie la plus intéressante de cette étude de voir de près les écoles de Saint-Étienne et les jugements qu’en portaient leurs inspecteurs.

a) Devoirs des inspecteurs. — Ils étaient officiellement appelés « Courriers des écoles ». La pièce suivante est un véritable ordre de service. La copie peu correcte que j’ai eue sous les yeux ne porte pas de date : 1682 environ.

Ce que MM. les Courriers observent quand ils font la visite.

À ce qu’il plaise à Dieu bénir le commencement de leur visite qu’ils n’entreprennent que pour sa gloire, ils vont dans la plus prochaine église pour y prier selon son intention.

Et ayant pris ordre de M. le Directeur, ils vont chez le plus prochain des maistres des escoles lesquels, le trouvant luy font sçavoir qu’ils viennent faire visite chez luy de l’authorité de monseigneur l’Archevêque et de l’ordre de M. Demias, directeur général des escoles.

Ensuite, l’ecclésiastique se met à genoux devant l’oratoire qui se trouve à la classe et commence Veni sancte Spiritus, etc. Tous les assistans se mettent aussy à genoux pour luy répondre.

(S’adressant à) un des maitres[8] lui demande sy ses Lettres sont renouvellées et s’il a permission d’enseigner, s’il a fait faire la prière, sy ses escoliers ont dit la demande du catéchisme et on le prie de la faire faire comme les escoliers la font ordinairement.

Quelle est la méthode pour leur faire apprendre le catéchisme, sy tous les plus grands de son escole en ont ? Quelle est celle qu’il tient pour la lecture ? Quels sont les livres de son escole, s’ils sont catholiques et s’ils sont conformes aux règlements et aux livres des escoles qui ont esté imprimés pour son employ ?

S’il se sert pour donner des exemples de l’abrégé des plus belles actions et maximes des saints qui a esté imprimé pour ce sujet ?

L’ecclésiastique interroge ses escoliers du catéchisme et commence par les plus grands de l’escole et veoit comme ils y sont instruits ; faire lire quelques leçons pour observer la prononciation qu’ils ont ; s’ils savent la prière du matin et du soir, l’oraison de l’heure, les actes qui sont sur la feuille de prière, l’Angelus, les commandements de Dieu, s’ils sont bien instruits pour la confession.

Et de tout on dresse un verbail des contraventions aux règlemens pour le présenter à M. le Directeur.

L’on finit cette visite par le Sub tuum præsidium et un Pater et un Ave pour obtenir une plus grande protection à cette escole.

N’est-il pas très apparent que le rédacteur n’a souci que d’instruction religieuse ? Il sait que l’usage de la lecture n’est pas très répandu et il suppose qu’on apprend le catéchisme de telle manière que tous les élèves n’ont pas le texte sous les yeux (l’inspecteur doit s’informer si ce texte est sous les yeux des plus grands) et qu’on leur apprend chaque jour une « demande » en la leur répétant à satiété.

b) Inspections : avril et août 1684, et juin 1687. — Toutes les paroisses n’avaient pas la chance d’avoir des écoles. Au nombre de celles qui n’en ont aucune, je relève sur le carnet de l’inspecteur :

Saint-Jean-de-bonnes-fonts ;
Le Chambon ;
Firminy, où, cependant, « M. le sacristain s’est chargé de faire l’escole » ;
Sury-le-Comtal ;
Saint-Marcelin ;
Saint-Jean-Soleymieux ;
Chazelles-sur-Lyon, etc.

Firminy avait cependant près de 4000 habitants et Le Chambon plus de 2000.

Je n’ai pas besoin d’ajouter que si ces grandes paroisses manquaient d’écoles, les plus petites n’en avaient pas davantage.

À Saint-Étienne les écoles étaient nombreuses. Voici les notes particulières : je les ai classées, mais le texte est intact et complet.

  1. Les témoignages sont nombreux. Voir notamment l’Édit d’avril 1695 sur la juridiction ecclésiastique (article 25).
  2. À la suite de l’inspection de 1687, deux instituteurs stéphanois, Carrier et Terrasse, un prêtre et un laïque, furent chargés, en sous-ordre, d’une inspection permanente.
  3. Le curé habitait seul le presbytère. Les prêtres sociétaires avaient leurs domiciles particuliers, vivaient le plus souvent dans leurs familles.
  4. L’Almanach de Lyon de 1789, indique quatre écoles de garçons. Je crois à une erreur provenant de ce qu’on n’a pu croire que les écoles de garçons fussent en moindre nombre que celles des filles. Je n’ai trouvé aucune trace de fondation d’école dans les dernières années de l’ancien régime.
  5. Encore une admirable donatrice dont le souvenir n’a pas été conservé.
  6. La population de 28.140 habitants est ainsi évaluée sur un contingent annuel de 1.005 naissances multiplié par 28.
  7. Note de Wikisource Cette méthode simultanée "à la muette" est réelle, et décrite par Sébastien Cherrier dans Methodes nouvelles pour aprendre a lire aisement & en peu de tems, chapitre IX
  8. Dans la copie que j’ai sous les yeux les mots s’adressant à manquent. Le sens les indique de reste.