Notice historique sur L’Abord-à-Plouffe/L’Abord-à-Plouffe

Typographie L’Action populaire (p. 9-13).

CHAPITRE I



L’ABORD-À-PLOUFFE


Origines — Nom véritable — Site — Étendue — Population — Avantages — Anecdotes —


Ce nom évoque des souvenirs. Il rappelle la mémoire d’une famille nombreuse, les Plouffe, et d’une famille encore plus nombreuse, les Cageux. Pour retracer l’origine de cette région de l’Abord-à-Plouffe il faut remonter à 1740 car ce fut dans cette même année que le premier Plouffe arriva sur l’Île Jésus avec un nommé Taillefer. Les Plouffe, et il y a encore 30 chefs de famille de ce nom aux alentours avaient un morceau de terrain sur le bord de la Rivière des Prairies. Ce terrain occupé aujourd’hui par les Jésuites est placé à l’extrémité sud de l’Île Jésus, en face de Cartierville, et tout à côté du grand Pont qui unit les deux rives. L’Île Jésus s’appelait alors l’Île Montmagny. Les Cageux quand ils venaient des Grands Lacs ou du lointain Missisipi, après avoir navigué sur la Gatineau, la Rivière Ottawa et après avoir traversé le lac des Deux-Montagnes et sauté le Cheval Blanc, devaient s’apprêter à sauter les terribles et dangereux rapides du Crochet. Pour ce faire il leur fallait s’arrêter à l’endroit propice et séparer les énormes cages sur lesquelles ils avaient voyagé. Cet endroit c’était chez les Plouffe… L’Abord-à-Plouffe : tel fut donc le nom qu’on donna naturellement à l’endroit.

D’aucuns prétendent aussi que ce lieu reçut son nom de ce que le GrandBac qui traversait les voyageurs d’une rive à l’autre appartenait à la famille Plouffe. Peu importe ! L’endroit fut baptisé de ce nom et l’appellation s’étendit ensuite à tout le rang qu’on nommait jusqu’alors le Rang du Bord de l’eau.


(N. B.) Nous croyons intéresser nos lecteurs en leur donnant ici deux extraits de nos registres paroissiaux. Ils ont été écrits et signés par le premier curé de St-Martin et ils ont un véritable cachet d’antiquité. Nous les reproduisons avec le respect du texte et de l’orthographe… Les « plouf » et « les leblanc » étaient déjà nombreux à l’Abord-à-Plouffe.

« L’an mil sept cent soixante et quatorze, le vingt et un du mois de Novembre, après la publication de trois bans pendant trois dimanches de suitte aux messes solennelles entre joseph jacques plouf fils de charles plouf et de marie cécile berthiaume les pères et mère de la paroisse de saint Martin d’une part et marie geneviéve taillefer fille de pierre taillefer et de marie marguerite chartrand les père et mère aussi de la même paroisse, de l’autre part, je soussigné curé de la paroisse de saint Martin ai reçu leur mutuel consentement de mariage et leur ai donné la bénédiction nuptiale avec les cérémonies prescrites par la sainte église en présence de charles plouf père de l’époux, laurent plouf son oncle, pierre taillefer père de l’épouse jean taillefer son oncle, françois antoine son frère lesquels ont dit ne savoir ni écrire ni signer.

payet ptrê

« L’an mil sept cent soixante et quatorze les dix huit du mois de mai, je, payet prêtre curé de l’église de St-Martin de l’isle jésus soussigné ai baptisé la fille née d’aujourd’hui de julien leblanc et de marie gaulin les père et mère mariés ensemble à qui on a donné le nom de marie victoire ; le parrain a été Louis Payet de Montréal la marraine marie victoire fortin d’ici lesquels ont déclaré ne savoir écrire ni signer.

payet ptrê »

Mais devra-t-on écrire Bord-à-Plouffe ou l’Abord-à-Plouffe ? Une polémique très amicale que j’eus avec un Père de Ste-Croix me donna gain de cause. Le bureau fédéral des Recherches Historiques m’indiqua l’Abord-à-Plouffe comme le nom véritable et consacré. Plusieurs écriront encore Bord-à-Plouffe : l’habitude devient souvent seconde nature… L’Abord-à-Plouffe qui s’écrivait l’Abord-à-Plouff est agréablement située au sud de l’ile Jésus, nous l’avons dit. Elle est bornée au nord par St-Martin, au sud par la Rivière des Prairies, à l’est par Laval des Rapides autrefois Parc Laval, à l’ouest par le haut du Bord de l’eau.

Elle fait encore partie au point de vue religieux de la paroisse de St-Martin mais au point de vue civil elle en a été démembrée en 1916 par une décision du Conseil de Comté. Elle forme un territoire de 55 arpents de longueur par 20 de profondeur couvrant 1100 arpents de superficie. Elle s’étend du Parc Laval, de la terre de Pierre Gagnon à celle de Hormisdas Pesant et de la Rivière des Prairies à mi-chemin dans la montée de St-Martin avec une addition importante à sa partie sud-est le Parc Cartierville-Nord, formant en tout trois milles de longueur. Sa population est de 180 familles comprenant 763 personnes dont 661 sont des communiantes. Les routes de l’Abord-à-Plouffe sont toutes macadamisées et recouvertes de Tarvia. Elle est munie de l’électricité. À peu près toutes les maisons sont construites sur le bord de l’eau ou à proximité de la Rivière des Prairies. Le Pont communément appelé Pont Lachapelle a 730 pieds de longueur et est tout en fer. Autrefois, il y a trente ans, le Pont était de bois et recouvert. À ce sujet on me pardonnera une digression un peu drôle.

M. Giguère, ancien curé de Ste-Dorothée, allait, un jour, à Montréal. Il faisait un vent de tempête. Obligé de tenir son chapeau à deux mains le pauvre curé n’en pouvait plus. Arrivé au Pont M. Giguère s’écrie : « Bon ! je vais maintenant me reposer. » Oui, mais il n’avait pas calculé avec les petites ouvertures pratiquées dans le Pont les unes vis-à-vis des autres et v’lan ! voilà le chapeau qui part sans dire adieu et passant par l’une des petites fenêtres s’en va tomber au beau milieu de la rivière…

L’hiver il fallait transporter de la neige pour permettre aux charretiers de glisser leurs charges plus facilement. De fréquentes réparations s’imposaient. Il y avait donc des incommodités réelles. La Cie des Chemins alors propriétaire du Pont et des routes décida la construction du beau Pont Lachapelle du nom de son constructeur. En 1908 le gouvernement, fidèle à sa promesse émise par son candidat J. W. Lévesque qui renversa avec cette question Sir Pierre Evariste Leblanc, s’en empara et le mit à la charge des municipalités intéressées. Au prix de plusieurs milliers de dollars on lui fit subir d’importantes réparations et depuis lors, même les pauvres petits vicaires peuvent dire « tout le monde y passe »… et sans délier la bourse.

Avant la construction des Ponts, c’est-à-dire vers 1845, il fallait se servir de la navigation et on me rapporte que pour deux sous les voyageurs étaient transportés à force de rame d’une rive à l’autre. Catierville s’appelait alors la « petite misère » et Bordeaux sa voisine de gauche la « Grande Misère. »