Notice biographique sur Louis Etienne-François vte Héricart de Thury

Anonyme
Notice biographique sur Louis Etienne-François vte Héricart de Thury
Officier de la Légion d’Honneur, Membre de l’Académie des Sciences de l’Institut de France, ancien Inspecteur général des Mines, ancien Conseiller d’État, Membre de la Société d’Encouragement, des Sociétés d’Agriculture et d’Horticulture de la Seine, etc., etc.
Imp. Bailly, Divry et Cie.

NOTICE BIOGRAPHIQUE


sur


LOUIS-ÉTIENNE-FRANÇOIS


VTE HÉRICART DE THURY


Officier de la Légion-d’Honneur,
Membre de l’Académie des Sciences de l’Institut de France,
ancien Inspecteur général des Mines, ancien Conseiller d’État, Membre de la Société
d’Encouragement, des Sociétés d’Agriculture et d’Horticulture
de la Seine, etc., etc.



PARIS.

1854.
NOTICE BIOGRAPHIQUE


sur


LOUIS-ÉTIENNE-FRANÇOIS


VTE HÉRICART DE THURY


Officier de la Légion-d’Honneur,
Membre de l’Académie des Sciences de l’Institut de France,
ancien Inspecteur général des Mines, ancien Conseiller d’État, Membre de la Société
d’Encouragement, des Sociétés d’Agriculture et d’Horticulture
de la Seine, etc., etc.
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M. le vicomte Héricart de Thury était si généralement connu dans le monde savant, industriel et agricole, que nous croyons devoir rappeler quelques-uns des titres nombreux qu’il avait à la juste considération dont il a joui pendant tout le cours de sa longue et honorable carrière.

Louis-Étienne-François, vicomte Héricart de Thury, naquit à Paris, le 3 juin 1776. Il n’embrassa pas la carrière de la magistrature, qui était celle de son père, conseiller en la Cour des comptes de l’ancien Parlement, et de son oncle, le comte Ferrand, ministre du roi Louis XVIII, membre de l’Académie française et pair de France.

Son goût pour les sciences se manifesta de bonne heure, et, au sortir de la tourmente révolutionnaire, après avoir acquis sous l’habile direction de son père les connaissances dont il avait besoin, il se présenta aux examens de l’École des Mines, où il fut admis, le 13 avril 1795.

Les élèves passaient alors plus de temps à l’école qu’ils n’en passent aujourd’hui, et le jeune Héricart utilisa les années qui s’écoulèrent jusqu’à sa nomination au grade d’ingénieur en faisant à ses frais des voyages et en visitant plusieurs mines, notamment celles des Chalanches d’Allemont, et du Pezay près du Mont-Blanc, où il compléta son instruction, sous les ordres de M. Schreiber qui était alors directeur de l’école pratique.

Il a été nommé ingénieur ordinaire des mines le 7 octobre 1802, et envoyé en 1804 dans les départements de l’Isère, des Hautes-Alpes et de la Drôme où il est resté jusqu’en 1809, époque à laquelle il fut appelé à Paris pour y être chargé du service de l’inspection des carrières et de la direction des travaux que nécessitait alors, et que nécessite encore aujourd’hui l’état du sol excavé sur lequel repose une grande partie des quartiers situés sur la rive gauche de la Seine.

Il avait à peine trente-quatre ans lorsqu’il fut élevé au grade d’ingénieur en chef, le 13 décembre 1810.

C’est à lui que l’on doit la consolidation des carrières qui forment aujourd’hui ce que l’on appelle les Catacombes, et l’on ne peut faire un pas dans ces galeries souterraines, où il a fait ranger les nombreux ossements retirés des cimetières de Paris à l’époque de la révolution, sans y trouver la trace de son infatigable activité et de son intelligente direction. Il a publié sur ce sujet un ouvrage extrêmement intéressant.

En 1834, M. Héricart de Thury a été appelé au Conseil des Mines, où il a siégé en qualité d’inspecteur général jusqu’en 1848, époque à laquelle il a été mis à la retraite par application du décret du Gouvernement provisoire sur la limite d’âge fixée pour les ingénieurs des Ponts et Chaussées et des Mines.

Comme ingénieur, M. de Thury s’est particulièrement occupé de la question des puits artésiens. Il a publié sur cette matière de nombreux Mémoires qui ont été insérés, soit dans les Annales des Mines, soit dans celles de la Société centrale d’Agriculture, et notamment un ouvrage très-important, intitulé : Considérations géologiques sur les puits forés. Il a été, sinon le premier, tout au moins un des premiers à donner l’explication du jaillissement des nappes d’eau souterraines, et il a puissamment contribué à populariser en France ce genre d’ouvrages appelés à rendre de si grands services à l’industrie agricole et manufacturière. Il a été souvent consulté par les différents administrateurs, qui ont été mis à la tête de la Préfecture de la Seine, sur les chances de succès que pourrait avoir le forage d’un puits artésien à Paris. En lisant sa correspondance avec MM. de Bondy et de Rambuteau, anciens préfets de la Seine, ainsi que ses Rapports au Conseil des Mines comme inspecteur général chargé du service de la division du nord de la France, on voit en effet que, par l’étude approfondie qu’il avait faite des terrains qui entourent le bassin de la Seine, il avait pu indiquer avec une précision presque mathématique la profondeur à laquelle on rencontrerait les eaux jaillissantes, puisque, dans une lettre adressée en 1844 à M. le comte de Rambuteau, lettre que la Société d’agriculture a fait insérer dans le Recueil de ses Mémoires, il rappelle que, consulté par le ministre des Travaux publics sur la profondeur à laquelle il faudrait forer le puits de Grenelle, il avait répondu : « Qu’il faudrait « poursuivre le forage jusque dans les sables des grès verts, au-dessous de la grande masse de craie, à la profondeur de 550 mètres, » et c’est à la profondeur de 548 mètres qu’elles ont été atteintes ; ainsi à une différence de 2 mètres seulement.

L’habile sondeur, M. Mulot, auquel la ville de Paris doit le puits de Grenelle, rendait compte jour par jour, pour ainsi dire du degré d’avancement de ses travaux à M. Héricart de Thury. Il était avec lui en correspondance continuelle, et quand on a lu les notes échangées presque journellement entre eux à cette époque, on demeure convaincu que M. Mulot a été l’ingénieux mécanicien qui a exécuté avec une habileté incomparable et une persévérance que l’on ne saurait trop louer, un travail qui n’a pas duré moins de sept années [1], et qui était jusqu’alors sans précédent dans les annales de l’industrie, mais que M. de Thury a été véritablement la tête qui dirigeait le bras du sondeur et qui soutenait son courage prêt à faillir quelquefois, en l’éclairant sur la nature des couches que sa sonde traversait et en lui faisant entrevoir le terme prochain de ses efforts que le succès devait infailliblement couronner.

M. Héricart de Thury n’était pas seulement ingénieur des mines, il s’était beaucoup occupé d’arts mécaniques et d’industrie, et ses connaissances spéciales en ces matières l’ont toujours fait choisir par le Gouvernement comme membre des jurys chargés de prononcer sur le mérite des produits envoyés aux grandes expositions de l’industrie, et, en dernier lieu, à celle de Londres, en 1851.

La Société d’Encouragement, la Société d’Agriculture dont il était membre depuis près de quarante ans, et qu’il a présidée plusieurs fois, enfin la Société d’Horticulture, qu’il a fondée à Paris, le 11 juin 1827, qu’il a présidée pendant plus de vingt-cinq ans, et qui lui a décerné à l’unanimité, le 16 décembre 1852, le titre de président honoraire fondateur, conserveront le souvenir de son utile et laborieuse coopération.

Il possédait aussi en architecture des connaissances étendues qui le firent choisir, sous la Restauration, pour remplir les importantes fonctions de directeur des travaux de Paris[2], qu’il a conservées jusqu’en 1830. C’est sous son administration qu’ont été achevés plusieurs des grands monuments qui décorent la capitale, et notamment le Palais de la Bourse.

M. de Thury a été gentilhomme de la chambre du roi Charles X, conseiller d’État et membre de la Chambre des Députés pendant presque tout le temps de la Restauration.

Il a presque toujours été du Conseil général de son département, celui de l’Oise. Il n’en a été momentanément éloigné que lorsque la loi électorale, en limitant à 30 le nombre des conseillers généraux dans les départements qui comptaient plus de 30 cantons, a ôté au canton de Betz la possibilité de se faire représenter, mais aussitôt que le suffrage universel, accordé après la révolution de 1848, eut levé cet obstacle, M. de Thury a été renommé et n’a plus cessé de faire partie du Conseil général qui trouvait en lui un membre aussi laborieux qu’expérimenté.

En 1824, l’Académie des Sciences lui a fait l’honneur de le choisir pour occuper la place d’académicien libre, devenue vacante par la mort de M. le duc de Lauraguais-Brancas.

De tous ses titres, c’était à celui d’académicien qu’il tenait le plus, et, lorsqu’il lui fut offert, il ne croyait pas avoir assez de droits pour pouvoir y prétendre. Il fallut toute l’insistance de plusieurs des membres les plus éminents de l’Académie pour le décider à se porter candidat. Sa famille conserve précieusement deux lettres, l’une de M. Gay-Lussac, qui lui offre sa voix, et une autre dans laquelle M. Arago lui dit : « qu’après avoir fait son examen de conscience, il ne trouve personne qui ait plus de droits que le directeur des travaux de Paris à la place devenue vacante, et le prie de lui faire savoir s’il ne lui serait pas désagréable qu’en temps et lieu il le désignât comme un des candidats. »

En marge de cette dernière lettre, se trouve une note écrite de la main de M. de Thury, dans laquelle il dit qu’il ne croit pas devoir entrer en lutte avec un concurrent tel que celui que lui désigne M. Arago, et « qui ne peut manquer, ajoute-t-il, de réunir tous les « suffrages. » Cette réponse ne surprendra pas les personnes qui ont assez connu M. de Thury pour apprécier toute la modestie de son caractère. L’Académie ne confirma pas le jugement qu’il portait sur lui-même et le nomma[3].

Peu de carrières, on le voit, ont été aussi honorablement et aussi complétement remplies que la sienne.

Il aimait l’étude avec passion ; il a travaillé jusqu’au dernier jour de sa vie, et, lorsque la mort est venue le frapper, à Rome, le 15 janvier 1854, il composait un ouvrage sur les marbres d’Italie, qu’il n’a malheureusement pas eu le temps d’achever.

Nous ne pouvons nous décider à terminer cette esquisse trop rapide de la vie de M. de Thury sans parler des belles qualités qui le distinguaient comme homme privé. Chez lui, la noblesse du cœur était alliée à celle du sang ; il avait une affabilité et une distinction qui prévenaient tout d’abord en sa faveur ; aussi a-t-il eu de nombreux amis, et nous croyons pouvoir ajouter qu’il n’a jamais eu d’ennemis. Chacun se plaisait à rendre justice à cet homme excellent, qui a été animé toute sa vie des deux sentiments les plus nobles que Dieu ait mis en nous : l’amour de ses semblables et l’amour du travail. Tout le temps qui n’était pas consacré par lui à l’étude était employé à faire le bien. Dans les hautes fonctions qu’il a remplies durant sa longue carrière, les occasions de rendre service ont été nombreuses pour lui, et nous pouvons affirmer qu’il n’en a jamais laissé échapper aucune volontairement. Le pauvre trouvait particulièrement accès près de lui, il écoutait avec une bonté touchante, et il obligeait avec une grâce et une délicatesse qui décuplaient le prix du service rendu. Nous aimons à croire que cette justice lui est accordée secrètement par tous ceux qu’il a obligés, et qui, le plus souvent, n’étaient connus que de lui seul. Il avait une droiture dont il a été parfois victime.

Il a conservé jusque dans un âge avancé la plus remarquable activité d’esprit et de corps. Il a fait, à la fin de 1852 et au commencement de 1853, un voyage en Italie que la santé du troisième de ses fils avait rendu nécessaire, et il en a profité pour parcourir ce beau pays et pour l’étudier comme aurait pu le faire un jeune homme qui aurait eu sa réputation à fonder.

C’est qu’il avait un profond amour du travail, comme nous l’avons déjà dit, et le besoin d’apprendre, et d’apprendre toujours. « Combien je regrette, disait-il, d’être venu ici si tard ! » Aussi comptait-il y retourner pour reprendre des travaux commencés et pour se retrouver auprès de ce fils dont la santé nécessitait un second voyage. Il avait formé ce projet à une époque où rien ne paraissait devoir mettre obstacle à son accomplissement.

Il s’écoula encore quelques mois sans que sa famille eût aucun sujet de concevoir de l’inquiétude. Vers le commencement de l’automne, il prit part aux travaux de son Conseil général et y apporta, comme toujours, son tribut de lumières et cet esprit pratique des affaires administratives qu’il avait acquis pendant le cours de sa longue carrière d’ingénieur.

Ses forces ne commencèrent à le trahir que vers le mois de novembre. Ses traits, sensiblement altérés, décelaient un mal qu’il ne voulait pas s’avouer à lui-même et qu’il cachait avec soin à tous ceux qui le chérissaient, parce qu’il craignait que l’on eût l’idée de l’empêcher d’aller rejoindre ce fils dont il venait d’avoir la douleur de se séparer pour la première fois. De ce moment il ne vécut plus que pour le jour du départ, qui eut lieu le 30 décembre 1853. Ses parents, ses amis, le virent partir avec la plus douloureuse anxiété. Il était impossible de se défendre des plus tristes pressentiments. Le temps était affreux, une neige épaisse couvrait la terre depuis près de quinze jours, et, pour comble de malheur, la traversée de Marseille à Civita fut des plus pénibles. Il supporta ses souffrances propres, aussi bien que celles que venait y ajouter la rigueur de la saison, avec une douceur et une résignation qui furent admirées par tous ceux qui en furent témoins. L’espérance le soutenait et lui donnait la force de commander au mal.

Enfin, après quatre-vingt-quatre heures d’une traversée qui n’en dure que trente ordinairement, le bâtiment entre dans le port de Civita. Il aperçoit sur le quai son fils qui était venu de Rome au-devant de lui, et qui depuis trois jours était dans la plus grande inquiétude sur le sort de sa famille. Ses deux fils aînés, qui l’avaient accompagné avec leur mère, le soutinrent pour aller jusqu’à cet enfant chéri qu’il serra pendant quelques instants contre son cœur sans pouvoir proférer une parole, puis il leva les yeux au ciel, et dit : « Maintenant, je puis mourir. »

Cette scène avait profondément ému les passagers du Mongibello, et, lorsque quelques-uns d’entre eux rencontrèrent, huit jours après, dans les rues de Rome un convoi conduit par l’ambassadeur de France, escorté par toutes les autorités françaises de la ville, et se dirigeant lentement, en plein jour[4], vers l’église de Sainte-Marie-du-Peuple[5], ils ne pouvaient pas croire que ce convoi fût celui de leur vénérable compagnon de voyage, de ce vieillard qui, n’écoutant que les inspirations de son cœur, avait bravé la maladie, les rigueurs de la saison et la fatigue d’un long voyage, pour venir embrasser ce fils qu’il craignait tant de ne pas revoir.

Dieu lui a accordé cette immense consolation, mais ses forces étaient épuisées, il n’avait pas compté avec elles. La crainte d’être privé du dernier bonheur qu’il voulait goûter en ce monde, l’émotion qu’il éprouva en revoyant ce fils bien-aimé, avaient achevé de ruiner cette constitution naguère si forte encore, mais si profondément altérée depuis quelques semaines.

Cependant, il supporta assez bien la route de Civita à Rome, et sa famille eut un instant l’espoir que le repos et la douceur du climat auraient une heureuse influence sur lui. Il paraissait l’espérer aussi, et il disait, avec cet accent qu’il savait rendre si touchant quand il parlait à sa femme et à ses enfants : « Que le bonheur allait lui rendre la santé. » Tous ceux qui l’ont connu, savent qu’il ne l’a jamais cherché ailleurs que dans les douces joies de la famille. Il était entouré des objets de ses plus tendres affections, et il ne manquait à cette réunion que le plus jeune de ses fils, dont il parlait sans cesse avec amour.

Sept jours après son arrivée, des symptômes alarmants se manifestèrent presque subitement, et les yeux clairvoyants qui veillaient jour et nuit sur cette chère santé, ne s’abusèrent pas sur l’imminence du danger.

Il était du petit nombre des hommes que la mort peut surprendre. Dieu n’a pas voulu, cependant, qu’il en fut ainsi.

On a eu le temps d’aller chercher au Gèsu le R. P. de Villefort, qu’il avait connu lors de son premier voyage à Rome l’année précédente, et avec lequel il s’était étroitement lié. Il a répondu avec une présence d’esprit admirable aux exhortations de ce saint homme, qui connaissait mieux qu’un autre sa belle âme ; il a jeté un regard plein de tendresse sur ses trois fils agenouillés près de lui, et qui, dans ce moment suprême, regrettaient l’absence de leur plus jeune frère qui n’était pas là pour recevoir sa part de la bénédiction paternelle. Il a pris ensuite la main de celle qu’il aimait comme aux premiers jours de leur union, il l’a portée à ses lèvres pour lui faire comprendre qu’il la remerciait une dernière fois du bonheur dont elle l’avait fait jouir pendant plus de vingt-huit ans, et des soins dont elle l’avait constamment entouré ; puis il a fermé les yeux, et il est allé prier dans le ciel pour ceux qu’il avait tant aimés sur la terre.

Novembre 1854.
  1. Les travaux du puits de Grenelle ont été adjugés le 19 octobre 1833, et les eaux ont jailli dans la cour de l’abattoir le 26 février 1841, dans l’après-midi.
  2. M. Hericart de Thury a été nommé directeur des travaux de Paris par ordonnance royale en date du 13 janvier 1823.
  3. L’élection eut lieu dans la séance du 15 novembre 1824. M. Hérirart de Thury obtint, au premier tour de scrutin, 32 suffrages sur 55 votants ; les 23 voix de la minorité furent réparties entre les trois autres candidats.
  4. Contrairement aux usages romains, l’enterrement eut lieu en plein jour, et avec le même cérémonial qu’en France. M. le comte de Rayneval a voulu que la dépouille mortelle de l’homme distingué qui venait de terminer sa longue et belle carrière à Rome, y reçût les honneurs qui lui auraient été rendus dans son pays. Sa famille lui en sera éternellement reconnaissante.
  5. Les restes mortels de M. de Thury, qui, d’après sa volonté expresse, ont été laissés à Rome, reposent aujourd’hui dans l’église Saint-Louis, à côté du monument élevé à la mémoire des Français tués pendant le siège.