Notes sur la Corée

NOTES SUR LA CORÉE

DESCRIPTION GÉNÉRALE


Position géographique.

L’empire de Corée, au nord-est de l’Asie, se compose d’une presqu’île allongée dans le sens nord-sud, qui forme pour ainsi dire le trait d’union entre la Chine et le Japon.

La Corée était autrefois tributaire de la Chine, qui en défendait l’accès aux étrangers. La Corée est devenue, depuis le traité sino-japonais du 17 avril 1895, un royaume indépendant.

La souveraineté de l’empereur a été proclamée le 12 octobre 1897.

L’ensemble est compris entre 33°15’ et 42°25’ de latitude Nord ; 122°15’ et 128°30’ de longitude Est de Paris. Elle est bornée : au nord par la province chinoise de Mandchourie, dont elle est séparée par les fleuves Am-Nou-Kang (Ya-Lou-Kiang) à l’ouest, et le fleuve Tou-Man-Kang (Mi-Kiang) à l’est, et par le massif des monts Chan-Yan-Alin au centre ; au nord-est par la Sibérie dont elle est séparée par le Tou-Man ; à l’est par la mer du Japon ; au sud par le détroit de Corée ; à l’ouest par la mer Jaune.

Le nom de Corée vient du mot chinois Kao-Li, que les Coréens prononcent Ko-Rie et les Japonais Ko-Raï.

La Corée a un développement de côtes considérable, environ 3.200 kilomètres.

La côte occidentale est très accidentée et très découpée ; elle présente des quantités de golfes ou de baies. Toute la côte est parsemée d’îles et d’îlots dont les principaux groupes sont Kang-Hoa à l’embouchure du Han-Kang, l’archipel dit du Prince-Impérial, l’île Aan-Min-To près de la presqu’île de Naï-Po, puis l’archipel coréen et les îles de Tsin-To, Quelpaert, Nam-Haï-To, Ko-Ting-To.

La côte orientale est plus régulière ; on y remarque cependant le golfe Brougthon ; l’île Dagelet est la seule île remarquable de la côte orientale.

Montagnes.

La Corée est un pays de montagnes. Une grande chaîne, partant des Chan-Yan-Alin dans la Mandchourie, se dirige du nord au sud, en suivant le rivage de l’est, dont elle détermine les contours ; les ramifications de cette chaîne couvrent le pays presque tout entier. Presque partout on semble être emprisonné entre les rochers, resserré entre les flancs de collines, tantôt nues, tantôt couvertes de pins sauvages, tantôt embarrassées de broussailles ou couronnées de forêts.

On aperçoit, dans toutes les directions, des milliers. de pics aux pointes aiguës, d’énormes cônes arrondis, des rochers inaccessibles, et, plus loin, aux limites de l’horizon, d’autres montagnes plus hautes encore, et c’est ainsi dans presque tout le pays.

La seule exception est un district qui s’allonge dans la mer de l’Ouest et se nomme la plaine du Naï-Po. Cette plaine ne ressemble en rien à nos plaines de France : c’est simplement un endroit où les montagnes sont beaucoup moins hautes et beaucoup plus espacées que dans le reste de la Corée. Le sol de cette plaine est très fertile : on y cultive le riz, et ses produits sont si abondants que le Naï-Po est appelé le grenier de la capitale.

Les principaux sommets sont : le Pai-Tou-San (2.600 mètres), Chil-Po-San (1.700 mètres), Tchang-Pai-San (1.900 mètres), O-Pouk-San (1.800 mètres), dans le Ham-Kiang-Tô ; Keum-Kiang-San (1.800 mètres), appelé aussi Montagne de Diamant, dans le Kang-Ouen-Tô ; le mont Han-Ka-San (2.200 mètres) ou mont Auk-land, dans l’île de Quelpaert ; le Kou-Ouen-San, dans le Ouang-Haï-Tô ; le Pouk-San (850 mètres), forteresse au nord de Séoul ; le Nam-San (550 mètres), forteresse au sud de Séoul.

Fleuves[1].

Les principaux fleuves de la Corée sont presque tous dans la partie occidentale ; on en compte deux dans la partie méridionale et un seul important sur la côte orientale.

Ces fleuves sont :

1o Sur la côte occidentale, le Am-No-Kang (Ya-Lou-Kiang), qui prend sa source au Paï-Tou-San, forme la frontière nord-ouest de la Mandchourie et se jette dans la mer Jaune près de Eui-Tsiou ; le Tseng-Tien-Kang, ou rivière le Chiou ; le Taï-Tong-Kang qui arrose Pieng-Yang et se jette dans la mer près de Chim-Nam-Po.

On remarque encore comme fleuves sur la côte occidentale ; l’Im-Ching-Kang, qui se réunit au fleuve Han-Kang ; le Han-Kang, ou rivière de Séoul, qui passe à environ 4 kilomètres de la capitale et se jette dans la mer Jaune en face de l’île de Kang-Hoa ; le Keum-Kang, le Sao-Kang, qui se jettent près de Mok-Po.

2o Dans la partie méridionale, le Tsong-Ching-Kang, qui passe près de Kou-Riei ; le Nak-Tong-Kang, qui arrose les deux provinces de King-San.

Le chemin de fer de Fou-San à Séoul suit la vallée de ce fleuve.

3o Dans la partie orientale, le Tou-Man-Kang qui forme la frontière nord-est entre la Mandchourie et la Sibérie.

En attendant le bac.

Climat.

Le climat de la Corée est un climat extrême, c’est-à-dire froid en hiver et chaud en été.

Le climat, dans le nord surtout, est rigoureux ; le fleuve Tou-Man-Kang est gelé pendant six mois de l’année.

Dans la partie méridionale, la neige se maintient encore au mois de mai en plusieurs endroits ; par 35° de latitude, on a vu le thermomètre descendre au-dessous de —15 centigrades ; mais par 38°, on trouve souvent —25.

Le printemps et l’automne sont généralement fort beaux. Le changement de mousson a lieu du 15 juillet au 15 août ; c’est une période de pluies torrentielles, de vents variables et de tempêtes qui souvent interceptent pendant plusieurs jours toutes espèces de communications.

LA CORÉE AGRICOLE, INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE


Agriculture.

La Corée est avant tout un pays agricole ; son sol fertile, bien cultivé en général, est la véritable source d’où elle tire ses revenus.

Parmi les richesses agricoles, il faut citer le riz qui est un des plus estimés. Le riz, qui sert de base à l’alimentation du peuple, fait aussi l’objet d’un commerce important d’exportation. Il est surtout cultivé dans le Centre et dans le Sud.

On trouve également le blé, l’orge, l’avoine, le sorgho, le millet, les haricots que l’on rencontre en quantité appréciable, les choux, les navets, les oignons et presque tous les légumes d’Europe.

Les fruits sont nombreux et variés : cerises, pêches, abricots, pommes, poires, kakis, châtaignes, noix, etc. ; mais leur saveur, faute de culture soignée, est très inférieure à celle des fruits d’Europe.

Il faut encore mentionner, comme production spéciale du pays, la plante médicinale appelée gen-seng dont le gouvernement a monopolisé la culture dans la région de Son-Dô, et qui, grâce à son prix élevé, fournit chaque année des revenus importants au Trésor impérial.

Le gen-seng rouge coûte de 40 à 60 francs la livre ; le gen-seng blanc est inférieur et moins cher. Le gen-seng sauvage est le plus apprécié ; il se vend des prix exorbitants.

Le gen-seng est employé comme tonique ; ses effets sont bien supérieurs à ceux du quinquina. La racine seule est en usage ; on la coupe en morceaux que l’on fait infuser dans du vin blanc pendant un mois au moins. On prend ce vin à petites doses. Il est employé par les Chinois comme remède contre l’opium.

Village coréen.

La culture de cette plante est très délicate ; la première année, on sème la graine ; la deuxième année, on repique, ainsi de suite jusqu’à la sixième ou septième année, où la plante rapporte. Au bout de six ou sept ans, elle produit un fruit semblable à la fraise. La plante a cinq feuilles semblables à la feuille du chanvre ; l’hiver, la plante est mise en serre.

Industrie.

L’industrie est presque nulle en Corée, sauf pour quelques produits de consommation locale (nasses, papiers, chapeaux, poterie, etc.).

Tout objet de luxe, tout ce qui sert de distinction ou de parure vient de la Chine.

Les tissus de chanvre et de coton sont confectionnés d’une manière solide, mais grossière. Les soieries sont beaucoup moins fines qu’abondantes.

On trouve encore quelques fabriques de poterie et de porcelaine. Autrefois, cette industrie était très florissante ; le Japon a copié la Corée et a fait venir chez lui des ouvriers coréens ; Chinois et Japonais ont été initiés par eux à la connaissance de la céramique.

Les armes de la Corée étaient renommées autrefois ; les Chinois appréciaient les sabres et les poignards coréens.

La plus grande industrie est le papier. On en fait des chapeaux, des parapluies, des sacs et même des manteaux qui résistent parfois aussi bien que la toile. Le papier sert de vitres ; les portes ne sont aussi que du papier collé sur un châssis ; mais ce papier est fait de coton et aussi fort que de la toile.

La Chine reçoit de Corée des quantités considérables de papier, moins pour écrire que pour une foule d’usages auxquels il est approprié par sa très grande résistance.

Bois.

Les forêts du Nord de la Corée fournissent de magnifiques pièces de bois qui servent à la construction et à différents usages.

Les arbres les plus répandus en Corée sont : le pin, le sapin, le chêne, le châtaignier, le saule, le frêne, le bouleau. Mais la consommation du bois pour le chauffage est telle que le Centre et le Sud du pays sont à peu près déboisés.

Le gouvernement a donné des ordres sévères pour empêcher de couper les arbres.

Minéraux.

Les produits minéraux, encore peu connus et peu exploités, sont nombreux en Corée. On y trouve de l’or un peu partout ; plusieurs sociétés étrangères ont obtenu des concessions de territoire pour l’exploitation des mines d’or (mines américaines à Oun-San, dans le Pieng-An-Pouk-Tô ; mines anglaises à Eun-San, dans le Pieng-An-Nam-Tô ; mines allemandes à Kim-Sing, dans le Kang-Ouen-Tô).

On trouve des gisements de houille assez considérables aux environs de Pieng-Yang, des mines de cuivre non suffisamment exploitées, et cependant très riches dans les environs de Kop-San (Ham-Kieng-Tô).

Animaux.

Parmi les animaux domestiques, on remarque :

1o Les chevaux, petits, mais vigoureux, impropres à la cavalerie, mais très utiles comme bêtes de somme ;

2o Les bœufs, dont la race est fort belle.

Cheval. — Le gouvernement coréen avait fait acheter à Tien-Tsin, en novembre 1901, une centaine de chevaux et mulets. Parmi ces chevaux, il y en avait une trentaine d’australiens, autant de chinois, et le reste du lot en mules françaises et chinoises.

Le général commandant le corps expéditionnaire français avait fait cadeau à l’empereur de quatre étalons barbes provenant des escadrons de chasseurs d’Afrique. En principe, tous ces animaux devaient servir à des expériences de croisement et d’acclimatement.

Parmi les australiens, plusieurs furent donnés à des officiers ; les autres envoyés à la ferme impériale. Les barbes, plus heureux, furent conservés au palais impérial.

Croisement. — Au point de vue croisement, il n’a rien été fait de sérieux : les chevaux, juments et mulets de toutes races vivent en liberté dans cette ferme, n’ayant pour toute nourriture qu’un peu d’herbe pendant la belle saison, et crevant de faim en hiver.

Chevaux coréens.

Les plus durs ont résisté ; quant aux produits, ils ont été bizarres et il serait impossible de retrouver soit le père, soit la mère d’un poulain. La ferme doit entretenir 250 chevaux de toutes races. Les bons produits sont vendus en sous-main par les gardiens. De cette façon, l’effectif n’augmente jamais et la race se bonifie encore moins.

Le climat de la Corée étant sain, tous les animaux s’y portent à merveille ; il s’agit seulement de les nourrir. J’ai monté les australiens et les barbes du palais ; ils sont en parfait état.

On trouve de l’orge presque partout, quelquefois de l’avoine. En tout cas, le cheval européen ne peut être qu’un luxe dans un pays accidenté comme la Corée ; le vrai cheval pratique est le cheval chinois, et mieux encore le cheval du pays.

Le cheval chinois se rencontre dans toutes les provinces ; il a l’énorme avantage de vivre de n’importe quelle nourriture. La gendarmerie coréenne est en partie remontée en chevaux chinois.

Le cheval coréen est autochtone ; sa taille varie de 1m,30 à 1m,35 ; j’en ai cependant rencontré plusieurs de 1m,38, voire même de 1m,40. Presque tous sont de couleur foncée, alezans, noirs, bais ; on en rencontre aussi quelques gris. Les plus beaux sont ceux des cultivateurs ; ils sont mieux soignés et en meilleur état que ceux de la ville. Une des particularités du cheval coréen, c’est qu’il a les naseaux fendus à leur partie supérieure. Les Coréens prétendent que cette opération leur facilite la respiration.

Le cheval coréen porte facilement 80 kilos. Bien souvent il porte davantage. J’ai vérifié plusieurs fois, sur le marché de Séoul, le poids porté par ces animaux ; j’ai rarement trouvé moins de 50 kilos.

Presque tous les transports en Corée se font au moyen des chevaux. Le cheval coréen chargé fait de 5 à 6 kilomètres à l’heure.

L’étape coréenne est de 100 lys, soit 50 kilomètres par jour.

Nourriture. — Le cheval fait trois repas par jour : le premier de grand matin avant de partir, le second à midi, le troisième une heure environ après l’arrivée à l’étape.

La nourriture se compose d’une soupe de haricots à raison de 2 litres de grains par repas (soit 6 litres par jour). La soupe, une fois cuite, est servie presque chaude ; après la soupe, une ration de paille hachée, c’est tout.

Le cheval coréen peut manger du grain autre que le haricot, j’en ai fait l’expérience pendant les routes.

Le mafou soigne très bien son cheval ; une fois dessellé ou débâté, l’animal est couvert avec une couverture de feutre et une seconde en paille. Tous les mafous savent ferrer un cheval ; le fer a huit étampures, il est très léger, un peu plus épais en pinces qu’en éponges.

Le prix du cheval coréen varie de 40 à 50 dollars.

Entraînement. — Voulant me rendre compte du fond et de la qualité du cheval coréen, j’ai choisi au hasard vingt chevaux : quatre nous ont servi de montures ; les autres portaient les bagages.

Le poids porté par les chevaux montés était de 88, 60, 67 et 72 kilos, poids des cavaliers, harnachement non compris. Les chevaux portant les bagages portaient en moyenne 60 kilos. À notre petite troupe s’étaient joints deux officiers montés sur des chevaux chinois, un ingénieur français monté sur un australien, enfin le conseiller particulier de l’empereur monté sur un barbe.

Nous avons marché pendant cinq jours à raison de 100 lys par étape, tantôt en plaine dans des rizières, tantôt grimpant sur des montagnes ou traversant des cours d’eau.

J’ai toujours tenu la tête de la colonne. L’allure était le pas ; la vitesse moyenne a été de 6 kilomètres à l’heure ; mon cheval s’en allait gaiement, je n’ai jamais été obligé de le pousser. Le cinquième jour, l’australien suivait difficilement, les chevaux chinois étaient fatigués ; seul le barbe et les chevaux coréens étaient aussi frais et dispos que le jour du départ.

Au point de vue militaire, ce cheval peut rendre des services, soit comme porteur, soit pour l’infanterie montée. La Corée étant un pays très accidenté, privé de routes carrossables, les rares plaines que l’on y rencontre sont transformées en rizières ; il serait difficile de faire manœuvrer de gros effectifs : l’artillerie de montagne seule pourrait circuler. À part le service de reconnaissance, la cavalerie est inutilisable.

Bœuf coréen.

Bœuf. — Le bœuf est aussi un des moyens de transport le plus usité en Corée. C’est un animal de belle taille, très fort, très robuste. Il porte facilement de 120 à 160 kilos, à une vitesse de 5 kilomètres à l’heure, vitesse normale même à travers les plus mauvais sentiers.

J’ai vu de ces animaux porter des fardeaux de bois. considérables ; malgré cela, ils marchaient à bonne allure.

C’est un animal très doux, très tranquille. Parfois il est attelé seul à un chariot rustique ; on rencontre ce genre de véhicule aux environs des villes et particulièrement à Séoul.

Divers. — Le pays produit également des volailles de toutes espèces : poules, canards, oies, etc.

Les animaux sauvages sont nombreux et variés : tigres, panthères, ours, loups, renards, blaireaux, loutres, lynx, chats sauvages.

Les faisans, les canards, les oies sauvages, les chevreuils, les cerfs fournissent un gibier apprécié.

Enfin, la pêche des poissons qui vivent dans les fleuves et rivières ou dans les eaux de mer qui entourent de trois côtés ce pays est une source de revenus très régulière, la population consommant ou exportant une grande quantité de poissons frais, secs ou salés.

LE PEUPLE CORÉEN


Population et origines.

La superficie totale du territoire de la Corée est évaluée à environ 223.000 kilomètres carrés.

On ignore quel est le chiffre exact de la population, parce que l’on ne procède pas à des recensements réguliers, mais on peut évaluer ce chiffre, sans exagération, à 10 ou 12 millions d’habitants.

Les Coréens se rattachent au type mongol, mais ils ressemblent beaucoup plus aux Japonais qu’aux Chinois ; cependant, ils sont plus grands et plus vigoureux que les premiers. Ils ont généralement le teint cuivré, le nez court et un peu épaté, les pommettes proéminentes, la tête et la figure arrondies, les sourcils élevés. Leurs cheveux sont noirs ; il n’est cependant pas rare de rencontrer des cheveux châtain et même châtain clair.

Les habitants des provinces du Nord, voisins de la Tartarie, sont beaucoup plus robustes et presque sauvages.

D’après les traditions recueillies dans les livres japonais, le fond principal de la nation coréenne appartiendrait aux Siampi, une des branches de la race tartare.

Classes.

Les Coréens se divisent en trois classes : les nobles, la classe moyenne et le bas peuple.

Les nobles descendent pour la plupart des guerriers. qui, il y a cinq siècles, ont placé sur le trône le fondateur de la dynastie actuelle.

Les services publics sont monopolisés par eux ; les traitements de leurs fonctions sont l’unique moyen régulier de leur existence.

Ils ont, en outre, certains privilèges, tels que celui de ne pas se voir inscrits sur les rôles de l’armée, d’être inviolables dans leur demeure et leur personne, et de porter chez eux le bonnet de crin qui est le signe distinctif de leur rang.

Entre la noblesse et le peuple proprement dit, se trouve la classe moyenne, qui se rencontre surtout dans la capitale.

Elle comprend des familles qui, depuis plusieurs générations, remplissent auprès du gouvernement certaines fonctions spéciales, telles que celles d’astrologues, de médecins et d’interprètes.

Au-dessous de la noblesse et des lettrés vient la troisième classe, c’est-à-dire le peuple qui n’a absolument aucune influence politique.

Instruction publique.

Écoles indigènes. — Les études littéraires et philosophiques sont en honneur, comme dans tous les pays de civilisation chinoise.

Les sciences sont l’apanage de la classe moyenne et se rattachent à huit professions différentes.

La première, celle des interprètes, est très recherchée.

La deuxième comprend l’étude de l’astronomie et l’art de choisir les jours propices. Ceux qui en sont chargés ne travaillent que pour le roi.

Puis viennent les écoles de médecine, des chartes, de dessin pour l’État, plans et portraits, l’école de droit, de calcul, et enfin l’école de l’horloge qui fournit les directeurs et surveillants de l’horloge unique du gouvernement. C’est une machine hydraulique, qui mesure le temps en laissant tomber des gouttes d’eau à intervalles réguliers.

Les Coréens ont inventé les caractères mobiles métalliques, précédant ainsi l’Europe de plus d’un siècle et demi.

Un livre, le Kung-Say-Kia-You, ou l’apologie de Confucius, imprimé en caractères mobiles, date de 1317. C’est l’un des plus anciens livres qu’il y ait au monde.

Écoles européennes. — Il y a en ce moment en Corée plusieurs écoles européennes ; les plus importantes sont :

1o L’école française dirigée par M. Martel ; cette école comprend annuellement une centaine d’élèves, répartis en plusieurs classes et cours, suivant le degré d’instruction des élèves ;

2o L’école allemande et l’école russe.

Cette dernière école vient d’envoyer en Russie dix de ses élèves pour compléter leur instruction.

Ces différentes écoles servent à fournir des interprètes et des fonctionnaires pour les différents services de l’État.

Religion.

Le bouddhisme, mélangé de superstitions plus ou moins grossières, est la religion de la majeure partie de la population. La philosophie de Confucius est répandue dans les classes lettrées.

Le culte des ancêtres est pratiqué par tous les Coréens, comme par tous les autres peuples de l’Extrême-Orient.

Enfin le culte officiel rend hommage au Sia-Tsik, ou génie protecteur du royaume.

Dans plusieurs provinces, mais surtout autour de Séoul, on rencontre des missions américaines. Ces missions ont très peu de prosélytes, les missionnaires américains pratiquant plutôt le commerce que la religion.

Les missions françaises comprennent un évêque (Monseigneur Mutel) dont la résidence est à Séoul ; les autres missionnaires, au nombre de 43, sont répandus dans toutes les provinces de l’empire.

LA CORÉE POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE


Organisation politique.

La Corée, au point de vue politique, est une monarchie absolue ; l’empereur est maître suprême ; rien ne peut être décidé sans son assentiment. Sa Majesté gouverne avec l’assistance du grand Conseil d’État, composé de tous les ministres et quatre autres grands dignitaires nommés directement par l’empereur.

Il y a dix ministres et neuf ministères.

Le premier ministre n’a pas de portefeuille ; c’est le président du Conseil d’État. Chaque ministre est assisté d’un vice-ministre.

Les ministères sont : ceux de la maison impériale, de la justice, des affaires étrangères, de l’agriculture. et du commerce, des finances, de l’intérieur, de la guerre, de l’instruction publique, de la police.

Il y a, en outre, deux grandes administrations indépendantes formant des régies financières :

1o Service des postes, des télégraphes, des téléphones et de la navigation. Le chef de cette administration a le titre de directeur général et rang de ministre ;

2o L’administration des douanes impériales, dirigée par un fonctionnaire européen, qui a le titre de superintendant (actuellement c’est un Anglais).

Cette administration est chargée de la perception des droits d’importation et d’exportation et de la surveillance.

Organisation administrative.

Depuis 1894, la Corée est divisée en treize provinces, au lieu de huit qui existaient précédemment.

Chaque province est divisée en un certain nombre. de districts, chaque district est divisé lui-même en cantons. À la tête de chaque province se trouve un gouverneur (koan-tchalsa), nommé directement par l’empereur. Chaque district est administré par un magistrat (koun-sou), chargé de l’administration de la justice, de la police et des impôts.

Les cantons ou villages ont à leur tête un chef (téjou-ouï) qui n’a pas de pouvoir officiel, mais qui aide le magistrat dans ses occupations.

Les provinces de l’empire de Corée sont les suivantes :

1o Ham-Kieng-Pouk-Tô[2] ;

2o Ham-Kieng-Nam-Tô ;

3o Pieng-An-Pouk-Tô ;

4o Pieng-An-Nam-Tô ;

5o Hoang-Haï-Tô ;

6o Kieng-Kei-Tô ;

7o Kang-Ouen-Tô ;

8o Tchang-Tsien-Pouk-Tô ;

9o Tchang-Tsien-Nam-Tô ;

10o Tsien-La-Pouk-Tô ;

11o Tsien-La-Nam-Tô ;

12o Kieng-Sang-Pouk-Tô ;

13o Kieng-Sang-Nam-Tô.

Villes principales.

La capitale du royaume est Han-Yang (Séoul).

Séoul se développe au pied d’une montagne élevée. La ville est entourée d’un mur d’enceinte d’une élévation de 5 à 6 mètres et de 20 kilomètres environ de pourtour.

La population est d’environ 200.000 habitants ; les habitants ne paient pas d’impôts ; la ville et les faubourgs forment une division politique spéciale, administrée par le gouverneur politique de Séoul. La ville est très mal bâtie, les grandes artères sont très larges, mais le reste ne se compose que de ruelles tortueuses, où l’air ne circule pas. Les maisons, généralement couvertes en tuiles, sont basses et étroites. La ville est divisée en cinq arrondissements. Il y a huit portes, quatre grandes et quatre petites. Les grandes portes sont assez

Séoul (entrée du nouveau palais).
belles et surmontées de pavillons dans le genre chinois.

La ville possède un tramway et la lumière électrique.

L’empereur habite le nouveau palais, dans le quartier des légations ; depuis l’assassinat de la reine, il a quitté le vieux palais.

Séoul est la résidence de l’évêque catholique ; elle renferme 3.000 chrétiens, un séminaire, deux églises dont la cathédrale ; un quartier japonais (chinkokai) composé d’environ 15.000 personnes.

Tsien-Tsiou, chef-lieu de la province de Tsien-La-Pouk-Tô, seconde ville du royaume ;

Eui-Tsiou, douane du Nord sur la frontière chinoise, sur le Ya-Lou-Kiang ;

Ouen-San, beau port sur la mer du Japon, ouvert aux Occidentaux depuis 1883, remarquable par la beauté de sa baie et par la richesse du pays environnant. C’est dans la baie d’Ouen-San que se trouve la concession. russe appelée Port-Lazareef, pour la pêche à la baleine, très abondante dans cette partie de la mer du Japon ;

Sou-Ouen, au sud de Séoul, préfecture importante, une des quatre forteresses qui défendent la capitale. La nouvelle ligne de chemin de fer Fou-San — Séoul passe à Sou-Ouen. La partie comprise entre Sou-Ouen et Séoul a été ouverte officiellement le 1er juillet ;

Fou-San, très beau port sur le détroit de Corée ; ville entièrement habitée par des Japonais, tête de la ligne du chemin de fer Séoul — Fou-San (port ouvert aux Européens) ;

Mok-Po, port important sur la mer Jaune, près de l’embouchure du Sao-Kang (port ouvert aux Européens), dans une baie magnifique et très abritée ;

Tche-Moul-Po, port relié à Séoul par un chemin de fer ; la distance est de 40 kilomètres ; le trajet se fait en une heure quarante-cinq minutes (port ouvert aux Européens) ;

Ma-Zam-Po (port ouvert aux Européens), dans une baie magnifique et très abritée ;

Pieng-Yang, ville très importante sur le Taï-Ton-Kang ;

Chim-Nan-Po, port à l’embouchure du Tseng-Tien-Kang (ouvert aux Européens).

Les traités récemment conclus permettent aux Européens d’établir des représentants dans quatre villes : Séoul, Tche-Moul-Po, Fou-San, Ouen-San.

Depuis les émeutes des Coréens contre les Japonais, ces derniers ont droit à une garnison de 250 hommes, dans chacune des trois villes de Séoul, Fou-San, Ouen-San.

Routes.

Les routes, quoique divisées théoriquement en trois classes, ont généralement une largeur de 4 à 5 mètres ; leur viabilité dépend de la saison ; leurs beauté, largeur et commodité varient à l’infini. Souvent elles sont larges à peine d’un pied, couvertes d’eau quand elles traversent les rizières, et dans les montagnes effleurant les précipices.

Toutefois, aux environs de Séoul, ces routes sont un peu mieux entretenues, et parfois carrossables. La principale est celle qui va de Séoul à la frontière de Chine ; une autre de Séoul à Sou-Ouen ; une troisième route va de Séoul au tombeau royal (30 kilomètres).

Ponts.

Il y a deux espèces de ponts : les uns consistent en quelques grosses pierres jetées en travers des ruisseaux ; les autres, composés de pieux fichés dans la rivière et supportant une espèce de plancher recouvert de terre, forment un viaduc passable, quoique trop souvent à jour (genre chinois). En été, pendant la saison des pluies, tous les ponts sont emportés ou submergés par la crue ; on voit cependant à Séoul et aux environs quelques ponts de pierre.

Les rivières un peu considérables se traversent en bateau.

À 4 kilomètres de Séoul, la voie ferrée Séoul — Tché-Moul-Po franchit le fleuve Han-Kang sur un magnifique pont de fer de 600 mètres de long. Ce pont a été construit par un ingénieur français.

Chemins de fer.

1o Ligne de Séoul à Tché-Moul-Po (40 kilomètres). La ligne est à voie normale ; écartement des rails, 1m,44. Le matériel a été construit en Amérique ; il est très confortable. La ligne est actuellement exploitée par les Japonais.

Durée du trajet de Séoul à Tché-Moul-Po : une heure quarante-cinq minutes.

2o Ligne de Séoul à Fou-San (écartement 1m,44). Cette ligne est en construction et ne sera pas terminée avant deux ans ; comme la précédente, elle est entre les mains des Japonais.

Au point de vue commercial, cette ligne est très importante, elle traverse tout le Sud de la Corée. Des embranchements desserviront les ports de la côte occidentale.

La partie de la ligne Séoul — Sou-Ouen a été mise en circulation le 1er juillet (50 kilomètres). La partie Fou-San — Tai-Kou a été mise en circulation à la même date.

3o Ligne Séoul — San-Do — Pieng-Yang. — Comme les précédentes, cette ligne sera à voie normale ; 4 kilomètres seulement sont construits.

La construction de la ligne a été donnée à des ingénieurs français. Les travaux sont actuellement arrêtés. Les uns prétendent que c’est par suite de manque de fonds, mais il se pourrait aussi que le gouvernement soit sollicité en secret par les Japonais, qui voudraient avoir le monopole de tous les chemins de fer en Corée.

L’idée des Japonais est de relier Fou-San — Séoul au Transsibérien en suivant l’itinéraire de la ligne française Séoul — Pieng-Yang — Eui-Tsiou, frontière chinoise. De cette façon, ils gêneraient considérablement le chemin de fer des Russes, car, en suivant l’itinéraire indiqué, on arriverait d’Europe jusqu’à Fou-San en chemin de fer.

De Fou-San au Japon, il n’y a que quelques heures de bateau. Les Russes ne permettront certainement pas aux Japonais la réalisation de ce projet.

Les Allemands avaient demandé la construction d’une ligne Séoul — Kil-Si-Yang ; cette ligne aurait eu l’avantage de desservir leurs mines. Cette demande a été refusée par le gouvernement.

Tramways électriques.

Séoul et ses environs sont desservis par une ligne de tramways. Cette ligne dessert toutes les grandes artères de la ville.

La ligne dans sa plus grande longueur a environ 10 kilomètres (Séoul-Centre — tombeau de la reine) ; Séoul — No-Doul, 8 kilomètres.

Cette ligne est entre les mains d’une société américaine ; elle fonctionne très bien. La même société est chargée de l’éclairage électrique de la ville.

ÎLES

L’île Quelpaert, qu’on appelle Fy-Jou en coréen, est située au sud de la Corée, à 150 lieues environ du port de Mok-Po. La population est d’environ 100.000 habitants.

L’île entière est couverte de montagnes dont la plus haute se trouve au centre. Cette montagne, qui a 2.200 mètres de hauteur, s’appelle le mont Aukland ou Han-La-San.

Les courriers sont rares, il n’y a pas de communications télégraphiques, le pays est très pauvre, la population ne vit que sur le produit de la pêche et du millet qui pousse sur des champs rocailleux.

Cependant le grenadier y croît très bien ; il devient deux fois plus gros que celui du continent.

Tous les animaux de Quelpaert sont curieux et uniques comme espèce. Les bœufs sont petits comme des veaux ordinaires de six mois ; ils ont des cornes très petites et pointues ; ils sont complètement noirs et la maison impériale s’en sert pour les sacrifices offerts par l’empereur.

Les plus grands chevaux de cette île sont de la taille d’un poulain. On les exporte comme curiosité et aussi comme amusement pour les enfants. C’est pour cette raison qu’en Chine, et même en Europe, on s’imagine que tous les chevaux coréens sont très petits. On ne trouve cette petite race qu’exclusivement dans l’île de Quelpaert.

L’île a des relations avec le port de Mok-Po.

L’île de Kang-Hoa est située juste en face de l’embouchure du Han-Kang, à peu de distance de Séoul. L’île mesure 18 milles de longueur, sur une largeur de 10 milles. Elle est entourée, dans sa plus grande étendue, au Nord et à l’Est, par les rives du continent, dont elle n’est séparée que par une courte distance.

La ville, une des places les plus fortifiées de la Corée, est située dans la partie nord de l’île ; elle est assise sur un vaste terrain couronné de hauteurs. Les maisons n’y sont pas disposées régulièrement ; elles sont éparses au milieu de bouquets d’arbres. Une muraille crénelée d’environ 4 mètres de hauteur l’entoure complètement en passant sur les crêtes ; les points culminants ont des forts circulaires qui flanquent les murailles ; les portes sont voûtées et surmontées de corps de garde en pierre.

Cette île fut prise par les Français en 1862 (expédition de l’amiral Rose).

L’île Taïma-To (en japonais Tsiou-Sima), dans le détroit de Corée. Cette île appartient au Japon.

À l’Ouest, dans la mer du Japon, l’île Dagelet.

ARMÉE ET MARINE CORÉENNES


Recrutement.

Troupe. — Le service militaire en Corée ne repose sur aucune base fixe pour la troupe. Le bas peuple seul fournit la totalité de l’armée coréenne. Quoique l’âge choisi pour l’entrée au service militaire soit de 21 ans, un bon tiers de l’armée est âgé de 15 à 20 ans : je m’en suis assuré moi-même plusieurs fois dans la garnison de Séoul et de certaines villes des environs.

Le Coréen est susceptible de faire un très bon soldat ; il est, en général, très entraîné à la marche ; les mafous font couramment 50 kilomètres par jour.

Les soldats s’engagent de bonne ou de mauvaise volonté, chaque province devant fournir à l’État un certain nombre d’hommes. Il suffit, pour être soldat, que le père ou la mère réponde de leur enfant, ou, à défaut, un membre de la famille ; ceci a pour but d’éviter les désertions. Dans le cas où un militaire déserte, la famille est frappée d’une amende et devient responsable.

Le soldat coréen sert pendant quinze à vingt ans ; on le conserve dans l’armée tant qu’il peut y rendre des services ; après quoi il est mis simplement à la porte. Malgré ces conditions assez dures, on trouve encore des engagés volontaires ou plutôt des malheureux qui préfèrent entrer dans l’armée que de mourir de faim.

Tous les soldats coréens sont mariés.

Officiers. — Depuis cinq ans, une école militaire a été créée à Séoul ; elle est sous la direction d’un général, d’un commandant et de plusieurs capitaines instructeurs.

La durée du service à l’école est de quatre ans ; les élèves passent un examen de sortie à la fin de leur quatrième année et sont, en général, tous promus sous-lieutenants.

Les élèves d’artillerie et de cavalerie passent en plus un examen spécial.

Les généraux sont nommés par l’empereur ; ils sont choisis en dehors de l’armée, de même que le ministre de la guerre.

Il y a cependant quelques exceptions, une entre autres pour le général qui commande l’école militaire ; cet officier général a fait une partie de ses études militaires au Japon, il est âgé de 27 ans et possède une instruction supérieure à celle de tous les officiers de l’armée coréenne.

Les meilleurs officiers sont ceux qui ont été instruits par les Russes, ou ceux qui ont fait un stage au Japon. Il n’y a ni médecins ni vétérinaires dans l’armée coréenne.

Une fête militaire aux environs de Séoul.

Solde.

Troupe. (La piastre coréenne a une valeur moyenne de 2 fr. 50.)
Sergent 10 piastres par mois.
Caporal 9 piastres par mois.
Lance-caporal 8 piastres par mois.
Soldat 6 piastres par mois.
Officiers.
Solde annuelle. Allocations.
Général 2.004 piastres. 2.992 piastres.
Lieutenant-général 1.500 piastres. 2.500 piastres.
Major-général 1.104 piastres. 1.092 piastres.
Colonel 756 piastres. 744 piastres.
Lieutenant-colonel 648 piastres. 648 piastres.
Major 552 piastres. 540 piastres.
Capitaine 384 piastres. 372 piastres.
Lieutenant 288 piastres. 264 piastres.
Sous lieutenant 228 piastres. 216 piastres.

Quelques rares officiers, ayant un service spécial, touchent des allocations supplémentaires.

Les premiers instructeurs de l’armée coréenne furent les officiers russes ; les vieilles troupes (gendarmes, gardes du palais) instruites par ces officiers ont une attitude très militaire, et sont les seules troupes un peu sérieuses que l’on rencontre dans la capitale.

Artillerie.

L’effectif de l’artillerie est de 300 hommes.

L’artillerie possède :

4 canons Wickers à tir rapide de 75mm de campagne.

6 canons Maxim à tir rapide de 75mm de montagne.

8 mitrailleuses Sons.

Quelques Krupp de différents modèles.

avec munitions.

8 canons en bronze Uchatius faits à Osaka.

Ces derniers sont en douane à Tchémoul-Po, le gouvernement ne les ayant pas encore payés.

L’artillerie possède des harnachements suffisants pour l’attelage de ses batteries ; reste à savoir où elle prendra les chevaux nécessaires. J’ai vu cependant à Séoul deux ou trois pièces attelées avec des chevaux japonais. Toutes les troupes d’artillerie sont concentrées à Séoul.

Les artilleurs sont armés d’un sabre japonais, de carabines Mauser de 7mm, et de carabines Colt.

Cavalerie.

La cavalerie comprend 200 chevaux, soit environ deux escadrons. Elle est remontée avec des chevaux japonais, achetés tout dernièrement au Japon. Ces chevaux ont une taille moyenne de 1m,40. Le Japon a trouvé là une belle occasion de se débarrasser de ses plus mauvais chevaux ; la plupart sont de qualité tout à fait inférieure et incapables de faire un service quelque peu pénible.

Ils ont été payés 1.200 francs chacun, rendus à Séoul ; c’est cher.

J’ai eu l’occasion d’en monter plusieurs ; ce sont de mauvais chevaux, dépourvus de force et d’allure.

La cavalerie a le même armement que l’artillerie, sabres japonais, carabines Mauser et Colt. Les harnachements proviennent du Japon.

Gendarmerie.

La gendarmerie est composée d’environ 200 hommes, pour la plupart tous anciens sous-officiers, c’est la meilleur troupe de Corée ; ils sont remontés en chevaux chinois et en chevaux du pays.

Comme armement, ils ont un sabre et le revolver (Smith et Wessons).

Infanterie.

D’après les règlements, l’infanterie devrait comprendre 20.000 hommes ; il y en a à peine 15.000. Ces troupes sont réparties sur tout le territoire.

La garnison de Séoul se compose de 6.000 hommes, qui ont pour principale mission de garder les palais impériaux et les tombeaux.

Tous les 50 mètres environ, autour de ces palais on trouve, non pas un factionnaire par guérite, mais au moins deux et assez souvent cinq ou six. Ces hommes, dans une tenue plus ou moins débraillée, passent leurs heures de faction à s’amuser. Si, par hasard, un officier vient à passer, un coup de sifflet (car tous les hommes possèdent un sifflet) prévient les factionnaires qu’ils aient à se tenir sur leurs gardes.

De temps en temps un bataillon fait une marche militaire ; il est rare de voir deux ou trois bataillons réunis. À part quelques mouvements, du maniement d’armes et le pas de parade, l’instruction militaire est à peu près nulle ; on prétend toutefois que les soldats coréens sont bons tireurs. Comme armement, l’infanterie a des fusils de tous les modèles et de tous les calibres.

Composition d’un bataillon : 1.000 hommes et 29 officiers, se répartissant ainsi :

Major 1
Officier payeur 1
Adjoint-payeur 1
Adjudant 1
Capitaines 5
Lieutenants 20
Total 29

Uniformes, équipement, musique.

L’habillement de l’armée coréenne est l’ancien costume de l’armée japonaise. Le Japon leur a passé toutes ses vieilles tenues ; on voit des hommes habillés d’une façon grotesque. L’infanterie a le col rouge et le turban du képi rouge ; l’artillerie, jaune.

Les cavaliers ont une veste verte, un pantalon noir avec une bande verte et le turban du képi vert. Les cavaliers et les artilleurs portent la botte.

La gendarmerie porte une tunique rouge, le pantalon noir avec deux bandes blanches, le turban blanc au képi.

L’équipement, comme l’habillement, provient du Japon ; toutefois, il n’est porté par l’infanterie que les jours de marche et de revue.

L’unique musique coréenne est bonne ; elle est dirigée par un Allemand.

Les compagnies possèdent des clairons et tambours.

Armement de l’armée coréenne.

Outre l’armement de l’artillerie, détaillé plus haut, l’armée coréenne possède :

10.000 fusils Gras et 1 million de cartouches ;

10.000 fusils japonais et 1 million de cartouches ;

3.500 Mausers de 11mm et 175.000 cartouches ;

450 Berdan no 1 de 10mm et 500.000 cartouches ;

1.500 Remington de 11mm et 20.000 cartouches ;

150 carabines Mauser de 7mm,5 et 5.000 cartouches ;

250 carabines Colt de 7mm,5 et 5.000 cartouches ;

200 revolvers Smith et Wessons pour la gendarmerie.

Au moment de mon passage à Séoul, les Coréens venaient de passer un marché pour acheter 30.000 fusils Gras et 1 million de cartouches.

Marine.

La marine coréenne n’existe pas. Une seule chaloupe à vapeur fait le service de la douane.

Les Japonais voulant, je pense, se débarrasser de leurs vieux navires, ont essayé de créer une marine coréenne. Un bateau vendu par eux au gouvernement est en litige depuis six mois à Tchémoul-Po, faute d’entente sur le prix, les Japonais voulant vendre comme cuirassé un vieux courrier anglais réparé et armé par eux.

Garnisons et postes militaires.

Séoul : 6.000 hommes d’infanterie, 300 artilleurs, 200 cavaliers, 200 gendarmes, les gardes du palais et la police de la ville.

Kieng-Ki-Tô : Sui-Son, 100 ; Pouk-Hau, 50 ; An-Sung, 100 ; Kang-Hoa (île), 400.

Kang-Ouen-Tô : Vou-Chu, 1.000.

Ham-Kieng-Tô : Pouk-Chong, 800 ; Chong-Sung, 800.

Pieng-An-Tô : Kang-Kye, 1.000 ; Eui-Tsiou, 600 ; Pieng-Yang, 3.000.

Hang-Haï-Tô : Vhung-Tsiou, Sang-Do, Haï-Tsiou, 400.

Tchang-Tsiou : Kong-Tsiou, 100 ; Cheung-Tsiou, 300.

Kieng-Sang-Tô : Iai-Ko, 400 ; An-Tong, 100 ; Ko-Sung, 400 ; Kieng-Tsiou, 200.

Tsien-La-Tô : Chun-Tsiou, 400 ; Kioang-Tsiou, 200.

Total, 16.350 hommes et 475 officiers.


SITUATION GÉNÉRALE DES PUISSANCES


Russie.

La Russie et le Japon se disputent la Corée[3] ; à en juger d’après ce qui se passe en Mandchourie, où les Russes s’étendent petit à petit, il est probable que la Corée fera partie prochainement des possessions asiatiques du Tsar.

Les provinces septentrionales de la Corée sont entrées, depuis quelque temps, en relations amicales avec les Russes. Depuis 1863, les Coréens ont commencé à émigrer vers le territoire russe de l’Amour. Les Russes encouragent cette émigration ; ils reçoivent les Coréens avec beaucoup d’égards et d’humanité ; ils leur donnent des terres, les aident en tout. Peu à peu, les mœurs, les usages russes s’implantent chez eux ; ils apprécient bien vite la supériorité de la culture européenne. Aujourd’hui, ce ne sont plus des familles, mais parfois des villages entiers qui passent la frontière russe.

Les Coréens sont des hommes tranquilles, soumis, un bon peuple de paysans. La politique russe en Corée est très sage ; le Coréen aime le Russe, tandis qu’il hait le Japonais.

La politique japonaise emploie tous les moyens possibles pour créer des difficultés aux Russes. Les Russes ayant obtenu des concessions de forêts à la frontière chinoise, sur les bords du Ya-Lou, les Japonais leur contestent ce droit. En réponse à leurs réclamations, les Russes ont fait garder leurs travailleurs par des cosaques, sous prétexte que le pays était dangereux.

Ces complications ne peuvent manquer de se renouveler, et, un jour ou l’autre, elles se termineront par un conflit entre la Russie et le Japon.

Japon.

Depuis longtemps déjà, le Japon convoite la Corée ; il envahit progressivement les provinces et les ports du Sud. La ville de Fou-San est une colonie entièrement japonaise ; c’est de cette ville que se répandent, dans les provinces du Sud, les nombreux Japonais que l’on rencontre. Dans toute la partie de la Corée comprise entre Séoul et Fou-San, le commerce est à eux. Non contents d’avoir obtenu les chemins de fer, ils travaillent à accaparer le gouvernement coréen au détriment des Européens. Ils viennent de se faire céder la fabrication de la monnaie ; ils essaient même en ce moment de créer un arsenal.

Le Japonais fait en Corée la tache d’huile ; après avoir draîné tout le commerce, il refoule au nord les malheureux Coréens, qu’il traite à peu près en esclaves ; pour lui, la Corée c’est le Japon. Le Japon a besoin de terres pour l’extension de son peuple ; le Japonais une fois maître de la Corée, le Coréen n’existerait plus, il faudrait qu’il disparaisse. Le Coréen s’en aperçoit ; de là, sa haine bien naturelle contre le Japonais.

Influence française.

La colonie française de Corée se compose d’environ 120 Français, y compris les missionnaires. Il existe à Séoul une seule maison de commerce française, c’est la plus importante du commerce européen ; elle est dirigée par M. Rondon, avec succursale à Tchémoul-Po.

Une mission française, sous la direction de M. le capitaine d’artillerie Payeur, fut chargée de créer un arsenal. Depuis longtemps l’arsenal ne travaille pas, faute d’argent.

La ligne projetée Séoul, San-Do, Pieng-Yang, confiée à des ingénieurs français, est construite sur un trajet d’environ 4 kilomètres ; cette ligne est arrêtée pour le même motif que l’arsenal.

Quelques ingénieurs français ont été chargés par le gouvernement coréen d’étudier certaines régions au point de vue de l’exploitation minière. Les projets sont faits, le terrain étudié, mais toujours même réponse : pas d’exploitation faute d’argent. Il règne, parmi toute la colonie française, un grand mécontentement.

Le service des postes est dirigé par un Français ; il marche régulièrement, ainsi que l’École de droit, également tenue par un de nos compatriotes. L’administration des douanes opère très sérieusement ; le directeur est Anglais, le sous-directeur est Français ainsi que quelques employés. Cette administration vient de faire placer des phares dans les passages dangereux, qui sont nombreux sur les côtes de la Corée.

L’école française de Séoul, dirigée par M. Martel, a déjà fourni plus de 400 lettrés, répandus dans l’armée et les diverses administrations.

Le Coréen apprend très facilement le français ; il s’exprime très bien, presque sans accent ; la géométrie, l’arithmétique, les sciences, tout lui est facile. Faisant un jour passer des examens, j’ai été très étonné de voir des élèves de troisième année écrire sans faute et me donner la solution juste des problèmes posés.

De tous les Français habitant la Corée, M. Martel est celui qui travaille le plus à l’influence française ; très instruit, d’une intelligence remarquable, parlant couramment plusieurs langues, il est d’un dévouement sans bornes pour ses compatriotes et ses élèves. C’est l’Européen le plus influent auprès de l’empereur. Toutes les missions délicates lui sont confiées ; grâce à lui, l’empereur vient d’accorder une concession minière à une société française (M. Rondon).

Amérique, Allemagne et Angleterre.

Une société américaine est chargée du tramway et de la lumière électrique à Séoul. Il y a environ 80 Américains aux mines d’or de Ouen-San. On rencontre aussi à Séoul plusieurs missions américaines.

L’Allemagne et l’Angleterre, en dehors des fonctionnaires, ne sont représentées que par quelques ingénieurs dans leurs concessions minières.

SITUATION POLITIQUE DE LA CORÉE

Au point de vue politique, le peuple n’est rien, ne s’occupe de rien. Le pays est en ce moment divisé en deux partis : les anciens nobles, qui voudraient maintenir l’ancien régime, et les jeunes nobles, partisans du progrès et de la civilisation européenne. Les uns et les autres se disputent avec acharnement les dignités et l’influence dans les affaires.

Le moyen le plus souvent employé par les factions rivales consiste à s’accuser de conjuration contre la vie de l’empereur. La corruption des ministres, les faux témoignages, les pétitions, tout est bon. Aujourd’hui, un personnage puissant est dans les honneurs, demain en prison. Je connais des séquestrations révoltantes, entre autres celle de deux malheureux officiers de cavalerie condamnés à la prison perpétuelle pour avoir (étant au Japon à l’école militaire) parlé à un noble, compromis dans l’assassinat de la reine. Ce noble visitait l’école japonaise et, voyant quelques-uns de ses compatriotes, il leur adressa la parole pour les encourager au travail. Ces officiers étaient à peine de retour en Corée, que ce fait, bien insignifiant, parvint aux oreilles de l’empereur ; aussitôt ils furent arrêtés pour crime de lèse-majesté (vengeance des anciens contre les jeunes).

Pris entre ces deux camps, l’empereur ne sait souvent à qui répondre. C’est un homme intelligent et très partisan du progrès ; mais il est sans caractère et sans énergie, il n’a peur que d’une chose, c’est de finir comme la reine, c’est-à-dire d’être assassiné.

En ce moment, les anciens sont très en cour, et surtout les devins et sorciers, qui dictent à Sa Majesté ce qu’elle doit faire, les arrêts qu’elle doit rendre, les sacrifices à offrir.

Me trouvant à Séoul, j’entendis un jour un vacarme. épouvantable, casseroles, gongs, instruments de musique bizarres, sorciers, sorcières, etc. ; une foule abrutie, ayant à sa tête un général en grande tenue, des officiers et des soldats, se rendait à la rivière pour noyer l’esprit de la variole (le fils de l’empereur était atteint de cette maladie).

J’ai assisté, dans l’espace d’un mois, à plusieurs de ces cérémonies étranges qui finissent toujours par des fêtes et des repas dont l’État supporte les frais. On trouve de l’argent pour ces festins, on n’en trouve pas pour des travaux urgents.

Étant très lié avec le conseiller de Sa Majesté, un noble parlant français et aimant beaucoup la France, j’ai pu voir de très près et étudier ce que l’on est convenu d’appeler la cour coréenne. C’est un mélange hétéroclite d’individus des deux camps, n’ayant qu’un but, obtenir de l’empereur une place ou de l’argent ; et, comme je l’ai dit plus haut, pour arriver à leurs fins tous les moyens paraissent légitimes.

Il y a pourtant des Coréens sérieux qui voient tout cela avec peine et qui ne demandent qu’à marcher dans la voie du progrès. Le Coréen est intelligent, travailleur même ; aujourd’hui, on voit des nobles et des officiers suivre les cours des écoles européennes.

La Corée se relèvera-t-elle ? En admettant même que les jeunes prennent le dessus, il est permis d’en douter, surtout au point où en sont les affaires politiques aujourd’hui.

Tout en reconnaissant l’intelligente activité des Japonais en Corée, à mon avis, le parti le plus sage pour le Japon serait de restreindre ses intentions sur ce pays ; les Japonais ont obtenu du gouvernement de gros avantages commerciaux et politiques ; qu’ils n’oublient pas que le peuple coréen les déteste et qu’au contraire il aime le Russe.


FIN

  1. En coréen Kang, — en chinois Kiang.
  2. En coréen : Pouk-Tô, nord ; Nam-Tô, sud.
  3. Ces notes ont été prises en juin 1903.