Notes sur des oasis et sur Alger/Biskra

Le Roman du LièvreMercure de France (p. 282-284).
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BISKRA


Au clair de lune, la modulation des flûtes douces aux lèvres violettes des petits Soudanais enchantait nos âmes.

Petit Mhammhar, petit pauvre gentil, ton crâne d’ébène bleue était comme un fruit singulier, un de ces fruits lourds que, sous la voûte opaque des feuillages de l’île, trouvait Robinson Crusoë.

Aux quartiers arabes, dans les flammes, les épiceries et les musiques, les corolles des femmes vénéneuses s’épanouissaient…

Mais elles ondulaient, comme l’eût désiré Flaubert, venaient à nous du fond du café maure, lentement, la tête haute, abruties par l’étourdissant et continuel frappement des tambours funèbres, pâles sous les fards, bruissantes sous les colliers et les jugulaires d’or.

Elles agitaient sur elles de changeantes soies et, brusquement, faisaient tressaillir leurs seins. Elles étaient si graves qu’elles paraissaient mortes.

Et l’on eût dit, sous ce résonnement de peaux d’âne tendues, l’éclatement de fleurs du mal sous un écho d’orage.

Ma douleur s’endormait aux teintes et aux sonorités, semblable à ce pâle extatique, plus pâle que son burnous, et qui s’hypnotisait aux grêles cris des fifres nasillards, à la menace des tambours sourds, à l’éblouissement des sequins.



Au matin, le long des cassis et des mimosas, les trompettes fraîches des soldats éclataient.

Les palmiers rigides, pareils à des bouquets de fer, tranchaient l’azur.

La Mère des cyprès de Biskra tombait, comme une larme immense et noire, à l’horizon du village nègre…

Le village nègre !… Ils étaient quelques-uns, jouant aux osselets sur des damiers crasseux, fumant du haschisch dans de petites pipes dont ils secouaient la cendre parfumée sur des terrines rouges, et, parfois, ils buvaient de l’eau pure dans un vase goudronné.

Les yeux de ces fumeurs étaient si tristes qu’ils semblaient refléter leur vie.

Midi flambait. Dans l’ombre, quelque scribe presbyte à barbe blanche, revenu de la Mecque, écrivait avec un roseau. Il faisait le recensement. Il y avait auprès de lui, dans l’angle de la muraille sableuse, un blême adolescent qui, les jambes croisées, burinait aussi.

Cet enfant n’était qu’un profil de lumière, qu’une lampe d’argent vivante dérobée à quelque enchanteur, qu’un pétale de magnolia tombé un jour d’orage dans un verger. Tous deux, le vieillard et lui, évoquaient les trafics poétiques des longs comptoirs d’une Arabie heureuse, les magasins d’étoffes où doit venir la Dame, l’obséquiosité des salamalecs, les marchandages.

Nous revenions à pas lents par le marché où les chameaux renâclaient en broutant du bois sec.

On y vendait beaucoup de marchandises : des dattes écrasées, du nougat et des piments.