Notes et Sonnets/Texte entier

Notes et Sonnets
Poésies de Sainte-BeuveMichel Lévy frères. (p. 287-334).


NOTES ET SONNETS

faisant comme suite aux Pensées d’août



Tous sont divers, et tous furent vrais un moment
André Chénier.


SONNETS


I

DE BALLAIGUES À ORBE, JURA


14 octobre.


Sur ce large versant, au dernier ciel d’automne,
Les arbres étagés mêlent à mes regards
Les couleurs du déclin dans leurs mille hasards,
Chacun différemment effeuillant sa couronne :

L’un, pâle et jaunissant ; amplement s’abandonne ;
L’autre, au bois nu, mais vert, semble au matin de mars ;

D’autres, près de mourir, dorent leurs fronts épars
D’un rouge glorieux dont tout ce deuil s’étonne.

Les sapins cependant, les mélèzes, les pins,
D’un vert sombre, et groupés par places aux gradins,
Regardent fixement ces défaillants ombrages,

Ces pâleurs, ces rougeurs, avant de se quitter…
Et semblent des vieillards, qui, sachant les orages
El voyant tout finir, sont tristes de rester.



II

DE BALLAIGUES À JOUGNE, AU RETOUR.


Le 2 juin.


J’ai revu ces grands bois dans leur feuille nouvelle,
J’ai monté le versant fraîchement tapissé.
À ces fronts rajeunis chaque vert nuancé
Peignait diversement la teinte universelle :

Près du fixe sapin à verdure éternelle
Le peuplier mouvant, le tremble balancé,
Et le frêne nerveux tout d’un jet élancé,
De feuille tendre encor comme la fraxinelle.

Le mélèze lui-même, au fond du groupe noir,
Avait changé de robe et de frange flottante ;
Autant qu’un clair cytise il annonçait l’espoir.


Ô mon Âme, disais-je, ayons fidèle attente !
Ainsi dans le fond sûr de l’amitié constante
Ce qui passe et revient est plus tendre à revoir.



Lorsque j’arrivai à Lausanne pour y commencer un cours, MM. les étudiants de la société dite de Zofingue m’adressèrent un chant de bon accueil et d’hospitalité ; j’y répondis la veille du 1er janvier par la pièce suivante, où il est fait allusion, vers la fin, à la perte récente d’un jeune et bien regrettable poète, qui aurait fait honneur au pays.


Pour répondre à vos vers, à vos chants, mes Amis,
Je voulais, plus rassis de ma prose, et remis,
Attendre au moins les hirondelles ;
Je voulais, mais voilà, de mon cœur excité,
Que le chant imprévu de lui-même a chanté
Et vers vous a trouvé des ailes.

Il a chanté, croyant dès l’hiver au printemps,
Tant la neige à vos monts, à vos pics éclatants
Rit en fraîcheurs souvent écloses ;
Tant chaque beau couchant, renouvelant ses jeux,
À tout ce blanc troupeau des hauts taureaux neigeux
Va semant étoiles et roses !

Même aux plus sombres jours, et quand tout se confond,
Quand le lac, les cieux noirs et les monts bleus nous font
Leurs triples lignes plus serrées,
Il est de prompts éclairs partis du divin seuil,
Et pour l’esprit conforme à ce grand cadre en deuil
Il est des heures éclairées.


Tout ce que d’ici l’œil embrasse et va saisir,
Miroir du chaste rêve, horizon du désir,
Autel à vos âmes sereines ;
Là-bas aussi Montreux, si tiède aux plus souffrants,
Et fidèle à son nom ce doux nid de Clarens,
Où l’hiver même a ses haleines ;

Oui, tout !… j’en comprends tout, je les aime, ces lieux ;
J’en recueille en mon cœur l’écho religieux
S’animant à vos voix chéries,
À vos mâles accords d’Helvétie et de ciel !
Car vous gardez en vous, fils de Tell, de Davel[1],
Le culte uni des deux patries.

Oh ! gardez-le toujours, gardez vos unions ;
Tenez l’œil au seul point où nous nous appuyons
Si nous ne voulons que tout tombe.
La mortelle patrie a besoin, pour durer,
D’entrer par sa racine, et par son front d’entrer
En celle que promet la tombe.

Fils au cœur chaste et fort, gardez tous vos saints nœuds,
Ce culte du passé, fécond en jeunes vœux,
Cet amour du lac qui modère,
Cet amour des grands monts qui vous porte, au pied sûr,
Dès le printemps léger, dans la nue et l’azur
D’où vous chantez la belle terre.

Et si quelqu’un de vous, poëte au large espoir[2],
Hardi, l’éclair au front, insoucieux de choir,
S’il tombe, hélas ! au précipice,

Gardez dans votre cœur, au chantre disparu.
Plus sûr que l’autre marbre auquel on avait cru,
Un tombeau qui veille et grandisse.

À ceux, aux nobles voix qu’encor vous possédez,
À ceux dont vous chantez les chants émus, gardez
Amour constant et sans disgrâce ;
Toutes les piétés fidèles à mûrir ;
Et même un souvenir, qui n’aille pas mourir,
À celui qui s’asseoit et passe.

31 décembre 1837.


À M…


Oh ! laissez-moi quand la verve affaiblie
Par les coteaux m’égare avec langueur,
Quand pourtant la mélancolie
Demande à s’épancher du cœur,

Oh ! laissez-moi du poëte que j’aime
Bégayer le vague et doux son,
Glaner après lui ce qu’il sème,
Et de Collins, d’Uhland lui-même
Émietter quelque chanson.

Je vais, traduisant à ma guise
Un vers que je détourne un peu ;
C’est trop ma douceur et mon jeu
Pour qu’autrement je le traduise.

C’est proprement sur mon chemin
Tenir quelque branche à la main
Que j’agite quand je respire.
C’est sous mes doigts faire crier,
C’est mâcher un brin de laurier,
Comme nos maîtres l’osaient dire.

Quel mal d’avoir entrelacé,
Même d’avoir un peu froissé
Deux fleurs dans la même couronne ?
La fleur se brise dans l’essai ;
L’arbre abondant me le pardonne.

Et puis j’y mêle un peu de moi,
Et ce peu répare ma faute.
Souvent je rends plus que je n’ôte
Par un nouvel et cher emploi.

Ainsi, quand, après des journées
D’étude et d’hiver confinées,
Je quitte, un matin de beau ciel,
Mon Port-Royal habituel ;
Si devant mon cloître moins sombre,
Au bord extrême du préau,
M’avançant, je vois passer l’ombre,
Ombre ou blanc voile et fin chapeau
De jeune fille au renouveau
Courant au tournant du coteau,

Alors, pour peindre mon nuage,
M’appliquant tout à fait l’image
Du Brigand près du chemin creux,
Uhland, j’usurpe ton langage ;


Et, si je n’en rends le sauvage,
J’en sens du moins le douloureux.



LE BRIGAND

imité d’Uhland


Un jour (en mai) de fête et de lumière,
Au front du grand bois éclairci,
Sortit le Brigand ; et voici
Qu’au chemin creux, sous la lisière,
Jeune fille passait sans rien voir en arrière.

« Oh ! pisse ainsi ! quand ton panier de mai,
Au lieu de fraîches violettes,
Tiendrait joyaux, riches toilettes,
Quel sentier te serait fermé ? »
Pensait le dur Brigand au front sombre allumé.

Et son regard aux fortes rêveries
Suit longtemps et va protéger
La jeune fille au pas léger
Qui déjà gagne les prairies
Et glisse blanche au loin le long des métairies ;

Tant qu’à la fin, une haie au détour
Couvrant la blancheur de la robe,
L’aimable forme se dérobe…
Pourtant le Brigand, à son tour,
Rentre à pas lents au bois, sous ses sapins sans jour.



SONNETS

I


Come la rena quando I turbo spira.
Dante, Inferno.


En mars quand vient la bise, et qu’après le rayon,
Après des jours d’haleine attiédie et gagnante,
Sur la terre encor nue et partout germinante,
Comme en derniers adieux, s’abat le tourbillon ;

Quand du lac aux coteaux, des coteaux au vallon
J’erre, le front au vent, sous sa rage sonnante,
Qu’aux pics la neige luit plus dure, rayonnante,
Oh ! qui n’est ressaisi du démon d’Aquilon ?

Que devient le bon ange ? Où Béatrix est-elle ?
Et Toi, Toi que j’aimais, apathique et cruelle !
Tout vous balaie en moi, tout vous chasse dans l’air.

Mon cœur joyeux se rouvre à ses âpres furies :
Aux crins des flots dressés, accourez, Valkiries !
La nature est sauvage, et le lac est de fer.


II


Agli occhi miei ricominciô diletto.
Dante, Purgatorio.


Mais la bise a passé. Revient la douce haleine,
Revient l’éclat céleste au bleuâtre horizon.

La violette rit dans son rare gazon ;
La neige brille aux monts sans insulter la plaine.

Que d’aspects assemblés ! sur la hauteur prochaine
Ce massif de bois nu, dans sa sobre saison ;
En bas le lac limpide, où nagent sans frisson
Les blancs sommets tout peints d’un bleu de porcelaine.

Pauvre orage de l’âme, où donc est ta rigueur ?
Qu’as-tu fait de tes flots, orage de mon cœur ?
Je sens à peine en moi les rumeurs expirantes.

J’aime ce que j’aimais ; un souvenir pieux
Sur ces coteaux nouveaux me redit d’autres lieux,
Et je songe au passé le long des eaux courantes.


III


Alle selle !
Dante.


Et je songe au passé, peut-être à l’avenir,
Peut-être au bonheur même en sa vague promesse,
Au bonheur que promet un reste de jeunesse,
Et qu’un cœur pardonné peut encore obtenir.

Pardonne-lui, Seigneur, et le daigne bénir ;
Retiens sa force errante, ou force sa faiblesse,
Pour qu’en toute saison ton souffle égal ne laisse
Ni désir insensé, ni trop cher souvenir.

Qu’il se reprenne à vivre, en espoir de la vie ;
Que, sans plus s’enchainer, il trouve qui l’appuie,
Qui lui rapprenne à voir ce qu’il s’est trop voilé ;


Pour que monte toujours, même dans la tourmente,
Même sous le soleil, dans la saison clémente,
Mon regard pur, fidèle au seul pôle étoilé !



LE DERNIER DES ONZE SONNETS
DE CHARLES LAMB
traduit


Hélas ! répondez-moi, qu’est-elle devenue
Mathurin Régnier, Stances.


Nous étions deux enfants à passer notre enfance,
Mais Elle si charmante et plus jeune que moi ;
Nous vivions d’une égale et mutuelle foi,
Et cette sœur aimable avait nom Innocence.

Nous aurions tous les deux pleuré pour une absence.
Mais voilà qu’un matin l’Orgueil me prend : « Et Toi,
N’es-tu pas homme enfin ? » Il dit, et je le croi ;
Je me mêle à la foule, et l’air impur m’offense,

Ma jeune amie en pleurs s’enfuit à cet affront,
Cachant dans ses deux mains la rougeur de son front :
Je la perdis alors dans la forêt profonde.

Ô douce Bien-Aimée, où donc a-t-elle fui ?
Dites, quel chaste Éden me la cache aujourd’hui ?
Que je la cherche encor, fût-elle au bout du monde !


SONNET


Un cœur jà mûr en un sein verdelet.
Ronsard.


Ces jours derniers dans les airs, la Nature
Avait encor je ne sais quelle aigreur,
Qui sous l’éclat d’Avril, comme une erreur,
Faisait obstacle à l’entière verdure.

Trop jeune cœur et beauté trop peu mûre
Sous leur soleil ont aussi leur verdeur :
Pour l’adoucir et la fondre en ardeur,
Que faut-il donc ? quelle heure est la plus sûre» ?

Mais, l’autre soir, un nuage expiré
Cède soudain : la Nature a pleuré,
Et d’une pluie elle s’est attendrie ;

Le Printemps règne. — Ainsi, fière Beauté,
Qu’un seul pleur tombe en ta jeune âpreté,
Et ce n’est plus qu’amour et rêverie.


SONNET

À PHILOTHÉE[3]


Pourquoi, dans l’amitié, vouloir donc que l’ami
Se moule à notre esprit, en épouse l’idée,

La tienne en tout pareille et sur tout point gardée,
Sans que rien la dépasse et se joue à demi ?

Pourquoi, s’il doute encor, s’il est moins affermi
En tout ce qui n’est pas l’amitié décidée,
Pourquoi, sans vous asseoir, toujours plus loin guidée,
Le piquer dans son doute à l’endroit endormi ?

J’en sais qui, dès avril, sur l’arbre encor sauvage,
Non pas indifférents, mais sans presser le gage,
En respirent la fleur d’un cœur déjà content.

Et cette fleur, un jour peut-être, non hâtée,
Comblera tous vos vœux, à belle Philothée !
Comme un fruit mûr qui tombe au gazon qui l’attend.


À MADAME…


Il est doux, vers le soir, au printemps qui commence,
Au printemps retardé qui se déclare enfin,
Les premiers jours de mai, dans cet air tout divin
Où se respire en fleur la première semence ;

Il est doux, à pas lents, sous le couchant immense,
Devant ces pics rosés de neige et d’argent fin,
Devant ce lac qui luit comme un dos de Dauphin,
Par ces tournants coteaux qui vont sans qu’on y pense,

Il est doux, Amitié, de marcher sans danger,
Tenant près de son cœur ton bras chaste et léger,
De se montrer chaque arbre et sa pointe première :


Le bois, sans feuille encor, mais d’un bourgeon doré,
Jette l’ombre à nos pas sur le sol éclairé,
Et d’un réseau qui tremble y berce la lumière.


À LA MUSE


Florem… bene olentis anethi.
Virgile.


Pauvre muse froissée, insultée, avilie,
Pauvre fille sans fard qu’en humble pèlerin
Devant eux j’envoyais pour chanter sans refrain,
Oh ! reviens à mon cœur poser ton front qui plie[4].

Ils ne t’ont pas reçue, ô ma chère folie,
Oh ! plus que jamais chère ; apaise ton chagrin !
Ton parfum m’est plus doux, par ce jour moins serein,
Et l’abeille aime encor ta fleur désembellie.

Un sourire immortel à la terre accorda
Hyacinthe, anémone et lis, et toutes celles
Qu’Homère fait pleuvoir aux pentes de l’Ida.

Même aux champs, sur la haie, il en est de bien belles ;
Blanche-épine au passant rit dans ses fleurs nouvelles ;
Mais la mieux odorante est l’obscur réséda.



RÉPONSE
À MON AMI F.-Z. (COLLOMBET)


« Toujours je m’entête, malgré le miel qui est au fond de vos vers, à me fâcher contre cet alexandrin brisé… »
(Lettre.)


Oui, cher Zénon, oui, ma lyre est bizarre,
Je le sais trop ; d’un étrange compas
Elle est taillée, et ne s’arrondit pas
D’un beau contour sous le bras du Pindare.

Le chant en sort à peine, et comme avare :
Nul groupe heureux n’y marierait ses pas :
Mais écoutez, et dites-vous tout bas
Quel son y gagne en sa douceur plus rare.

Demandez-vous si ce bois inégal,
Ce fût[5] boiteux qu’un coup d’œil juge mal,
N’est pas voulu par la corde secrète,

Dernière corde, et que nul avant moi
N’avait serrée et réduite à sa loi,
Fibre arrachée au cœur seul du Poëte !


PORT-ROYAL DES CHAMPS

À M. SAINTE-BEUVE


À Port-Royal désert je suis allé revoir
La place où, méditant la parole divine,
Nicole s’asseyait, où, tant de fois, le soir,
S’exhalèrent en pleurs les pensers de Racine.

Et ces grands souvenirs sur une humble ruine
M’ont fait prendre en mépris et notre vain savoir,
Et les sentiers trompeurs où notre esprit s’obstine,
Et pour nos pauvres vers l’orgueil de notre espoir.

Toi qui les as connus ces graves solitaires,
Qui sous l’herbe as cherché leurs traces toujours chères,
Tu sais ce que leur vie eut d’austères douceurs.

Ah ! dis-nous si ce monde aux volontés flottantes
Vaut leurs bois embaumés, leurs sources jaillissantes,
Et le bruit de nos pas le silence des leurs.


Antoine de Latour.
Paris, 16 octobre.

RÉPONSE

À M. ANTOINE DE LATOUR


Demande-moi plutôt, ô poëte sincère,
Dans ta comparaison de notre vanité
Avec la vertu simple et la fidélité
De ces cœurs qui cherchaient le seul bien nécessaire,

Demande-moi plutôt, en touchant ma misère,
Si j’aurai rien pris d’eux pour l’avoir raconté,
Si le signe fatal, en ce siècle vanté,
N’est pas autour des saints cette étude trop chère,

Le plus stérile emploi s’il n’est le plus fécond,
Le plus mortel au cœur s’il ne le change au fond :
Regarder dans la foi comme au plus vain mirage ;

Se prendre à la ruine, et toujours repasser,
Comme aux bords d’une Athène, à l’éternel rivage :
Toucher toujours l’autel sans jamais l’embrasser !


SONNET

À MARMIER


Le vieux Slave est tout cœur, ouvert, hospitalier,
Accueillant l’étranger comme aux jours de la fable,

Lui servant l’abondance et le sourire affable,
Et même, s’il s’absente, il craint de l’oublier :

Il garnit, en partant, son bahut de noyer :
La jatte de lait pur et le miel délectable,
Près du seuil sans verrous, attendent sur la table,
Et le pain reste cuit aux cendres du foyer.

Soin touchant ! doux génie ! ainsi fait le Poëte :
Son beau fruit le plus mûr, sa fleur la plus discrète,
Il l’abandonne à tous ; il ouvre ses vergers.

Et souvent, lorsqu’ainsi vous savourez son âme,
Lorsqu’au foyer pieux vous retrouvez sa flamme,
Lui-même il est parti vers les lieux étrangers !


SONNET

imité de Ruckert


Et moi je fus aussi pasteur en Arcadie ;
J’y fus ou j’y dois être, et c’est là mon berceau.
Mais l’exil m’en arrache : à l’arbuste, au roseau
Je vais redemandant flûtes et mélodie.

Où donc est mon vallon ? Partout je le mendie.
Une femme aux doux yeux qui montait le coteau :
« Suis-moi, dit-elle, allons à ton vallon si beau. »
Je crois ; elle m’entraîne et fuit : ô perfidie !


Une autre femme vient et me dit à son tour :
« Celle qui t’a trompé, c’est Promesse d’amour ;
Moi je suis Poésie, et n’ai point de mensonge.

Dans ta chère Arcadie, au delà du réel,
Je te puis emporter, et sur un arc-en-ciel,
Mais d’esprit seulement. — Vois s’il suffit du songe ? »


SONNET

imité de Bowles


Comme, après une nuit de veille bien cruelle,
Un malade en langueur, affaibli d’un long mal,
Que n’a pas réjoui le doux chant matinal
Et sa vitre égayée où frappe l’hirondelle,

Se lève enfin, et seul, où le rayon l’appelle,
Se traîne : il voit le ciel, l’éclat oriental,
Les gazons rafraîchis et d’un vert plus égal,
Les coteaux mi-voilés dans leur pente plus belle ;

Quelque blancheur de nue argente l’horizon ;
Tout près, distinctement, il écoute au buisson,
Ou suit nonchalamment les bruits de la fontaine ;

Et son front se ressuie, et son âne est sereine :
Ainsi, douce Espérance, après l’âpre saison
Tout mon cœur refleurit : j’ai senti ton haleine !



SONNET

imité de Justin Kerner


Le matin, en été, tout joyeux tu t’éveilles ;
L’aurore a lui ; tu sors : te voilà par les prés ;
La rosée à plaisir les a désaltérés ;
Tu cours les papillons et tu suis les abeilles !

Et t’épanouissant aux faciles merveilles,
Tu t’inquiètes peu si les cieux déchirés
Ont versé, dès minuit, sur les champs dévorés
Des larmes que l’aurore a refaites vermeilles.

Calme, heureux au matin, ainsi se montre un cœur.
À ce front embelli, la flamme ou la langueur
Te charme : sais-tu bien quelles nuits l’ont payée,

Quelles nuits sous l’orage, en pleurant ou priant !
À ton regard léger le sien parait brillant :
C’est qu’une larme amère est à peine essuyée !


SONNET

imité de Bowles


Novembre


Étrange est la musique aux derniers soirs d’automne
Quand vers Rovéréa, solitaire, j’entends

Craquer l’orme noueux, et mugir les autans
Dans le feuillage mort qui roule et tourbillonne.

Mais qu’est-ce si déjà, sous la même couronne
De ces bois alors verts, et sur ces mêmes bancs,
On eut, soir et matin, la douceur des printemps
Auprès d’un cœur ami de qui l’absence étonne ?

Reviens donc, à Printemps ! renais, feuillage aimé !
Mois des zéphyrs, accours ! chante, chanson de mai :
Mais triste tu seras, mais presque désolée,

Si ne revient aussi, charme de ta saison,
Printemps de ton printemps, rayon de ton rayon,
Celle qui de ces bois bien loin s’en est allée !


SONNET

imité de Miss Caroline Bowles

(la seconde femme du poëte Southey)


Je n’ai jamais jeté la fleur
Que l’amitié m’avait donnée,
— Petite fleur, même fanée, —
Sans que ce fût à contre-cœur.

Je n’ai jamais contre un meilleur
Ghangé le meuble de l’année,

L’objet usé de la journée,
Sans en avoir presque douleur,

Je n’ai jamais qu’à faible haleine
Et d’un accent serré de peine
Laissé tomber le mot Adieu

Malade du mal du voyage,
Soupirant vers le grand rivage
Où ce mot va se perdre en Dieu.


À MADAME P.

(SUR LA MORT D’UNE JEUNE ENFANT)


Calme tes pleurs, elle a vécu sa vie ;
Ô tendre mère, elle a rempli ses jours ;
Ta belle enfant avant dix ans ravie
Des ans nombreux anticipa le cours.
Aux plus grands maux ainsi fait la nature :
Un bien chez elle achemine aux douleurs ;
Même en hâtant, elle incline et mesure,
Ce vert bouton, cette fleur était mûre ;
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

L’humain sentier s’échelonne en quatre âges :
Aux deux premiers tout enivre à sentir ;
L’été calmé peut plaire encore aux sages ;
L’hiver approche, il est mieux de partir.

De ces seuls lots où la vie est bornée,
Ta fille, ô mère, en eut trois, les meilleurs :
Rayons, parfums, la flamme de l’année,
Même des fruits la saveur devinée ;
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

joueuse enfant, qui donc connut plus qu’elle
Les longs ébats autour des gazons verts,
La matinée à durée éternelle,
Les coins chéris où finit l’univers ?
Qui mieux connut, sous l’œil sacré qui veille,
Quand tout lui fait joie et bruits et couleurs,
L’instant qui fuit et luit comme une abeille,
Et la minute à l’Océan pareille ?
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

Mais de ces jeux jusque-là tant éprise,
Comme lassée, elle sortit un soir,
Et le matin la surprit seule assise,
Un livre en main pour unique miroir.
Qu’y voyait-elle ? Est-ce l’image encore ?
Est-ce le sens ? L’esprit va-t-il ailleurs ?
Elle a pleuré sur des vers de Valmore :
Germe, étincelle, elle a ce qui dévore !
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

Elle à la flamme, elle attend, elle rêve,
Pauvre enfant pâle et qui trop tôt comprend.
Du gai buisson déjà son vol s’enlève ;
Elle soupçonne un univers plus grand.
Si quelque ami fatigué de sa route
Venait vers toi,… le soir ouvre les cœurs,
Ou s’épanchait ; elle assiste, elle écoute :

À voir son front je pressens et redoute.
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

Ainsi mûrit sa jeunesse secrète.
De ses douleurs elle enferme l’aveu ;
Quand Je mal gagne, elle est plutôt muette,
Pense à sa mère et ne se plaint qu’à Dieu.
Dans son fauteuil, aux heures moins souffrantes.
Douce, au soleil ranimant ses pâleurs,
Quand fuit l’automne aux langueurs enivrantes,
Elle à joui des nuances mourantes ;
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

Elle a joui des lenteurs refusées
À l’âge ardent qui foule le gazon ;
Elle a goûté les grâces reposées
Par où s’enchante une arrière-saison.
Quand toute enfance, égoïste en ses joies,
Au moindre choc exhale ses malheurs,
Elle sourit de peur que tu ne voies ;
C’est déjà l’Ange en ses célestes voies !
Calme tes pleurs, calme tes pleurs !

Ou pour lui plaire, à mère inconsolée,
Pleure à jamais, mais sans un pleur amer ;
Pleure longtemps au fond de la vallée
Ta vie enfuie en un monde plus cher.
Dans un rayon vois l’Ange redescendre,
Bénir tes nuits et t’y jeter ses fleurs,
Et doucement te murmurer d’attendre,
Et te redire avec un deuil plus tendre :
Verse tes pleurs, verse tes pleurs !



SONNET

à madame Desbordes-Valmore


Puisqu’aussi bien tout passe et que l’Amour a lui.
Puisqu’après le flambeau ce n’est plus que la cendre,
Que le rayon pâli n’est plus même à descendre,
Puisqu’en mon cœur désert habite un morne ennui,

Si le loisir du chant me revient aujourd’hui,
Qu’en faire, Muse aimée ? et nous faut-il attendre
L’écho qu’hier encore il était doux d’entendre,
Dernier soupir du nom qui pour toujours m’a fui ?

Oh ! sortons de moi-même ! et de mon âme errante
Suspendons loin de moi la corde murmurante !
Ailleurs, je sais ailleurs des endroits consacrés :

Et comme un timbre d’or, qui parfois chante où pleure,
Mon vers harmonieux sonnerait les quarts d’heure
Heureux ou douloureux des amis préférés.



À M. LE COMTE MOLÉ

LE TOMBEAU DE DELILLE[6]


Sur ce brillant tombeau qui connut de beaux jours,
Où pleuvait l’immortelle, où riait la verdure,
Que l’admiration bercail de son murmure,
Qu’un long soleil de gloire embrassa dans son cours,

Le temps vient ; tout succède, et les neveux sont sourds.
Seule, une vieille sœur, qui ne sait pas l’injure,
Croit au poëte mort : pour offrande et parure
Plus de fleurs que le peu qu’elle apporte toujours !

Mais l’hiver… mais si pauvre,… hélas ! reviendra-t-elle ?
Tu l’as su : dès demain, sur le marbre fidèle,
(Bienfait tout embelli qu’enchante un noble égard !)

Elle trouve, en changeant la couronne fanée,
La bûche du foyer, le pain de la journée,
La goutte d’un vin pur, cher au cœur du vieillard !



SONNET


La jeunesse est passée : un autre âge s’avance ;
J’en ai senti déjà les signes sérieux,
L’instant est solennel : fuyons loin de ces lieux !
L’Amour qui m’a laissé ne m’en fait plus défense.

Partons : dans le détroit où mon esquif se lance,
Il convient d’être seul pour de mornes adieux,
La main au gouvernail, l’œil au profond des cieux,
Le cœur ouvert et haut, pour tout voir en silence.

Des rivages aimés les derniers sont venus ;
Ils passent ; c’est l’entrée aux grands flots inconnus.
À de tels horizons il est temps de se faire.

Naples, Rome, en passant à peine je vous vois ;
Mais, vous entrevoyant, que mes pleurs quelquefois
Coulent plus adoucis sur ma ride sévère !


SUR LA SAONE,

en voyant une jeune femme à sa fenêtre


Au bord de ce balcon, quelle vie ennuyée
Demande au flot qui passe un bonheur qui n’est pas ?

Quelle tête charmante, à la vitre appuyée,
Semble au gai voyageur dire un aveu tout bas ?

Mais peut-être elle l’a, plus que je ne suppose,
Elle l’a, ce bonheur, sans tant de vœux subtils,
Et, ne désirant rien, elle dit : « Où vont-ils ?
N’ont-ils donc pas chez eux le jasmin et la rose ?… »

Et puis peut-être encor, ce que je lui donnais
En idéal bonheur, en idéal veuvage,
N’était rien qu’un coup d’œil aux tonneaux du rivage,
Un rêve au bon rapport de son crû mâconnais.


SONNET


Avignon m’apparaît dans sa charmante enceinte
D’un joli, grave encor, d’un sérieux mignon ;
Si bien que l’on dirait, sans jouer sur le nom,
Que Mignard, d’après Rome, en copiant l’a peinte

(Ce Mignard le Romain aimait fort Avignon) :
Jolis remparts sans louve, un Vatican sans crainte,
Pour Tibre le grand Rhône, orageux compagnon,
Mais aussi la Durance ; et puis Laure pour sainte.

C’est du romain plus tendre, en Provence il est né ;
C’est du romain venu près du bon roi René.
Des papes sommeillants le tombeau rit encore ;


Et mon sonnet léger et pourtant attendri
N’est qu’un feston de plus sur leur marbre fleuri,
Une perle de plus, dans ta couronne, ô Laure !


SONNET

À UN PEINTRE


Ne montez Albano qu’au déclin d’un beau jour ;
Descendez-le surtout aux heures inclinées :
Si tendrement, de loin, ses lignes dessinées,
Une heure avant l’Ave, peindront mieux leur contour.

Pour que l’œil aux objets glisse avec plus d’amour,
Le bon moment n’est pas le midi des journées.
Ces pentes, de leur cloître au sommet couronnées,
Ont besoin d’un soleil qui les prenne au retour.

Quand baisse le rayon, c’est alors qu’on commence
À bien voir, à tout voir dans la nature immense :
Midi superbe éteint les lieux tout blancs voilés.

De même dans la vie, on voit mieux lorsque l’âge
Trop ardent a fait place à cette heure plus sage,
Aux obliques rayons, hélas ! d’ombre mêlés.



SONNET


Saint-Laurent-hors-des-murs d’un sens profond m’explique
Les Pères primitifs et leur ton vénéré ;
En entrant là, d’abord en eux je suis entré :
Rien du beau simple, aisé, ni du parfait antique :

Un composite un peu barbare, au moins rustique ;
Colonnes de tout bord, même au socle enterré,
Mais pur jaspe ou lapis : mais ce parfum sacré
Qui surtout te remplit, ô vieille Basilique !

Qu’importe où fut ce marbre avant de t’arriver ?
En lisant saint Justin, souvent un mot se lève,
Un mot d’or qu’en Platon l’on eût pu retrouver ;

Mais le mot, sans Platon, se couronne et s’achève !
Même harmonie en toi, Basilique où je rêve,
Et prier y pénètre encor mieux que rêver.


LA VILLA ADRIANA


À LISTZ[7]


Vers la fin d’un beau jour par vous-même embelli,
Ami, nous descendions du divin Tivoli,

Emportant dans nos cœurs la voix des cascatelles,
La fraicheur et l’écho, ces nymphes immortelles.
Un peu las nous allions : le soleil trop ardent
S’était tantôt voilé du côté d’Occident,
Et larges sur les fleurs quelques gouttes de pluie
En faisaient mieux monter l’odeur épanouie.
Avec ses verts massifs, avec ses hauts cyprès
La villa d’Adrien nous conviait tout près :
Nous la voulûmes voir un moment, — mais à peine
Disions-nous ; la journée avait été si pleine
Et semblait ne pouvoir en nous se surpasser :
Nous la croyions finie, elle allait commencer.

On dit que dans ces lieux, au retour des voyages,
L’empereur Adrien, comme en vivantes pages,
En pierre, en marbre, en or, se plut à retenir,
À rebâtir égal chaque grand souvenir,
Alexandrie, Athène avec choix rassemblées,
Lacs, canaux merveilleux, Pœcile et Propylées,
Et tout ce qu’en cent lieux il avait admiré
Et qu’il revoyait là sous sa main enserré.

Mais, nous, ce n’était pas cette Grèce factice
Ni tous ces grands efforts de pompe et d’artifice
Qu’écroulés à leur tour et sous l’herbe gisants,
Nous allions ressaisir et refaire présents.
Nous les laissions dormir ces doctes funérailles ;
À peine nous nommions ces grands pans de murailles,
Mais sous leur flanc rougeâtre et du lierre couru,
Et qu’encor rougissait le soleil reparu,
Parmi ces hauts cyprès, ces pins à sombres cônes
Que le couchant coupait d’éblouissantes zones,
Devant ces fiers débris de l’art humain trompé
Devenus les rochers d’une verte Tempé

Que ta seule nature avait recomposée,
Errant silencieux comme en un Élysée,
Du passé d’Adrien sans trop nous souvenir,
Nous repassions le nôtre, et tout venait s’unir.

À quoi donc pensions-nous ? dans leurs mélancolies
À quoi pensaient, Ami, nos âmes recueillies,
Vous, Celle qu’enchaînait à votre bras aimé
La haute émotion de ce soir enflammé,
Et dont j’entrevoyais par instants la prunelle
Levée au ciel en pleurs et rendant l’étincelle ?
À quoi pensais-je, moi, discret, qui vous suivais
Et qui sur vous et moi, tout ce soir-là, rêvais ?

Nous pensions à la vie, à son heure rapide,
À sa fin ; vous peut-être à je ne sais quel vide
Qui dans le bonheur même avertit du néant ;
Au grand terme immobile où va tout flot changeant,
Et que nous figuraient, comme plages dernières,
Tous ces cirques sans voix et ces dormantes pierres.
Vous pensiez à quel prix, en s’aimant, on l’a pu ;
À l’esquif hasardeux dont le câble a rompu,
Et qui, par la tempête ouvrant encor sa voile,
Emporta les deux cœurs et ne vit qu’une étoile ;
À l’immortalité de cette étoile au moins,
Et, quand la terre est sombre, aux cieux seuls pour témoins.
Rome, que vous deviez quitter, à cette veille
Redoublait en adieux sa profonde merveille.
Devant elle, à pas lents, ne causant qu’à demi,
Vous en preniez congé comme d’un grave ami.
Écloses là pour vous tant de chères idées,
D’art et de sentiment tant d’heures fécondées,
Ce bonheur attristé, mais surtout ennobli,
Qu’ont goûté dans son ombre et sur son sein d’oubli

Deux cœurs ensemble épris de la muse sévère,
Et conviés au Beau dans sa plus calme sphère,
Tout cela vous parlait ; mystère soupçonné !
J’ai peur, en y touchant, de l’avoir profané.
— Et dans ma rêverie à la vôtre soumise
Je suivais, plein d’abord de l’amitié reprise,
Heureux de vous revoir, triste aussi, vous voyant,
Du contraste d’un cœur qui va se dénuant,
Me disant qu’en nos jours de rencontre première
Pour moi la vie encore avait joie et lumière,
Et de là retombant au présent qui n’a rien,
Aux ans qui resteront, et sans un bras au mien :

Misère et vérité, merveille et poésie,
Que la douleur ainsi tout exprès ressaisie,
Que les lointains regrets lentement rappelés,
Les plus anciens des pleurs au nectar remêlés,
L’avenir et son doute et sa nuée obscure,
Tous effrois, tous attraits de l’humaine nature,
En de certains reflets venant en nous s’unir,
Composent le plus grand, le plus cher souvenir !

Pourtant l’on se montrait quelque auguste décombre,
Quelque jeu du soleil échauffant un pin sombre,
Par places le rayon comme un poudreux essaim,
Lumière du Lorrain et cadre de Poussin.
Et la voix que j’entends, entre nos longues poses
Disait : « Adrien donc n’a fait toutes ces choses
Et fourni tant de marbre à ces débris si nus
Que pour qu’un soir ainsi nous y fussions émus ! »

Et le soleil rasant de plus en plus l’arène
Y versait à pleins flots sa course souveraine ;
L’horizon n’était plus qu’un océan sans fond

Qu’au loin Saint-Pierre en noir rompait seul de son front.
Près de nous votre Hermann, si fier de vous, ô Maître,
Le Puzzi d’autrefois et de ce soir peut-être[8],
S’égayait, bondissait, et d’un zèle charmant
Mêlait aux questions fleur, médaille, ossement.
À deux pas en sortant, une rixe imprudente
D’enfants, nu-tête au ciel, se détachait ardente,
Les cheveux voltigeant comme d’Anges en feu ;
Des rameaux d’un cyprès un chant disait adieu ;
Et toutes ces beautés qu’arrivant et novice
Amplement j’aspirais dans non âme propice,
Mais où vous me guidiez, où vous m’aidiez encor,
Vous du si petit nombre à qui sied l’archet d’or,
Souvenirs que par vous il vaut mieux qu’on entende,
Du premier jour au cœur m’ont fait Rome plus grande !


ÉLÉGIE


Pour de lointains pays (quand je devrais m’asseoir)
Je vais, je pars encor : que veux-je donc y voir ?
Est-ce des nations la pompe ou les ruines ?
Est-ce la majesté des antiques collines
Qui me tente à la fin et me dit de monter ?
Est-ce l’Art, l’Art divin, qui, pour mieux m’enchanter,
Pour remplir à lui seul mon âme tout entière,
Veut que je l’aille aimer sous sa belle lumière ?
Est-ce aussi la nature et ses calmes attraits

Qu’il m’est doux une fois de posséder plus près,
Aux lieux mèmes chantés sur les lyres humaines,
Dans le temple des bois, des monts et des fontaines ?
Oui, certes, tout cela, nature, art et passé :
J’aime ces grands objets ; mon cœur souvent lassé
Se sent repris vers eux de tristesse secrète.
Mais est-ce bien là tout ? est-ce ton vœu, poëte ?
Autrefois, sur la terre, à chaque lieu nouveau,
Comme un trésor promis, comme un fruit au rameau,
Je cherchais le bonheur. À toute ombre fleurie,
Au moindre seuil riant de blanche métairie,
Je disais : Il est là ! Les châteaux, les palais,
Me paraissaient l’offrir autant que les chalets :
Les parcs me le montraient au travers de leurs grilles ;
Je perçais, pour le voir, l’épaisseur des charmilles,
Et, dans l’illusion de mon rêve obstiné,
Je me disais le seul, le seul infortuné.
Aujourd’hui, qu’est-ce encor ? quand ce bonheur suprême,
L’Amour (car c’était lui), m’ayant atteint moi-même,
S’est enfui, quand déjà le souvenir glacé
Parcourt d’un long regard le rapide passé,
Quand l’avenir n’est plus, plus même le prestige,
Le doux semblant au cœur d’un piège qui l’oblige,
Je vais comme autrefois, et dans des lieux plus grands,
Et plus hauts en beautés, perdant mes pas errants,
Je cherche… quoi ? ces lieux ? leur calme qui pénètre ?
L’art qui console ?… oh ! non… moins que jamais peut-être ;
Mais au fond, mais encor ce bonheur défendu,
Et le rêve toujours quand l’espoir est perdu !



À GEORGE SAND


J’avais au plus petit, au plus gai mendiant,
Au plus gentil de tous, chantant et sautillant,
Vrai lutin gracieux qui s’attache et se moque,
J’avais lâché, le soir en rentrant, un baïoque :
Et voilà qu’au matin, dès le premier soleil,
Quand Pestum espéré hâte notre réveil,
Voilà que dans la cour de l’auberge rustique,
Pareils à ces clients de l’opulence antique,
De petits mendiants, en foule, assis, couchés,
Veillaient, épiant l’heure et d’espoir alléchés.
Et quand le fouet claqua, lorsque trembla la roue,
Du seuil au marchepied quand notre adieu se joue,
Que de cris ! tous debout, grimpés, faisant tableau,
Demi-nus, fourmillant, gloire de Murillo !
Et nous courions déjà qu’il en venait encore,
Les cheveux blondissant dans un rayon d’aurore ;
Ils sortaient de partout, des plaines, des coteaux,
Allègres, voltigeant, et de plus loin plus beaux,
Rattachés d’un haillon à la Grèce leur mère,
Purs chevriers d’Ida, vrais petits-fils d’Homère,
Tous au son du baïoque accourus en essaim,
Comme l’abeille en grappe à la voix de l’airain.


Salerne.


SONNET


J’ai vu le Pausilype et sa pente divine ;
Sorrente m’a rendu mon doux rêve infini ;
Salerne, sur son golfe et de son flot uni,
M’a promené dès l’aube à sa belle marine.

J’ai rasé ces rochers que la grâce domine,
Et la rame est tombée aux blancheurs d’Atrani :
C’est assez pour sentir ce rivage béni ;
Ce que je n’en ai vu, par là je le devine.

Mais, Ô Léman, vers toi j’en reviens plus heureux ;
Ta clarté me suffit ; apaisé, je sens mieux
Que tu tiens en douceurs tout ce qu’un cœur demande ;

Et Blanduse et ses flots en mes songes bruiraient,
Si j’avais un plantage où, le soir, s’entendraient
Les rainettes en chœur de l’étang de Champblande !


SONNET


Pardon, cher Olivier, si votre alpestre audace
Jusqu’aux hardis sommets ne me décide pas ;
Si quelque chose en moi résiste et pèse en bas ;
Si, pour un seul ravin, tantôt j’ai crié grâce !


Tous oiseaux à l’envi ne fendent tout l’espace,
Toutes fleurs n’ont séjour, passé de certains pas ;
Si quelqu’une, plus fière, a doublé ses appas,
Il en est du vallon qui n’ont que là leur grâce.

N’en ayez trop dédain, quand vous les respirez.
Tout mon ètre est ainsi : pas d’haleine trop haute ;
Promenade aux coteaux, poésie à mi-côte,

C’est le plus, et de là j’ouïs les bruits sacrés.
Pourtant, pourtant j’ai vu, trainé par vous, cher hôte,
Sur Aï les cieux bleus que vous m’avez montrés[9] !


......Lasciva capella.
Virgile.


C’est où ces dames vont promener leur caprice
La Fontaine.


La chèvre m’avait vu, couché sous le sapin,
Faire honneur à ma gourde et trancher à mon pain ;
Je repars, elle suit, folle et capricieuse,
Friande, je le crois, mais surtout curieuse :
À la montagne on est curieux aisément,
Et l’étranger qui passe y fait événement.
J’allais à travers clos, entre monts et vallées,
Me frayant le sentier aux herbes non foulées,
Broyant et gentiane et menthe et serpolet,
Enjambant les treillis de chalet en chalet :

Elle suivait toujours. Que faire ? À chaque claie,
À chaque croisement et clôture de haie
Je passais, et du cri, du geste la chassant,
Je refermais l’endroit d’un triple osier puissant ;
Mais, à moitié du pré, regardais-je en arrière :
À huit pas lestement suivait l’aventurière,
D’un air de brouter l’herbe et les rhododendrons :
Mes pierres n’y faisaient et ne semblaient affronts.
J’enrageais. Autrefois, la bête opiniâtre
N’eût semblé que déesse et que nymphe folâtre :
J’y voyais, vers Paris malgré moi reporté,
Le malheur d’être aimé de certaine beauté.
Elle ne quittait pas ! Après mainte montagne,
Pour couper court enfin à ma vive compagne,
Et par l’idée aussi du pâtre au désespoir,
Quand il la chercherait vainement sur le soir,
J’avisai dans un pré la rencontre prochaine
D’une vieille faneuse à qui je dis ma peine,
Et qui, prenant en main la corne rudement,
Cria : Bête mauvaise ! et finit mon tourment.

À la montagne ainsi, quand vous gagnez le faite,
Tout vous suit, tout du moins vous regarde et s’arrête.
L’esprit lutin des monts s’en mêle, je le veux,
Mais aussi l’esprit bon, naïf et curieux.
Le montagnard d’abord vous questionne et cause ;
Le papillon sur vous, comme à la fleur, se pose,
Loin du doigt meurtrier et de l’enfant malin ;
L’abeille, à votre front, cherche un calice plein ;
L’insecte vous obsède, et la vache étonnée
Interrompt sa pâture à demi ruminée,
Lève un naseau béant, et, tant qu’on soit monté,
Suit longtemps et de l’œil dans l’immobilité.


Lausanne.


De ces monts tout est beau, chaque heure en a ses charmes,
Chaque climat y passe et s’y peint tour à tour ;
Et l’étranger lui-même, y vivant plus d’un jour,
À les trop regarder se sent naître des larmes :


I


Soit que, par le soleil de l’été radieux,
À l’heure où la clarté déjà penche inégale,
Le rayon, embrassant leur crête colossale,
Les détache d’ensemble au vaste azur des cieux,

Tête nue et sans neige, et non plus sourcilleux,
Mais d’antique beauté, sereine et sculpturale,
Dressés pour couronner la Tempé pastorale,
Taillés par Phidias pour un balcon des Dieux !

Délicats et légers, et d’élégance pure,
Enlevant le regard à chaque découpure,
Et, pour le fin détail, d’un vrai ciseau toscan !

Et leur teinte dorée, et leur blonde lumière,
Au front d’un Parthénon caresserait la pierre,
Serait une harmonie aux murs du Vatican !


II


Soit lorsqu’au jour tombant, sous un large nuage,
Du couchant à la nuit tout le ciel s’est voilé ;

Que par delà Chillon, surtout amoncelé,
Le bleu sombre et dormant de monts en monts s’étage ;

Quand tous ces grands géants, resserrés au passage,
Figurent les confins d’un monde reculé,
Les derniers murs d’acier d’une antique Thulé,
Ou les gardiens muets d’un éternel orage !

Attrait immense et sourd ! pas une ride aux flots,
Pas un souffle à la nue, au front pas une haleine !
Quel plus grand fond de rêve à la douleur humaine ?

Ô Byron, Beethoven, retenez vos sanglots !
— Et du prochain buisson, tandis qu’au loin je pense,
L’aigre chant du grillon emplit seul le silence.


III


Ou soit même en hiver, sous les frimas durcis,
Même aux plus mornes jours, sans qu’un rayon s’y voie,
Sans que du ciel au lac un reflet se renvoie
Pour les vulgaires yeux du seul éclat saisis,

Oh ! pour le cœur amer aux pensers obscurcis
Et pour tout exilé qui ressonge à sa joie,
Oh ! qu’ils sont beaux encor ces grands monts de Savoie,
Vus des bords où, rêveur, tant de fois je m’assis !

Leur neige avec sa ride est fixe en ma mémoire,
Sombre dans sa blancheur, vaste gravure noire,
Comme d’un front creusé qui dans l’ombre a souffert !

Plus je les contemplais et plus j’y pouvais lire

De ces traits infinis qui toujours me font dire
Que l’aspect le plus vrai, c’est le plus recouvert !


De ces monts tout est beau, chaque heure en à ses charmes,
Chaque climat y passe et s’y peint tour à tour ;
Et même l’étranger, s’il y vit plus d’un jour,
À les trop regarder se sent naître des larmes !


SONNET


Sit meæ sedes utinam senectæ,
Sit modus lasso maris et viarum

Horace.


Paix et douceur des champs ! simplicité sacrée !
Je ne suis que d’hier dans ce repos d’Eysins,
Et déjà des pensers plus salubres et sains
M’ont pris l’âme au réveil et me l’ont pénétrée.

Point de merveille ici ni de haute contrée,
Point de monts, de rochers, si ce n’est aux confins ;
Mais des vergers, des prés, l’un de l’autre voisins,
Le cimetière seul, colline séparée.

Ô doux chemins tournants ! ô verte haie en fleur !
Blonde Reine des prés, leur plus tendre couleur
Promenade insensible, avec oubli suivie,


Qui, comme un ami sûr, nous ramenez au banc
Devant le seuil, au soir, où la famille attend,
Soyez tout mon sentier et ramenez ma vie !



Sic ego sim, liceatque caput candescere canis !…
Tibulle.


On sort ; le soir avance et le soleil descend ;
Le Jura déjà monte avec son front puissant :
On traverse vergers, plantages sans clôture,
Négligence des prés qu’enlace la culture.
On arrive au grand pont que projeta l’aïeul,
— Vainement, — que, syndic, le père acheva seul.
On s’enfonce au grand bois, chênes aux larges voûtes :
On admire au rond-point où s’égarent huit routes.
Tout au sortir de là, l’ancien toit apparaît,
Dont l’ami si souvent nous toucha le secret,
Manoir rural, pourtant à tourelle avancée ;
Et l’ami nous redit son enfance passée,
Ses jeux, l’école aussi, la fuite, le pardon ;
Les jours dans le ravin à lire Corydon ;
Les immenses noyers aux branches sans défense,
Plus immenses encor quand les voyait l’enfance.
On s’assied, on soupire, avec lui l’on renaît,
On revole au matin que la fleur couronnait,
Et, tandis que le cœur distille sa rosée,
L’œil en face se joue à la cime embrasée
Du Mont-Blanc, dernier feu, si grand à voir mourir !
Mais il faut s’arracher, de peur de s’attendrir.

On revient, côtoyant l’autre pan de colline,
Non plus par le grand pont, mais bien par la ravine :
Le bois superbe à gauche en lisière est laissé.
Plus d’un air pastoral en marchant commencé,
Des murmures de vers, de romances vieillies,
Exhalent l’âge d’or de nos mélancolies.
Et plus nous avançons et plus le jour nous fuit.
Sur le nant[10] desséché ce pont brisé conduit :
On s’effraie, on s’essaie, on a passé la fente :
On remonte, légers, la gazonneuse pente ;
Et le sommet gagné nous remet de nouveau
À la plaine facile où fleurit le hameau.
En avant, le Jura, dans sa chaîne tendue,
Des grands cieux qu’il soutient rehausse l’étendue ;
Une étoile se pose au toit de la maison ;
Il est nuit : et, si l’œil replonge à l’horizon,
Ce n’est plus que vapeurs vaguement dessinées
Et les Alpes là-bas dans l’ombre soupçonnées !

Eysins

SONNET


Non, je n’ai point perdu mon année en ces lieux :
Dans ce paisible exil mon âme s’est calmée ;
Une Absente chérie, et toujours plus aimée,
A seule, en les fixant, épuré tous mes feux.


Et tandis que des pleurs mouillaient mes tristes yeux,
J’avais sous ma fenêtre, en avril embaumée,
De pruniers blanchissants la plaine clair-semée :
— Sans feuille, et rien que fleur, un verger gracieux !

J’avais vu bien des fois Mai, brillant de verdure,
Mais Avril m’avait fui dans sa tendre peinture ;
Non, ce temps de l’exil, je ne l’ai point perdu !

Car ici j’ai vécu fidèle dans l’absence,
Amour ! et sans manquer au chagrin qui t’est dû,
J’ai vu la fleur d’Avril et rappris l’innocence.

Liége.


(M. Édouard Turquety ayant adressé à l’auteur les vers suivants, on se permet de les insérer ici, malgré ce qu’ils ont d’infiniment trop flatteur : les poëtes sont accoutumés, on le sait bien, à se dire de ces douceurs entre eux, sans que cela tire à conséquence.)


À SAINTE-BEUVE


Ami, pourquoi tant de silence ?
Pourquoi t’obstiner à cacher
L’hymne brillante qui s’élance
De ton cœur prompt à s’épancher.

Déserte pour un jour la prose ;
Réveille, après un long sommeil,
Ton doux vers plus frais que la rose
Au premier baiser du soleil.


Dis à l’oiseau de rouvrir l’aile :
Laisse de sillon en sillon
S’égarer la vive étincelle
Que l’on nomme le papillon.

Rends-nous ton chant rempli de flamme,
Ton chant rival du rossignol ;
Permets aux brises de ton âme
De nous embaumer dans leur vol.

Et, puisque tu le peux, ramène
Auprès de nous l’aimable cours
De la poétique fontaine
Que tu voudrais céler toujours.

Regarde : jamais dans ce monde
L’horizon ne fut moins serein ;
Jamais angoisse plus profonde
Ne tourmenta le cœur humain.

Les temps sont lourds, les temps nous pèsent ;
Que devenir sous ces linceuls,
Si les plus doux chanteurs se taisent,
Ou ne chantent que pour eux seuls ?

Si, dans la solitude aride,
Qui n’a ni calme ni saveur,
Il n’est pas un ruisseau limpide,
Il n’est pas un palmier sauveur ?

Oh ! viens, doux maître en rêverie,
Viens reprendre ton beau concert :
Ne reste pas, puisqu’on t’en prie,
À t’épanouir au désert.


Fleur odorante, fleur sonore,
C’est trop te refermer ; tu dois
À ceux qu’un ciel brûlant dévore
Ton frais parfum, ta fraîche voix.

Tu leur dois ton hymne hardie
Plus suave de jour en jour,
Et l’incessante mélodie
De ton âme qui n’est qu’amour !

Édouard Turquety.


RÉPONSE


Mon cœur n’a plus rien de l’amour,
Ma voix n’a rien de ce qui chante.
Ton amitié me représente
Ce qui s’est enfui sans retour.

Il est un jour aride et triste
Où meurt le rêve du bonheur ;
Voltaire y devint ricaneur,
Et moi, j’y deviens janséniste.

Ce qu’on appelle notre vol
Ne va plus même en métaphore ;
Nos regards n’aiment plus l’aurore,
Et l’on tuerait le rossignol.


Oiseau, pourquoi cette allégresse,
Orgueil et délices des nuits ?
Ah ! ce ne sont plus mes ennuis,
Que ceux où ton chant s’intéresse !

Soupir, espoir, tendre langueur,
Attente sous l’ombre étoilée !
Par degrés la lune éveillée
Emplit en silence le cœur.

Pour qui donc fleurissent ces roses,
Si ce n’est pas pour les offrir ?
Charmant rayon, autant mourir,
Sans un doux front où tu te poses !

Tous les ruisseaux avec leurs voix
Que sont-ils sans la voix qu’on aime ?
Ce ne fut jamais pour lui-même
Que j’aimai l’ombrage des bois.

Dans les jardins ou les prairies,
Le long des huis ou des sureaux,
Devant l’ogive aux noire barreaux,
Comme au vieux chêne des féeries ;

Même sous l’orgue solennel,
Au seuil de la chaste lumière,
Même aux abords du sanctuaire
Où toi, tu t’es choisi le ciel,

Dès l’enfance mon seul génie
Ne poursuivit qu’un seul désir :
Un seul jour l’ai-je pu saisir ?
Mais tout vieillit, l’âme est punie.


Et tes doux vers lus et relus
N’ont fait qu’agiter mon mystère :
Quoi donc ! aime-t-on sur la terre,
Depuis que, nous, nous n’aimons plus ?



  1. Le major Davel, patriote et religieux, exécuté en 1723 pour avoir tenté d’affranchir le Pays de Vaud de la domination bernoise.
  2. Frédéric Monneron, jeune poëte qui promettait de prendre un essor élevé ; mort à la fleur de l’âge, dans l’égarement de l’esprit.
  3. On est très-convertisseur et très-prêcheur aux alentours du lac de Genève et dans le Canton de Vaud.
  4. Théocrite, parlant de ses propres muses et grâces repoussées, dans la pièce intitulée Les Grâces ou Hiéron, nous les représente au retour tristement assises, la tête pendante entre leurs genoux tout froids :
    ψυχροῖς ἐν γονάτεσσι κάρη μίμνοντι βαλοῖσαι.
  5. Fût ou, comme on disait au seizième siècle, fust, le bois de la lyre.
  6. Le moment est venu, peut-être, d’indiquer ce que ce sonnet dit beaucoup trop obscurément, c’est qu’il fut adressé à l’illustre Président du 15 avril, pour le remercier d’un bienfait le plus délicatement accordé par lui, sur notre simple information, à la belle-sœur du célèbre poëte.
  7. Il était à Rome avec son amie la comtesse d’A…, celle même qui est la comtesse Marie dans la suite de Joseph Delorme.
  8. Hermann, l’élève de Listz, désigné enfant sous le nom de Puzzi dans les Lettres d’un Voyageur. — Depuis il s’est fait moine.
  9. Les Tours d’Aï, hautes cimes des Alpes Vaudoises.
  10. Nom du pays pour ruisseau.