Notes et Sonnets/De ces monts tout est beau. Une Vue de Lausanne

Lausanne.


De ces monts tout est beau, chaque heure en a ses charmes,
Chaque climat y passe et s’y peint tour à tour ;
Et l’étranger lui-même, y vivant plus d’un jour,
À les trop regarder se sent naître des larmes :


I


Soit que, par le soleil de l’été radieux,
À l’heure où la clarté déjà penche inégale,
Le rayon, embrassant leur crête colossale,
Les détache d’ensemble au vaste azur des cieux,

Tête nue et sans neige, et non plus sourcilleux,
Mais d’antique beauté, sereine et sculpturale,
Dressés pour couronner la Tempé pastorale,
Taillés par Phidias pour un balcon des Dieux !

Délicats et légers, et d’élégance pure,
Enlevant le regard à chaque découpure,
Et, pour le fin détail, d’un vrai ciseau toscan !

Et leur teinte dorée, et leur blonde lumière,
Au front d’un Parthénon caresserait la pierre,
Serait une harmonie aux murs du Vatican !


II


Soit lorsqu’au jour tombant, sous un large nuage,
Du couchant à la nuit tout le ciel s’est voilé ;

Que par delà Chillon, surtout amoncelé,
Le bleu sombre et dormant de monts en monts s’étage ;

Quand tous ces grands géants, resserrés au passage,
Figurent les confins d’un monde reculé,
Les derniers murs d’acier d’une antique Thulé,
Ou les gardiens muets d’un éternel orage !

Attrait immense et sourd ! pas une ride aux flots,
Pas un souffle à la nue, au front pas une haleine !
Quel plus grand fond de rêve à la douleur humaine ?

Ô Byron, Beethoven, retenez vos sanglots !
— Et du prochain buisson, tandis qu’au loin je pense,
L’aigre chant du grillon emplit seul le silence.


III


Ou soit même en hiver, sous les frimas durcis,
Même aux plus mornes jours, sans qu’un rayon s’y voie,
Sans que du ciel au lac un reflet se renvoie
Pour les vulgaires yeux du seul éclat saisis,

Oh ! pour le cœur amer aux pensers obscurcis
Et pour tout exilé qui ressonge à sa joie,
Oh ! qu’ils sont beaux encor ces grands monts de Savoie,
Vus des bords où, rêveur, tant de fois je m’assis !

Leur neige avec sa ride est fixe en ma mémoire,
Sombre dans sa blancheur, vaste gravure noire,
Comme d’un front creusé qui dans l’ombre a souffert !

Plus je les contemplais et plus j’y pouvais lire

De ces traits infinis qui toujours me font dire
Que l’aspect le plus vrai, c’est le plus recouvert !


De ces monts tout est beau, chaque heure en à ses charmes,
Chaque climat y passe et s’y peint tour à tour ;
Et même l’étranger, s’il y vit plus d’un jour,
À les trop regarder se sent naître des larmes !