Notes de voyage en Asie centrale - Le Turkestan russe

Notes de voyage en Asie centrale – Le Turkestan russe
Edouard Blanc

Revue des Deux Mondes tome 127, 1895



NOTES DE VOYAGE


EN ASIE CENTRALE




LE TURKESTAN RUSSE





En ce moment où toutes les nations européennes se partagent le monde dans un vaste mouvement d’expansion coloniale, l’un des plus intéressans actes de ce drame est celui qui a eu pour théâtre l’Asie centrale, région qui depuis trente ans a été le champ d’action de la Russie. L’œuvre accomplie de ce côté n’est inférieure, ni par sa grandeur, ni par son étendue géographique, ni par son importance dans l’évolution générale de l’humanité, à la tâche qu’ont remplie pendant la même période, sur d’autres points du globe, la France et l’Angleterre, ou d’autres nations plus tard venues.

La connaissance de la géographie de l’Asie centrale, longtemps très imparfaite, a fait de grands progrès dans ces derniers temps, grâce aux nombreux travaux des savans russes surtout ; il reste cependant à dire sur ces contrées bien des choses nouvelles, au moins pour le public d’Occident.

Au point de vue plus particulièrement français, l’étude de la région dont il s’agit présente, en dehors de son intérêt intrinsèque, un intérêt tout spécial, que l’on pourrait appeler un intérêt de comparaison. Il existe en effet une analogie vraiment frappante et toute particulière entre la tâche entreprise par la France sur le rivage méridional de la Méditerranée et la conquête du Turkestan, c’est-à-dire de cette partie musulmane de l’Asie centrale, naguère encore indépendante et sur laquelle la Russie a, dans ces dernières années, établi son autorité. Dans l’un comme dans l’autre de ces deux cas, un pays musulman, habité par des populations en majeure partie guerrières, a été conquis peu à peu, sinon à la civilisation, du moins à la domination européenne, par une puissance chrétienne. Au Turkestan comme en Algérie, à côté de l’obstacle résultant du fanatisme religieux, des conditions politiques, des différences ethniques entre vainqueurs et vaincus, la conquête et la pacification rencontraient les mêmes difficultés physiques : le climat, le manque d’eau, l’existence de vastes déserts. On conçoit donc combien il peut être intéressant pour la France d’étudier quels ont été les procédés de conquête, de colonisation et d’administration des Russes, afin de les comparer aux procédés qui ont été les siens dans le nord de l’Afrique. Voici plus de soixante ans que la France a commencé la conquête de l’Algérie et qu’elle en a assumé l’administration ; il y a trente ans que les Russes ont entrepris celle du Turkestan. Les moyens employés n’ont pas été les mêmes de part et d’autre ; les résultats obtenus sont comparables ; il n’est pas inutile de les rapprocher.


I. LES RACES

Sans entrer ici dans des détails ethnographiques par trop spéciaux, nous sommes forcé de donner, pour faciliter l’intelligence de ce qui va suivre, quelques indications sommaires sur les races humaines qui peuplent aujourd’hui le Turkestan.

Et d’abord, qu’est-ce que le Turkestan ? Le Turkestan, c’est, à proprement parler, — l’étymologie du mot l’indique, — le pays des Turcs. Et par Turcs il ne faut pas entendre les Turcs ottomans, les Turcs de Constantinople ou de l’Asie Mineure, lesquels ne sont qu’un rameau détaché par migration de la grande famille turco-mongole ou hunnique. Il ne faut pas entendre davantage les Turcs de l’Irak ou de la Syrie, descendans d’autres envahisseurs de même race, sortis du Turkestan pendant le moyen âge. Il faut entendre les Turcs qui sont restés chez eux, les Touraniens, comme dirait M. Richepin, les éternels ennemis de nos ancêtres les Aryens, s’il faut l’en croire, et s’il faut en croire aussi certains documens historiques encore assez vagues.

Le public parisien a été initié, voici quelques années seulement, par le livre des Blasphèmes, à l’existence de ces Touraniens errans, tueurs et insoucians, qui, au dire du poète, auraient habité la terre avant les Aryas, lesquels ne devaient venir que plus tard féconder le sol par leur travail et peupler le ciel désert en y mettant les dieux.

C’est dans le Turkestan, dans ce pays dont nous allons parler, qu’on trouve les vrais Turcs primitifs : non pas, je le répète, les Turcs modernes, policés, dont l’image nous est familière et que nous rencontrons parfois sur les boulevards des villes d’Europe, coiffés du fez et vêtus de la stambouline, laquelle ressemble déplorablement à une redingote ; mais les Turcs nomades, féroces, pillards, toujours à cheval, étrangers à toute civilisation, ou du moins à celle dont nous avons l’habitude. Ces Touraniens de là-bas sont encore, au XIXe siècle, des Turcs plus sauvages que ne l’étaient, dans d’autres pays, ceux du temps d’Orosmane ou de Bajazet, déjà civilisés et transformés par plusieurs siècles de migration vers l’Occident et par le contact avec des États chrétiens, sans parler de l’entremise de Racine et de Voltaire, leurs introducteurs parmi nous.

Cette race, les habitans du vieux monde européen ont depuis longtemps eu l’occasion de la connaître dans les pays qu’elle a conquis d’une façon plus ou moins durable. Il n’est peut-être pas sans intérêt d’aller l’étudier chez elle. C’est ce qu’ont fait, après les éminens orientalistes Vambéry et Radloff, de nombreux savans russes. C’est ce que nous avons fait nous-même, après bien d’autres.

Lorsque nous disons que le Turkestan ou Touran est le pays des Turcs, peut-être serait-il plus exact de dire qu’il est leur pays d’adoption ; ce n’est pas encore là leur vrai pays d’origine, du moins en ce qui concerne la partie du Turkestan située à l’ouest du Pamir, celle qui est aujourd’hui russe. Nous ne savons pas au juste, en effet, à quelle race humaine appartenaient les Scythes et les Massagètes qui, au temps de l’antiquité grecque, peuplaient ces régions. C’est seulement au Ve siècle de notre ère que nous y voyons, d’une façon historiquement prouvée, apparaître les Turcs, venant de l’est. C’est aussi seulement à cette époque qu’au dire des Annales chinoises les Hioung-Nou, que l’on peut identifier aux Huns, et les Tiou-Kiou, très probablement les Turcs, constamment refoulés par les Chinois, sont sortis des déserts de la Mongolie pour franchir les monts Célestes et s’étendre, à l’ouest, sur la Bactriane et les pays voisins.

Depuis cette époque jusqu’au XIIIe siècle, date de la grande invasion mongole de Genghiz-Khan, un courant constant de migrations turques a, presque sans interruption, jeté sur la Grande-Boukharie de nouveaux envahisseurs sortis de la Chine septentrionale. Après s’être mis d’abord comme mercenaires au service des Sassanides persans, des Fatimites arabes, et des souverains chrétiens ou musulmans de l’Asie occidentale, ils ont fini par imprégner complètement tout le pays entre les monts Célestes et la mer Caspienne, et par déborder vers l’Ouest jusqu’en Europe.

Ces Turcs, ces Mongols, tous ces Barbares sortis du Nord de la Chine, ne sont pas identiques aux Chinois. On admet, à tort peut-être, qu’ils appartiennent comme eux à la race jaune, mais qu’ils forment un second grand rameau de cette race, auquel on a donné le nom de rameau altaïque, ou turco-mongol. A cette même famille l’on rattache les Finnois qui, à une époque très ancienne, ont peuplé les régions boréales de l’Asie et de l’Europe.

Ce pays du Turkestan est donc une région ethnographique ; ce n’est pas une région géographique. Les limites n’en sont pas formées par des frontière s physiques : les grandes barrières montagneuses qui, nous l’avons dit ailleurs[1], divisent l’Asie en trois compartimens naturels, presque sans communication entre eux, domaines de trois civilisations, de trois dynasties de civilisations, pourrait-on dire, l’une indoue, l’autre chinoise, la troisième iranienne, ne la limitent pas. La race turque est, au contraire, à cheval sur la principale d’entre ces chaînes de montagnes, le Tian-Chan, l’ancien Imaüs, et le nœud central de toutes ces chaînes, le Pamir, est à l’intérieur de son domaine. De même que le monde romain s’est développé autour du bassin méditerranéen, de même le monde turco-mongol semble s’être développé autour de la grande saillie montagneuse qui forme le centre de l’Asie, et qui, s’il faut ajouter foi à certaines traditions, a été autrefois le berceau de l’humanité tout entière.

Le Turkestan se trouve divisé, par la haute barrière des monts Célestes, en deux parties naturelles : le Turkestan chinois, Petite-Boukharie ou Turkestan oriental, d’un côté, et, de l’autre, le Turkestan aujourd’hui russe, le pays que l’on appelait autrefois la Tartarie indépendante ou Grande-Boukharie.

A en juger par l’immense quantité d’hommes qui en sont sortis à diverses époques, à en juger aussi par son étendue superficielle et par la fertilité de son sol, le Turkestan a dû être autrefois une région très peuplée. Aujourd’hui, il est, sinon désert, du moins habité par une population très peu dense. Il faut attribuer ce fait aux grandes migrations qui, à partir du commencement de l’ère chrétienne, ont poussé, par armées successives, ses habitans à marcher vers l’Ouest, mouvement qui paraît avoir refoulé dans le même sens, comme on le sait, les Barbares slaves et germains auxquels est due la chute de l’empire romain. Ce mouvement d’émigration a été provoqué, évidemment, les preuves géologiques sont là pour le montrer, par l’assèchement graduel de toute cette vaste région, transformation qui l’a rendue inhabitable, de riche et fertile qu’elle a été. En effet, la formation géologique appelée lœss, qui constitue le sol de toutes les plaines du Turkestan comme celui de la majeure partie de la Chine, est d’une fertilité inouïe, mais à la condition d’être arrosée. Or le débit des sources et des rivières, conséquence directe du régime des pluies, ne permet plus aujourd’hui que l’irrigation d’une partie très restreinte de la plaine. Les habitans, après s’être défendus de leur mieux par des travaux hydrauliques dont les traces colossales subsistent encore, et que nous avons eu l’occasion d’étudier, ont dû se décider à changer de pays, dans les premiers siècles de notre ère.

Si le Turkestan a fourni à l’Europe et à la partie occidentale de l’Asie de nombreux envahisseurs, s’il a été le point de départ d’émigrans nombreux, il a aussi reçu lui-même de multiples migrations venues du Nord et de l’Est, sans parler des invasions militaires persanes, arabes, et autres, venues du Sud-Ouest.

Les envahisseurs successifs, qui sont venus du Nord et de l’ouest de la Chine, depuis le commencement de notre ère jusqu’à la fin du moyen âge, appartenaient tous à la grande famille turco-mongole ou altaïque, mais ils étaient les représentans de branches diverses et très nombreuses de cette famille. Aujourd’hui, après toutes ces conquêtes et ces invasions répétées, le Turkestan est occupé par le résidu de toutes ces races. La classification en est fort obscure, et les ethnographes y ont beau jeu. Ils ont écrit des volumes énormes pour élucider des points difficiles, mais qui ne sont en somme que des détails dans une question dont les grandes lignes sont encore incertaines.

Sans entamer cette discussion ethnographique si complexe, qui serait ici trop technique, nous dirons simplement, pour donner une idée sommaire de l’aspect actuel des populations de l’Asie centrale, qu’elles se divisent en deux groupes nettement reconnaissables par leurs aptitudes, leur genre de vie, et même par leur costume : les nomades et les sédentaires. Les sédentaires, qui forment la population des villes et qui, autour de chacune d’elles, ont créé, sur de grands espaces, des cultures fort perfectionnées, sont confondus dans tout le Turkestan sous le nom général de Sartes, quelle que soit d’ailleurs leur filiation. Cette dénomination uniforme désigne une population qui évidemment n’est pas homogène : elle est formée du mélange intime de deux types bien distincts, l’un iranien et l’autre touranien. Le premier type est celui d’une race certainement très ancienne dans le pays, qui peut-être est celle des autochtones de la Bactriane et de la Sogdiane ; le second type est dû au mélange de cette race avec les conquérans mongols ou uzbegs. Selon que les observateurs ont visité telle ou telle partie de la région, ils ont dépeint les Sartes comme présentant l’un ou l’autre de ces deux types, dont le premier domine dans le Sud et le second dans le Nord. Parmi les Sartes, les uns ont la barbe noire, abondante et frisée, les yeux noirs et largement ouverts, le nez très aquilin, le teint coloré, le visage ovale, les traits réguliers ; les autres ont la barbe rare et raide, la peau jaune, les yeux petits et bridés, le nez court, les pommettes saillantes. Chez les premiers domine le sang iranien, chez les seconds le sang touranien. La plupart des voyageurs qui ont parlé du Turkestan ont dit simplement que les Sartes sont des Iraniens, c’est-à-dire des Aryens, parens des anciens Perses, et nos parens aussi, à nous, issus, comme les Perses, de la grande souche indo-européenne. Ils ont dit aussi que leur langue était de la famille aryenne. Cette dernière affirmation n’est pas exacte, et si l’on admet que c’est la langue qui fait la nation, les Sartes sont, en très grande majorité, franchement touraniens, car presque tous parlent un dialecte turc très voisin du djaggataï classique ; c’est seulement dans quelques villages des montagnes et dans quelques oasis de la frontière sud que l’on parle encore le tadjik, langue dérivée du sanscrit et appartenant à la famille aryenne. Au sujet des Sartes, les auteurs se sont accordés à l’unanimité sur un seul point, consistant à nous les peindre comme essentiellement fourbes, perfides et poltrons. C’est peut-être une exagération. Les Sartes préfèrent en effet le commerce et l’agriculture à la guerre et à la vie de pillage. Ils sont moins hardis et moins aventureux que les nomades en général, moins insoucians et moins bons cavaliers que les Kirghiz, moins intrépides, moins féroces et moins chevaleresques que les Turkmènes. Mais ils sont infiniment plus lettrés, plus économes et plus civilisés. Ils ne manquent pas d’un certain courage, et la preuve en est qu’ils ont su défendre leur indépendance, fonder des cités riches et puissantes et imposer en somme d’une façon à peu près complète leur suzeraineté aux nomades, ou du moins, ils ont toujours fini par absorber ceux-ci, après avoir été à maintes reprises subjugués par eux. Leurs villes, dont plusieurs dépassent encore aujourd’hui cent mille habitans, sont remplies de monumens superbes, et chacune d’elles est entourée de plusieurs milliers d’hectares de jardins et de rizières. Les lettres et les sciences ont toujours été florissantes chez eux et leur esprit économe et pratique peut rivaliser avec celui des Chinois. En fait de vêtemens, les Sartes portent le khalat, longue robe de chambre, de couleur souvent éclatante et d’un dessin étonnamment varié, un pantalon de laine étroitement ajusté et des bottes de cuir. Leur coiffure se compose d’un petit bonnet pointu appelé tépé, fait d’étoffe brodée et dont la forme est beaucoup plus gracieuse que celle du fez adopté par les musulmans d’Occident. Quand ils voyagent, ou les jours de cérémonie, ils l’entourent d’un volumineux turban de mousseline blanche : ce bonnet ressemble beaucoup à celui que portaient les Perses Achéménides ou même certains Hittites, tels qu’ils sont représentés sur les anciens monumens.

A côté de ces populations sédentaires, qui habitent les grandes oasis arrosées par les puissans fleuves de la région, il y a, en Asie centrale, des Nomades, qui occupent tous les immenses espaces constitués, soit par les steppes, soit par les déserts, soit par les montagnes. Ces derniers appartiennent à deux groupes bien caractérisés. Les plus connus, ceux dont on a le plus parlé en Europe, bien qu’ils forment le groupe le moins nombreux et qu’ils occupent le territoire le plus restreint, ce sont les Turkmènes, que les anciens voyageurs ou les écrivains français ont appelés Turcomans. Ils habitent le pays qui s’étend à l’est de la mer Caspienne, entre cette mer et les vastes déserts de sable qui limitent, sur son bord oriental, la vallée du grand fleuve Oxus. Au Sud, leur domaine est borné par la Perse, c’est-à-dire par les montagnes du Khorassan.

Les Turkmènes et les Khiviens, leurs voisins, sont les descendans de ces Kharysmiens qui, de tous temps, ont été redoutables à la guerre, et qui, au commencement du XIIIe siècle, ont étendu leur domination sur une grande partie de l’Asie.

Les Turkmènes sont, à n’en pas douter, de race turque, mais ils ont certainement subi le mélange d’un autre sang mal déterminé, qui a singulièrement modifié leur type. Leur visage est allongé, leur nez aquilin, leur peau brune, leur barbe noire et assez rare, mais cependant frisée et non formée de soies rudes et droites ; leurs yeux sont grands, généralement noirs, mais assez souvent de couleur claire. Leur taille est au-dessus de la moyenne, et ils ont dans leur aspect beaucoup d’analogie avec certaines tribus arabes. Très braves et très hardis, ils constituent la population la plus courageuse, la plus loyale et, en somme, la plus estimable de toute l’Asie, malgré leur réputation bien acquise de pillards et de brigands invétérés. Leur costume se compose d’un khalat de même forme que celui des Sartes, en cotonnade généralement rayée de rouge et de blanc, d’un pantalon de cuir ou de laine et surtout d’un énorme bonnet à poil, en peau de mouton, de couleur noire. Ce bonnet à poil, qu’on retrouve, dans des proportions moins monumentales, en Arménie, en Perse et dans le Caucase, est, à l’orient de la mer Caspienne, essentiellement caractéristique des Kharysmiens, c’est-à-dire des Turkmènes et des Khiviens ; les autres populations du Turkestan n’en portent point.

Ce qui paraît avoir dicté à ceux-ci le choix de leur coiffure, de même que celui de tout leur équipement, de leur selle très surélevée par exemple, c’est la préoccupation constante de donner le mieux possible des coups de sabre sur la tête et sur les épaules de leur prochain et de parer ceux qui peuvent leur être adressés à eux-mêmes. Les énormes bonnets en question remplissent admirablement ce dernier but, d’autant mieux que leurs propriétaires y placent leurs vêtemens de rechange et y accumulent tous les objets qu’ils peuvent voler au cours de leurs déplacemens. L’efficacité du meuble protecteur s’en trouve encore augmentée. Rien n’est plus curieux que de faire vider le contenu de son bonnet à un Turkmène : les découvertes qu’on y peut faire sont tout à fait inattendues.

Avant la conquête russe, les Turkmènes avaient pour industrie principale et même unique le pillage. Toujours en guerre avec les Persans, et presque toujours victorieux, malgré leur nombre très inférieur, ils exécutaient chaque année en Perse des razzias d’esclaves et d’objets de toute nature. L’effectif des corps d’armée envoyés contre eux ne servait en général qu’à augmenter le nombre des prisonniers dont ils faisaient commerce sur les marchés de Boukhara et de Khiva. Aussi ont-ils longtemps résisté même aux armes russes et c’est pour les réduire qu’a été construite, à un point du vue purement stratégique, la première section du chemin de fer transcaspien. C’est en vue de leurs razzias ou alamanes qu’ils ont créé et perfectionné l’admirable race de chevaux, la première du monde assurément, qu’ils possèdent encore aujourd’hui et dont le fond et la vitesse sont incomparables. Ces chevaux, dont le type se rapproche beaucoup de celui du pur-sang anglais, n’ont rien des formes arrondies que l’on est convenu d’attribuer, chez nous, à tous les chevaux orientaux. Ils sont nerveux, anguleux, osseux et de très grande taille. Ils sont malheureusement devenus assez rares, depuis que la paix russe a mis fin à l’industrie qui était la raison d’être de leur élevage assez coûteux. Leur nombre, en 1891, lors d’un recensement auquel nous avons assisté, n’était plus, dans la Transcaspienne, que de quatre mille. Tout le reste de la population chevaline, très nombreuse, est formée de chevaux karabaïr, race métisse, dégénérée et assez médiocre, qui n’est guère supérieure à notre race barbe et qui lui ressemble.

Tous les nomades qui habitent au-delà de l’Oxus, c’est-à-dire tous ceux qui peuplent le pays compris entre l’Oural et le désert de Gobi, depuis le bassin de la mer Glaciale jusqu’aux plateaux du Pamir, sont désignés indistinctement sous le nom de Kirghiz. Ce mot d’ailleurs ne préjuge rien au point de vue ethnographique : il veut dire simplement « nomades ». Les Kirghiz de la montagne, c’est-à-dire ceux qui habitent les monts Tian-Chan, l’Ala-Taou, le Pamir et les chaînes voisines, portent le nom de Karakirghiz, ou Kirghiz noirs ; on les nomme aussi Kiptchaks. Parmi les Kirghiz de plaine, ceux qui habitent entre l’Oural et le Syr-Daria sont appelés Kirghiz-Kaïzaks, mot qui a la même étymologie que le nom russe Cosaque, et qui signifie cavalier. Ils sont robustes et trapus, leur crâne est large et déprimé, ils ont les pommettes extrêmement saillantes, la bouche proéminente, le nez petit et épaté, la barbe courte et rare. Leurs yeux se réduisent à une fente étroite. Leur peau est plus ou moins basanée et varie de couleur, selon l’expression du peintre Verechtchaguine, qui les a bien étudiés, depuis la nuance brune de la peau de l’Européen méridional jusqu’à la couleur du bois brûlé.

Le vêtement de tous les Kirghiz consiste en un touloupe, ou khalat très ample, en peau de mouton, et en un large pantalon de cuir, appelé tchaldavar. Ces pantalons de cuir se portent surtout pour la guerre ou le voyage. Ils sont d’une ampleur démesurée et se mettent par-dessus tous les autres vêtemens, qui les rembourrent intérieurement. Cette circonstance, jointe à la dureté naturelle du cuir, leur permet de parer un coup de sabre. On les fait soit en peau de mouton, soit en peau de buffle. La couleur est tantôt celle des anciens vêtemens de buffle en usage chez nos hommes d’armes, tantôt un rouge vif obtenu par la teinture. Ils sont, en outre, couverts de broderies en soie, de nuances éclatantes, représentant les fleurs ou les astres les plus fantastiques. Les femmes kirghizes emploient à ce travail une patience inouïe et y dépensent un temps considérable et bien peu rémunéré[2]. Comme coiffure, ces nomades portent, tantôt simplement des tépés, très élégamment brodés par leurs femmes, tantôt de petits bonnets de peau ou de feutre, doublés et bordés de fourrure.

Les Kirghiz paraissent être actuellement les représentans les plus purs du type altaïque. Leur vie entière se passe à cheval. Ils possèdent d’excellentes races de chevaux, sans élégance, mais d’une vigueur et d’une résistance à toute épreuve. Ils sont de mœurs douces et vivent uniquement de la vie pastorale. Ils ne font aucune culture et ils n’ont jamais construit aucune ville. Sans cesse ils déplacent leurs aouls, villages portatifs, composés, comme ceux des Turkmènes, de tentes de feutre en forme de ruches. Leurs troupeaux de chevaux, de moutons, de chameaux, de chèvres, quelquefois de bœufs ou de yaks, constituent toute leur richesse. Très philosophes et d’un esprit singulièrement pratique, ils ont mieux aimé se donner volontairement à la Russie que de subir le désagrément de la guerre. Aussi chacun des petits groupes qu’ils constituent a-t-il conservé, en récompense, une autonomie administrative et notamment, en général, le droit d’élire ses chefs à son gré.

Les Kara-Kirghiz, ou Kirghiz de montagne, ressemblent beaucoup aux Kirghiz de la plaine, mais ils sont plus forts, plus robustes, plus anguleux, et d’une taille plus grande ; si l’on tient compte surtout de la brièveté de leurs jambes, on voit que leur buste est construit sur un modèle vraiment colossal. Ils sont plus guerriers que les Kirghiz de plaine, et, à maintes reprises, ils ont imposé leur joug à d’autres nations. Mais ils n’ont guère fait que piller des royaumes, ou les servir comme mercenaires, sans pouvoir organiser nulle part une domination durable.

Les Kara-Kirghiz ressemblent en somme, pour l’œil d’un observateur français, à des Mongols fortement mâtinés d’Auvergnats. Ce sont des montagnards intrépides et infatigables. Ils sont bien distincts des Kalmouks, autre peuple pasteur dont l’habitat est plus oriental, et dont certaines tribus, dans le voisinage du grand lac Issyk-Koul, se mélangent avec les leurs.

Telles sont, dans leurs traits superficiels, les trois grandes familles ethniques qui se partageaient la Grande-Boukharie avant que la conquête russe vînt leur imposer à toutes l’autorité du tsar blanc.

Les ethnographes ont établi parmi les nomades altaïques un grand nombre de coupes génériques dans le détail desquelles nous n’entrerons pas, car la nomenclature en est inextricable, et la classification n’en est encore rien moins que certaine.

À ces races principales, il faut, si l’on veut avoir une idée exacte de la population qui s’agite dans les grands centres du Turkestan, en joindre d’autres qui ne sont représentées que par des individus ou par de petits groupes isolés, sans existence politique propre à savoir les Dounganes et les Tarantchis venus de Chine, les Indiens et les Afghans venus du sud, et même les Juifs. Ces derniers, localisés presque uniquement à Boukhara, ont une physionomie toute particulière et qui s’éloigne beaucoup du type que l’on a coutume de leur attribuer en Europe. Ils sont d’ailleurs remarquablement beaux. S’il faut en croire leurs traditions, ils descendraient d’une fraction du peuple hébreu déporté en Transoxane pendant la captivité de Babylone.

On voit que l’Asie centrale, ce lieu de départ probable des peuples primitifs, est l’une des contrées du globe où les races les plus diverses sont venues se mélanger des divers points de l’horizon.


II. LA CONQUÊTE MILITAIRE PAR LES RUSSES

Avant de donner quelques détails sur les résultats de l’occupation russe dans l’Asie centrale, il peut être utile de rappeler sommairement les principaux traits de la conquête du pays par la Russie.

L’histoire de cette conquête, si considérable pourtant, si bien et si rapidement menée, est peu connue en France. Elle n’a été d’ailleurs résumée que tout récemment en des écrits synthétiques. On sait que, poursuivant le plan esquissé dès le commencement du XVIIIe siècle par Pierre le Grand, plan admirablement interprété et complété par Catherine II, les avant-postes russes, dans une longue marche qui a duré près de deux siècles, ont franchi une à une toutes les étapes de l’interminable steppe qui semblait devoir les séparer à tout jamais des parties riches et populeuses de l’Asie centrale, où s’étaient conservés les restes des vieilles civilisations mongoles. Une fois le contact pris avec les royaumes issus du démembrement de l’empire de Tamerlan, la conquête militaire d’abord, l’assimilation ensuite, ont marché rapidement, et la Russie s’est constitué en vingt-cinq ans, de 1865 à 1890, un domaine colonial cinq fois plus grand que l’Algérie, cinq fois plus peuplé aussi, et qui n’est pas sans de nombreuses analogies avec cette colonie.

Les trois États indépendans qui s’étaient partagé l’héritage amoindri de Tamerlan étaient, on le sait, au moment où les Russes entamèrent la conquête de la région, les trois khanats de Khiva, de Boukhara et de Kokan. Au sud-ouest de ceux-ci, sur la frontière nord de la Perse, les Turkmènes, race guerrière et nomade, divisée en une demi-douzaine de grandes tribus, les Youmouds, les Tekkés, les Sariks, les Salors, etc., formaient une population d’environ un million et demi d’habitans, relevant nominalement du khan de Khiva, mais en réalité indépendante, étant séparée du delta de l’Oxus, qui constituait le noyau central du khanat de Khiva, par le vaste désert de Kara-Koum. La conquête de Khiva par les Russes en 1873, conquête dont le bruit a été éteint en Europe par les échos plus graves de la guerre franco-allemande, n’entraîna pas ‘leur soumission, et il fallut, beaucoup plus tard, de 1881 à 1887, plusieurs expéditions, combinées avec la construction du chemin de fer transcaspien, pour en faire des sujets de l’empire russe.

Le khanat de Kokan possédait de son côté, depuis 1810, les grandes villes commerçantes de Tachkent, de Tchimkent et de Hazret, qui précédemment formaient une sorte de confédération pour se protéger contre le pillage des nomades.

Au nord des trois khanats, entre ces régions riches et à climat sinon tempéré, — ses écarts excessifs dans un sens ou dans l’autre ne permettent pas d’employer ce terme, — du moins moyen, et les plaines glacées de la Sibérie proprement dite, s’étendaient les steppes habitées par les Kirghiz. Ce nom de Kirghiz, avons-nous dit, ne désigne pas une race : c’est un mot qui signifie nomades et qui s’applique indistinctement à toutes les tribus pastorales de race turco-mongole, aussi bien dans la plaine que dans la montagne, depuis l’Oural jusqu’au-delà des monts Célestes, et depuis l’Obi jusqu’au Pamir. La conquête de leur pays ne fut pas sanglante ni difficile, ou du moins elle ne présenta pas d’autres difficultés que celles qui résultaient du sol, du climat, de l’immensité des distances et des obstacles naturels. Les Kirghiz occidentaux, les Kirghiz-Kaïzaks ou Kirghiz de la plaine, qui habitent entre l’Oural et la mer d’Aral, virent leur pays annexé de proche en proche, par tranches successives, à partir du nord-ouest, sans opposer une résistance sérieuse. Les Kirghiz orientaux, riverains du grand lac Balkach et voisins des monts Tian-Chan, se donnèrent volontairement à la Russie, au milieu de ce siècle, pour échapper à l’autorité menaçante de la Chine. Leur pays forma la province du Sémiretchinsk ou district des Sept-Rivières[3], et Viernoié en devint la capitale.

Après la conquête du Sémiretchinsk et la fondation de Viernoié, les opérations, au lieu d’avoir pour base unique Orenbourg et l’Oural, devinrent convergentes, une première tête de colonne remontant peu à peu la vallée du Syr-Daria, du nord-ouest au sud-est, et un autre corps opérant du nord-est au sud-ouest, en prenant pour base Viernoié. La guerre avec les khanats devint dès lors imminente.

Le contact fut pris en 1848, à la suite de l’établissement, par les Russes, des forts d’Irghiz, de Tourgaï et de Karaboutak, dans la steppe kirghize. Le chef des Kiptchaks, Moussoulman-Koul, tuteur du khan de Kokan, fit occuper par les Kokanais toute la vallée du Syr-Daria et y fit construire des forts, dont le principal, Ak-Metched (la Mosquée blanche), fut placé sous les ordres de Yakoub-beg, le même qui devait devenir plus tard sultan de la Kachgarie, et qui n’était alors qu’un simple officier du khan de Kokan. En 1852, celui-ci repoussa une expédition russe ; mais l’année suivante, le 17 décembre 1853, le général Perovsky prenait Ak-Metched, qui devint la ville russe de Perovsk. En 1848, les Russes s’emparaient de Djoulek, à 95 kilomètres plus au sud en remontant l’Iaxartes. En 1861, ils enlevaient et rasaient la forteresse kokanienne de Yani-Kourgan, à 97 kilomètres plus au sud. En 1864, les Russes, avançant de deux côtés à la fois, par la vallée du Syr-Daria et par le Semiretchinsk, occupèrent d’un côté la ville de Ilazret, qui reçut le nom de Turkestan, à 120 kilomètres au sud de Yani-Kourgan, et, de l’autre, l’importante oasis d’Aoulié-Ata, sur le Talas. Au mois de septembre, le colonel Tcherniaieff s’empara de Tchimkent. Alim-Koul, le chef des Kiptchaks, qui avait succédé à Moussoulman-Koul comme régent du Kokan, marcha en personne contre les Russes avec 40 000 hommes. Il fut battu le 9 mai 1865, sous les murs de Tchimkent, par Tcherniaieff, qui ne disposait que de 900 hommes et de douze pièces de canon. Puis, par une marche hardie de 150 kilomètres vers le sud, celui-ci se porta rapidement, malgré les ordres formels venus de Saint-Pétersbourg, sur la grande ville de Tachkent, qu’il emporta en une journée, avec des pertes insignifiantes, en dépit de l’obstacle, formidable en apparence, que constituait une oasis de 7 000 hectares, coupée en tous sens de murs en terre et de profonds canaux, autour d’une ville de 150 000 habitans, défendue par 400 canons, d’ailleurs fort variés comme système et presque tous hors de service.

Tcherniaieff, installé, avec le titre de gouverneur, à Tachkent, dont il fit la capitale du Turkestan russe, continua les opérations l’année suivante. Mais il fut bientôt rappelé et remplacé par le général Romanovsky, lequel eut à faire face à l’émir de Boukhara, Mouzaffar-ed-din, qui s’était déclaré l’allié et le protecteur du khan de Kokan. Romanovsky remporta sur les Boukhares deux succès signalés, et recula les frontières de l’occupation russe jusqu’à cent kilomètres au nord de Samarkande. La bataille décisive eut lieu à Irdjar, entre Tachkent et Samarkande ; 3 500 Russes y mirent en complète déroute 40 000 Boukhares. Mais Romanovsky ne fit que passer au pouvoir et fut remplacé par le général Kauffmann, qui resta en fonctions comme gouverneur général pendant vingt ans, jusqu’à sa mort, et auquel est due la principale œuvre, de conquête d’abord, puis de colonisation, du Turkestan.

L’un des premiers actes de la politique extérieure de celui-ci fut la conquête de la province de Samarkande en 1869. A la suite d’une déclaration de guerre faite aux Russes par l’émir de Boukhara, ou plutôt en son nom, mais que celui-ci désavoua par la suite, le général Kauffmann partit de Tachkent à la tête de 8 000 hommes, et, après avoir battu sans peine les Boukhares sur les bords du Zérafchane, il s’empara de Samarkande, qui capitula après un siège de trois jours, le 14 mai 1868.

Le corps du général Golovatcheff, composé de 5 000 hommes, dont huit sotnias de Cosaques avec huit canons, descendit la vallée du Zérafchane, et occupa presque sans résistance Katti-Kourgane, le 14 mai 1868. Kauffmann, laissant alors dans la citadelle de Samarkande ses blessés et ses malades sous le commandement du major von Stempel, se mit en personne à la poursuite de l’armée boukhare, qu’il atteignit et battit près de Saripoul. Ce lieu est le même où, 379 ans auparavant, s’était livrée la bataille qui renversa la dynastie des Achtarkhanides pour donner le trône de la Grande-Boukharie à la dynastie des Mangides, qui règnent encore aujourd’hui à Boukhara. Pendant la marche que Kauffmann exécutait vers le nord-ouest, les habitans de Samarkande, aidés par 10 000 Kirghiz descendus des montagnes voisines, se soulevèrent et assiégèrent la citadelle, où la petite garnison fit une défense désespérée. Kauffmann, revenant à marches forcées, dégagea la citadelle au bout de six journées d’un assaut incessant, et, pour punir les habitans de Samarkande d’avoir manqué aux termes de la capitulation, il permit à ses troupes de piller la ville pendant trois jours. A la suite de ces événemens, l’émir de Boukhara conclut avec les Russes une paix qui n’a plus été troublée jusqu’à présent. Ce traité, après le paiement d’une indemnité de guerre de 125 000 tillas, soit environ 1800 000 francs, laissa nominalement à l’émir une indépendance absolue avec le titre d’allié de la Russie. Près de lui se trouve seulement un envoyé extraordinaire du gouvernement russe, qui a, entre autres missions, celle de lui donner des conseils. Ces conseils n’ont rien d’obligatoire ; mais leur résultat n’en a pas moins été, jusqu’à présent, de placer les Russes, dans le khanat de Boukhara, dans une situation infiniment meilleure et plus privilégiée que celle que possèdent les Français on Tunisie. Cet agent diplomatique russe est d’ailleurs placé sous le contrôle du gouverneur général du Turkestan.

Par le même traité, les Russes enlevèrent à l’émir de Boukhara les deux provinces de Samarkande et de Katti-Kourgane, les plus riches et les plus importantes de son royaume. En échange, ils lui donnèrent deux provinces montagneuses, d’une surface égale, mais qui d’ailleurs ne leur appartenaient pas auparavant, le Hissar et le Darvass. Ces deux provinces, placées au sud du khanat de Kokan, étaient plus ou moins disputées entre ce khanat, celui de Boukhara, l’Afghanistan, et de petits princes indépendans. Les Russes en firent la monnaie avec laquelle ils dédommagèrent l’émir de Boukhara, leur nouvel allié, de la perle des deux autres provinces indispensables pour donner au Turkestan russe la richesse, l’étendue et la densité de population nécessaires à son avenir.

Enfin les Russes imposèrent en même temps à l’émir un traité de commerce sur les bases suivantes : 1° liberté de commerce pour tous les sujets russes dans toute l’étendue du pays ; 2° droit pour eux d’avoir des agens dans toutes les villes du pays ; 3° limitation des droits de douane pouvant frapper les marchandises russes à leur entrée dans les États de l’émir. Cette limite était fixée à deux et demi pour cent de la valeur des objets.

De 1870 à 1873, les Russes, profitant des complications qui appelaient ailleurs, en Occident, l’attention de l’Europe, entreprirent la difficile conquête du khanat de Khiva. Ce pays était depuis trois siècles le centre du commerce des esclaves et le dernier refuge de la résistance à toute influence européenne. Ce khanat, ou plutôt sa partie centrale, l’oasis de Khiva proprement dite, formée par le delta de l’Oxus, peuplée d’un million d’habitans, et comprenant une surface fertile de trois à quatre millions d’hectares, était presque inaccessible pour les Européens. Du côté du Nord-Ouest, il était couvert par le plateau désert et glacé d’Oust-Oust, au Nord, par la mer d’Aral, et de tous les autres côtés par les sables des déserts de Kara-Koum et de Kizil-Koum. Ces obstacles avaient mis jusque-là le pays à l’abri des armes russes. Après la désastreuse tentative faite sous Pierre le Grand par Bekowitch, une expédition entreprise en 1839 par le général Pérovsky avait abouti à un échec complet.

Enfin, en 1872, une campagne décisive fut résolue, et l’on décida, pour mieux surmonter les difficultés résultant de la traversée des déserts glacés en hiver, brûlans en été, de diviser le corps expéditionnaire en plusieurs fractions, de manière à converger sur Khiva de tous les côtés à la fois.

Le général Kauffmann, commandant en chef de l’expédition, disposait de 60 compagnies d’infanterie, 26 sotnias de cosaques et 56 canons. La relation de cette campagne a été donnée d’une façon très complète dans un récent ouvrage par le général Grodiékoff, chef d’état-major de l’expédition[4]. Trois corps d’armée, celui du Caucase, celui d’Orenbourg, et celui du Turkestan, fractionnés chacun en plusieurs colonnes, convergèrent à la fois sur Khiva. Le corps principal, placé sous les ordres directs du général Kauffmann, prit pour base d’opérations la petite ville de Djizak, située à 90 kilomètres au nord-est de Samarkande, sur la route de Tachkent. Ce corps marcha par conséquent du Sud-Est au Nord-Ouest. Le deuxième corps, commandé par le général Vériefkine, arriva d’Orenbourg, c’est-à-dire du Nord, en contournant la mer d’Aral par l’Ouest. Le troisième corps, composé de troupes du Caucase et commandé par le général Lomakine, débarqua à Kinderli, sur la côte orientale de la mer Caspienne, et marcha sur Khiva en se dirigeant droit à l’Est.

Les deux colonnes de Tchikichlar et de Krasnovodsk, faisant partie du corps du Caucase, sous le commandement du général Markosoff, eurent, dès leur départ, de grandes difficultés à vaincre. Les Turkmènes riverains de la mer Caspienne, vassaux ou sujets nominaux du khan de Khiva, refusèrent tout concours pour le transport des bagages, et harcelèrent le corps expéditionnaire. Markosoff les poursuivit, les dispersa et leur enleva 2 000 chameaux, qui complétèrent ses moyens de transport. Il pénétra ensuite dans le désert de Kara-Koum, où le rendez-vous des deux colonnes était au pied du Grand Balkhan.

A partir du puits d’Aïdin, atteint très difficilement, ce corps d’armée eut à endurer de grandes souffrances par le manque d’eau et la fatigue, et c’est à grand’peine qu’il arriva jusqu’au puits de Bala-Ichem. Ayant perdu tous ses chameaux, obligé d’abandonner tous ses bagages dans les sables, Markosoff reconnut l’impossibilité d’aller plus loin que Bala-Ichem et se replia sur Krasnovodsk.

Le détachement d’Orenbourg, commandé par le général Vériefkine, se mit en marche au mois de mars 1873. Plus de 10 000 chameaux lui furent nécessaires pour ses transports, et il eut à supporter de terribles froids pendant la traversée des déserts glacés qui s’étendent au nord-ouest de la mer d’Aral. Cependant il parvint quand même à Koungrad, sur l’un des bras du delta de l’Oxus, et il y fut rejoint par le corps de Lomakine, parti de Kinderli.

Les deux colonnes réunies marchèrent sur Khiva, par Khodjeili et Manghit, en refoulant devant elles les Khiviens, qui ne résistèrent que faiblement. Le 28 mai elles arrivaient devant la capitale, la bombardèrent, et l’attaquèrent du côté du Nord.

Pendant ce temps, le général Kauffmann, avec le corps du Turkestan, était arrivé depuis plusieurs jours par la route de l’Est et avait pris position à seize kilomètres de la ville.

Il avait eu à surmonter de grandes difficultés. La colonne de Kazalinsk, commandée par le colonel Goloff et celle de Djizak, sous les ordres du général Golovatcheff, devaient opérer leur jonction au pied du mont Boukan-Taou, au centre du désert de Kizil-Koum. Elles y parvenaient le 24 avril, mais la chaleur et le sable opposèrent un formidable obstacle à la marche du corps expéditionnaire, qui fut en outre harcelé par les Turkmènes. Le 10 mai, les Russes n’avaient plus que 1200 chameaux sur 40 000 qu’ils possédaient au départ, lorsqu’ils rencontrèrent, au pied des monts Outch-Outchak, le gros de l’armée khivienne. L’attaque fut impétueuse, mais le combat dura peu de temps et les Turkmènes prirent la fuite. Le 14 mai, Kauffmann fit son entrée à Al-Kamich ; il passa l’Oxus, près de Chourah-Khaneh, sur des pontons amenés de Kazalinsk et campa près de Pitinak, où, le 14 juin, il reçut la soumission du khan de Khiva.

Le succès de l’expédition de 1873 fut complet. La partie du khanat située sur la rive droite de l’Oxus fut annexée ; le reste fut soumis à un protectorat tellement étroit qu’il équivalait à une véritable annexion. Tous les esclaves prisonniers de guerre, 25 000 selon les uns, 40 000 selon les autres, furent rendus à la liberté. Le nombre des Européens qui se trouvèrent parmi eux était de vingt-deux. Au commencement du siècle, on estimait à 3 000 le nombre moyen des esclaves russes qui étaient retenus prisonniers à Khiva.

Les événemens qui ont amené l’annexion par la Russie du Ferganah, partie centrale du khanat de Kokan, laissée jusque-là indépendante, sont assez compliqués. En 1840, Nasr-Oullah, émir de Boukhara, annexa le khanat de Kokan à ses États, après une longue guerre, et fit décapiter le khan Mohammed-Ali. La famille de celui-ci se réfugia chez les Kirghiz Kiptchaks, avec l’aide desquels un de ses parens, Chir-Ali, chassa bientôt les Boukhares. Il se fit proclamer khan de Kokan en 1843, et fut assassiné en 1846 par un de ses proches, Mourad-Khan. Ce dernier ne garda le pouvoir que pendant quelques semaines. Le chef des Kiptchaks, Moussoulman-Koul, plaça sur le trône le jeune fils de Chir-Ali, Khoudaïar-Khan, alors âgé de dix-huit ans. Celui-ci a laissé la réputation d’un souverain débonnaire ; cependant, cette appréciation est relative, et tout est affaire de pays, car, en 1854, il se débarrassa de la tutelle gênante de Moussoulman-Koul en le faisant tuer. Le procédé qu’il employa ne manque pas d’originalité. Moussoulman-Koul fut attaché à un pieu et on tira sur lui, à bout portant, plusieurs coups de canon chargés à poudre. Le malheureux périt moitié étouffé, moitié brûlé dans ses vêtemens. Trois ans après, en 1857, Khoudaïar fut chassé de Kokan par son frère aîné, Mallah-Khan, qu’il avait nommé, en 1854, atabeg (gouverneur) de Tachkent. Il se réfugia chez l’émir de Boukhara, qui lui confia le gouvernement de Djizak. En 1861, Mallah-Khan fut tué par les Kiptchaks, dont le chef, Alim-Koul, proclama khan de Kokan un petit-fils de Chir-Ali, Chamrat-Khan, ou plus exactement, Chah-Mourad, sous le nom duquel il gouverna. Khoudaïar chercha à profiter de la mort de son frère pour rentrer à Kokan ; mais il fut repoussé par Alim-Koul. En 1862, appelé par les habitans de Tachkent, il s’empara de cette ville, où Alim-Koul vint bientôt l’assiéger. Mais, après une sortie heureuse, il marcha sur Kokan, en chassa Chamrat et remonta sur le trône. Mouzaffar-ed-din, successeur de Nasr-Oullah, le puissant émir de Boukhara, profita de cette circonstance pour envahir de nouveau le Kokan en 1863, sous prétexte de rétablir l’ordre. Il fit Khoudaïar prisonnier et l’emmena à Boukhara. Celui-ci parvint, l’année suivante, à s’enfuir, et se réfugia de nouveau chez les Kiptchaks, où il se mit sous la protection d’Alim-Koul. Ce dernier, dans l’intervalle, avait rétabli sur le trône de Kokan le jeune Chamrat. Mais, le jour même de son entrée solennelle dans la capitale, il s’était pris de querelle avec lui et l’avait tué de sa main. Il le remplaça par un certain Saïd, fils de Mallah-Khan, appelé aussi Tchoullah-Khan (le boiteux), qui fut proclamé sous le nom de Sultan-Saïd-Khan-Ghazi. L’année suivante, en 1861, celui-ci se brouilla avec son protecteur, qui, en 1865, lui opposa un jeune marchand nommé aussi Khoudaïar, désigné dans le pays sous les noms de Khoudaïar-Koullah-Khan, ou de Bilbaktchi-Khan. Mais le terrible chef des Kiptchaks fut obligé en même temps de marcher en personne à la rencontre des Russes qui venaient de faire un grand pas en avant. Il fut battu et mortellement blessé devant Tchimkent. Khoudaïar en profita pour chasser son homonyme, qui se réfugia en Kachgarie après un règne de trois jours, et il remonta sur le trône, pour la troisième fois, en 1865. Il régna paisiblement jusqu’en 1875, après avoir abandonné aux Russes la partie nord du khanat, c’est-à-dire Tachkent et la région voisine.

En 1875, les Karakirghiz se révoltèrent, mettant à leur tête un neveu de Khoudaïar, Nazar-Khan. L’armée envoyée par Khoudaïar à leur rencontre sous les ordres d’Abd-our-Rahman Aftobatchi, fils de Moussoulman-Koul, passa à l’ennemi. Les rebelles marchèrent sur Andidjan, où ils firent prisonnier le fils aîné de Khoudaïar, Nasr-ed-din, qui en était gouverneur. Quelques jours après, ils s’emparèrent par surprise de Marghelan, et ils obligèrent Mourad-beg, frère de Khoudaïar, qui y commandait, à s’allier à eux. Le khan se décida alors à quitter sa capitale, accompagné de l’ambassade russe qui s’y trouvait à ce moment, et d’une petite armée de 9 000 hommes. Mais, à peu de distance de la ville, cette troupe l’abandonna pour aller se joindre aux rebelles. La cavalerie, après réflexion, se mit même à sa poursuite. Khoudaïar réussit à gagner Khodjent, grâce à la protection des Cosaques qui accompagnaient la mission russe, mais après avoir perdu ses bagages ; de Kokan, il s’enfuit jusqu’à Tachkent, toujours sous la protection des Russes. Presque en même temps que lui arriva une ambassade envoyée par Abdour-Rahman-Aftobatchi et Nasr-ed-din. Elle annonçait au gouverneur général la proclamation de Nasr-ed-din comme khan de Kokan. Le général Kauffmann consentit à reconnaître celui-ci, en lui imposant comme condition un traité de commerce semblable à celui qui avait été conclu précédemment avec Boukhara, en juin 1868, stipulant en outre le paiement d’une rente viagère à Khoudaïar, et d’une indemnité a l’ambassade russe pour le pillage doses bagages. Peu de jours après, des Kiptchaks passaient la frontière russe dans la haute vallée de l’Angourane, à l’est du district de Kourama, et les rebelles venaient assiéger Khodjent. Le général Kauffmann envoya le général Golovatcheff, pour repousser les Kiptchaks de la vallée de l’Angourane, et lui-même, avec 4 000 hommes et 20 canons, marcha contre Kokan. Le 22 août 1875, les Russes rencontrèrent l’armée kokanienne près de Makram, entre Khodjent et Kokan. Elle était sous les ordres d’Abd-our-Rahman et de Poullad-beg. Après l’avoir complètement battue, ils s’emparèrent sans résistance de Kokan et de Marghelan, Nasr-ed-din ayant imploré la clémence des vainqueurs. Kauffmann conclut avec celui-ci, le 22 septembre 1875, le traité de Marghelan, par lequel la rive droite du Syr-Daria était abandonnée à la Russie. Skobeleff continua à poursuivre les rebelles réfugiés dans la partie orientale du Ferganah. Pendant ce temps, Poullad-beg, s’étant proclamé khan, rassembla les Kiptchaks autour d’Andidjan, tandis qu’Abd-our-Rahman sortait des montagnes avec une nouvelle année. Le général Kauffmann, occupé à organiser le district de Naniangan nouvellement annexé, envoya son chef d’état-major, le général Trotsky, réprimer la révolte d’Andidjan. Celui-ci bombarda la ville, la prit et en brûla une partie. Puis il revint à Namangan, où il rejoignit le général Kauffmann, qui venait d’y construire un fort. Le commandement du nouveau district ayant cette ville pour chef-lieu fut laissé au général Skobelefî, et Kauffmann retourna à Khodjent. Sur ces entrefaites, une émeute éclata à Kokan : Nasr-ed-din fut chassé et obligé de se réfugier à Khodjent, sur le territoire russe ; en même temps les Karakirghiz attaquèrent Namangan. Skobeleff les repoussa, puis pénétrant sur leur territoire, il s’empara d’Andidjan, d’Outch-Kourgan, de Marghelan, où il fit pendre Poullad-khan. Abd-our-Rahman Aftobatchi, fait prisonnier, fut interné en Russie. Pendant ce temps, le général Kauffmann, qui s’était rendu à Saint-Pétersbourg, obtint du tsar l’autorisation d’annexer le Kokan, ce qui fut fait au mois de janvier 1876. Nasr-ed-din et Khoudaïar furent internés tous deux en Europe. Pendant l’année 1876, Skobeleff entreprit une expédition sur le Pamir, c’est-à-dire dans les montagnes qui s’étendent au sud du Ferganah, et il y força les derniers Kiptchaks à reconnaître la souveraineté de la Russie.

La totalité du khanat de Kokan fut ainsi constituée en province russe sous le nom historique de Ferganah et elle fut placée sous le commandement direct d’un général, qui réside au Nouveau-Marghelan, ville construite de toutes pièces par les Russes, à quinze kilomètres au sud de l’ancienne ville du même nom, laquelle était la troisième du Ferganah par sa population et par son importance.

Les vastes déserts qui séparent la mer Caspienne des parties riches de la Transoxane étant ainsi tournés par le nord-est, les Russes commencèrent, en 1882, la conquête du pays des Turkmènes, situé, comme nous l’avons dit, le long de la frontière septentrionale de la Perse, sur la bande étroite qui sépare les montagnes du Khorassan des sables du désert de Kara-Koum. Depuis Pierre le Grand, qui envoya dans le pays le prince Bekowitch Tcherkasskyi, des tentatives nombreuses avaient été faites par les Russes pour établir leur autorité sur la Turkménie. Elles avaient toujours abouti à des désastres ou à des échecs. L’expédition de Stoliétoff contre les Tekkés, en 1868, n’avait pas eu de résultat définitif.

Cette conquête présenta, de grandes difficultés. Plusieurs campagnes consécutives exécutées sous les ordres des généraux Lomakine (1877-78) et Lazareff (1879), en prenant pour base la côte orientale de la mer Caspienne, échouèrent complètement. Les Turkmènes, confédérés sous les ordres de l’un des khans du Merv, Nour-Verdy, infligèrent pendant plusieurs années une série d’échecs aux Russes. Le général Lazareff mourut de maladie au début de l’expédition de 1879, qu’il commandait, et Lomakine, battu en 1877, puis en 1878, ne réussit pas, en 1879, après la mort de Lazareff, à remporter un succès décisif. Enfin, en 1880, la conquête fut résolue : elle fut entreprise par le général Skobeleff, appuyé par la construction simultanée du chemin de fer transcaspien, que dirigeait le général Annenkoff. Après la mort de Nour-Verdy, une première campagne de construction amena la tête du chemin de fer transcaspien jusqu’à Kizil-Arvat, et Skobeleff enleva de vive force la forteresse de Geok-Tépé, où s’étaient retranchés 30 000 Turkmènes. Ce fait d’armes, suivi d’un massacre qui désorganisa la résistance, mit fin à la guerre et permit aux Russes d’annexer le pays des Tekkés et des You-mouds, qui forma, sous le nom de Transcaspienne, une province russe rattachée au Gouvernement général du Caucase. Askhabad en devint la capitale.

En 1884, le colonel Alikhanoff s’empara, à lui seul, de l’oasis de Merv, après s’être fait aimer de la veuve de Nour-Verdy. Quelque temps après, il se rendait maître, non moins rapidement, de la ville de Seraks. Les avant-postes russes se trouvèrent ainsi portés jusqu’aux frontières d’Afghanistan, et le chemin de fer transcaspien fut poussé jusqu’à Tchardjoui, c’est-à-dire jusqu’à l’Oxus. De 1885 à 1887, une troisième section de la ligne fut construite à travers les États de l’émir de Boukhara, de Tchardjoui à Samarkande, qui se trouva ainsi atteinte de deux côtés à la fois. La conquête du Turkestan était terminée et la frontière naturelle de l’Hindou-Kouch et des monts Célestes, qui, se rattachant au nœud central du Pamir, séparent la Grande-Boukharie de la Chine et de l’Iran, était atteinte partout, sauf au sud du Turkestan afghan, dont la conquête parut un instant imminente, mais fut arrêtée par l’intervention de l’Angleterre. Même après l’ouverture des négociations pour la délimitation russo-afghane, provoquée par la Grande-Bretagne, la conquête du Turkestan afghan faillit avoir lieu, à la suite du brillant combat de Kouchka, livré par le général Komaroff, et où 700 Afghans restèrent sur le terrain. Des ordres supérieurs venus de Saint-Pétersbourg arrêtèrent le vainqueur, qui n’avait pu auparavant couper le télégraphe, comme avait fait le général Tcherniaïeff avant la prise de Tachkent. La Russie subit aujourd’hui la conséquence de cet arrêt. Elle n’a pas encore conquis, du côté du sud, ses frontières naturelles.

Nous ne parlerons ici que d’une façon incidente de la conquête de la province de Kouldja, qui ne rentre qu’indirectement dans le cadre de cet article, les résultats n’en ayant pas été définitifs au point de vue des limites de l’empire russe. La province de Kouldja, constituée par la partie supérieure du bassin du fleuve Ili, et qui, au dire de beaucoup, est le pays le plus riche de toute l’Asie centrale, fut conquise par les Russes sans effusion de sang et d’une façon progressive, comme l’avait été le pays des Kirghiz orientaux. La région, qui, depuis longtemps, ne reconnaissait plus que d’une façon nominale l’autorité de la Chine, et où le commandement était divisé entre un assez grand nombre de chefs locaux, passa sans résistance sous la domination russe. Les Cosaques, envoyés en fourrageurs pour ravitailler les postes de la province de Viernoïé, constituèrent d’abord de simples groupes d’acheteurs, puis des petits postes chargés de surveiller des entrepôts d’approvisionnemens, et enfin de véritables garnisons. Après plusieurs années de cet état de choses, tout le pays au nord des monts Célestes, que les Chinois appellent Tian-Chan-pé-lou, étant passé entièrement sous la domination russe, des considérations administratives dues, dit-on, à des jalousies personnelles, décidèrent le gouvernement russe à rétrocéder gracieusement à la Chine cette province de Kouldja, dont il reconnut trop tard l’importance. Les tentatives qui, prétend-on, furent faites par plusieurs moyens détournés, pour éluder la remise des territoires en litige, à l’expiration de la période de séquestre, échouèrent en présence de la ténacité de la Chine, qui attachait une grande importance au rétablissement de son autorité sur le Turkestan chinois, et qui l’avait consolidée par la conquête récente de la Kachgarie. Ainsi ce pays si riche, qui fut pendant plusieurs années administré par les Russes, et dont la possession leur donnait, depuis le Pamir jusqu’en Mandchourie, une frontière montagneuse continue et presque infranchissable, fut évacué par eux et fit retour à l’empire chinois. La frontière actuelle, qui coupe transversalement le bassin de l’Ili, est indiquée par une simple ligne de poteaux traversant une plaine ouverte.

Il n’y a donc pas lieu de parler de la conquête du pays de Kouldja, en mentionnant les progrès de l’expansion russe en Asie, jusqu’au moment, dont l’échéance est indéterminée, mais inévitable, où la civilisation européenne aura reconquis de nouveau l’ancienne province du Tian-Chan-pé-lou.

Telle est, à grands traits, l’histoire de la conquête du Turkestan par les Russes. Nous allons indiquer, d’une manière également sommaire, comment ils ont colonisé et mis en valeur la vaste région ainsi soumise à leur autorité.


III.
L’ADMINISTRATION. — COMPARAISON AVEC CELLE DE L’ALGÉRIE

Pour entrer dans un parallèle, même sommaire, entre l’administration de l’Algérie et celle du Turkestan, il nous semble indispensable de donner d’abord brièvement quelques indications sur les grandes divisions du pays et sur les principales lignes de son organisation politique. Celle-ci est ignorée de bien des gens dans l’Europe occidentale, d’autant plus que, la conquête de l’Asie centrale par les Russes ayant été progressive, l’organisation politique des pays annexés a subi forcément, depuis trente ans, des modifications réitérées.

La plus grande partie du Turkestan russe, ou Tartarie en deçà du mont Tian-Chan, forme aujourd’hui un gouvernement général, celui du Turkestan, dont le siège est à Tachkent, grande ville de 150 000 habitans, située sous la même latitude que Rome, dans la vallée du Tchirtchik, affluent du Syr-Daria.

Ce gouvernement général se divise en trois gouvernemens (oblast), celui du Syr-Daria, qui a pour capitale Tachkent, celui du Ferganah, dont la capitale est Novi-Margelan, et celui du Zerafchane ou de Samarkande, qui a pour capitale cette dernière ville. Le gouvernement général du Turkestan comprend encore une autre province d’une organisation plus simple, province moins riche et moins peuplée que les précédentes, et qui forme aujourd’hui l’otdiel (territoire) de l’Amou-Daria. L’officier général qui l’administre et dont la résidence esta Pétro-Alexandrovsk, ville russe de création récente, sur la rive droite du Bas-Oxus, exerce en même temps un contrôle sur l’ancien khanat de Khiva, soumis depuis 1873 à une tutelle étroite.

A côté du gouvernement général du Turkestan se trouve un khanat encore nominalement indépendant, celui de Boukhara, dont le souverain ou émir, descendant direct, mais amoindri, de Tamerlan, n’est nominalement que l’allié et non le vassal de la Russie. Cet émir règne sur un territoire un peu moins grand que la France et peuplé de quatre millions d’habitans.

Le khanat de Boukhara est divisé en 26 provinces, administrées par 26 begs ou gouverneurs, assistés de 26 kazis ou magistrats d’ordre à la fois civil et militaire. Tous les samedis, à l’heure de la sortie de la mosquée, l’émir reçoit ou doit recevoir les cinquante-deux rapports des begs et des kazis, qui se contrôlent réciproquement. Le gouvernement russe n’intervient pas, du moins nominalement, dans cette administration intérieure.

Les revenus de l’Etat de Boukhara sont assez élevés, en dehors du trésor particulier que l’émir tient de l’héritage de ses ancêtres, et qui se compose du résidu des dépouilles que les souverains des divers empires d’Asie se sont successivement arrachées pendant des siècles, et dont les hasards de l’histoire ont fini par faire tomber entre ses mains une importante fraction. Les douanes seules, sur lesquelles la Russie a mis la main en 1893, donnent un revenu annuel de 12 à 1 300 000 roubles (3 à 4 millions de francs). Les impôts sur les cultures, sur les laines, sur les marchés, etc., sont considérables et constituent le plus clair des revenus de l’émir.

L’influence de la Russie se fait d’ailleurs sentir d’une façon énergique et constante pour modifier l’ancien état de choses et le régulariser. Cette action est très bienfaisante au point de vue de la civilisation, de la richesse du pays, du développement du bien-être et de la sécurité des personnes, ainsi que de l’extension du commerce. En revanche, comme cela était inévitable, le point de vue artistique est sacrifié ; ce royaume exotique, si longtemps indépendant de la civilisation européenne, se transforme à vue d’œil et, depuis dix ans, il a beaucoup perdu sous le rapport du pittoresque.

Chacun des trois gouvernemens qui composent le gouvernement général du Turkestan a pour chef un gouverneur qui est habituellement un lieutenant général (général de division), assisté d’un sous-gouverneur qui est ordinairement un major général (général de brigade). Il se divise en districts (ouyezd), dont chacun est administré par un colonel ou un lieutenant-colonel assisté d’un officier adjoint. Ces districts ont beaucoup d’analogie avec les cercles du territoire militaire algérien, administrés, comme on le sait, par un officier supérieur, colonel, lieutenant-colonel ou chef de bataillon. Cette analogie est rendue encore plus complète par cette circonstance qu’en Russie le grade de chef de bataillon n’existe pas, ou plutôt que c’est à ce grade même que correspond le titre russe de pod-polkovnik, que l’on traduit en français, plus littéralement qu’exactement, par lieutenant-colonel. Ces districts se divisent en circonscriptions, dont chacune est dirigée par un officier, ayant les attributions d’un chef de bureau arabe, et portant le titre de commissaire (pristav).

Le gouvernement du Syr-Daria comprend cinq ouyezd : Tachkent, Tchimkent, Kazalinsk, Pérovsk, Aoulié-Ata. Le gouvernement du Zérafchane en compte quatre : Samarkande, Katti-Kourgane, Djizak, Khodjent. Le gouvernement du Ferganah en renferme cinq : Marghelan, Kokan, Andidjan, Namangan, Och.

Tout cela est, en somme, très analogue, au point de vue du plan administratif, à l’ancienne organisation militaire de l’Algérie, qui fonctionne encore dans la partie méridionale de cette colonie.

Le gouvernement général du Turkestan et le khanat de Boukhara comprennent ensemble la région que l’on appelait au moyen âge la Transoxane ou Transoxiane, c’est-à-dire le Maouar-en-Nahar des Arabes, avec une partie du Kharysme. C’est, en somme, tout le pays qui, dans l’antiquité, s’étendait entre l’Oxus et les monts Imaüs, à savoir : la Bactriane, la Sogdiane et une partie de l’ancienne Scythie asiatique en deçà de l’Imaüs, ou pays des Massagètes. Mais, en deçà de l’Oxus, toute la région qui s’étend entre ce grand fleuve et la mer Caspienne forme la province Transcaspienne, qui est habitée par les Turkmènes. Ce pays a fait partie pendant longtemps du gouvernement général du Caucase ; aujourd’hui il en est détaché, et constitue un gouvernement indépendant, dont le siège est à Askhabad. Ce gouvernement se divise, comme chacune des provinces du Turkestan proprement dit, en ouyezd. Les divisions sont au nombre de cinq : Manguichlak, Krasnovodsk, l’Akkal-Tekké, Merv, Tedjen. Cette dernière ne porte que le titre de cercle (okroug). L’oasis de Merv et le pays environnant, qui ne formaient également jusqu’ici qu’un okroug, ont été élevés récemment au rang d’ouyezd.

Au nord et au nord-est du Gouvernement général du Turkestan, la région touranienne en deçà de l’Imaüs est complétée par quatre autres provinces, peuplées par la même race, mais placées aujourd’hui politiquement sous des commandemens différens. Les trois premières forment le Gouvernement général de la Steppe. Ce sont les gouvernemens d’Akmolinsk, de Sémipalatinsk, et du Sémiretchinsk, dont les capitales sont respectivement Akmolinsk, Sémipalatinsk, et Viernoïé, l’ancienne Almati ou Almalik. Le quatrième gouvernement est celui de Tourgaï, dont le chef réside à Orenbourg.

La division politique du Turkestan étant ainsi esquissée, nous nous bornerons à résumer très sommairement les principaux traits caractéristiques qui différencient l’administration de ce pays de celle de l’Algérie.

Nous n’entreprendrons pas, toutefois, dans le cadre d’un simple article, d’établir un parallèle complet entre les détails techniques de l’administration du Turkestan par les Russes et les détails similaires de l’administration algérienne : nous nous bornerons à signaler quelques traits essentiels ou plutôt à tâcher d’en résumer l’esprit.

L’une des différences les plus évidentes à première vue, c’est le caractère militaire de l’autorité centrale. Tous les gouverneurs généraux du Turkestan, jusqu’à présent, ont appartenu à l’armée. Ce fait est d’autant plus intéressant à noter que les populations sartes sont, en somme, pacifiques, et qu’à la différence des tribus arabes elles honorent le commerce, l’industrie, les lettres : elles n’auraient nulle répugnance à reconnaître la suprématie de gouvernans civils.

Cependant, à notre avis, le maintien du régime militaire en Turkestan est absolument logique. On lui doit très probablement la tranquillité du pays et l’absence de toute velléité de révolte ; on lui doit surtout l’unité de direction dans l’administration, qui ne saurait exister en Algérie, où, à côté d’un gouverneur général civil, l’autorité du commandant militaire comptera toujours, quoi qu’on fasse. On sait à quelles luttes, à quel arrêt dans les progrès de la conquête française, à quels désordres même a abouti en Algérie l’institution du régime civil, qui, au début, s’est trouvé en compétition et en lutte sur tous les points avec l’administration militaire préexistante. Pendant une longue période, les deux pouvoirs rivaux, au lieu de servir la France, ont usé leurs forces et l’argent de la métropole dans une lutte inavouable, que seul un régime parlementaire pouvait provoquer et tolérer. Depuis lors, on est arrivé à un modus vivendi dont, en France, on se trouve à bon marché satisfait ; mais on a beau déclarer officiellement le commandant des troupes subordonné au gouverneur général civil, il n’en est pas moins vrai que les deux autorités subsistent côte à côte, et que leur entente apparente n’est possible que grâce à des choix particuliers de personnes, et grâce au tact individuel des hauts fonctionnaires placés à la tête des deux départemens. Des concessions mutuelles ont été nécessaires ; en fait, la plus grande partie de la surface de l’Algérie constitue encore un territoire militaire et est laissée en apanage à l’armée ; le moindre inconvénient de ce dualisme a été l’arrêt de toute initiative efficace de la part du gouvernement général. Les agens secondaires, obéissant à d’anciennes traditions et à un ancien esprit de corps, ont outrepassé encore, souvent, les tendances de leurs chefs : de part et d’autre, il s’en est trouvé qui ont mieux aimé faire échouer les conquêtes extérieures ou les améliorations intérieures les plus utiles, que de les voir mener à bien par le parti adverse.

Cet état de choses déplorable a été signalé bien des fois ; on a cru y remédier par des moyens palliatifs. Est-on bien sûr d’y être parvenu ? D’aucuns prétendent que l’on n’a fait qu’atténuer le mal en apparence et que mettre un terme aux scandales les plus bruyans ; mais le statu quo dans tous les progrès les plus urgens, la paralysie de toutes les aptitudes et de toutes les énergies, le gaspillage du trésor public dans des manœuvres sans utilité nationale et dans une lutte sourde, tels ont été, longtemps, les résultats du régime adopté. Tout ce que l’on a obtenu, incontestablement, c’est de substituer le piétinement sur place à la marche en avant, et le calme apparent qui règne aujourd’hui n’est peut-être qu’un mélange d’inertie et d’efforts perdus qui, de part et d’autre, se neutralisent. Or, le statu quo n’est pas permis quand, à l’extérieur, on a des rivaux tels que les Anglais et les Allemands qui marchent à grands pas et qui nous devancent par ce seul fait que, chez eux, la politique extérieure n’est pas subordonnée à la politique intérieure et à des querelles de partis ou à des doctrines de sectes. Pour revenir au Turkestan, nous dirons que la centralisation des services publics et leur mobilité y sont plus grandes qu’en Algérie. Prenons pour exemple ce qui concerne l’administration des travaux publics. Les ingénieurs ne sont pas, comme chez nous, dispersés dans des résidences diverses éloignées les unes des autres, et auxquelles chacun d’eux est attaché ; tous leurs bureaux sont réunis à Tachkent sous la main du gouverneur général. Chaque année, au commencement de la belle saison, ces ingénieurs partent dans des directions diverses et vont employer leur été à faire des levés, à étudier des projets, ou à diriger l’exécution de travaux dans telle ou telle partie du pays, suivant un plan général établi à l’avance. Au commencement de l’hiver, ils rentrent dans la capitale, et là, ils f’nt le travail de cabinet, qui est immédiatement centralisé : les projets sont discutés, comparés, adoptés, dans le plus bref délai possible, et beaucoup d’entre eux peuvent servir de base aux travaux à exécuter sur le terrain dans la campagne suivante. On peut aussi, de cette façon, porter vers tel ou tel point du territoire, selon les besoins du moment, un personnel plus ou moins nombreux. L’unité de direction est en outre assurée ; les bureaux qui ont le plus à faire sont renforcés à volonté, de telle sorte que tous les travaux peuvent être préparés pour ainsi dire dans le temps que veut le gouvernement général. Cette méthode, a des avantages et des inconvéniens ; mais en fin de compte, elle a donné de très bons résultats. Le système est complété par une organisation administrative particulière. Auprès du gouverneur général sont placés un certain nombre de hauts fonctionnaires, qui sont à la fois des conseillers, des collaborateurs et des agens d’exécution. Il peut, à son gré, changer leur destination, et les affecter à l’organisation ou à la direction de tel ou tel service. Ils portent le nom de commissaires généraux techniques et sont recrutés parmi les savans, les ingénieurs, les administrateurs. On conçoit ce qu’une pareille organisation a d’élastique et de favorable au développement d’une colonie ainsi qu’au meilleur emploi de toutes les capacités.

Le gouverneur général du Turkestan jouit en somme d’une autorité plus complète et d’une plus grande initiative que la plupart des gouverneurs de nos colonies françaises. Ceci est une conséquence naturelle du gouvernement autocratique de la Russie. La confiance de l’empereur, dont il est investi, est la seule condition légale pour qu’il ait carte blanche, et les exigences du régime parlementaire ou de la politique intérieure ne viennent pas à chaque instant l’entraver dans son administration, dans ses conquêtes ou ses réformes.

Nous nous bornons à signaler cette dissemblance, qui est peut-être obligatoire, étant donnée la différence des systèmes politiques des deux peuples. Si le régime parlementaire et le mode de gouvernement républicain sont un obstacle, peut-être insurmontable, à ce que les gouverneurs de nos colonies soient investis d’une autorité aussi absolue que le sont ceux des provinces asiatiques de l’empire russe, tout au moins pourrions-nous souhaiter en France l’organisation d’un bureau colonial, plus ou moins calqué sur le Colonial Office anglais, si puissamment organisé ; de telle sorte que notre action dans nos possessions d’outre-mer ne soit pas subordonnée à toutes les fluctuations de la politique intérieure et à toutes les combinaisons ou à tous les marchandages auxquels donnent lieu nos crises ministérielles. Ces circonstances n’ont rien à voir avec l’administration intérieure de nos colonies, ni surtout avec leur défense contre nos ennemis ou nos rivaux. Faute d’avoir reconnu cette vérité, nous avons perdu bien des parties qui semblaient gagnées et dont l’enjeu avait été chèrement acheté[5].

Au point de vue de la continuité de direction, la politique des Russes en Turkestan est remarquable et bien digne d’être proposée comme modèle à suivre. Dans les colonies françaises, en Algérie par exemple, ou bien en Indo-Chine, ou ailleurs, chaque fois qu’un gouverneur ou même un simple administrateur succède à un autre, son premier soin consiste en général à faire table rase des institutions ou des projets de son prédécesseur ; puis il fait étudier ou élaborer des plans nouveaux conformes à ses propres vues ou aux vues de son parti ; ou bien, s’il n’a pas d’opinion personnelle sur les questions locales, ce qui est le cas général, il fait préparer l’application d’un système quelconque, dont la seule qualité nécessaire est d’être différent de celui qui était suivi précédemment. Après quoi cet administrateur est généralement déplacé avant d’avoir eu le temps d’appliquer complètement le système nouveau, et son successeur recommence la même manœuvre. D’autres fois le gouverneur reste en fonctions suffisamment longtemps pour avoir le loisir de pousser jusqu’au bout l’étude du nouveau système qu’il veut inaugurer. Généralement il s’aperçoit alors que le système ancien avait du bon, et il se décide à y revenir, mais après une perte de temps qui peut être de plusieurs années pour le progrès de la colonie, et après une perte d’argent plus ou moins considérable pour le budget. Tous ces tâtonnemens sont certainement regrettables, et une marche continue dans une direction unique, lors même que cette direction ne serait pas la meilleure ni la plus courte, vaudrait infiniment mieux au point de vue du résultat. Les Sartes ont un proverbe bien juste, qui se retrouve d’ailleurs chez tous les peuples de race turque ; c’est le suivant : « Le chemin est mauvais : marchez toujours, il deviendra bon ; n’allez pas trop loin dans le bon chemin, il deviendrait mauvais. » La seconde partie de cet axiome, d’une profonde philosophie, a le défaut d’être d’une application bien délicate : elle ne peut être appliquée en effet que par de profonds politiques ou par des sceptiques habiles, quoiqu’elle mérite de ne jamais être perdue de vue par ceux qui se mêlent de diriger les peuples. Mais quant à l’autre moitié du proverbe, plus terre à terre, elle est à la portée de chacun et elle est du ressort du simple bon sens. Il n’est pas besoin d’être grand philosophe, ni grand géomètre, pour comprendre que, même par une marche oblique, ou par un chemin indirect, on va plus loin dans une direction, laquelle, au cas particulier qui nous occupe, doit être celle du Progrès, qu’en revenant sans cesse sur ses pas et en retournant constamment à son point de départ. Cette vérité si simple, les Russes l’ont comprise plus vite que nous. Dans leurs possessions d’Asie, quand un administrateur est déplacé et remplacé par un autre, la première instruction donnée au nouveau titulaire est de ne pas détruire l’œuvre de son devancier et, avant toute application d’un programme nouveau, de terminer d’abord les entreprises commencées, même celles qui prêtent à la critique, et même celles dont le plan a pu être jugé défectueux et contribuer à la disgrâce du titulaire précédent. C’est dans le même esprit que le gouvernement russe paraît aussi avoir eu pour principe de ne jamais désavouer ses agens lorsqu’ils avaient réussi dans une conquête ou une marche en avant, même en outrepassant les ordres reçus. Ce dernier principe n’est pas, en soi, une règle de bonne administration intérieure, ni une loi de morale individuelle, mais c’est un moyen certain de s’assurer un avantage de premier ordre dans la lutte coloniale entre les puissances européennes qui aujourd’hui sont occupées à se partager le globe.

Un autre point qui est encore intéressant, c’est la rapidité avec laquelle se sont exécutés, en Turkestan, tous les grands travaux publics destinés à donner l’essor à la colonie. Routes, ponts, canaux, télégraphes, plantations, monumens publics, travaux de voirie urbaine, tout cela est sorti de terre comme par enchantement, par la seule initiative des gouverneurs généraux ou même des simples gouverneurs de provinces. Le tout a été terminé en moins de temps qu’il ne nous en faut pour étudier ou discuter des travaux dix fois moindres. Le secret de cette exécution si rapide est que les Russes ne se sont pas attachés à faire au préalable des études absolument parfaites ni à exécuter des travaux uniquement irréprochables et définitifs. En Tunisie, par exemple, nous avons mis douze ans pour construire, sur tout le territoire de la Régence, douze kilomètres de chemins de fer : la ligne de Tunis à Hammam-Lif. Nous avons laissé, pendant la même période, presque toute la surface du pays inaccessible faute de routes ; les convois étaient, à la moindre averse, arrêtés faute de ponts devant de simples ravins n’ayant que quelques mètres de largeur, et cela, parce que nous ne voulons aller que de proche en proche et nous ne voulons construire que des ponts irréprochables au double point de vue de l’architecture et de l’approbation hiérarchique. Nous avons pourtant dépensé beaucoup de millions en Tunisie, sur le budget des travaux publics, au chapitre des routes ; mais ces millions ont été employés à construire avec un luxe et une précision peut-être superflus un très petit nombre de kilomètres de chemins, dans les environs de la capitale, prise comme centre unique de civilisation et d’expansion. Dans un pays où le terrain n’a aucune valeur, on a discuté longuement, à un centimètre près, l’emprise de chaque route ; on a perdu beaucoup de temps et beaucoup d’argent à creuser, le long de ces routes, des fossés, ouvrages au moins inutiles dans un pays où il ne pleut pas, mais jugés réglementaires sous le climat de France. On a fait, à grands frais, des empierremens qui ne servent qu’à estropier les chameaux, aux pieds desquels le terrain naturel convient bien davantage. On a calculé, à un millimètre près, la pente de chemins où il ne passera jamais que des piétons, des cavaliers ou des troupeaux ; on a construit, avec un luxe ruineux, qui a obligé à restreindre outre mesure l’étendue du pays desservi, des maisons destinées à des cantonniers indigènes, lesquels n’en comprennent pas l’usage, habitués qu’ils sont à dormir à la belle étoile ou sous la tente. Moyennant beaucoup de travail et beaucoup d’argent, nous sommes ainsi arrivés à avoir dans telle de nos possessions africaines, au bout de nombre d’années, plusieurs localités auxquelles on accède par des chemins ou des ouvrages d’art dont les types sont absolument conformes aux modèles réglementaires en France. Mais à côté de cela il y a les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de l’étendue de la colonie où l’on ne peut pas accéder du tout. Les Russes en pareil cas procèdent autrement. Ils estiment que l’essentiel est de passer, et de passer vite : à ce titre, ils exécutent le plus rapidement possible des ouvrages approximatifs répondant aux nécessités les plus urgentes, sauf à les transformer ou à les améliorer plus tard. Ils prétendent, non sans quelque raison, que, même si ces ouvrages provisoires sont impossibles à améliorer par voie de transformation, et s’il faut un jour les recommencer et les remplacer par d’autres, leur système est encore le plus avantageux : la plus-value qui résulte pour la colonie de l’exécution rapide des premiers travaux est évidemment inestimable au point de vue politique ; quant au point de vue économique, on arrive, disent-ils, à amortir en peu d’années le capital dépensé.

L’expérience paraît leur avoir donné raison, et la marche de la conquête comme celle de la colonisation ont été accélérées dans des proportions considérables. Cette méthode a conduit le Turkestan à être couvert eu très peu de temps d’un réseau d’ouvrages d’art qui ne sont pas tous très soignés dans le détail et qui n’ont pas l’aspect élégant et agréable de ceux qu’exécutent nos ingénieurs français ; mais ils ont un grand avantage, c’est de remplir leur but.

Au Turkestan, ce qui est particulier et presque unique dans l’histoire des colonies modernes, c’est que le commerce, l’industrie et l’agriculture ont été laissés par les conquérans aux mains des indigènes. Nous chercherions en vain à faire rien d’analogue en Algérie, où les aptitudes nécessaires manquent absolument chez la race vaincue. Mais peut-être pourrons-nous puiser pour l’Indo-Chine, par exemple, d’utiles enseignemens dans ce qui s’est passé au Turkestan. La Russie a trouvé dans la population sarte une admirable matière coloniale, pour emprunter une expression au langage militaire moderne. Les Sartes, race hybride, mélange d’Iraniens et de Mongols, doivent certainement à leur parenté avec la race jaune des qualités de patience, de résistance, de sobriété et d’économie qui en font d’excellens sujets pour leurs conquérans et qui leur donnent même une incontestable supériorité sur les colons russes. Aussi le gouvernement impérial a-t-il pu faire d’eux ce que nous essayerions en vain de faire des Arabes algériens ou même des Kabyles tant vantés. Il n’a eu qu’à leur assurer par une bonne administration la sécurité de leurs personnes et de leurs biens pour voir se développer dans des proportions inouïes la richesse de la région. Le grand obstacle à la prospérité économique du pays, c’était surtout le suivant : jadis, dès qu’un Sarte était arrivé, par le négoce, l’agriculture, ou quelque autre moyen, à s’enrichir, il risquait d’être dépouillé par ses chefs hiérarchiques ou même par les simples employés de ceux-ci. Trop heureux quand il en était quitte pour la perte de son argent et qu’il n’y allait pas pour lui de la prison perpétuelle ou de la perte de sa vie. Et Dieu sait ce qu’était le régime des prisons de ces contrées : les voyageurs nous ont laissé la description du fameux trou aux punaises de Boukkara, ainsi nommé à cause d’une espèce d’arachnide très venimeuse, appartenant au genre Argas, qui y pullulait et à qui son corps aplati donne une vague ressemblance avec nos punaises. Pour être précipité vivant dans ce cloaque, le fait de posséder des économies étaient un titre plus valable que celui de malfaiteur. L’administration russe, méticuleuse peut-être, tracassière quelquefois, mais humaine, a été pour ces pays un incontestable bienfait. Jamais, à aucune époque de l’histoire, les Sartes n’ont connu un aussi bon gouvernement. L’état économique de la contrée s’en est vite ressenti.

Si les Russes se sont montrés infiniment supérieurs aux anciens possesseurs du pays comme administrateurs, il n’en a pas été de même, avouons-le, quand ils ont voulu fournir à cette région des agriculteurs, des commerçans ou des colons. Les paysans russes, ivrognes, paresseux et maladroits, n’ont pu songer à se maintenir au milieu des agriculteurs sartes, habiles aux irrigations, patiens et laborieux quand il s’agit de remuer profondément le lœss, cette terre jaune si fertile qui fait la richesse de la Tartarie et de la Chine tout entière. A l’heure qu’il est, il n’existe peut-être pas un seul cultivateur russe dans tout le Turkestan sarte : tous se sont portés plus au nord-est, dans la steppe sibérienne, où nulle concurrence n’était à craindre. Le gouvernement nouveau, bien loin de comprimer les indigènes, a eu la sagesse de les encourager, se bornant à les diriger et à en faire d’utiles instruments.

Au point de vue commercial, des faits analogues se sont produits. Des commerçans et des industriels russes sont venus s’établir dans le pays. Mais même pour la vente des objets européens, c’est-à-dire sur leur propre terrain, ils ont été bientôt distancés par les Sartes. Le marchand russe, au Turkestan, est intempérant, négligent, et dépourvu de toute aptitude commerciale. Son magasin, rarement ouvert, est encombré d’une quantité excessive de marchandises toujours achetées à crédit et sur lesquelles il exige des acheteurs un bénéfice démesuré : aussi vend-il peu, ce qui l’oblige à vendre d’autant plus cher. Le Sarte, au contraire, actif, économe, complaisant, sobre de par l’Islam, se contente d’un bénéfice modique sur le prix de revient de son petit fonds, très souvent renouvelé. Aussi les nouveaux venus ont-ils dû baisser pavillon devant leurs confrères asiatiques.

Dans ces conditions, on comprend que le mode d’administration de l’Asie centrale ne soit pas absolument comparable à celui de l’Algérie.

Ces aptitudes colonisatrices et commerciales ne se rencontrent que chez les Sartes, c’est-à-dire chez les sédentaires ; pour les nomades, c’est une autre organisation qui a dû être appliquée. Ceux-ci, les Kirghiz surtout, ne sont nullement cultivateurs ; ils le sont aussi peu que les tribus arabes les plus réfractaires. Les Turkmènes montrent à cet égard des aptitudes un peu différentes : quoique plus guerriers que les Kirghiz, ils ne craignent pas de remuer la terre. Les prodigieux remparts de Merv, ceux du vieux Tchardjoui et de leurs autres places fortes, qui constituent dans les grandes plaines de la Transcaspienne de véritables montagnes artificielles aux formes géométriques, sont les témoins de leur aptitude aux travaux d’art, surtout quand ils ont eu la guerre pour but. Ils ont creusé aussi de très nombreux canaux d’irrigation, souvent immenses, et certaines de leurs tribus, comme celles qui habitent l’oasis de Merv ou les environs par exemple, ne sont qu’à demi nomades, c’est-à-dire que, pendant six mois de l’année, on les voit demeurer à la même place et cultiver le sol. Cependant ils ne construisent pas pour cela de maisons. Ils se bornent à installer à poste fixe leurs tentes de feutre.

Au contraire, les Kirghiz sont toujours franchement nomades. Le pâturage des troupeaux est leur seul moyen d’existence, et leurs villages de tentes, leurs aouls se déplacent avec autant de facilité que le faisaient autrefois les capitales de leurs ancêtres, ces Mongols dont le bon moine Rubruquis nous a laissé la description. L’empereur Batou-Khan, souverain de la Horde d’Or, consentait à avoir un palais ; mais il considérait comme nécessaire que ce palais, aux murailles d’osier, fût mobile. Aussi ce monument était-il construit sur une grande plate-forme que traînaient, à travers la steppe, trente-deux bœufs attelés de front. Aujourd’hui les Kirghiz ne font plus d’aussi importantes constructions. Leurs chefs les plus considérables n’habitent plus que des tentes dont les plus grandes n’ont pas plus de vingt pieds de diamètre. Malgré tous les efforts des Russes pour leur donner le goût de l’agriculture et malgré les écoles qui ont été fondées en vue de ce résultat, les Kirghiz demeurent rebelles à ce genre d’occupation. Aussi a-t-on fondé sur leur territoire, qu’ils laissaient inculte, des colonies agricoles peuplées d’immigrans venus d’Europe.

Un procédé assez intéressant à noter, au point de vue de la comparaison de l’Asie russe avec l’Algérie, c’est la grande autonomie laissée aux tribus, tant sédentaires que nomades, à ces dernières surtout. Pour ce qui concerne les Kirghiz, cette mesure s’explique par cette circonstance qu’ils se sont donnés volontairement à la Russie. En outre les bis, étant électifs, ont moins d’autorité et sont moins dangereux au point de vue des insurrections, que ne le seraient de grands chefs héréditaires. Leur apparence est tout autre que celle des bach-agas ou même des caïds algériens. Ils sont infiniment moins majestueux, moins décoratifs, et paraissent moins respectés de leurs administrés. Ils commandent pourtant à un plus grand nombre de tentes que leurs congénères algériens, et leur autorité s’étend sur une bien plus grande surface de la carte terrestre. Mais étant élus par le suffrage universel, ils sont beaucoup plus modestes dans leurs allures que les grands chefs arabes, dont l’autorité est essentiellement héréditaire et qui, eux, se considèrent comme investis d’une sorte de droit divin, même quand ils sont parvenus à la force du sabre ou de l’intrigue. Le pittoresque y perd assurément, mais la facilité d’administration du pays par les Européens y gagne. Pour la même raison, la révocation de l’un d’entre ces chefs, quand le gouvernement la juge utile, ne soulève rien qui ressemble à une question dynastique. Le Mongol est essentiellement démocrate : l’Arabe est aristocrate et même théocrate. On ne peut les administrer de la même façon.

Dans les villes, les Sartes sont tenus par le gouvernement un peu plus étroitement que les Kirghiz : la sécurité du pays l’exigeait, et l’expérience de l’histoire est là pour justifier cette mesure. Cependant l’autonomie laissée aux indigènes est encore là bien plus grande qu’en Algérie. Le kazi est un véritable maire indigène : il est bien évident que l’existence de villes de 100 000 et 120 000 habitans, peuplées entièrement par la race conquise et ayant une activité commerciale ou industrielle considérable, nécessitait le maintien d’une administration municipale indigène, du moment que l’on voulait conserver à ces cités leur vie civile autonome. Il y avait même là un problème administratif assez ardu, et dont la solution a exigé tout le tact gouvernemental des Russes. Jusqu’à présent le résultat a été bon.

Un fait qui frappe dans la comparaison entre l’Asie centrale et l’Algérie, c’est que les unités de population, comme toutes les unités géographiques, sont beaucoup plus grandes dans le premier de ces pays que dans l’autre : les montagnes sont beaucoup plus hautes, beaucoup plus étendues aussi ; les fleuves sont beaucoup plus grands, les villes beaucoup plus peuplées, mais aussi bien plus espacées les unes des autres. Au lieu de simples torrens, comme ceux qui alimentent les oasis sahariennes, ou de maigres cours d’eau, comme le Chéliff ou la Seybouse, on trouve des fleuves tels que l’Oxus ou l’Iaxartes. Comme conséquence du même fait, chaque oasis est une province entière, au lieu d’avoir, comme en Algérie, des dimensions qui sont tout au plus celles d’une petite forêt. Au lieu de bourgades formées de masures en terre et dont les plus vastes ont rarement plus de 7 à 8 000 habitans, on rencontre des villes de 150 000 habitans, comme Tachkent, de 80 000 à 100000, comme Boukhara et Kokan, de 60 000, comme Samarkande et Khiva. Les villes de 20 000 à 40 000 habitans sont nombreuses, à tel point que les noms de la plupart d’entre elles ne figurent même pas sur nos cartes. Nous notons avec soin, dans le Sahara, des localités, telles que Timassiniu, Guemar, El Oued, et autres lieux semblables, où sont quatre palmiers autour d’un trou plein d’eau saumâtre ; nous qualifions de grandes capitales des bourgades comme Tombouctou. Mais qui de nous connaît, en France, les noms d’Andidjan, de Marghelan, d’Och, de Tchoust, de Khodjent, de Tchimkent, d’Aoulié-Ata : ce sont cependant des villes vastes et populeuses, d’une activité commerciale considérable. Certes il y a là des élémens coloniaux très importans, beaucoup plus sérieux que tout ce que nous avons trouvé en Algérie et au Soudan.

Entre l’administration des Russes au Turkestan et celle des Français en Algérie il existe, à côté de différences, plusieurs points communs, dont l’un est caractéristique : la tolérance religieuse et la bienveillance à l’égard de l’Islamisme. Les conquérans russes, suivant en cela l’exemple donné par la France, peuvent se dire les amis des musulmans ; comme nous, en Algérie, ils entretiennent et restaurent les mosquées ; cette tolérance leur a été imputée à crime par certains esprits qu’il est permis de trouver peu larges.

A côté de cette tolérance religieuse, il faut citer une autre mesure qui en est plus ou moins connexe, la naturalisation des musulmans et la faculté pour eux d’accéder aux emplois publics, même les plus élevés. Cette facilité est beaucoup plus grande pour les mahométans sujets de la Russie que pour ceux qui, en Afrique, sont soumis à la France. Nous reviendrons ailleurs sur cette question spéciale, grosse de conséquences, mais pour laquelle les données initiales dans les possessions françaises et dans les possessions russes, étaient, il faut le reconnaître, trop différentes pour admettre des solutions semblables.

En résumé, l’unité de direction et de gouvernement, la continuité dans les plans, l’affranchissement de toute tutelle incompétente et purement politique, l’effacement de toutes les coteries particulières devant une volonté unique, la décision et la rapidité d’exécution dans l’administration succédant à la hardiesse et à la promptitude dans la conquête, telles paraissent avoir été les causes, simples et logiques, qui ont assuré le succès de la colonisation russe en Asie. Ces grandes lignes de conduite ont rencontré, dans leur application, des circonstances particulières plus ou moins favorables, sur quelques-unes desquelles nous venons de chercher à donner de brèves indications, aussi précises que possible. Les mêmes principes ont-ils présidé jusqu’ici aux diverses entreprises coloniales de la France ? C’est une question à laquelle chacun peut répondre.


EDOUARD BLANC.


  1. Voir la Revue du 1er décembre 1893. — La Question du Pamir.
  2. Ce tchaldavar mongol a certainement été l’origine première d’un vêtement militaire dont le nom bizarre a exercé la sagacité de bien des spécialistes. Nous voulons parler du charivari, le large pantalon boutonné latéralement, que la cavalerie française avait emprunté aux Croates pendant les guerres du XVIIIe siècle, qui devint réglementaire en 1760, et qui fut usité jusqu’au temps de l’Empire, époque où il fut remplacé par la botte ou par le pantalon dit » à la Lasalle », du nom de son inventeur, le général Lasalle. (Note de l’auteur.)
  3. Ces sept rivières sont : l’Ili, le Kara-Tal, le Kok-Sou, le Biyen, l’Ak-Sou, le Baskan et la Lepsa. Cette liste admet quelques variantes, selon les auteurs.
  4. Khivinskie pokhod 1873 goda, par le lieutenant général A.-F. Grodiékoff. — Saint-Pétersbourg, typographie de l’état-major, 1888.
  5. Depuis que ces notes ont été rédigées, la création d’un ministère des colonies est venue, en France, donner satisfaction aux besoins auxquels il est fait ici allusion. Le fonctionnement de ce nouveau rouage administratif remplira-t-il le but désiré ? L’avenir nous l’apprendra.